Interview

UssaR Interview

UssaR partage ses émotions depuis quelques années. Pour Des Nu.es, son nouvel opus, il s’éloigne des synthétiseurs ou autres machines. Il dépose son cœur sur le piano. Le jeune auteur se livre sur plusieurs sujets : la boxe, les loosers et la valeur des mots !

Quand j’écoutais ton mini album, il y a une chanson que j’aimais réécouter plusieurs fois. Elle se nomme ‘Podium’. Le texte est dédié aux loosers magnifiques. Parfois, les gens ont du mal à s’exprimer sur les actions dont ils sont fiers. C’est plus facile de se plaindre ? Cette idée est présente sur le titre ?

Je ne sais pas. Rendre hommage aux loosers magnifiques, c’est quelque part un sujet de société. Cette société qui nous tire durement vers le bas, vers une insatisfaction, où chaque conquête est plus difficile à avoir, où chaque victoire est de plus en plus mince et lointaine. C’est une belle figure le looser magnifique. On en retrouve partout, au cinéma, au théâtre, en littérature. Pensons aux héros de John Cassavetes.
Puis, je suis très sportif. Je suis fasciné par celles et ceux qui n’arrivent pas à accomplir leur objectif. La personne glorieuse m’intéresse moins. A l’inverse de celle qui vient de perdre 10 ans de sa life finissant quatrième sur le podium (rire). Parfois, elle ne se plaint pas. Je pense qu’elle a gagné quelque chose au final. Quant au jeu d’écriture, c’est un plaisir de pouvoir dérouler des métaphores sportives tout au long du morceau.

Parlons-en du sport. Que retrouves-tu dans ton sport qui est introuvable en musique ?

(court silence) C’est étonnant comme question. Moi, je fais de la boxe. J’en fais pas mal. C’est une école de la confrontation. Tu es face à un adversaire mais tu es toujours ton propre adversaire. Il faut maîtriser son souffle, sa peur, ses appréhensions. Les parallèles avec la musique sont en rapport avec l’ancrage, les liens au sol. En musique, si tu flottes de manière éthérée, sans base solide, sans le savoir d’artisan qu’est composer des harmonies, sans un travail de parolier, tu vas te perdre. Tu risques de t’essouffler, te retrouver dans les cordes.
Bon après, dans le sport, il y a des perdants et gagnants. En musique, tu ne sais jamais si tu gagnes ou si tu perds. Tu flottes dans un entredeux (rire). Je ne crois pas aux prix et distinctions. Il n’y a pas de récompense. Il n’y a que celle que tu t’attribues à toi-même.

Revenons sur le thème de la fierté. De quoi es-tu le plus fier lorsque tu penses à tes nouvelles chansons ?

Je ne vais te mentir, j’en suis très fier de cet EP. Je suis très content de ce que j’ai réussi à faire. Il est arrivé d’un geste, à poil. J’ai réussi à garder, même dans sa production, les dépouillements, petits bruits, souffles, imperfections. C’était voulu. Pour être honnête, je suis vraiment très fier du travail harmonique posé sur certains morceaux. Les morceaux comme ‘Ouistreham’ ou ‘Il pleut encore’ sont de beaux morceaux, bien écrits. Il y a quelque chose qui se tient. Ca reste pop, en ayant une exigence au niveau de l’écriture harmonique. Ca fait mec qui se la pète mais j’en suis fier (rire). La réussite de cet EP, c’est son côté léché. Par le passé, j’avais oublié que les gens veulent être avec toi, à l’endroit de l’écoute. Pour Des Nu.es, je me suis dit que les auditeurs devaient être assis à côté de moi, dans la pièce. Ils doivent entendre le piano, les fins de morceaux. Comme si on était à un endroit précis et qu’on n’y bouge pas pendant 6 morceaux.

Le piano est le meilleur instrument pour traduire ce qu’on ressent durant l’hiver.

En fait, sur Des Nu.es, le piano est à la fois le médium et la finalité. Je compose souvent au piano. J’avais envie de composer des chansons. J’entends par là, délaisser les expérimentations. Revenir aux couplets, refrains, harmonies, des choses plus chansonesques. Quand j’ai eu ces chansons, il fallait refaire un chemin, c’est-à-dire, écrire des partitions pour se servir du piano. Donc, trouver la chanson qui colle le mieux à l’instrument. C’est un double processus. D’abord composer au piano, puis réécrire au piano.

Sur ‘Moitié beaux’, tu chantes Tout finit trop tôt. Te détaches-tu de ce genre de phrase ou est-ce vraiment toi que l’on identifie dans ton écriture ?

Il y a très peu cynisme à travers mon écriture. Il n’y a pas d’utilitarisme. Je ne suis pas en train d’utiliser les mots pour plaire ou séduire à tout un chacun. Je pense vraiment que tout finit trop tôt. Les bonheurs sont passagers. Les amours meurent trop tôt. Les succès, passions et joies sont évanescents.
L’introduction de L’Insoutenable Légèreté de l’être m’avait marqué à vie. Kundera écrivait que nous faisons de nos vies des croquis, sans jamais avoir le temps de finir le tableau, qu’on est déjà sur le croquis suivant. Il y a un écho à ça, à quelque chose qui nous échappe, qui coule entre nos mains et qui nous condamne… à cette insoutenable légèreté de l’être (rire). UssaR me permet une catharsis, d’être le réceptacle noir de mes émotions, pensées et ressentis. La sincérité fait vraiment partie de mon écriture. Je l’espère. S’il y a l’épaisseur d’un papier de cigarette entre ce que je pense et écris, c’est bien.

Interview menée par brunoaleas – Photos ©Lara Sanchez

Jean Cremers Interview

L’année passée, Jean Cremers remporte le Prix Rossel de la bande dessinée. Vague de Froid ne passe pas inaperçu ! Après avoir partagé son récit fraternel, l’artiste continue son parcours chez Glénat. Dès lors, Le Grand Large apparaît sous nos yeux. Ce second livre retrace le voyage océanique de Léonie. Comprenons l’écriture de l’auteur.


Tes dialogues sonnent vachement réels. Ils n’y a rien de cadenassé, robotique. On le remarque lorsqu’on lit Vague de Froid. Comme si la lecture nous transportait aux côtés des personnages, en pleine montagne. Ecris-tu d’une traite ou alors effaces-tu ce qui n’apparaît pas authentique ?

C’est intéressant comme question, on ne me l’a jamais posée. Le scénario est le plus important pour moi, comme pour d’autres auteurs. J’ai peut-être vécu un traumatisme de cinéma qui explique tout cela. J’ai du mal à ne pas faire de liaisons avec notre réalité. Il y a une différence entre Tu sais pas et Tu ne sais pas. Ca peut vite sonner faux. Cette sorte de faux dialogue m’embête en BD. J’avais envie de rompre avec les codes de la langue française. J’aime écrire comme je parle. Surtout que Vague de Froid conte mon voyage en Norvège, une aventure avec mon frère. Je voulais rester authentique à ce niveau-là. Vague de Froid est une belle expérience pour ce qui est de respecter l’authenticité des dialogues. Par contre, quand une phrase est importante, je la mets en bon vieux français. Histoire qu’elle ait plus d’impact, qu’on cale dessus. Puis, dans Le Grand Large, on suit trois personnages parlant de manière authentique. Je n’avais pas le temps d’y mettre les formes et de paraître désuet.

Lors de ta venue à L’Escale, une librairie liégeoise, tu révélais ô combien tu aimais écrire des scénarios. Sans un bon scénar’, est-il impossible de travailler sur une BD qui mérite d’être lue ? Le scénario demeure la base donnant envie de dessiner ou bien est-ce tout simplement accessoire vu qu’on peut tester mille et une pratiques ?

