Manga

Choujin X

La vie doit-elle avoir un sens ? Est-ce qu’un homme doit posséder un rêve pour exister ? Y a-t-il tant de mal à se laisser porter par les flots du temps, à s’oublier jusqu’à ce que nos choix soient faits à notre place ? Eh bien… certainement… oui.

Disons simplement que comme tout, c’est plus facile pour certains que pour d’autres.

Choujin X est la dernière œuvre de Sui Ishida, l’auteur de Tokyo Ghoul (qui se trouve être mon œuvre favorite). Et ce qui est sûr, c’est que même si graphiquement, il a énormément évolué depuis ses débuts, on reconnait bien son style et univers. En effet, les thèmes explorés au niveau de l’univers sont globalement les mêmes. Dans ce monde, certains humains sont des mutants/surhommes appelés Choujins. Un Choujin a le droit entre être renoncé à utiliser ses pouvoirs, être un criminel, ou devenir un keeper et utiliser ses pouvoirs pour le bien de tous. Puis, où se porte notre attention ? Sur deux lycéens. Tokio et Azuma sont très différents et pourtant ils sont meilleurs amis. Azuma est un garçon plein de ressources et semble être inarrêtable, tandis que le timide Tokio est indécis et vit dans l’ombre de son meilleur ami, tout en lui portant assistance comme il le peut. Leur destin sera à tout jamais bouleversé lorsque, acculé par un dangereux Choujin, ils n’auront d’autre option que de devenir eux même des surhommes.

Lorsqu’on prend du recul sur la prémisse, le scénario ne s’éloigne pas trop de Tokyo Ghoul. Les thèmes explorés au niveau de l’univers sont globalement les mêmes. Ici, on part plutôt sur des études de personnages très poussées. Les pouvoirs des Choujins sont liés à leurs inconscients et c’est en partant à la découverte de leurs propre personne que nos protagonistes apprennent à maîtriser leurs pouvoirs. Notre héros timide devra essayer de comprendre pourquoi son pouvoir le rends si fort et exubérant, et pourquoi, malgré sa modestie, il prend la forme du vautour, l’oiseau qui vole le plus haut. Son meilleur ami devra essayer de comprendre pourquoi lui, qui est si fort et qui a tellement confiance en lui, n’a pas réussi à développer le moindre pouvoir. Et bien sûr, c’est à coups de virements scénaristiques et de puissantes réalisations de nos protagonistes que l’histoire progressera.

Il y a aussi beaucoup de mystères. Ils ne reposent pas sur les personnages mais plutôt sur des plans cryptiques contenant des représentations symboliques. Plus on en apprend sur le monde des Choujins, plus notre sang est glacé. Le récit prend un peu de temps à démarrer, mais un excellent combat au tome 2, et certaines révélations exaltantes au tome 4, ne manquent pas de faire désirer la suite.

Le pouvoir et l’apparence d’un Choujin seront toujours en raccord avec les désirs de la personne qui contracte les pouvoirs. Souvent, lorsque quelqu’un devient cette créature, il entre dans un état de folie et d’hyperfixation. Notons un cas fascinant, un baseballeur connu pour ses balles plongeantes. Quand il se métamorphose, ses attributs physiques prennent l’apparence des équipements de baseballeurs. Son pouvoir est d’augmenter la gravité des choses pour qu’elles plongent comme ses balles. 

J’ai vraiment adoré les scènes d’actions de ce manga. Depuis Tokyo Ghoul, un grand effort de clarté est effectué. Les batailles sont de vrais ballets de violence mouvementée. De la pure brutalité. Une des caractéristiques les plus intéressants des Choujins est ce qu’on appelle le raise. Deux ou trois fois par combat, lorsque les surhommes meurent, il peut tenter de revenir d’entre les morts, bien plus fort qu’auparavant. Cela les poussera à utiliser des tactiques très risquées. Parfois, ils se brisent même la nuque tout seul, afin d’obtenir un avantage décisif. Cela donne des affrontements complètement débridés où les combattants n’ont aucune retenue.

En somme, on peut dire que j’ai été complètement conquis par cette œuvre. Bien qu’elle prenne un peu de temps à démarrer, cette nouvelle œuvre de Sui Ishida a beaucoup de chance de supplanter son œuvre précédente, dans la liste de mes mangas favoris.

J’aimais Tokyo Ghoul à la folie, pas pour les dessins, pas pour l’action et encore moins pour cette triste adaptation animée qui ne lui fait pas honneur, mais bien pour le soin, l’amour et la poésie que l’auteur insuffle à son personnage principal. Ken est un personnage qui avait besoin d’évoluer, de se remettre en question sans cesse. J’ai l’impression qu’à travers Choujin X, ce n’est pas à un, mais bien à trois personnages que ce soin va être apporté. Couplant cela aux nombreuses améliorations de l’auteur sur son dessin et son découpage, je ne peux qu’avoir de plus en plus hâte, à chaque tome sorti, de connaitre la suite !

