Film

Athena

À quel point un film peut-il être prophétique ? Cherche-t-on vraiment l’envie d’observer une réalité alternative, quand on va au cinéma ? En tout cas, Romain Gavras, il y a un an, réalise un film qui restera dans les mémoires des plus cinéphiles d’entre nous. Il y développe ce que la rage des banlieues. A savoir, des jeunes se regroupant pour venger la mort d’un de leur frère.
Romain Gavras prend la température et sent cette pulsion de mort qui plane sur certains territoires français. Faut-il applaudir le cinéaste pour avoir produit Athena, œuvre dont les images dépassent la fiction ?

Je fais référence à l’affaire Nahel, où un policier exécute un adolescent, comme si de rien n’était. Cette tragédie s’apparente vraiment aux propos du long métrage. Actuellement, nous sommes en droit de nous questionner. Comment expliquer que les justiciers de la paix exterminent la jeunesse ? Quel futur proposer à nos enfants, si ces gardiens massacrent des innocents ?

Il est temps de remettre l’église au milieu du village. Nous avons besoin d’artistes comme Romain Gavras. En plus d’épater via des techniques cinématographiques totalement bluffantes -mouvements de caméra imprévisibles, direction d’acteurs ultra crédible- il soigne à l’écran le pire scénario possible. Les failles du système se résument à la mort d’un jeune homme et les conséquences du drame provoquent une sorte de guerre épique. Romain Gavras expose la violence depuis plusieurs années mais cette brutalité donne à réfléchir.

Quand l’Etat abandonne certains lieux de France, il n’y a plus aucune surprise à voir apparaître autant de saccages dans les rues du peuple. Le cinéaste pointe du doigt une tragédie qui n’a rien d’illusoire, Athena étant désormais comparable aux dégâts laissés à Nanterre, Lille et j’en passe. Il dénonce ni la barbarie des policiers, ni l’absence de politiciens, mais plutôt une haine ambiante, incontrôlable, dont l’origine se dévoile une fois nos yeux rivés vers les dernières séquences.

Le réalisateur oppose, certes, 2 camps, la justice et les banlieues. Cependant, il ne prends pas parti et laisse le spectateur deviner ce qu’est la racine du mal. Au final, le maux de nos sociétés s’appelle l’ignorance. Ignorer notre pouvoir d’action. Ignorer notre force de frappe. Ignorer notre échelle de valeur.

Lorsqu’on explore une tragédie, l’idée, c’est de ne pas avoir des gentils d’un côté et des méchants de l’autre. Les situations sont toujours plus complexes. Le film n’est pas très bavard, on est plus dans l’action et la frénésie du moment et les acteurs ont réussi à ignorer cette complexité. Tout est dirigé par le destin : il y a un mal fait au début du film et à partir de ce mal fait, c’est le destin qui vient tout ravager. Si le film pouvait se résumer en une phrase ou un tweet, ce ne serait pas intéressant.Romain Gavras

Le maire de Trappes, excellent orateur, décrit des jeunes Français exaspérés par un fonctionnement étatique complètement déconnecté de la réalité. Il réagit aux propos de Gérald Darmanin, un ministre au vocabulaire fasciste, un homme ne souhaitant pas comprendre ses citoyens.

Je ne justifie en aucun cas le fait de brûler des voitures, détruire des écoles, casser des vitrines puis, voler les commerçants, pour crier haut et fort ses idées. Parfois, j’aimerais valider ces actes vu qu’un vie ne mérite pas d’être enlevée après un contrôle de police sans péril… toutefois, cette réflexion est plutôt amorale. Je préfère privilégier le dialogue, les manifestions sereines et solidaires. Or, n’admettons pas que ces saccages viennent de nulle part. L’Histoire jugera les vrais coupables de cette tragédie sans nom. Et Romain Gavras sera salué pour ses talents artistiques.

brunoaleas

Tirailleurs : le récit d’une vie

Le 4 janvier dernier sort dans les salles Tirailleurs, produit entre autres par Omar Sy et réalisé par Mathieu Vadepied. Mon attention se porte initialement sur ce film, car d’aussi loin que je me souvienne, je n’avais jamais entendu parler d’un film sur la vie des tirailleurs sénégalais. Concernant les tirailleurs, il est d’emblée important de préciser un point historique : tous les tirailleurs ne venaient pas du Sénégal. Les tirailleurs sont assimilés à ce pays car les premiers tirailleurs enrôlés venaient précisément du Sénégal.