Je ne dirais pas que le scénario est accessoire. C’est le scénario qui fait la bande dessinée. Le dessin sert aussi de scénario pour certains. Je pense qu’on peut partir de n’importe quelle base. Des auteurs s’en sortent dans l’impro, d’autres via un scénario bancal devenant intéressant grâce à un dessin original. Je pense notamment à Gipi. C’est mon auteur préféré. Parfois, j’ai l’impression qu’il n’écrit pas de scénario vraiment conventionnel mais qu’il se laisse aller à son ressenti profond. C’est également une forme de scénario. Si je devais être 100% honnête, je dirais qu’il faut une petite base. Néanmoins, des auteurs ne se préoccupent pas d’un scénario et le crée sur le moment même, dès qu’ils dessinent. C’est ça qui est merveilleux. Tout objet mérite d’être lu pour autant qu’il apporte quelque chose. Que ce soit en termes de scénar’, dessin ou couleur.

Les dialogues en disent beaucoup sur les auteurs de BD. On ne les désigne jamais comme de fins observateurs de nos faits et gestes. Quand je discutais avec Gipi, il assumait le fait d’abandonner les lectures dévoilant des récits artificiels. Vous devez sûrement avoir ce point en commun.

J’espère (rire). Il faut observer la façon de bouger des gens. L’attitude est importante. Le dessin ne se limite pas à bêtement copier une suite d’images. Il faut que ce soit crédible, authentique. C’est aussi la partie la plus amusante. Une personne n’est pas l’autre. Nos mouvements l’illustrent chaque jour. Je suis content que tu le soulèves.

A travers Le Grand Large, de jeunes personnalités sont livrées à elles-même. Contre vents et marées, elle souhaitent rejoindre la terre ferme. Je ne peux pas m’empêcher de méditer sur les paroles de Jean Jacques Rousseau : L’homme est naturellement bon, c’est la société qui le corrompt. Selon le philosophe, le mal n’est pas inné. Dieu ne maudit pas les êtres. L’homme s’est lui-même corrompu. Cette corruption relève d’ailleurs de sa liberté. Partages-tu cette vision optimiste, imaginer les humains bons à la naissance ?

Pas vraiment. Je suis très pessimiste. Je pense qu’on est entouré de bonnes et mauvaises personnes et qu’il faut rester prudent dès la pré-adolescence. On y note des comportements bizarres. Un enfant qui harcèle quelqu’un n’est ni mauvais, ni corrompu par la société. Quand on a 12 ans et qu’on s’amuse à frapper un gosse pour faire rire les autres, ça n’a rien à voir avec un phénomène sociétal… c’est beaucoup plus de l’ordre personnel. Il n’y a qu’à penser aux gosses laissés à l’abandon. Je ne sais pas si j’adhère à la philosophie de Rousseau, même si elle est réelle. En tout cas, je ne m’en suis pas servi pour Le Grand Large. La protagoniste, Léonie, est colérique et impulsive. Je ne sais pas si ça fait d’elle quelqu’un de mauvais. Je ne sais pas non plus ce que tu entends par un individu bon. Je ne suis pas allé aussi loin dans la métaphore, l’inspiration. Je me suis contenté de me mettre à la place de mes personnages. Je crois qu’on a tous le droit de craquer un peu, de réaliser de mauvaises actions, tant qu’elles restent relativement bonnes. Puis, on n’est pas tous bons. Il y a des gens qui ont un mauvais fond, t’sais. Ce n’est pas du tout la société qui les corrompt. Des personnes sont égoïstes naturellement. Parfois, c’est juste un trait de caractère. Après voilà, tout est relatif quant à ce que tu définis bon et mauvais (rire). Le monde n’est ni noir, ni blanc.

J’aimerais connaître les retours au sujet du Grand Large. A mon avis, des lecteurs furent apaisés. Au fil de la lecture, on saisit la nécessité de créer du lien.

Oui. Récemment, j’étais présent au Festival d’Angoulême. Des personnes s’arrêtaient afin de prendre un exemplaire pour leur enfant. Elles m’avouaient une belle info. Ma bande dessinée aide à comprendre qu’il faut faire confiance aux gens naturellement. C’est là que je comprends enfin ta précédente question (sourire). Oui, il faut faire confiance aux gens, tout en restant prudent.
En lisant mon livre, des personnes se rappelaient de leur jeunesse, où elles étaient un peu trop naïves. Elles se souvenaient de l’époque où les erreurs les forgeaient. Des gens avec un handicap venaient aussi me trouver. Ils s’exprimaient sur le fait d’être représentés et ça leur faisait du bien, parce que ça n’avait rien de forcé. Et là, ça me soulageait. Ca prouvait que je faisais bien mon boulot. Je ne voulais pas être trop moralisateur sur la question du handicap. D’autres gens se sentaient aussi rassurés quant au départ de leur enfant. Tout le monde quitte le nid un jour ou l’autre. Ils le comprenaient. Ils s’apercevaient que ce n’est pas aussi hardcore que le récit du bouquin.

Tu expliquais ta métaphore du grand large une fois à L’Escale. Tu reprenais la figure des parents laissant leurs enfants dans la cours de récré. Comme si ces enfants n’avaient plus qu’à se débrouiller, seuls face à un nouveau monde. Que trouvais-tu de si fascinant dans cette idée ? Quel est le point de départ ?

C’est une bonne question. En vrai, c’est une épreuve que tout le monde vit, que tout le monde oublie. Tu vois ? Pour les parents, c’est évident que ça va bien se passer. Vu que ça s’est bien passé pour eux. On retombe toujours sur ses pattes. Mais ce n’est pas ça la question. La gosse va p’tet galérer pendant deux semaines, deux ans, dix ans…
En dépeignant des parents de cette façon, si détachés de la réalité, je souhaitais montrer leur oubli vis-à-vis de cette période de l’enfance. On peut prendre pour exemple un jour d’école, où c’est le bordel dans la cour de récré, et tu dois y passer la journée. C’est un peu comme ta première nuit, en tant qu’enfant. A un moment donné, t’en n’a plus conscience. Je me suis dit : Tiens, c’est marrant. C’est une épreuve tellement horrible que tout le monde fait. C’est comme le permis de conduire. On stresse, mais une fois que c’est passé, on n’en parle plus jamais. L’idée était intéressante. En même temps, j’en profitais pour réaliser une métaphore de la vie.

Quand on est adolescent, on rejoint souvent un groupe d’appartenance. Il suffit de placer une caméra dans une cour d’école pour observer plusieurs clans. Tes persos trimballent quelques failles et souffrances. Crois-tu que nos différences sont plus fédératrices que nos ressemblances ?

Ouais. Exactement. Etre différent nous rassemble. On se rejoint sur une courte durée avec les personnes qui nous ressemblent. Qui se ressemble s’assemble n’est vraiment pas une phrase correcte. Les opposés s’attirent est bien plus juste. On y trouve quelque chose qu’on ne connait pas, quelque chose de frais. Alors, ça fait peur au début, peut-être qu’on n’ose pas se lancer. Dans mon histoire, les personnages sont forcés d’être ensemble. Léonie ne laisse pas Balthazar couler. Elle n’abandonne pas Agathe dans sa décharge. Leurs différences engendrent un trio hyper dynamique. Fin, je l’espère. En tout cas, la création du trio les pousse à aller plus loin, les menant vers des problèmes, à une trame scénaristique. Donc ouais, les différences sont fédératrices, bien plus que les ressemblances qu’on croit unificatrices. C’est sûr et certain.