Rêve, espoir, ambition, persévérance…

Rage, justice, beauté, amour…

Aux Choujins

La destinée fait don d’une apparence et d’une force qui leur conviennent le mieux.

(…)

Et lui, qui l’est devenu… ce garçon… la détenait-il réellement, cette fameuse nature ?

Pierre Reynders – Illustrations ©Sui Ishida

Akira Toriyama est immortel

La nouvelle est tombée… Akira Toriyama n’est plus des nôtres. Comment y croire ? L’artiste derrière Dragon BallAraleBlue Dragon, et bien d’autres dingueries, nous quitte à l’âge de 68 ans. Pourtant, il est impossible d’y croire… avouons-le, l’auteur fut la figure artistique la plus inspirante de ces dernières années. Pensez à DBZ. Combien de personnes, fans ou détracteurs, se souviennent de Goku, ses amis, ennemis et objectifs ?! Les 7 boules de crystal. Vegeta. Les haricots magiques. La liste est longue. Les références perchées et bons souvenirs sont beaucoup trop nombreux.

Le premier épisode de Dragon Ball donne le ton. On découvre Son Goku, un enfant doté d’une force surpuissante. Il se joue d’un tigre à dents de sabre et pêche un piranha géant. Il vit simplement avec ce que lui procure la nature. Il chérit aussi un don de son grand-père, une boule de cristal. Un beau jour, il rencontre Bulma, une jeune fille de la ville. Les jeunots décident ensuite de partir vers l’inconnu. Une fois aux côtés du candide Goku, nous voici plongé à l’intérieur d’un monde vaste, riche, mais surtout, surprenant. Akira Toriyama dévoile alors des scènes cocasses, érotiques, absurdes, épiques, mémorables. Ce qui démarre comme une aventure banale, deviendra un mythe. Goku représentera une figure héroïque. Pourquoi ? Le protagoniste fait preuve de bonté en respectant une attitude admirable : il relève n’importe quel défi, partout et tout le temps !

Goku marque les esprits car il ne freine devant rien, ni personne. La peur n’est plus un obstacle. La soif de pouvoir n’est nullement un idéal. Le cœur n’est pas de pierre. Vous l’aurez compris, Akira Toriyama pond une bande dessinée fascinante. Comment l’oublier ? Ou plutôt, oubliera-t-on sa patte artistique, son magnifique univers ? Le dessinateur trace une histoire intemporelle. Akira Toriyama est immortel.

brunoaleas

TOP MANGAS 2023

J’aurais pu encenser One Piece, continuer à lire HunterxHunter, mais je préfère découvrir les nouveautés de cette année (exception faite à Chainsaw Man, dinguerie toujours plus créative). Du Mouvement de la Terre surprend tant son cadre et propos fascinent. Dans l’Europe de la fin du Moyen Âge, les lecteurs apprennent ô combien le Savoir est une arme. Le jeune personnage principal devra douter pour comprendre que ses convictions sont fausses.
Puis, mon numéro uno fait honneur à un poète de l’image. Hayao Miyazaki débarque à temps pour rappeler que la seule victoire à gagner est une paix entre les peuples. Ses œuvres nous embarquent dans cette idée pacifiste et
Le Voyage de Shuna développe plus précisément, l’esclavagisme. Le manga, illustré par d’incroyables aquarelles, introduit déjà un thème évident dans la filmographie de l’artiste : l’enfance demeure une lueur d’espoir au sein de nos sociétés ravagées par la haine. –brunoaleas

TOP 3

  1. Le Voyage de Shuna – Hayao Miyazaki

  2. Chainsaw Man – Tatsuki Fujimoto

  3. Du Mouvement de la Terre – Uoto

Illustration ©Antoine Wathelet

Blue Period

Pourquoi est-ce si dur d’exprimer ses sentiments ? Pourquoi est-ce que l’avis des autres m’importe tant ? La peur de voir ses fiertés détruites par le regard de ses pairs nous rend si malheureux, mais en même temps, elle donne un intérêt à la pratique de l’art. Artistes de tout genre, jeunes, vieux, débutants et vétérans, rassemblez-vous tous autour de l’œuvre nommée Blue Period.

Nous suivons l’histoire de Yatora Yaguchi, un lycéen de dernière année. Beau, intelligent et populaire malgré son style de mauvais garçon. Il vit sa vie en se laissant porter au gré du vent. Yatora prend ses études et ses relations sociales très au sérieux et voit tout sous le prisme de la question Que dois-je faire ?. Il n’a aucune passion, aucune vraie envie. Il n’est pas malheureux ou déprimé, mais sa vie manque de relief.