D’un point de vue général, le film est assez beau et les décorations nous font réellement voyager entre la France et le Sénégal.

Tirailleurs de Mathieu Vadepied

Un titre trompeur et polysémique

Le titre choisi est intéressant à plusieurs égards. Selon moi, l’emploie du pluriel permet de souligner le fait que l’identité des tirailleurs était multiple. Dans le film, cette diversité de nationalité est illustrée par le fait que plusieurs langues sont parlées par les soldats africains. La scène de l’arrivé de Bakary Diallo (Omar Sy) au front, nous permet de nous rendre compte que Bakary ne sait pas communiquer avec ses compagnons d’infortune car il parle peul (langue d’Afrique de l’Ouest) mais pas les autres.

Ensuite, une fois de plus, ce choix nous renseigne également sur le fait que l’histoire ne va pas se focaliser uniquement sur une seule personne. Tout au long du film, nous suivons l’évolution de Bakary mais également celui de Thierno (Alassane Diong).

Enfin, avec un tel titre, il est normal que le spectateur s’attende à voir un récit sur la vie des tirailleurs. Or, dès les premières minutes du film, le réalisateur nous fait comprendre que le sujet ne sera pas l’histoire de ces Africains enrôlés de force mais, celui d’un père et d’un fils loin de leurs terres. Ainsi, le titre anglais Father and Soldier est plus fidèle au scénario du film.

Est-ce qu’un enfant tue des hommes ?

Durant le film, nous contemplons l’évolution de la relation entre Thierno et Bakary. Au début, l’histoire se base sur le point de vue de Bakary. Néanmoins, plus Thierno s’éloigne de son père, plus l’histoire se focalise sur lui. Cet éloignement atteint son point culminant, lorsque Thierno répond Est-ce qu’un enfant tue des hommes ? à la phrase Tu n’es qu’un enfant de son père. A ce moment précis, l’attention n’est plus portée sur le père. Nos yeux sont rivés sur son fils.

La scène de la tentative d’évasion du camp illustre parfaitement la fin de l’influence de Bakary sur Thierno. En effet, après une brève altercation, Bakary pense avoir convaincu Thierno de le suivre dans son plan. Cependant, ce dernier va très vite déchanter quand il s’apercevra que son fils, profitant de la situation, décide de rester.

Un film presque parfait

L’œuvre coche malheureusement des points négatifs. Certaines scènes peuvent paraître trop longues et sans intérêts pour l’intrigue. Certains personnages manquent de profondeur. C’est particulièrement le cas pour le Lieutenant Chambreau (Jonas Bloquet). Ce perso est très important quant à l’évolution de la psychologie de Thierno. Néanmoins, ses apparitions dans le film sont très peu convaincantes. Pour les spectateurs, il passe pour un personnage secondaire.

Tirailleurs est un bon film racontant la vie d’un père, tirailleur sénégalais, et de son fils durant la guerre. Le réalisateur décide de reléguer la guerre en second plan. Il se concentre sur ceux qui sont entrainés dans ce conflit contre leur volonté. Ainsi, ce film n’est pas un film sur la guerre, ni sur les tirailleurs sénégalais, mais le récit d’une vie.

Fortuné Beya Kabala

TOP FILMS 2022

Le cinéma français brille énormément en cet An de grâce. De pertinentes propositions artistiques foisonnent. Prenons Quentin Dupieux et Céline Devaux. Ils apparaissent comme un fer de lance d’une génération à l’inventivité folle, à l’humour pointu et réfléchi.
Quant aux USA, Joe Biden doit remercier les Daniels. Ce duo de choc (bien connu pour la conception de clips totalement barjos) réalise le meilleur film de l’année… la meilleure pièce technique. Everything Everywhere All at Once contient tout ce que je recherche dans un film : un scénario sagace, des acteurs crédibles, un univers à la fois loufoque et fascinant. Ses concepteurs maîtrisent d’ailleurs un thème de bout en bout. A l’écran, on observe le respect apporté au métavers (une prouesse, n’est-ce pas Marvel ?). Daniel Kwan et Daniel Scheinert filment une famille, plus précisément les troubles d’une mère face à sa fille, pour ensuite créer la plus grande folie visuelle de ces dernière années. Chapeau !