Ton second livre présente un personnage fabuleux nommé Agathe. Cette dame accompagne Balthazar et Léonie. Elle donne à réfléchir. Parfois, il suffit de rencontrer une personne pour que notre quotidien change du tout au tout. J’en suis convaincu. Faut-il absolument croiser une Agathe pour mieux traverser le grand large de l’adolescence ?

On serait chanceux d’en croiser une, ça c’est sûr. J’ai eu la mienne. C’était ma sœur. Bon, il va y avoir du spoil (rire). En gros, pour Agathe, je m’inspire de ce genre d’ami qu’on connait à l’école, qui, après, dégage de nos vies. Ces amis sachant qu’on ne les verra plus jamais après une certaine période. Il faut donc en profiter. Par conséquent, la relation est incroyablement fusionnelle, libératrice. Mais nous, on n’en profite pas vraiment sur le moment. On s’en rend compte bien plus tard.
J’avais un ami comme ça à Saint-Luc (ndr : école d’art, à Liège). Je l’adorais, c’était mon meilleur ami. On faisait plein de trucs ensemble. Il avait une certaine retenue. On sentait qu’il y avait un truc qui clochait, par moment. Dès notre cursus terminé, il a disparu du jour au lendemain. Ce type m’a appris énormément, comme le fait que rien n’est grave, qu’on peut toujours se relever. Je ne pensais pas rencontrer quelqu’un comme lui, jusqu’au jour où je me suis fait d’autres amis. Et lui, je l’ai vraiment vu comme Agathe. C’est-à-dire, une personne qui aide les gens à grandir. Après avoir accompli son but, cette personne s’en va pour toujours.
Pour répondre à ta question, rencontrer son Agathe ça nous apporte évidemment un gros booste. Mais en même temps, c’est un peu triste. A un moment donné, il y a une séparation. Quand on est trop proche de quelqu’un, on commence à redouter l’instant où il ne sera plus là. Ce serait un bonheur de voir des personnes découvrir leur Agathe mais certaines n’en sortiraient pas indemnes, j’crois (rire). Moi, j’ai ressenti une sensation de manque. J’étais habitué à le voir tous les jours. Je croyais que ça allait durer toute la vie. La rupture est un peu brutale. Mais ça fait partie de la vie.

Interview menée par brunoaleas – Dessins ©Jean Cremers

Gero Arnone Interview

Comédie. Féminisme. Italie. Est-ce possible d’en débattre lors d’une interview claire et compréhensible ? Il y a un an, Gero Arnone écrit La Vita della mia Ex per come la immagino Io. Il propose alors, non pas des contes moralisateurs, mais une œuvre composée de plusieurs histoires tragiques, imprévisibles, et surtout, comiques.

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Avant de parler de ce que raconte La Vita della mia Ex per come la immagino Io, je voulais savoir ce qui te fascine le plus dans les dessins d’Eliana Albertini ?

Ce que j’aime le plus dans ses dessins, ce sont ses traits simples, mais en même temps élégants et expressifs. Je ne suis pas un grand lecteur de bande dessinée. Je ne connaissais pas Eliana. Minimum Fax (ndr : une maison d’édition italienne) m’avait demandé d’écrire un livre au sujet du féminisme, de la condition de la femme, etc. La première chose demandée était que je voulais avoir une dessinatrice de BD. Parce qu’il y a un moment dans la trame où je parle d’une polémique entre une dessinatrice et moi.
Minimum Fax me proposait plusieurs noms. Le trait d’Eliana me plaisait directement car il épousait bien le style d’une BD comique. Le livre est riche de textes et je souhaitais éviter d’obtenir des images chaotiques, confuses et chargées. Eliana avait l’habilité de pondre des solutions graphiques qui donnaient de l’espace aux textes sans le surcharger d’images, vignettes. Il y a une série de dialogues qui font office de page-poster. Ca me plaisait énormément.

J’ai pu noter, en regardant une de tes interventions sur Youtube, que tu décris des perdants avec ce livre… on voit aussi qu’Eliana et toi avez une vraie complicité, notamment à travers vos blagues publiées sur Instagram. Vous vous focalisez sur l’absurdité du quotidien de tout un chacun. Votre objectif était de dépeindre les absurdités humaines.

Notre objectif principal était d’écrire une BD qui faisait rire. Le thème du féminisme fut proposé par la maison d’édition, mais on voulait vraiment traiter de sujets ayant pour but de faire rire. Je ne voulais pas jouer le donneur de leçon politique ou moral. Je n’ai pas d’idées claires sur la dynamique de la lutte féministe, sur le patriarcat… je cherchais à déplacer mon intention comique aux sentiments des personnes. Donc, à l’intérieur du livre, on retrouve beaucoup des rapports de couples. On se concentre sur les raisons des hommes s’entrechoquant avec celles des femmes. Et pas toujours, dans l’un ou l’autre camp, on est pleinement dans le juste. C’est pourquoi, dans le livre, tous les personnages en sortent perdants.
Quant aux vignettes sur Instagram, servant de promo pour le livre, on illustre les thèmes du moment : Noël, Pâques, Carnaval, etc. On ne vise pas des propos génériques, universels, mais d’une certaine manière, on souhaite lier ces évènements pour voir comme cela rebondit sur le quotidien des personnes. Il en résulte des vignettes amères. Malheureusement, j’écris des choses assez souvent déprimantes qui, je l’espères, sont comiques.

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Quand on lit La Vita della mia Ex per come la immagino Io, on découvre la formule comédie = tragédie + temps. Quelle est ta recette parfaite pour la comédie ?

Malheureusement, elle n’existe pas. Je ne veux pas théoriser la comédie. J’en suis juste un grand passionné. Je note que la comédie évolue très rapidement et surtout, qu’elle est reçue de façon différente selon les générations. En Italie, je ne sais pas si c’est le cas en Belgique, la satire politique ne fonctionne plus. Certaines personnes s’en foutent à cause des réseaux sociaux, des nouvelles formes d’informations. L’info est trop parcellisée. Chacun la suit à sa manière. En Italie, qu’est-ce qui catalyse à 100% l’opinion publique ? Les élections et le Festival de Sanremo (ndr : festival lancé dès 1951, véritable rendez-vous sacré pour les Italiens). Puis, sur Instagram, on est sur une comédie plus amateure, plus spontanée, par conséquent, il n’existe pas de recette.
Un auteur comique peut s’estimer heureux quand il trouve sa propre voix. Dans le sens où, il peut être heureux de trouver une formule, un mode pour véhiculer sa pensée, et ce, quelque soit ton domaine artistique.

C’est très intéressant. Quand je vois Valerio Lundini jouer sur scène au premier mai, puis, s’arrêter pour appeler Vladimir Poutine, je me dis : Bon, la satire existe toujours en Italie. Comment sais-tu qu’elle n’est plus pratiquée ?

En Italie, il n’existe plus que deux émissions satiriques : Propaganda Live et un programme de Fabrizio Crozza. Ensuite, ajoutons que les vingtenaires ne sont pas  mon public. Et c’est dommage ! C’est aussi la faute d’une classe politique actuelle italienne poussée vers un niveau de surréalisme élevé. Ca devient presque banal de s’y confronter. Ou alors, on n’a pas encore trouvé la formule juste.
Si on revient sur la performance de Valerio Lundini au premier mai, en réalité, il prend en dérision l’évènement en tant que tel. Il se moque de ce festival qui a la prétention d’arrêter la guerre grâce à des chansons.