Un jour, par hasard, il tombe néanmoins sur le tableau d’une élève en club d’art. Cette vision le subjugue littéralement et à partir de là, en essayant lui-même la peinture, il découvre un tout nouvel univers et un moyen de remplir le vide qui l’habite.

Il entre en contact pour la première fois avec sa propre sensibilité et son monde intérieur et découvre l’ivresse de la véritable expression. En réfléchissant à sa propre vision des choses et en trouvant une occasion de la transmettre sans mots, il a pour la première fois l’impression de vraiment communiquer avec les autres.

J’aime vraiment ce manga. Tout d’abord, je l’ai repéré de la meilleure manière possible : la couverture m’a complètement accroché.

La plupart des couvertures de manga sont très belles, mais ne parlent finalement qu’à ceux qui connaissent. Rares sont les concepts de couverture vraiment accrocheurs. Ici, presque toutes les couvertures nous montrent un personnage différent du manga. Et à chaque fois, on nous le présente sous la perspective… du tableau qui est en train d’être peint. Cela donne une merveilleuse occasion de voir les personnages dans leur transe créative, mis dans de magnifiques couleurs et débordant de personnalité.

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Pour ce qui est du dessin, c’est sympathique sans non plus dépasser des sommets. L’auteure est douée pour les expressions, ce qui aide bien son récit, mais il n’y a pas de fulgurance particulière à déclarer. Les nombreuses œuvres d’art sont empruntées, avec leurs accords, à des étudiants en arts japonais. On y ressent une bonne impression d’authenticité. Mais deux petits problèmes : l’absence de couleurs est clairement en défaveur de ces œuvres et, puisque souvent plusieurs artistes différents prêtent leurs œuvres au même personnage, le fait que celui-ci peigne des œuvres avec des styles complètement différents, qui n’ont vraiment rien à voir l’une avec l’autre au niveau du style, est tout de même un peu troublant.

Mais bien sûr, toute l’âme de l’œuvre se trouve dans son scénario !

Le récit, qui aurait pu être très court et même se résumer au premier tome, ne cesse malgré tout d’approfondir son sujet et d’explorer toujours plus profondément les tourments qui peuvent animer l’âme de chaque artiste.

Yatora débute complètement dans le dessin. Il aura de très nombreuses leçons à apprendre de la vie d’artiste. Vivre de sa sensibilité nous rend vulnérable et les périodes de doutes et de remises en question seront légion. Tant de thèmes sont explorés que je ne pourrai les mentionner, comme l’expression de soi, le regard des autres ou le fameux débat qui fait rage depuis la nuit des temps : mieux vaut-il avoir du talent ou faire beaucoup d’effort ?

Mais au-delà du scénario, j’aime la manière dont le manga introduit son lecteur à son sujet avec beaucoup de patience et de compréhension. Le monde de l’art n’est pas accessible à tous. Les concepts et les techniques de base sont bien expliqués et on ne se sent jamais dépassé par le propos, peu importe à quel point on l’approfondit.

Blue Period n’est pas seulement une œuvre qui parle d’art, mais avant tout une analyse minutieuse des artistes. À sa lecture, il se pourrait que vous en appreniez plus, non seulement sur l’art, mais sur l’artiste qui sommeille en vous également, et ça, ça vaut bien le détour.

Pierre Reynders

Kotaro en solo, un nouveau voisin arrive !

Rien de mieux que des animes avec peu d’épisodes. Ils sont simples, efficaces et percutants. Voilà leur recette. Ils sauront vous transporter sans qu’un goût de trop peu ne vienne tout gâcher. Ils auront la qualité de ne pas vous lasser. Koni no tabi : The beautiful World, ReLife, Araburu et bien d’autres en font partie ! Ils seront sujets à plusieurs articles écrits dans les prochains mois. Aujourd’hui, je présente Kotaro en Solo.

Kotaro en solo

Voici votre nouveau voisin ! Il s’appelle Kotaro, a 4 ans et vit seul. Il est espiègle, borné, rempli d’imagination, insouciant, touchant et surtout il a dû grandir trop vite. Il a besoin de vous, de votre amour mais il ne vous le dira pas. Il doit déjà être adulte. Pour lui c’est une nécessité. Il n’a pas besoin d’aide ! Il vous fera rire et pleurer. Vous agacera et vous épatera. Mais malgré lui et malgré vous, l’immeuble dans lequel vous vivez deviendra sa nouvelle famille. Petit à petit, il se laissera aller dans vos bras. Il se laissera le droit d’être un enfant.