Le projet des Daniels semblait gagner la première place du classement. Une dernière sortie ciné change la donne. Philosophons. La liberté est impossible à définir. Le cinéaste Luca Guadagnino dépeint des personnages libres de vivre leurs pulsions. Qu’elles soient primaires, sexuelles ou existentielles, ces pulsions reflètent aussi une société incapable d’accepter les différences. Si via Call Me by Your Name, les corps se mêlaient à une chaleur italienne, cette fois, le réalisateur colle les chairs au milieu des campagnes américaines. Bones and All est une œuvre d’une extrême beauté. Que retenir d’autre ? La cruauté de son propos obsède beaucoup trop. Le film illustre l’impossible acceptation d’êtres sanguinaires. Même si ses deux protagonistes, Timothée Chalamet et  Taylor Russell, suivent une éthique détestable, il n’empêche qu’ils incarnent notre peur… peur de se faire rejeter.
Leurs actes sont inobservables. Leurs pensées sont amorales. Pourtant, ils s’aiment. Tout porte à croire qu’ils se cherchent dans un microcosme fermé d’esprit. Mais comment prendre parti pour ces jeunes gens ? Bravo Guadagnino, me voici sans réponse. –Drama

TOP 5

  1. Bones and All – Luca Guadagnigno

  2. Everything Everywhere All at Once – Les Daniels

  3. Incroyable mais vrai – Quentin Dupieux

  4. Ennio – Giuseppe Tornatore

  5. Tout le monde aime Jeanne – Céline Devaux

Depuis mon enfance, je ressens toujours la joie à l’idée de rentrer dans une salle obscure. Rien n’a changé. C’était mon excursion préférée. J’aimais et j’aime toujours cette sensation de magie que me procure le cinéma. C’est un endroit hors du temps, hors du monde, qui me transporte la durée d’un film vers un autre univers. Je ne suis pas passive à regarder des images qui défilent. Je suis actrice invisible. Je me balade, observe et vis l’histoire se déroulant sous mes yeux.

Cette année, le grand écran m’emmène dans une Russie étrange. Je me fait ballotter, secouer par des histoires dures aux humains abîmés par la vie. Tout ça dans rythme tantôt paisible, tantôt effréné. Je ne ressors pas indemne de ce voyage. Bloquée dans mon siège, je me demande ce qui avait bien pu se passer ? Petrov m’avait transmis sa fièvre.

Puis, lorsque j’ai pu me lever et changer de salle, j’arrive dans un monde où je pouvais faire Tout partout et les deux à la fois. Je me transforme en ninja aux techniques de combat épiques pouvant passer d’univers à univers. Le rythme est vif, l’humour savamment orchestré, les mondes fous et colorés. C’est les yeux grands, psychédéliquement ouverts, que je termine ce film.

Quand ma vue se rétablit, je passe Trois mille ans à attendre, poétiquement, une histoire d’amour fine, profonde, philosophique dans un décor aux douces senteurs orientales, chargé d’histoire et de magie. Soudain, sans crier gare, l’amour se présente et nous changeons de salle ensemble ! Prit d’une folie, aussi incroyable mais vraie, nous achetons une maison malicieuse et étrange. Nous y rigolerons beaucoup, mais avec un goût amer. Un tunnel bien sarcastique nous enverra mine de rien vers nos vices.
Un Maestro touchant, déterminé, drôle, talentueux viendra nous sauver avec ses musiques de films inégalées ! Ennio, merci de nous avoir sorti de là !

J’espère que 2023 me transportera autant. Je vous laisse. 2022 se conclut doucement mais quelques films attendent encore d’être vécus. A bientôt pour de nouvelles aventures cinématographiques ! –Mouche

TOP 5

  1. Everything Everywhere All at Once – Les Daniels

  2. La Fièvre de Petrov – Kiril Serebrennikov

  3. Trois mille ans à t’attendre – George Miller

  4. Incroyable mais vrai – Quentin Dupieux

  5. Ennio – Giuseppe Tornatore

Illustration ©Antoine Wathelet

Bo Burnham : la génération de la fin du monde (4/4)

Il y a plus d’un an déjà, j’entamais cette rétrospective. Je détaillais à quel point les balbutiements de Bo Burnham sur Internet en disaient déjà beaucoup sur ce qu’il était destiné à devenir. D’un adolescent vidéaste parmi tant d’autres, il s’est hissé au rang d’artiste internationalement reconnu grâce à son style singulier. Alliance du drame et de la comédie, du spectacle de stand-up et du concert, en découle une sauce unique qui colle parfaitement aux enjeux de la génération Z.