Il est fort. Restons sur nos terres italiennes. Giorgia Meloni est au gouvernement. Y aura-t-il un espace médiatique pour des personnalités comme toi, comme Valerio Lundini, à savoir, des personnes qui ne mâchent pas leurs mots… ou sera-t-il compliqué de s’exprimer dans les prochaines années ?

A vrai dire, lorsqu’on est dans un gouvernement de droite, autoritaire, en Italie, la satire prolifère toujours. Dans ce système se crée la dichotomie entre bons et méchants. Nous, auteurs comiques, sommes de bons défenseurs de la liberté d’expression contre un régime désirant la castrer. C’est un constat qui n’est plus le même. Premier motif, des politiciens, de droite ou gauche, entrent dans le jeu des réseaux sociaux et savent profiter d’une polémique née d’une blague satirique. Deuxième motif, il n’est plus aussi facile de blaguer qu’auparavant, là où les opportunités pour blaguer au sujet des minorités et de leurs problèmes étaient plus grandes. Les mouvements ne sont plus les mêmes et les personnes de la culture woke sont parfois exaspérées. En Belgique, qu’est-ce que ça raconte ?

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Ecoute, je n’en ai aucune idée. Je ne sais pas citer une personnalité bousculant les mentalités. Je dois avouer, je ne suis pas un public facile. Je rie rarement devant les spectacles des humoristes. Néanmoins, l’humour noir, c’est ma came. J’écoute souvent un artiste français appelé Gaspard Proust. Il appuie là où ça fait mal. Il donne à réfléchir. Pour moi, c’est important quand il s’agit de créer une œuvre artistique. Ca ne te préoccupe pas toi, le fait que la satire fasse moins de succès ?

Je ne pense pas que ça ait moins de succès. Je crois qu’elle a énormément changée. C’est vrai que la satire portant un message profond fonctionne moins. Peut-être que les nouvelles générations n’ont pas besoin qu’on leur dise ce qui est juste ou non. Mais ça dépend toujours des compétences de l’auteur. C’est difficile de faire de la comédie. Je m’impose une règle. J’écris sur des choses qui me font rire. Rédiger des blagues sur un sujet lié à un succès momentané est une tentation dont il faut s’extirper. Au final, le public n’est pas stupide. Les gens, qui te lisent ou regardent, comprennent si tes blagues proviennent d’ailleurs. Etre comique, c’est se baser sur les idées du moment et sur l’espoir d’en avoir d’autres.

Une impression me hante lorsque j’observe la jeunesse. Comme si tout devait être codifié. Si j’étais à ta place, j’aurais réellement peur de devoir respecter des quotas. La Cérémonie des Oscars représentent bien mes paroles. On ne récompense pas un film pour sa poésie mais pour son idéologie. L’écrivain Bret Easton Ellis l’annonçait par le passé. Peu importe le nombre de Blancs, la quantité de lesbiennes, à l’écran, il s’agirait d’évaluer les compétences artistiques.

D’un côté ça me fait peur, et en même temps, si c’est affronté intelligemment, c’est un super sujet comique. Si tu trouves la clé fourbe pour, en théorie, traiter d’un argument incorrect, indiscutable, par exemple, dans cette exagération de la représentation des minorités… si tu trouves un moyen rusé pour parler de cette chose et faire rire, le public appréciera. Cependant, si tu joues la carte : Ho, c’est totalement absurde de voir ce film juste parce qu’il y a des acteurs chinois. Ca ne fera pas rire, ça passera comme une réflexion réactionnaire.
Je suis d’accord avec toi sur le fait de transmettre un message. Puis, selon l’auteur que tu es, à toi de découvrir la méthode pour rendre ce message drôle, la clé pour provoquer le rire. Cette clé pour abattre la barrière idéologique de certaines personnes.
Ce n’est pas toujours facile. C’est un travail très beau, frustrant. Il y a eu sûrement des périodes plus ouvertes à la comédie, mais la situation actuelle est stimulante. Au départ, quand on me demandait de travailler autour du féminisme, j’étais enjoué. Après réflexion, je me suis dit que c’était du suicide. Parler de féminisme en Italie en 2022, après le mouvement MeToo, c’est comme se centrer sur le racisme alors qu’on est membre du Ku Klux Klan. Ces difficultés demeurent stimulantes.

(rire) Je sais maintenant quel est le titre de l’interview : Parler de féminisme est un suicide.

Puis, je me suis lancé vers une démarche sincère. Pour quelques blagues, j’écrivais des choses que je ne pensais pas. Dans la logique courante, j’incarne le blanc hétéro cis qui s’en prend à l’hystérie des femmes. En réalité, je suis d’accord avec les idées de certaines féministes, même si je ne suis pas d’accord sur tout. Dans mon livre, donc, je n’incarne pas ce personnage qui embête tout le monde. Je cherchais à faire rire.

Ce dialogue nous porte vraiment à la dernière question. Comment ne pas tomber dans le piège du moralisme casse-pieds ?

La stratégie du livre est de ne pas me faire parler mais de faire parler les personnages. Ils avaient souvent des idées et des points de départ complétement divers. En écrivant, je me rendais compte que personne n’avait tort, personne n’avait raison. Selon moi, c’est une prise de conscience nécessaire, même si elle est un peu frustrante. Ce serait bien plus facile d’imaginer la vérité d’un côté, et de se prendre pour le paladin de la liberté. La vie est plus compliquée. Et c’est plus stimulant, au sein de cette confusion, de débusquer les contradictions, illusions et frustrations comiques.
L’argument de ce livre n’est pas le féminisme. Mais de comprendre comment un auteur comique s’est retrouvé à affronter ce thème. Pour faire rire ou véhiculer un propos, tu ne dois pas être obligatoirement incorrect vis-à-vis de quelqu’un. Les nouvelles générations d’humoristes épousent cette pensée. Elles cherchent à être divertissants en restant sincères. C’est plus difficile, c’est vrai… mais c’est peut-être plus gratifiant.

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Interview menée par brunoaleas – Dessins ©Eliana Albertini

It It Anita Interview

Combien de merdes s’enchaînent ces dernières années ?! Covid, inflation, guerres… place aux couleurs ! It It Anita honore un chien d’assistance sur la pochette de son nouvel album. Décryptage avec Michaël Goffard, compositeur, chanteur et guitariste du trio.

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Vous adorez honorer vos ingénieurs du son. Vos précédents albums portent carrément leurs noms. Pour bosser sur le nouvel album, vous faites encore appel à Amaury Sauvé. Par rapport aux autres ingés son, qu’amène-t-il de fort quand il travaille votre son ?

Amaury a une sacrée expertise en ce qui concerne les groupes nerveux et puissants. Nous avons beaucoup apprécié son travail sur Sauvé et ça nous a semblé assez naturel de retourner vers lui pour produire et enregistrer Mouche. Avec, cette fois-ci, l’avantage de mieux le connaître, d’avoir une grande complicité et l’envie de produire davantage les morceaux.

Quand on écoute Mouche, ‘Psychorigid’ sort du lot. It It Anita se la joue Beastie Boys ?

It It Anita a envie d’expérimenter, d’ouvrir son spectre et de proposer des choses en plus que sur l’album précédent. Et tant qu’à essayer de produire un morceau un peu plus hip hop, je préfère avoir comme référence les Beastie Boys ! Ce fut assez marrant  et difficile à la fois, les intentions sont différentes, même si sur la fin, les vieux démons ont repris le dessus…

Discutons des paroles de vos chansons. J’ai l’impression qu’elles se réfèrent souvent à des maladies. ‘Authority’ signale un caractère malsain, celui de vouloir contrôler les autres. ‘Kinda the Same’ sonne comme un rêve horrifique. Pour le sixième album, Mouche symbolise l’aide aux personnes à mobilité réduite. Cet animal est, en effet, un chien d’assistance. Cherchez-vous des figures ou images salvatrices pour illustrer vos pochettes ? Des figures contrastant la noirceur des paroles de vos chansons ?