Kotaro en solo met en avant avec justesse et finesse ce que peut vivre un enfant qui, très tôt, est obligé d’affronter l’abandon. L’anime arrive à faire comprendre les mécanismes internes (et les comportements qui en découlent) qu’un petit être à peine né peut développer pour se protéger face à ce type de traumatisme. Ceci en partie grâce au travail de recherche sur la psychologie de l’enfant abandonné qu’a certainement dû faire l’auteure, Mami Tsumura. Je sens à plusieurs reprises que les problématiques amenées dans les épisodes sont approfondies et recherchées. J’ai l’impression de refouiller mes cours, de revivre des discussions avec mes professeurs de psychologie, lors de ma formation en éducation spécialisée. Ainsi, je conseille vivement cette série à de futurs travailleurs sociaux ou futurs psychologues. Kotaro sera d’une grande aide pour mieux appréhender vos cours et mieux comprendre la théorie vis-à-vis de ce thème.

La plus grosse force de l’œuvre réside dans la mise en scène de la thématique de l’abandon. Elle allie humour et émotion avec brio au point d’être joyeux et triste, sans qu’une émotion n’en surpasse une autre. Elles se complètent. Je ressens alors un sentiment particulier. Comme si l’autrice tentait d’expliquer qu’un enfant coupé de liens familiaux ne doit pas être accompagné avec un excès de tristesse ou dérision. Ni avec surprotection, ni avec négligence. Mais avec tendresse, une douce fermeté, gaieté et amour.

Kotaro en solo fera de vous un voisin comblé, le tout en 10 épisodes.

Mouche

Naruto, toujours aussi bouleversant ?

Il est 15h30, la cloche sonne. Je mets tout dans mon sac et me dirige vers le bus scolaire. Je n’ai qu’une seule hâte, revoir mon compagnon d’infortune. J’arrive devant la maison, je rentre. Je suis beaucoup trop impatiente. Je m’installe devant la TV. Naruto est là, l’aventure peut commencer. Je plonge dans un récit où le personnage principal est rejeté de tous parce qu’il accueille en lui un Démon Renard à Neuf Queues. Il devra se battre pour se faire accepter des autres ninjas du village de Konoha.

J’ai 11 ans lorsque je fais la rencontre de cet anime. Cette œuvre me procure des émotions suffisamment fortes pour me donner l’impression que l’univers des ninjas existe et que j’en fait partie. Quand on est une enfant aux amitiés bancales qui a du mal à trouver sa place, ce monde devient quasi instantanément un endroit où je me sens épanouie. Naruto Uzumaki, à travers son parcours, sa ténacité et sa joie de vivre, a pu, d’une certaine manière, me soutenir.

J’ai 23 ans. J’enregistre une série de podcasts pour une Maison de Jeunes où j’effectue mon stage. Ayant plus que remarqué l’attrait de quelques adolescentes pour les mangas, je décide d’entamer une discussion sur ce sujet. Après quelques minutes d’échange, nous citons Naruto. Là, je suis surprise et touchée. Des larmes coulent sur le visage de 2 d’entre elles. Le petit rejeté de Konoha les chamboule.

Naruto est une œuvre bouleversante parce que Naruto Uzumaki a été discriminé. Il a perdu ses parents, il a été tout seul toute son enfance. Ça m’a bouleversé parce que parfois, ce sont des choses qui arrivent dans la vrai vie.
Le voir évoluer, devenir Hokage et papa, c’est trooop. C’est vraiment une leçon de vie, une leçon de morale. Ça montre que le travail paye. –
Anonyme, 18 ans

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Ce qui me bouleverse, c’est le fait qu’il soit seul versus le reste du monde. Tu le vois petit sans personne et là, il est suivi même par les personnes qui le jugeaient. Naruto n’est pas devenu méchant alors qu’il aurait pu le devenir après tout ce qu’il a vécu. Anonyme, 17 ans

12 années s’écoulent entre le moment où je découvre Naruto pour la première fois et l’instant où ces jeunes ont été chamboulées. Pour moi, la force d’un manga réside dans sa capacité à changer, bousculer, aider, faire évoluer le réel. La première partie consacrée à Naruto (à la différence de sa suite nommée Shippuden) réussit avec brio ce défi… ce shonen m’a aidé. Il a montré à ces jeunes que tout était possible malgré l’adversité. Nous nous sommes reconnues en lui et ce, peu importe la génération.