En 2019, on parle peu de Bo Burnham. Ses deux derniers spectacles sortis sur Netflix ont eu un succès certain, mais son nom ne sort pas de communautés précises. C’est le genre d’artiste « perle » qui a énormément de potentiel, mais dont le message n’arrive pas aux oreilles du grand public. Un film sorti en 2018, Eight Grade, l’occupera un temps. Bien que celui-ci ressemble à l’artiste par ses thèmes et comprend un scénario de qualité, on ne retiendra pas Bo Burnham pour ce film. Les fans attendent un spectacle de stand-up depuis trois ans.

Mais que Burnham ait prévu un retour ou pas, en 2020, ce rêve devient impossible. Le virus et avec lui le confinement se répandent dans le monde entier, et avec lui confusion, perte de repères, et surtout impossibilité de se produire sur scène pour qui que ce soit. Mais alors que les scènes ferment, les yeux de chacun sont rivés vers Internet, seule fenêtre vers le monde.
C’est dans ces conditions compliquées que Bo Burnham sort son spectacle le plus iconique, et celui qui fera de lui un grand nom : Inside.

Tout ou presque a été dit sur le spectacle. Une critique a même déjà été faite sur ce site. Il figurait même comme meilleur film de l’année dans un des tops de 2021. Ne nous fatiguons pas à détailler comment le film-spectacle-concert est un pur éclair de génie, aussi bien sur le plan du scénario que de la réalisation, en plus d’être une véritable prouesse technique d’un seul homme. Mais posons-nous plutôt la question : qu’est devenu Inside en 2022 ? Qu’en avons-nous retiré ?

Si une chose est évidente, c’est que l’œuvre est bien plus témoin de son époque qu’on aurait pu le penser. Elle n’est pas qu’un portrait de son époque, elle est, ironiquement, « enfermée » dedans. Les thèmes d’Inside, qu’on pensait durer après le confinement, sont morts avec lui. Pourtant, cette comédie avait tout du manifeste révolutionnaire. Critique directe du capitalisme, remise en question de notre lien aux médias et à l’art, le tout dans et avec le berceau culturel de la génération Z : Internet.

Le plus gros souci est que la « génération de la fin du monde » ne l’as pas vraiment été. Le confinement était une occasion parfaite de remettre en question les racines les plus profondes de notre société. Le vide culturel de 2020-2021 aurait pu faire d’Inside une œuvre colossale en importance, mais ce ne fut pas le cas. Le « retour à la normale » du post-confinement s’est fait un peu trop littéralement, et trop de choses sont restées similaires. Y compris celles que critiquaient le spectacle.

Inside est un témoin précieux de son époque si particulière, mais c’est aussi la triste trace d’un coup raté. Et si personne ne désire l’apocalypse, une partie de notre monde aurait sans doute dû mourir avec Inside, le confinement, et la pseudo « génération de la fin du monde ».

L’optimiste dira qu’il reste de nombreuses catastrophes à venir qui seront peut-être le levier du changement, et peut-être que d’autres Inside restent à venir. Une suite, il y en a eu une, plus ou moins. Cet été, Bo Burnham sort sur Youtube une nouvelle heure de contenu, les Inside Outtakes. Un ensemble de scènes coupées, de morceaux non-terminés écrits et réalisés en même temps que le film originel. Les Outtakes sont excellentes. Elles mettent en perspective une œuvre qu’on pensait déjà complète. Plusieurs morceaux sont mémorables comme l’incroyable The Chicken, ou The Future. Mais aucun de ces textes n’est politiques, ils parlent moins du confinement. S’ils en parlent, la pertinence en est moindre puisque celui-ci n’est plus là. En somme, Inside en tant qu’œuvre incroyable laisse un goût un peu amer de retour à la normale trop littéral. Néanmoins, l’artiste, si en phase avec son temps, a encore des tours dans son sac. Et Dieu sait quelles surprises il nous réserve dans sa carrière future.

Raturix

Le déni cosmique est-il réel ? Part 2

Le huitième film d’Adam McKay est éminemment politique. Il y dépeint des êtres incapables d’enclencher leurs méninges face à la plus grande catastrophe mondiale. L’Absurdité remplace la Raison. Quand même la présidente américaine (Meryl Streep) nie le danger imminent, que reste-t-il ? Diviser pour mieux régner. Il existe alors 2 clans qui se forment : les personnes surveillant le ciel et l’arrivée de la comète, et les aveugles qui n’adhèrent pas aux observations de 2 scientifiques. Le personnage de Jennifer Lawrence n’aura d’ailleurs aucune crédibilité sur un plateau TV. Comme si la polémique l’emportait sur tout type de raisonnement fiable et rigoureux. Le cinéaste pousse le genre de la parodie à son extrême. Sans ambiguïtés, son œuvre dévoile des débiles profonds intéressés par leurs seuls intérêts. De ces constatations découlent la problématique du long métrage : comment penser au bien commun alors que personne ne sait unir ses forces ?