Je ne dirais pas que nos chansons se réfèrent à des maladies, plutôt à des comportements interpellant des individus de notre société. On a choisi Mouche car, depuis quelques albums, on souhaite illustrer nos disques par des noms, des personnages, qui ont influencé la vie de It It Anita. Et Mouche a positivement influencé la vie de notre bassiste Elliot – et donc indirectement celle du groupe – ces deux dernières années. Il nous semble aussi que cet album est plus varié, plus coloré que les précédents. C’est pourquoi on a choisi la bouille de Mouche ainsi que les couleurs pour illustrer ce disque.

It It Anita fête 10 ans d’existence. En tant qu’artiste, qu’as-tu appris de plus important ?

Que c’est un métier fantastique et exigeant ! Toutes ce tournées nous auront permis de voyager et de rencontrer un paquet de personnes formidables. Mais ça demande aussi beaucoup de temps, d’énergie, d’organisation et de travail. On n’a rien sans rien…

Interview menée par brunoaleas – Photo bannière ©Grégory Derkenne

Empty Head Interview

Modernité ne signifie pas apaisement. Nous vivons une époque où quelques personnes souhaitent atteindre perfection et beauté absolues… écouter la musique est alors salvateur. Surtout quand elle donne à réfléchir. Empty Head conte les failles des Hommes modernes. Vous le constaterez, lorsque la bande sortira son mini-album. Interview exclusive avec François Michels, guitariste au sein du groupe fort prometteur.

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Vos nouveaux morceaux étaient déjà joués sur scène, ces deux dernières années. Pour terminer leurs compositions, vous faisiez confiance aussi bien à votre instinct de musicien qu’aux retours du public.

Certains des morceaux de l’EP sont joués en live depuis plus d’un an, d’autres depuis quelques mois, ça dépend de quand ils ont été composés. On joue toujours nos nouveaux morceaux en live avant de les clôturer et de les enregistrer pour pouvoir nous les approprier et les tester en ‘conditions réelles’. Après quelques scènes, c’est beaucoup plus naturel et facile de sentir ce qui marche ou ne marche pas dans une composition et, si besoin, de changer certains arrangements. Certains morceaux passent par un nombre incalculable de versions, d’autres fonctionnent dès la version une ou deux -c’est rarement le cas pour nous, on aime souvent se couper les cheveux en quatre-. D’ailleurs, pour le moment on joue déjà en live quelques morceaux qui viennent d’être composés et qui n’ont donc pas encore été enregistrés. Pour nous, en tant que musiciens, c’est le plus excitant ! On aime que notre set évolue en même temps que nos compositions et ne pas devoir attendre un an ou plus que les morceaux soient enregistrés et sortis avant de pouvoir les jouer sur scène. Donc pour répondre à ta question, je dirais que c’est un mélange des deux : on a besoin de sentir la réponse du public durant un live pour pouvoir évaluer nos morceaux. Avec le projet Empty Head, on veut avant tout communiquer de l’énergie et faire bouger le public donc c’est super important pour nous de passer par le test live.

J’aimerais débattre des textes de votre futur EP, Tales of a Modern Man. On y décèle une figure récurrente. Elle semble incapable d’être elle-même, souvent trop coincée dans les contraintes et responsabilités imposées par nos sociétés. Aujourd’hui, peut-on encore faire de la musique à la fois engagée et efficace ? Croyez-vous que la musique puisse conscientiser sur le fait que cette société veut tout, tout de suite, sans réfléchir sur chaque choix et décision ?

On pense en effet que la musique peut aider à faire réfléchir. Dans notre cas, on ne cherche pas vraiment à conscientiser un public par rapport à une problématique sociétale particulière, ni à proposer une solution à un problème. Nos textes reflètent la plupart du temps des réflexions personnelles ou des expériences vécues et ont souvent une dualité : ils peuvent paraître noirs, intimes, profonds au premier abord, mais sont aussi souvent critiques et ironiques. On essaie plutôt de mettre des mots sur certaines pensées qui nous habitent et nous préoccupent, de les mettre à nu, pour que les personnes qui se retrouveraient dans ces textes sachent qu’elles ne sont pas seules.

Tales of a Modern Man suit un fil rouge. Vos chansons critiquent la ‘pseudo-toute-puissance humaine’. Qu’est-ce qui vous fascine dans cette thématique ?

Le fait que cette ‘pseudo-puissance’ n’est qu’un mirage. L’Homme moderne avec un grand ‘H’ est un être supérieur, à la pointe de la technologie et au sommet de la chaîne alimentaire. Productif, efficace, aisé, heureux, parfait.
En 2023, plus qu’à n’importe quelle autre époque, tout n’est qu’une course aux apparences. Les textes de
Tales of a Modern Man s’attaquent à l’envers du décor.

Interview menée par brunoaleas – Photo ©Barthelemy Decobecq

Le Pietre dei Giganti Interview

Les forêts permettent de s’absenter du monde ? Et si on le comprenait en musique… on choisit Le Pietre dei Giganti comme bande son. Ce quatuor italien compose un rock brut et tribal. Le batteur Francesco Nucci présente l’univers de la bande.

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Le second album est toujours le plus difficile dans la carrière d’un artiste, chantait Caparezza. Ce fut le cas pour la bande ?

On avançait avec une certaine terreur. Celle de croire que le second album est le plus difficile à composer. Finalement, ça ne l’était pas. Au contraire, par rapport au premier, c’était plus facile. On avait déjà fait l’expérience du studio donc on bossait sur le disque en sachant déjà ce qu’on voulait, l’objectif et le type de son. Il n’y avait pas non plus l’impact émotif d’être pour la première en studio. C’était vraiment un parcours plus relaxant. Disons que l’enregistrement de Veti e Culti était une fête malgré son ton très sombre.

Les campagnes et forêts prennent énormément de place dans les thèmes de Veti e Culti.

Le premier album nommé Abissi faisait référence au monde maritime. A un certain point, lorsqu’on écoutait les démos, on s’interrogeait sur le futur sujet du projet. Après avoir affronté les thèmes des océans et profondeurs marines, le mot terre nous venait à l’esprit. Nos chansons faisaient aussi écho à l’univers tribal. On pensait vraiment à une symbologie, une sonorité, un archétype. Le thème des forêts est une histoire racontée en quatre morceaux, c’est un concept. Mais la base générale du disque est l’homme, la terre, le tribal. Moi, j’aime bien le définir comme un album sur l’absence. Nous n’avions pas de fil conducteur. Mais, une fois les chansons assemblées, la thématique de l’absence apparaissait claire et nette. Comme penser à un fantôme ou, en tout cas, à quelque chose qui s’en va. Les forêts équivalent à prendre une absence du monde. C’est-à-dire qu’une fois dans les forêts, nous sortons du monde pour entrer dans quelque chose d’inconnu et fantastique. Puis, on retrouve le thème d’un village qui se vide, d’une personne qui nous quitte, l’absence physique, voire même des paroles apocalyptiques qui mènent l’humain à l’essence de l’absence.

J’aime l’importance donnée à la nature, aux éléments essentiels. Je me souviens des textes de Mogol, interprétés par Lucio Battisti, où l’on ressent une nature sacrée. En tant qu’artiste, est-ce nécessaire de se détacher du virtuel, parfois trop inintéressant ?