Ce que je trouve le plus bouleversant et impressionnant, c’est que même si Naruto a été seul, moqué de tout le monde, il a su garder sa fierté, il ne s’est jamais rabaissé à se dire que c’était fini. Il a toujours cru en lui, même si personne ne croyait en lui. Même si tout le monde lui tournait le dos, lui était là pour lui. Au final, lorsqu’il a grandi, les gens étaient là pour lui. Ce retournement de situation est bouleversant. Il est toujours resté fidèle à Sasuke. Il a toujours gardé ses valeurs. Il a essayé de le chercher, de le faire revenir à la raison. Franchement digne d’un vrai ami. Anonyme, 15 ans

Mouche – Illustrations ©Masashi Kishimoto

Ranking of Kings

Les malédictions seraient-elles parfois des bénédictions ? C’est grâce à mes souffrances que je peux aimer comme ça. C’est grâce à mes larmes que tes baisers sont si doux. Et il n’y a aucun malheur que l’amour ne saurai pardonner.

Ranking of Kings, qui se traduit par Le Classement des Rois, à la particularité d’avoir été réalisé par Sōsuke Tōka, un créateur de livres pour enfant. Lorsqu’il a commencé à écrire l’histoire de ce petit prince sourd-muet, il n’a pas pu s’arrêter d’écrire et, pris dans cette frénésie créative, le projet a fini par devenir un manga.

Cela explique pourquoi le dessin et le scénario sont aussi différents du reste, un esprit enfantin nostalgique imprègne cette œuvre. Dessins très simples, peu détaillés, et scénario à la fois très simple et pourtant si profond.

Nous suivons l’épopée du Prince Bojji, fils de géant et héritier de la couronne, un petit garçon sourd-muet et frêle comme une brindille. Qui l’accompagne ? Son ami l’ombre. Leur objectif sera de faire de Bojji un grand roi puissant, capable de se hisser à la toute première place au classement des rois.

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Comme je l’ai dit plus haut, si le scénario du manga est magnifique, les dessins sont trop simplistes. Il n’y a presque aucun détail et le manque d’expérience de l’auteur dans ce médium se fait ressentir.
Heureusement, une adaptation en anime est sortie et celle-ci est excellente. Tout en étoffant l’esthétique et les arrière-plans, les magnifiques couleurs et l’animation fluide transforment une œuvre sympathique de par son scénario en véritable bijou. La musique médiévale qui parcourt le dessin animé est légère et optimiste. Elle donne une atmosphère joviale à l’ensemble. On a presque l’impression de regarder un dessin animé occidental, tellement ce style de dessin, de musique, change des autres animes japonais.

Pour ce qui est du scénario, je dois bien avouer avoir été très impressionné. Ranking of Kings repousse toutes les limites de la narration, bouleversant notre empathie et sensibilité. Qui aurait cru qu’une œuvre avec une façade aussi infantile cachait en son sein une des histoires les plus touchante que l’animation peut proposer ?

Ranking of Kings possède bien un personnage principal en la personne de Bojji, certes. Mais dans les faits, ce manga fonctionne presque comme une anthologie. Même si on a envie d’encourager ce petit héros vertueux tout du long, le soin apporté aux autres personnages est juste décoiffant. Chaque personnage secondaire sans exception possède à la fois une origine détaillée, mais aussi des objectifs, des valeurs et des sentiments complexes qui lui sont propres et qui font avancer l’histoire par leurs exécutions.

A l’écran, de nombreux sujets difficiles défilent. Ils sont développés avec beaucoup de délicatesse, de sensibilité. On nous parlera de deuil, discrimination et regrets. En se souvenant que rien ne peut balayer un amour sincère et rien ne peut vraiment séparer les cœurs conjugués, nos personnages traceront la voie vers un plus bel avenir.

Chaque mal provient de quelque part. L’âme humaine tend naturellement vers le bien mais les blessures du passé peuvent nous pousser à nous méprendre. Mais c’est aussi en traversant des épreuves qu’on apprend, qu’on comprend, et qu’on grandit… vous pouvez compter sur Bojji pour vous le montrer.

Pierre Reynders

Kobato, œuvre insignifiante de CLAMP ? Part 2

/!\ SPOILER. Critique à lire si vous avez terminé la série Kobato. En attendant, jetez un œil sur la première partie de la critique. C’est gratuit. /!\

Évitons tout suspens inutile. Kobato n’est pas une œuvre qui transcende mais elle n’en est pas moins signifiante. Lorsque je referme le dernier tome de cette histoire, j’ai le sourire aux lèvres et ce, pour plusieurs raisons.

Mon héroïne, celle que j’encourage depuis le début, a accomplit sa quête. Les autrices du collectif CLAMP réussissent à ne pas briser, à ne pas me lasser des liens qui m’unissent à leur univers. La compassion que j’ai envers Kobato et ses amis est maintenue, tout au long des 6 tomes.