Un mouvement international réfléchit sur la question. Extinction Rebellion (XR en abrégé) sensibilise les publics face aux questions écologiques. Ses participants pratiquent la désobéissance civile. Plus précisément, l’action directe non-violente pour contraindre les gouvernements à agir face à l’urgence climatique (cibler des acteurs économiques, bloquer un site industriel, etc.).

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D’après eux, qui doit changer les démocraties gangrénées par le capitalisme ? Nul autre que le peuple. En Belgique, les demandes de ses membres affichent le désir d’installer une assemblée des citoyens. Elle doterait nos régions et communautés des ressources et de l’autorité nécessaires pour assurer une transition maîtrisée vers une société post-croissance équitable.

Notre mouvement a clairement démocratisé l’action politique. Les citoyens et citoyennes qui nous rejoignent ne ressentent plus le besoin de passer par les structures syndicales, associatives, particratiques classiques. (…) la principale médiation à laquelle je suis attaché aujourd’hui, c’est de pouvoir reconstruire collectivement un pouvoir d’agir. (…) Le fait de pouvoir se réapproprier cette capacité d’action, et de ne pas attendre d’une institution ce qu’elle ne donnera pas, est crucial face à l’enjeu climatique. Boris Libois, tête pensante de XR Belgique

Malgré les initiatives de XR, une impression demeure : nous écoutons moult réflexions, et peu de résolutions suivent… avouons que le déni est cosmique ! Je pleure des larmes de croco. Notre confort prime sur les préoccupations de Dame Nature. Hélas, l’enjeu est de sortir de ses habitudes dans le but de laisser un monde meilleur à nos enfants. Un discours banal, mais délaissé, voire ignoré. Heureusement, quelques bonnes nouvelles sont à prendre en compte : le panda n’est plus une espèce menacée selon le gouvernement chinois, la France souhaite sortir du plastique jetable d’ici 2040, le Portugal met fin aux centrales à charbon, Séville se fournira en électricité avec… des oranges ! Ce ne sont peut-être pas les éoliennes ou les piles recyclables qui sauveront l’humanité, mais l’humain est encore porteur de belles prouesses.
Mais pour combien de temps ? Il n’y a pas de planète B.

brunoaleas – Illustration ©Don’t Look Up

Le déni cosmique est-il réel ? Part 1

Don’t Look Up est œuvre ultra actuelle. Ses thématiques s’inscrivent dans notre époque totalement absurde. Une ère où on préfère assourdir les cris écolos, installer des antennes 5G, conquérir l’espace, etc. Adam McKay, lui, illustre l’humanité et sa démesure. La bêtise humaine ne se limite pas qu’à nier l’arrivée imminente d’une comète capable d’éteindre la vie sur Terre. Elle renforce l’ego et la cupidité de la présidente américaine, des magnats de la technologie et des médias grand public.

Dès lors, Leonardo diCaprio et Jennifer Lawrence évoluent là où tout le monde s’exprime, mais où personne ne s’écoute. Leurs personnages livrent un constat clair et net : les humain ont 6 mois afin de réagir face à la menace spatiale. Vains sont leurs avertissements. Inutiles sont leurs coups de gueule. Ces 2 figures scientifiques découvrent des univers de plus en plus superficiels. Des plateaux TV où la polémique remplace l’information. Des politiciens malhonnêtes préoccupés par une campagne électorale. Une population guidée par le Saint Divertissement.

Comment articuler les messages politiques d’un tel film ? Comment apporter le miroir maléfique de nos sociétés aux spectateurs ?
Il suffisait de jouer sa première comédie écologique, selon DiCaprio.

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Ca fait des dizaines d’années que je cherche un film abordant nos enjeux climatiques, mais c’est difficile car on est tous un peu perdus quant aux solutions. C’est le seul sujet au monde qui concerne la population entière, et c’est trop dur d’en parler. Mais Adam a trouvé une formule pour enclencher la conversation. La science offre les faits, mais l’art nous permet de digérer les émotions qu’ils provoquent. -Leonardo DiCaprio (Metro Belgique, décembre 2021)