Ecoute, je suis très réaliste. Je ne dis pas : Nous devons retourner à la campagne. Je dis plutôt : Nous faisons partie de ce monde et ce monde est aussi fait de réseaux sociaux. Ils permettent aussi de faire cette interview à distance, de faire connaître notre disque, et de nous faire connaître. Qu’Internet soit toujours félicité. Comme chaque chose, le net prédit de bonnes choses et des pièges. Pour un groupe, c’est simple de forcer la perception pour sembler être toujours en tournée, travailleurs, pour après se dégonfler. C’est le risque encouru par les bandes. Il suffit de bien travailler sur ses réseaux et montrer la réalité telle qu’elle est. Désormais, on peut produire à n’importe quel niveau avec des coûts abordables. Puis, quand le disque sonne d’une manière, il faut voir s’il sonne pareil sur scène. Souvent, on nous fait un compliment. Des personnes avouent que nos chansons sont plus belles, une fois jouées en concert. Nous avons réussi à porter nos titres sur scène, de façon optimale. Tout le mérite revient aussi à notre producteur. Il certifie qu’on doit composer des morceaux qui nous ressemblent, qu’on pourra jouer en concert. On ne doit pas se prendre pour je ne sais quel groupe puis se dégonfler. C’est aussi important pour le public qui vient t’écouter.

Pour le prochain album, changerez-vous de style musical ?

Nous sommes en phase d’écoute de certaines idées musicales. L’idée n’est pas de changer de genre mais nous irons vers un horizon, des panoramas, que nous n’avons pas encore sondés. Sans dénaturer le son des Pietre dei Giganti, mais plutôt, en essayant de mélanger les cartes. Nous écoutons divers styles de musique. Nous cherchons des rythmes lointains, africains, caribéens. Ensuite, on voit ce que ça donne une fois qu’on y ajoute des guitares, des voix… c’est ce qui se faisait dans la musique prog. Le rock progressif s’inspire de rythmes d’autres pays pour après les décomposer sur des instruments variés. Nous sommes sur ce terrain de recherche. Il ne s’agit pas de copier Veti e Culti. Nous allons élargir notre langage sous d’autres points de vue.

Interview menée par brunoaleas – Photo ©Luciano Moneti

Batawp Interview

Paranoiæ n’est pas un livre comme les autres. Giulio Rincione, aka Batawp, illustre les pensées d’Alan. Ce personnage torturé entraîne notre cerveau vers l’emprisonnement et la fuite. L’œuvre ambitionne d’être un miroir des lecteurs. L’enjeu est de taille. L’auteur présente ses techniques, sa philosophie et sa fascinante bande dessinée.

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Comment définir Paranoiæ ? Comment le considérer parmi tes autres publications ?

C’est une œuvre nécessaire. Paranoiæ fut ma première bande dessinée auto-conclusive, longue, écrite par moi-même. Il y avait la volonté de dessiner des choses déterminées. D’une part, j’avais vraiment écrit une liste d’éléments à dessiner, plusieurs types de sensations, ambiances, villes, atmosphères. D’autre part, il y avait vraiment une exigence personnelle et narrative de raconter une histoire non-définie.
Vers 2014 ou 2015, je commençais à penser à ce livre. Je ne vivais pas une période heureuse de ma vie. Je ne me sentais pas bien dans ma peau. C’était une période où je n’arrivais pas à me reconnaître. Comme si je trahissais mon essence. Par conséquent, j’étais isolé des autres et je ne savais pas quoi faire. Alors, l’idée était de mettre tout sur le papier, à travers les dessins et paroles. Non pas pour parler de moi. Mais parce que j’étais fortement convaincu qu’à ce moment de solitude, je n’étais pas seul. Je n’étais pas l’unique personne à éprouver ces sensations. J’étais convaincu que je ressentais des sentiments hautement partageables. Paranoiæ, je le définis comme un livre-miroir. C’est une sorte de vitre présente lors des interrogatoires de police. Je suis à nu devant les lecteurs. Comme si je te parlais car toi, tu dois te voir toi-même.

Aujourd’hui, te sens-tu plus Alan, Tête de Patate ou Docteur Bau ?

Actuellement, heureusement, je ne me sens moins comme eux. 8 années se sont écoulées depuis la parution de la BD, et heureusement, l’œuvre a fait son travail. Elle m’a aidé à sortir de certaines situations.
Mais pour revenir aux 3 personnages, je choisirais quand même Tête de Patate. (sourire) Malheureusement, il a un caractère humain. Il fait toujours la même chose, croyant qu’il est différent des autres.

Il y a divers messages, interprétations pour cette BD. J’ai l’impression que tu souhaitais raconter comment se vit un mal-être pour les femmes et hommes piégés éternellement dans une sorte de cage. Mais j’imagine aussi que tu voulais transmettre une atmosphère bien particulière, plus qu’un message précis sur la vie.

Paranoiæ est un voyage brute à faire. Quand tu commences la lecture, il n’y a pas de moment où tu crois pouvoir fuir. A tel point que l’histoire est cyclique. La fin et le début coïncident, ce sont la même chose. Donc, parfois tu peux avoir la sensation que tout va bien -les passages à la plage, les scènes où surplombe un ciel bleu- mais ce n’est qu’une petite parenthèse, car tu es toujours oppressé lors de la lecture. Ce qui nous ramène à notre condition humaine et prisonnière. Nous ne pouvons pas nous échapper de notre corps et cerveau.

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Parmi tous tes titres, mon préféré demeure Vies Dessinées. Et j’admets avoir un attrait pour les thèmes de Paranoiæ. J’avais tout de même du mal à terminer cette BD. Il y a quelques années, je perdais la personne que j’aimais le plus au monde. Certaines planches me renvoient à ce souvenir. J’espère ne pas être confus… ton processus d’écriture était un calvaire à certains moments ?

Pour l’écriture, j’ai fait quelque chose qu’habituellement, on n’a pas besoin de faire, selon le canon didactique de la bande dessinée. Je dessinais et coloriais toutes les planches, sans textes. Quand j’avais vraiment terminé, j’écrivais les textes en une nuit. C’est une méthode extrêmement dangereuse. Mais oui, Paranoiæ fut écrit d’un jet.
Aujourd’hui, quand je le relis, je ne reconnais pas ce que j’ai écrit, vu qu’à l’époque, je rédigeais quasi en trans. Je pourrais revenir à cette méthode si je vivais encore quelque chose de fort dans ma vie. En somme, il est préférable de préparer un scénario à l’avance, pour fermer des cercles narratifs de façon cohérente pour les lecteurs.

Durant ton interview avec Dario Moccia, tu annonçais une idée de boucle. Les lecteurs peuvent s’arrêter à n’importe quelle page. Quand tu relis Paranoiæ, il y a toujours un instant différent sur lequel tu t’arrêtes ?

En 5 ou 6 ans, j’ai lu 2 fois Paranoiæ. Pour l’une, j’avais choisi une page et pour l’autre, c’était une page opposée. Dans ma vie, beaucoup de choses changeaient. J’avais changé d’entourage et moi-même je n’étais plus comme auparavant. Par conséquent, je n’étais plus dans la même phase de la boucle.

Si tu devais choisir un groupe italien pour symboliser la colonne sonore de ton livre, à quel nom penser ?