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Outre le développement des personnages l’intrigue réussit à me choper. L’enjeu est devenu plus intéressant : finalement, récolter les sentiments blessés des gens n’est plus la mission principale de la protagoniste. Elle doit faire un choix douloureux. Elle n’est pas seule maîtresse de son destin. Elle est liée à la destinée d’autres âmes. Elle doit prendre des décisions douloureuse pour sauver son univers.

MAIS ce que j’aime le plus dans cette œuvre, et qui la différencie des autres, est que C’EST UNE BOUFFEE d’air frais ! A la première lecture, j’avais compris l’intrigue, les enjeux et la fin (qui même si elle est tirée par les cheveux, reste agréable à lire, on est heureux pour Kobato).
Via Tsubasa Reservoir Chronicle et XXXHolic, CLAMP nous emmène dans les tréfonds de réflexions mystiquo-philosophiques. Des réflexions saupoudrées de distorsions temporelles, où parfois, plusieurs relectures sont nécessaires pour tenter de tout comprendre. Kobato amène une petite pause pour se ressourcer entre 2 histoires complexes. Ce manga ne transcende pas de par la profondeur de son récit. Cependant, il est signifiant par l’équilibre qu’il apporte à l’univers de CLAMP, grâce à sa douceur, sa simplicité.

Mouche

Insomniaques

Dormir le jour et rester debout la nuit. Quelle plus poétique façon de fuir la réalité ?
La nuit lorsque nous allons dormir, c’est un peu comme si on prenait un raccourci jusqu’au lendemain. Mais… si on désire que le matin n’arrive jamais, autant ne pas dormir. Puis, confronté à la brulure de la lumière du soleil, on s’endort, priant que le temps s’efface avec nous. Je voudrai que tout s’arrête.

Insomniaques est un manga d’une rare douceur. Classé dans les seinen, probablement à cause de son ton mature et poétique, il raconte pourtant l’histoire très simple d’une paire de camarades de lycées tombant lentement amoureux l’un de l’autre.

Ganta Nakami est insomniaque. Il ne se souvient plus depuis quand mais pas moyen de s’endormir la nuit. Il passe donc ses journées de classes à somnoler et ses pauses à trouver un endroit où se coucher. C’est dans une vieille salle d’astronomie abandonnée qu’il trouvera le calme et la paix, mais aussi qu’il rencontrera Isaki Magari. Isaki est une fille de la même année que lui, optimiste et enjouée qui se trouve être insomniaque, tout comme Ganta. Sympathisant rapidement de par leur affliction commune, ils devront monter à deux un club d’astronomie afin de sauvegarder ce havre de paix qu’est l’observatoire ou ils se retrouvent à chaque occasion. C’est ainsi qu’ils apprennent lentement à se connaitre et à rejoindre leurs univers nocturnes de solitude.

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Nous passerons la totalité du temps alloué de ce récit à voir ces personnages attachants se construire un monde. L’infinité de la nuit est propice à la romance, à la poésie. L’isolation et le calme donnent l’opportunité à nos protagonistes d’êtres seuls au monde et de raconter une histoire d’amour aussi légère qu’un nuage et d’une intimité aussi profonde qu’un ciel étoilé. Ganta va voir sa vie changer quand cette nouvelle raison de rester éveillé va transformer son tourment personnel en fantastique intérêt : pour alimenter les activités du club, il découvrira la photographie du ciel nocturne et de la fille qu’il aime.

Peu de mangas possèdent un découpage aussi étendu. Chaque dessin laisse à l’autre l’occasion de respirer. Une impression de douce brise et de sérénité se dégage des pages au simple feuillettement. La taille des cases est impressionnante. L’auteur n’a aucun scrupule à utiliser une demi-page entière pour une simple expression. Puisque nous suivons la plupart du temps la perspective de Ganta, nous observons de très nombreux plans contemplatifs de Magari, au fil des pages. Les détails, mais aussi la simplicité des points de focus centrés sur notre demoiselle, transmettent sans mot dire la tendresse du regard porté et l’amour profond partagé par nos héros. Couplez cela à de nombreuses représentations époustouflantes de la nature sauvage et bien sûr, du sacro-saint firmament, gardien de leurs histoires, nous avons là un manga splendide.

Un anime est prévu pour 2023. J’en attends beaucoup de la trame musicale. Elle pourrait apporter énormément de personnalité et de sensibilité à cette œuvre déjà si belle.

Pierre Reynders

TOP MANGAS 2022

Il est bon d’être fan de manga. Cette année nous régale vraiment. One Piece a fait revivre le feu sacré des fans en se lançant dans sa dernière saga avec un panache inégalé. Les animes de cette saison d’automne sont en train de redéfinir les standards de qualité de l’industrie. La surreprésentation de la fantasy est enfin en train de ralentir un peu pour laisser place à un peu plus de variété. Et cerise sur le gâteau, Hunter X Hunter fera son retour triomphal.