Certaines comédies aident à comprendre nos drames. Notre dangereuse comète porte un nom : l’urgence climatique. La température moyenne de la Terre n’est pas stable. Elle varie avec le temps. Il faut qu’elle ne puisse plus augmenter, histoire de ne pas défoncer nos écosystèmes. Le journaliste scientifique Vivien Lecompte résume les pires scénarios. Dans un monde compris entre 3 et 4°C de réchauffement, le niveau de la mer pourrait s’élever de plus d’un mètre en 2100. Quelle en serait la principale cause ? La fonte des glaciers, des calottes glaciaires (Groenland et Antarctique). Si le réchauffement atteint +4,5°C, près de la moitié des espèces présentes sur la Terre pourraient disparaître, tout particulièrement la flore.
Ces dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées. D’où l’efficacité et l’importance du film : DiCaprio et Lawrence alertent des puissants aussi aveugles que sourds, à comparer à nos gouvernants. Ces derniers préfèrent s’inscrire sur TikTok, plutôt que de se soucier des usines à charbons ou des déchets nucléaires !

Devant ces tristes prévisions, il y a de quoi baisser les bras… les classes dirigeantes se foutent de sauver un cours d’eau ou un village d’indigènes. Après la théorie, vient l’action. Saurons-nous si le déni est cosmique ? Suite au prochain épisode.

brunoaleas Illustration ©Don’t Look Up

Hana-bi

Nishi est un flic traumatisé. Il s’endette avec les yakuzas du coin. Néanmoins, il n’est pas à réduire aux malheurs existentiels. Notre protagoniste voue un amour profond pour sa femme. Atteinte de leucémie, il lui reste très peu de temps à vivre. C’est pourquoi, son mari souhaite qu’elle savoure une dernière fois les petits riens de la vie.

A la fois acteur, peintre, scénariste et réalisateur, Takeshi Kitano signe une œuvre complexe nommée Hana-Bi. Si sa première heure intrique diverses lignes de temporalité, la seconde partie est un road trip, où tout aléa se révèle être soit un bain de sang, soit un songe éveillé. Lorsque Nishi défie la pègre, sa violence explose à l’écran. Ses attaques sont crues, brutales, inoubliables. Le cinéaste illustre explicitement les agressions. En jouant avec les ombres ou les bruits, des sous-entendus sont aussi exploités. Nous voici donc devant un film dépeignant une dure réalité, tout comme des fantasmes acerbes.

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Au sein de ce microcosme maléfique, Nishi n’est point un simple jouet éduqué au combat. Takeshi Kitano dévoile un personnage prêt à dépasser chaque obstacle. Rien ne l’arrête. Personne ne freine son objectif. Nishi parle avec parcimonie. Son silence annonce sa détermination. Nul ne compte plus que sa femme. L’amour devient un moteur noble et vertueux, là où la société de l’ancien policier reflète l’exact opposé. Mais pourquoi contempler un thème semblant vu et revu ? Deux réponses sont indéniables : la passion artistique de Kitano et le sujet propre à son métrage.

L’artiste expose son savoir-faire avec maestria. Il désarçonne et invite à la contemplation. Des tableaux, des plages, des routes et bien d’autres paysages sont mis à l’honneur. Les spectateurs voyagent au rythme d’un montage lent et poétique. Le récit dégage une atmosphère bien moins radicale à partir du moment où l’on découvre les habitudes de tout un chacun.

Quant à son sujet principal, Hana-Bi est hautement philosophique. Quel est notre but sur Terre ? Fonder une famille ? Réaliser ses rêves ? Atteindre l’ataraxie ?
Nishi choisit de rester près de sa douce moitié. L’horreur quotidienne n’est qu’un détail sur son chemin. Finalement, nous pouvons apporter respect et allégresse aux personnes nous aimant depuis toujours. Qu’importe l’environnement. Qu’importe les haineux. Nishi est maître de son destin. Il demeure et demeurera l’un des personnages les plus émouvants du grand écran. Il ne demande pas la Lune… seulement quelques instants rayonnants, quelques plaisirs burlesques avec sa bien-aimée.

Hana-Bi perturbe par son manque de dialogue, ses séquences brutes et sa musique si envoûtante. Cependant, l’expérience est à vivre. Son final ouvert questionne encore : que sommes-nous prêts à sacrifier pour notre liberté d’aimer ? L’œuvre est à voir plusieurs fois, afin de savoir si ses interprétations sont toujours aussi intenses. Puis, je découvrirai les classiques de Takeshi Kitano.
Je gagnerais sûrement en sagesse.