Cette question est très difficile à répondre parce que Paranoiæ fut écrit et pensé en écoutant The Wall de Pink Floyd. Il y a carrément des phrases de l’album traduites en italien, puis insérées dans les planches. Donc, imaginer une bande italienne à la place de Pink Floyd est difficile. Non pas car il n’y a aucun musicien italien aussi talentueux, c’est juste que j’ai pensé ma BD via The Wall. Oui, je ne sais vraiment pas quoi te répondre. (grand sourire)

Pour la dernière question, analysons ton style graphique. Cette année, lors d’une conférence dans une librairie italienne, tu affirmais ta fascination pour les dessins des enfants. Ce ton enfantin se découvre en lisant tes livres. Il y a une sincérité et vérité dans les dessins des enfants, inatteignables une fois adultes ?

Plus qu’une vérité, il y a 2 choses que j’aime énormément dans leur façon de faire.
Premièrement, le plaisir de dessiner propre aux enfants. Malheureusement, quand on sort de la zone ludique et que le travail devient long, pénible, il se peut que j’en souffre. Réaliser de force une chose qui te plaît, ou plaisait, est assez douloureux. Ce que j’aime chez les enfants, c’est qu’ils dessinent parce qu’ils veulent dessiner. Déjà là, cette observation les porte à un plan supérieur.
Deuxièmement, quand un enfant fait un dessin, il n’en dira jamais qu’il est laid. Les plus jeunes ne critiquent pas leurs dessins en solo. Donc, ils ne vivent pas le sens de la frustration, faute. Alors que nous, dessinateurs, aimons nous l’offrir chaque jour. Quand je conçois mes planches, je pense directement à ce qui ne me plaît pas, à ce qu’il faut améliorer. D’une certaine manière, ces idées éteignent le plaisir. C’est clair qu’elles sont nécessaires pour évoluer. Mais nous parlons de dessins, une activité qui devrait être liée au plaisir.
Les enfants sont d’une extrême sincérité. Ils ont une absence de faute et sentent une joie de dessiner, donc ce sont mes idoles. Un jour, j’espère dessiner, non comme les enfants au niveau technique, mais j’espère réussir à dessiner avec leur état d’esprit.

Interview menée par brunoaleas – Photo ©Martina Deathsy

Sacha Piersanti Interview

La poésie est un grain de sable dans l’engrenage. Sacha Piersanti prononce cette idée haut et fort. Il est membre de La Maison Zeugma. L’initiative romaine provoque les rencontres entre poètes et public sans étiquette. La poésie prend énormément de sens une fois interprétée… Sacha Piersanti le fait comprendre en toute simplicité.

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Peux-tu décrire la Maison de la Poésie de Rome nommée Zeugma ?

Zeugma est un projet né en 2021. L’idée était de trouver un espace physique où y dédier la poésie, à Rome. Dans cette ville, on retrouvait une Maison de la Littérature, une Maison de l’Architecture mais pas encore de Maison de la Poésie. On souhaitait créer une ambiance où tout un chacun puisse se sentir à la maison. C’est un espace domestique où les personnes se retrouvent et partagent les poésies.
On organise aussi des évènements en invitant des artistes divers et variés. Notre ligne commune est de faire lire la poésie. Nos invités lisent leurs poésies. Leurs écrits ont un style reconnaissable de qualité, indépendant du succès des auteurs ou de leur maison d’édition. Mais leur point commun est de partager de vive voix leurs poésies. Nous ne présentons pas de A à Z un livre. Nous lisons soit des poésies écrites actuellement, soit nous invitons des artistes prêts à rendre hommage aux poésies du passé.
Puis, les spectateurs peuvent échanger avec les artistes, lors de la fin des lectures. On reste ensemble, on boit, on mange, on se confronte de manière informelle.

Vos évènements sont souvent un moment de rencontre entre vieilles et jeunes générations.

Le public de la poésie, hier comme aujourd’hui, est souvent le public qui fait la poésie. Des auteurs viennent écouter des poètes pour ensuite venir faire comme eux, des interprétations sur scène. Un des objectifs de Zeugma est de démonter cette dynamique. Nous avons commencé à inviter des personnes qui se situent loin du monde poétique. Cela a déjà rassemblé des femmes ayant plus de 70 ans aux côtés de jeunes de 18 ans. Inviter des gens du théâtre, des musiciens d’electro, fait qu’un public différent puisse se rapprocher. Parfois, des personnes ne connaissant rien de la poésies se voyaient surprises de voir à quel point la poésie pouvait s’éloigner d’une quelconque valeur scolaire.

Crois-tu que la politique puisse se détacher de la poésie ? Je suis persuadé que tout est politique, de notre conversation au choix de te voir. Par ‘politique’, j’entends ‘donner des messages forts’, ‘se diriger vers un bord politique assumé’.

La politique dans le sens ‘relation’, ‘activité humaine, avant celle citoyenne’… la politique est impossible d’enlever à chaque fait humain, artistique, non ? En particulier dans la poésie. En écrire est un acte énormément subversif. Faire de la poésie signifie exactement ne pas satisfaire l’esprit du temps. L’esprit du temps équivaut à nos envies d’avoir tout et très vite. Par exemple, l’effet des tweets, un fait d’actualité passé de mode après quelques minutes, la limite des images, tout ceci, cette vitesse, cette frénésie du contemporain est l’ennemi des poétesses et poètes.
La poésie signifie discipline, rigueur artisanale, concentration. Imaginer vouloir écrire de la poésie est donc déjà politiquement puissant vis-à-vis de la contemporanéité. Une contemporanéité qui nous souffle :
Fais tout, fais tout de suite, travaille, dépense, travaille, dépense. C’est à ce moment qu’il me vient de dire, la poésie est un grain de sable dans l’engrenage. Quelque chose de petit, mais qui, peut-être, fera sauter la machine. L’engrenage tourne encore et encore mais le grain devient son obstacle. La poésie est cela par rapport à la réalité, à comment on conçoit la réalité d’aujourd’hui.

Interview menée par brunoaleas – Photo ©Dino Ignani
Sacha décrit aussi l’utilité de la poésie, une réponse lisible sur Instagram

Pierre et Bruno chez Silenceless

Qui se marre sur Twitch ? 2 visages de votre webzine ! Pierre Reynders et Drama présentent Je Crie C’est La Musique chez Silenceless. Les camarades développent divers sujets : demeurer d’insatiables curieux, recruter les premiers venus, s’adresser à n’importe quel artiste, promouvoir, non pas la 5G sur Mars, mais les productions artistiques de chaque membre, dès que possible. Bonne écoute !

Photo de l’émission en direct sur Twitch – Ecouter et regarder l’émission entière

Lucien Phare Interview

Lucien Phare est musicien, très philosophe. Ses réponses sont simples. Non pas simplistes, mais légères, mystiques, pertinentes. Il présente son premier album, Idiosyncrasy. A quoi s’attendre ? L’insouciance infantile, l’œil de Francisco Mata Rosas, Carl Jung et ses réflexions.

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Parlons de la pochette du disque. Tu as choisi une photo de Francisco Mata Rosas. Voulais-tu refléter l’insouciance des enfants, celle qui disparaît quand on vieillit ?

J’aime bien l’idée que chacun puisse se faire sa petite histoire. C’est important parce que cette image est quelque chose de très symbolique et ça ouvre… en fait, on peut envisager un tas de narrations. Si tu le souhaites, je peux raconter la mienne.

Oh, oui oui.