Les nouvelles sorties de cette année ne reflètent pourtant pas cet état d’esprit positif. J’ai eu l’impression que beaucoup de nouvelles œuvres abordaient des sujets sombres comme la mélancolie, le deuil et la perte de repère. Il semblerait que la société que le covid laisse derrière nous porte en elle un vent de désespoir qu’il est important d’aborder.
C’est donc sans surprise que les trois meilleures nouvelles sorties en librairie de l’année sont des œuvres adultes sombres réussissant à cristalliser ce besoin d’expression.

En première position, nous retrouvons la nouvelle œuvre de Sui Ishida (Tokyo Ghoul) que j’attendais avec impatience. Même si le récit prend un peu de temps avant de démarrer, l’auteur a clairement profité de sa pause pour raffiner encore ses dessins. D’ailleurs, les cases débordent de style et de personnalité. J’ai particulièrement hâte de voir la suite.

Ensuite, le nouvel opus de l’auteure du cultissime Dorohedoro. On a clairement affaire ici à un ovni. A contempler : des dessins très détaillés avec un style brut et crasseux. Un univers foisonnant, déjanté et mystérieux. Un récit où tenter de comprendre ce qu’il se passe ne sert pas à grand-chose, mais où on se laisse entrainer volontiers.

Enfin, présentons une surprise inattendue nommée Boy’s Abyss. Ce drame psychologique est une belle réussite. Pour un thème assez peu représenté (découvrez pas vous-mêmes), le dessin est très beau, bien qu’il manque un peu de personnalité. La poésie intrinsèque, la complexité de chacun des personnages, et surtout le rythme du récit exécuté parfaitement, réussissent à envouter le lecteur. –Pierre Reynders

TOP 3

  1. Choujin X – Sui Ishida

  2. Dai Dark – Q Hayashida

  3. Boy’s Abyss – Ryou Minenami

Cette année fut si particulière. Je ne me suis jamais autant intéressé aux bandes dessinées. Découvrant de fond en comble l’univers d’Urasawa, m’émerveillant encore devant les récits de CLAMP ou adorant l’inventivité subversive de Fujimoto, je suis optimiste quant aux futurs travaux des mangakas.

Actuellement, un et un seul défaut se note parmi leurs propositions artistiques. Un maudit thème revient sans cesse, jusqu’à lasser les plus passionnés de lecture… la chasse aux démons. O combien de mangas abusent de ce fil narratif ! On n’en peut plus ! Heureusement, une exception vaut le détour : Chainsaw Man.
Mon classement s’éloigne donc de la thématique maintes fois répétées. Laissons savourer le goût du vomi aux fanatiques.

Le recueil de nouvelles de Tatsuki Fujimoto. La série riche en émotions de Kôhei Horikoshi. La dernière dinguerie de Q Hayashida. Mes coups de cœur de l’An ont de la gueule ! Ces lectures provoquent diverses sensations. Peur. Admiration. Soif de curiosité. Je ne demande qu’à découvrir les nouvelles planches de ces auteurs. Leurs aventures me font toujours rêver, qu’elles soient sordides ou émouvantes. –Drama

TOP 3

  1. 17-21 – Tatsuki Fujimoto

  2. My Hero Academia – Kôhei Horikoshi

  3. Dai Dark – Q Hayashida

Illustration ©Antoine Wathelet

Kobato, œuvre insignifiante de CLAMP ? Part 1

Vous avez peut-être déjà lu ou entendu parler des mangas Card captor Sakura, Tsubasa Reservoir Chronicle, XXXholic ou de X. Leur point commun ? Outre d’avoir été écrits par les mêmes auteures, les personnages, tout en ayant leur histoire propre, évoluent dans un multivers magique et intriguant où leur destin est lié. La plus grande force de ces autrices est d’arriver à susciter en nous une ferveur pour la vie de leur héros, un enthousiasme vis-à-vis pour leur parcours et un émerveillement pour les mondes qu’elles nous offrent à voir à chaque série qu’elles publient. L’une n’est pas le réchauffer de l’autre. Leurs mangas ensemble sont un peu comme une fratrie liée par la famille, où chacun diffère par sa personnalité.