Drama

Bo Burnham : la génération de la fin du monde (3/4)

Juin 2016. Barack Obama coule ses derniers mois de présidence, et nous sommes dans les derniers mois d’une période historique. Cinq mois plus tard, les Américains éliront celui qui ridiculisera son pays des années durant. Pendant l’ère Obama, l’époque était caractérisée par un espoir en la gauche, en le progrès. Même l’élection écarte le socialiste Bernie Sanders… les Américains croient encore en un avenir égalitaire et inclusif.

C’est sans changement radical dans son style que Bo Burnham écrit Make Happy. Trois ans après What, l’artiste a encore pris en notoriété et les maladresses sont bien moins présentes. Comparer les deux spectacles pourrait montrer une évolution. Pourtant, ils sont très proches. D’un format semblable, ils sortent tous deux à des époques très similaires. Pendant le mandat d’Obama, Burnham et le public sont bien loin de savoir que le monde du spectacle allait profondément changer. Continuer la lecture

Nope

Jordan Peele attire les regards. Comme s’il lançait un effet de mode. Comme s’il affirmait que le cinéma de genre portait un discours critique sur nos sociétés… Lors de la diffusion de Blade Runner 2049, je ressentais déjà une crainte amplifiée à la sortie de Nope. Et si le public d’aujourd’hui n’était plus habitué à voir des œuvres éminemment politiques ?
A force de bouffer Marvel et des comédies françaises de merde, les spectateurs subissent l’endormissement du cerveau.

Où sommes-nous transportés ? OJ et Emerald font partie de la famille Haywood. Ils gèrent un ranch californien et veulent sauver ce patrimoine laissé par leur père. Comment y parvenir ? Il suffit de prendre en photo une force mystérieuse sillonnant le ciel.

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Jordan Peele part toujours d’une situation typique pour basculer ensuite vers des mésaventures atypiques. Il filme la banalité pour la déconstruire. Pensons à la bourgeoisie et le racisme derrière Get Out. Sa dernière œuvre en date affiche les perversités propres au monde du spectacle. Que recherchons-nous à travers le divertissement ? Une reconnaissance ? Le bonheur ? L’évasion ? Le cinéaste comprend que la menace filmée à l’écran n’est qu’un prétexte pour montrer de vrais visages. Un jeune homme traumatisé par les shows télévisés, puis, lobotomisé par la starification. Un réalisateur absorbé par le désir de capturer l’inimaginable. Un journaliste dont le casque moto reflète la bêtise humaine et la volonté d’immortaliser toute image.

Notre metteur en scène conjugue technologies toxiques et absurde humanité. Nope détient cette puissance d’être plus contemporain que n’importe quel documentaire portant sur les avancées technologiques. Parfois, elles sont souvent à voir d’un bon œil. Souvent, elles sont utilisées à trop mauvais escient. Comment ne pas être dégoûté face à des jeunes filmant une bagarre, plutôt que de prévenir des secours ou de s’interposer ? Se divertir mène au succès. Voici ce que Jordan Peele dénonce grâce à son humour. Et surtout grâce à ses séquences horrifiques, où l’angoisse est savamment installée dans un désert. L’individualisme l’emporte sur l’altruisme.

Nope n’est pas un chef d’œuvre. L’ennemi de nos protagonistes disparaît de manière pathétique, laissant une sensation anti-spectaculaire… Néanmoins, sa photographie demeure mémorable et son atmosphère glauque est maîtrisée de bout en bout : sa scène d’ouverture, la maison ensanglantée, de terrifiants maquillages, son montage radical, etc. Le long métrage annonce assurément une belle carrière pour son artisan. Il rappelle aussi une dure vérité : hommes et femmes n’envisageront jamais les civilisations sans la construction d’arènes.

Drama

His House

Nous sommes à Londres, dans un centre de demandeur d’asile. Bol et Rial font face à 3 personnes. Ces dernières leur annoncent que l’Etat leur octroie un habitat. Un sourire et des rires de soulagement transparaissent de notre couple. Enfin il va avoir la maison dont il rêvait. Arrivés chez eux, la désillusion et le passé les hantent. Et si cette maison n’était pas vraiment la leur ? Continuer la lecture

Decision to Leave

L’amour impossible prend une tournure sanglante chez Park Chan-Wook. Le retour du cinéaste se fête en beauté. Il se nomme Decision to Leave. Dernièrement, le film remporte un prix au Festival de Cannes. Sa romance n’est nullement ennuyeuse. Hae-jun, policier herculéen, ne trouve plus sommeil. L’arrivée d’une belle et mystérieuse jeune femme n’arrange rien. Infirmière au passé trouble, elle paraît être une autre personne face à ses partenaires masculins…