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Kobato, écrit et dessiné par CLAMP en 2005, s’inscrit dans cette lignée. Il narre l’histoire de Kobato, jeune fille maladroite et attachante qui va devoir, pour pouvoir réaliser son vœux, remplir une bouteille de Sentiments Blessés. Tout cela accompagnée de son ami peluche Ioryogi qui lui crache des boules de feu quand elle casse quelque chose ou dit un truc de travers. Sa quête et son sens ne sont pas encore totalement développés pendant ce tome, je m’y pencherai lors de la seconde critique. Nous retrouvons très vite des similitudes avec les histoires de ses prédécesseurs, ce qui ne fait qu’accentuer cet aspect de connexion entre les mangas. Comment sont les traits de caractère des personnages principaux, l’ambiance ou l’humour ? Alors, d’où Kobato est-il différent ? Où se joue sa propre destiné dans ce multivers ?

N’étant qu’au tome 1, je ne vais pas pouvoir répondre à ces questions tout de suite. Désolé de vous décevoir. MAIS. Il y a une petite chose qui a attiré mon attention et qui est propre à cette œuvre (en tout cas, parmi celle que j’ai pu lire). Très vite dans les précédentes histoires, les personnages principaux sont entourés d’autres humains au courant de leur pouvoir, leur mission, et qui vont les accompagner dans leur destinée. Ici, nous sentons Kobato et Ioryogi très seules. Ce qui nous donne envie de les soutenir, de leur dire que tout se passera bien. A lecture du manga, nous avons une place un peu plus particulière. Comme si cette fois, c’était nous les acolytes des héros. Faire partie intégrante du l’histoire, avoir une place d’actrice dans l’intrigue, me pousse à continuer le manga. Non pas pour savoir si notre protagoniste va réussir à accomplir son rêve, mais parce que je veux l’y aider. Cependant, cela est-il suffisant pour faire la différence ?
Suite dans la prochaine critique !

Mouche

L’écriture de Fujimoto

Il faut donc la catastrophe pour que les choses rentrent dans l’ordre.

Chloé Thomas, spécialiste de littérature américaine, l’écrit dans la préface de Comment raconter une histoire. Ce recueil regroupe de courts récits de Mark Twain (1835-1910), notamment connu pour Les Aventures de Tom Sawyer. L’humour de Mark Twain concorde avec celui d’un jeune mangaka japonais : Tatsuki Fujimoto.

D’abord aux manettes d’une œuvre métaphysique et viscérale nommée Fire Punch, le dessinateur enchaîne les succès. En janvier dernier, même le Festival d’Angoulême le mettait à l’honneur, excusez du peu ! Un mangaka aussi jeune n’a jamais été célébré par le festival. Aujourd’hui, Chainsaw Man est la fiction qui fera de lui un auteur incontournable, grâce à son adaptation anime.

Quelle bande dessinée permet de mieux comprendre son ironie et étourdissante écriture ? Une anthologie de nouvelles demeure une belle porte d’entrée à son univers fou. Au rendez-vous : de nombreuses histoires courtes travaillées dès ses 17 ans. On y retrouve des antihéros naïfs, des rêveurs obstinés, et bien sûr, des évènements surnaturels totalement délirants.
Rien n’est si absurde à la lecture. Les personnages de Fujimoto suivent toujours des objectifs précis (déclarer sa flamme, devenir cosmonaute, etc.). Ensuite, ils tracent leur route de la manière la plus surprenante.

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D’ailleurs, ces divers éléments font la force de l’auteur. A chaque page, on se voit surpris des décisions prises, des paroles délivrées, des actions imprévisibles. Comme si ces protagonistes étaient à l’image de leur dessinateur… car Tatsuki Fujimoto est un battant ! A l’âge de 17 ans, il vient en aide aux sinistrés d’un séisme, en région de Tohoku. Par la suite, partager 17-21 devient alors un acte libérateur.

Il me semble qu’étrangement, le processus a eu pour effet d’atténuer un peu mes angoisses. En observant ce présent recueil ainsi apaisé, je me suis souvenu de plein de choses : que je ne dessinais pas seulement submergé par l’impuissance, mais aussi avec la faim au ventre ; que durant tout ce temps, je m’exerçais au dessin avec mes amis… et des souvenirs heureux me sont revenus en mémoire, au point de me demander pourquoi je n’avais gardé en tête que les moments sombres. C’est pourquoi, aujourd’hui, je suis heureux qu’au-delà de Look Back, ces histoires courtes aient elles aussi été éditées. -Tatsuki Fujimoto, extrait de 17-21

Son autre force est sans nul doute son style à la fois comique et transgressif. Chloé Thomas pointe encore une similitude entre lui et Mark Twain. Ce dernier fait en sorte d’illustrer de drôles de paradoxes grâce à son écriture directe, franche, brutale, américaine. 2 visions se rejoignant pour admettre qu’aimer la vie, c’est d’abord défier la mort.

brunoaleas – Illustrations ©Tatsuki Fujimoto