Le réalisateur signe un récit purement hitchcockien. Même s’il semble se détacher des références propres au Maître du Suspens, Park Chan-Wook joue sur les ambiguïtés. Il annonce une couleur en première partie de l’œuvre : le quotidien d’un mari dévoué à la cause policière. Au second volet, il expose les réelles intentions des personnages. D’un côté, une femme bouleversée par la délicatesse d’un enquêteur classieux. De l’autre, un homme dont l’amour dépasse tout entendement. Ce récit affiche une mise en scène mémorable. Nos yeux admirent divers angles de vue sophistiqués, des transitions aux petits oignons, moult décors majestueux, etc.
Néanmoins, le fond l’emporte sur la forme. Decision to leave est une tragi-comédie présentant des protagonistes conscients de l’ampleur de leurs actes. Dissimuler des preuves. Fabriquer des mensonges. Comprendre le Mal. Deux concepts ne cessent de se confronter : justice et amoralité. Pourquoi le cinéma coréen attire l’attention via de telles thématiques vues et revues ?

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Je pense que si le cinéma coréen est apprécié, c’est en raison de son amplitude émotionnelle. Dans le cinéma moderne, ce sont peut-être les Coréens qui expriment le plus d’énergie dans les sentiments et les états d’âmes.Park Chan-Wook

Pensons à Dernier train pour Busan, ou plus récemment, à Parasite. Le septième art coréen a la réputation de manipuler, puis mélanger les genres de manière inouïe. Decision to Leave dépeint des séquences hilarantes, angoissantes et surtout, philosophiques. De fait, quelques passages questionnent notre moralité. Si l’amour rend aveugle, faut-il protéger l’ignominie ? Hae-jun est en ça intéressant. Il met à rude épreuve son code moral. Qu’il soit en montagne, en ville ou au commissariat, il souhaite demeurer un justicier… malgré le caractère d’une dame à la fois rusée et envoutante.
Le polar nous renvoie à notre condition humaine. On a beau lutter pour nos passions premières, contre toute attente, nos désirs l’emportent sur notre raison.

Drama

Incroyable mais vrai

On peut tromper mille fois mille personnes, non, on peut tromper une fois mille personnes, mais on ne peut pas tromper mille fois mille personnes.

Serait-ce la philosophie propre à Quentin Dupieux ?
La citation est tirée de
La Cité de la peur. Ce film des années 90 est porté par une troupe d’humoristes, Les Nuls. A l’époque, Dupieux est bercé par leurs sketchs décalés, plus proches des Monty Python que des Inconnus. Les chiens ne font pas des chats ! Quentin se lance alors dans une filmographie au style bien à part. Son humour n’est pas celui de Nicolas Bedos. Ses images ne sont pas celles de Julia Ducornau. Quentin Dupieux est un auteur. Qu’importe ce qu’il raconte à l’écran, son univers assume une veine humoristique assez atypique.

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Incroyable mais vrai narre 2 histoires fantastiques. Le cinéaste touche aussi à la science-fiction, en décrivant 2 personnages pétrifiés par l’idée de vieillir. Ils adorent les nouvelles technologies et désacralisent leur biologie. Comme un conte pointant vers une morale, les récits affichent la démesure humaine et ses conséquences toxiques. Certains protagonistes sont prêts à tout pour ne pas subir la vieillesse. Ils deviennent alors pitoyables.
Le réalisateur filme bon nombre de leurs passages pathétiques : faux exploits sexuels, envie de starification incompréhensible, etc. Il ne se voile pas la face quant aux personnes contre-nature.

C’est une maladie qui existe. Moi, j’en fais un conte fantastique, mais c’est une vraie maladie. Des gens sont terrorisés par le vieillissement. Ils font tout pour reculer, alors que c’est perdu d’avance. On ne peut pas remonter le temps à ce point là. C’est même absurde d’essayer. C’est une course contre la mort. Enfin, c’est un truc flippant. Quentin Dupieux

En termes d’astuces techniques, les flous en arrière-plan font mal aux yeux. Dommage, lors de ses interviews, on ne questionne jamais l’artiste sur le sens de ce choix esthétique.
Heureusement, le film se regarde et s’apprécie, tant ses personnages sont succulents à observer. Il demeure une belle porte d’entrée pour découvrir l’univers dupieuesque, tant l’exercice de la satyre est réussi. Puis, face à la filmographie de Mr. Oizo, comprendre n’est pas l’objectif premier… rions de l’absurdité de la Vie.

brunoaleas