L’image m’est tout de suite apparue touchante. Après, j’y mets cette idée de l’insouciance, c’est sûr. Il y a aussi cette idée du regard qui est ultra parlant. Il reflète une chose très forte quand on pense aux masques que l’on porte. Puis, ça me faisait penser au fait que chaque personne sur Terre a été un enfant. Plus je revenais sur cette idée, plus ça me faisait réfléchir… par exemple, quand j’observais des dirigeants du monde, des choses comme ça, et que je songeais qu’ils étaient des enfants, je ne sais pas, ça me faisait énormément réfléchir… le fait que ces parents ont aussi été de petits enfants, qu’on a tous traversé la période de l’enfance. Je me focalise sur l’idée que tout le monde peut à un moment enlever son masque et montrer cette insouciance, comme tu dis. Ces choses un peu enfouies, un peu cachées.

L’enfance, tu as des facilités à en parler. Ou alors, est-ce une thématique complexe qui demande du temps pour être développée au fil de l’album ?

Bonne question… mais je pense que ouais, j’ai de plus en plus de facilités à en parler. Je ne cours pas après mais disons que je ne cesse de redécouvrir un peu ces sensations, ces ressentis qui réapparaissent.
Dans cet album, il y a des morceaux dans lesquels je ne me suis vraiment pas pris la tête. Je jouais quelque chose d’assez fluide, d’assez simple. Je suivais une philosophie : lâcher prise, ce que les enfants font très bien. (rire) L’attitude est punk sans l’être. On se relâche. Les choses deviennent futiles.

J’aimerais revenir sur le photographe Rosas. Très vite, il arrive à choper notre attention. Ses photos sont très épurées. Qu’est-ce qui te marque le plus dans le travail de cet artiste ?

J’étais dans un musée à Mexico. Il s’y trouvait une photo mémorable de Francisco. Ensuite, je m’étais renseigné et j’apprenais qu’il pratique le photojournalisme. Il y a ce côté… je ne sais pas, son style est authentique. Il y a des moments de vie. Pour la pochette de l’album, il y a une mise en scène minime. Mais finalement, ce n’est pas dans ses habitudes. La mise en scène se voit rarement dans ses clichés. Ce sont souvent des photos de rue. J’aime vraiment l’authenticité qu’il réussit à capturer.

J’aime beaucoup visualiser tes chansons comme un phare, une aide lumineuse. En m’informant sur Idiosyncrasy, je me demandais si la peur était le plus gros frein de nos actes, à chacune de nos pensées. Tu souhaitais partager ce message en composant l’album.

Oui. Je le réalisais dans un moment où je ressentais beaucoup de peur. Inévitablement, ça en parlait. Quand je composais, je ne me disais pas qu’il fallait évoquer la peur. Mais en fait, j’étais dans cet état. Les compositions répondaient à ça. Par exemple, l’idée du morceau ‘Calm Down’ était clairement imaginée au moment où tout bouillonnait en moi, quand venait l’instant de se dire : laisse aller, n’aies pas peur, enfin plutôt… c’était bien plus, laisse la peur être ce qu’elle est et puis ça passera. Il y a cette proposition de ralentir le rythme au fil de l’album. La peur, c’est aussi l’accélération. C’est pour ça que dans cet album, tout est très lent. Des fois, il ne se passe pas grand-chose. Mais c’est fait exprès. Qu’une envie de lâcher prise puisse planer.

Peut-on percevoir la peur comme quelque chose de positif ? Durant la période covid, des amis artistes se mettaient à composer, à écrire. Inconsciemment, ils craignaient que tout se termine. Créer, maintenant ou jamais. La peur peut devenir un moteur pour créer ?

Ouais, c’est arrivé mais ça m’arrive de moins en de moins. Quand ça arrive, ça arrive. Je ne lutte pas contre (rire). A ce moment-là de ma vie, lors des enregistrements de l’opus, ouais, c’était dans le sujet.
Mais en ce moment, ça va. Je suis plutôt dans une phase où j’ai de moins en moins peur. Je pense que la sensation propre à la peur peut aider. Ça fait partie des choses qui motivent, tout comme la colère, ou juste l’amour. Ça devient parfois un vecteur d’inspiration artistique.

Quand j’écoute l’album, je me transporte vers un western féerique. Comme si j’étais au milieu d’un désert, où les cowboys utilisent leurs armes pour planter des arbres. Des personnalités participent à la féerie du projet. Je fais référence aux voix féminines. Elles sont envoûtantes. Comment fais-tu pour caser ces voix aux meilleurs moments ?

Là, pour le coup, j’étais dans l’intuition. Les chœurs ont été fait par une amie. Elle s’appelle Victoire. Nous sommes très proches. Elle était près de moi pendant ces phases. Ça s’est fait de manière assez fluide parce qu’en fait, les compositions des morceaux se réalisaient sur un temps long. Ce temps n’avait rien de défini. J’étais chez moi et ça durait plus d’un an. Nous travaillions petit à petit. Sur ‘Walk Don’t Stop’, j’avais des idées claires. J’entendais des sons, néanmoins, le petit pont de voix fut écrit par Victoire.
Pour les dernières chansons, la voix est moins formulée en chœur. Elle nous est plus proche. J’étais, là aussi, accompagné d’une amie avec qui je passais beaucoup de temps. A un moment donné, on a enregistré dans ma cave.

C’est ta première interview pour un webzine belge. Aimerais-tu que je te pose une question plus qu’une autre ?

(gros silence) Pourquoi je me retrouve à parler de Carl Gustav Jung sur mon album ? Je me suis rendu compte que ce n’était habituel de citer un psychiatre en musique. Derrière cela, il y a le processus d’individuation. Cette idée signifie d’aller vers un soi indivisible, authentique, une sorte d’unité qui accepte la conflictualité en soi et qui la découvre…
Le disque parle un peu de ces choses. Il y a l’idée du soin. Je ne sais pas encore si c’est une idée qui va perdurer dans mes prochaines créations. En tout cas, à travers
Idiosyncrasy, il y a idée qui est portée sur le soin. Et plus précisément, sur l’idée de guérison.

Tu traduis en musique les écrits de Jung.

Ses écrits m’inspiraient. Je lisais pendant que je créais ma musique. Forcément, ça influençais mes sons. C’était arrivé dedans sans que je le veuille. Ca faisait partie de ma vie et ça finissait inévitablement dans les compositions.

A qui conseiller ces lectures ? Quelle personne en aurait le plus besoin ?

L’auteur m’aidait beaucoup lorsque j’étais confus à cause du flot de pensées dans ma tête… je le conseille aux personnes qui ont un mental un peu envahissant. Aux personnes qui ont parfois peur de l’inconnu, de l’invisible, qui ont peur d’eux-mêmes, des autres, de ce que Jung appelle l’ombre. C’est-à-dire, tout ce qui concerne ce qu’on n’arrive pas à négocier entre nous et nous-même. Qu’ils lisent Jung, ils trouveront des trucs vachement croustillants. Enfin, pour moi c’était décisif dans ma vie.

Interview menée par brunoaleas

Cosse Interview

It Turns Pale. Comment nier cet album de Cosse ?! Les compositions et ambiances sont soignées. Les mélodies accrochent et bercent l’oreille. Ranger le groupe dans la case noise est trop réducteur. Floyd Atema participe à la magie de l’opus. Ce shaman de l’émotion pure enregistre des sons atypiques. On le sait grâce au chanteur-guitariste Nils Bö. Il nous raconte son vécu… son expérience fut inoubliable !

Cosse - Portrait - HD-6 (c) Céline Non

Dans votre manière de composer, quelque chose a radicalement changé entre le premier et nouvel album ?

Artistiquement, on n’a pas voulu changer drastiquement. Il y a des morceaux qui font vraiment le pont entre l’EP sorti en 2020 et cet album. Maintenant, on avait une envie d’ouvrir plus de portes. On se dirigeait vers des approches différentes de l’EP, avec des morceaux un peu plus simples comme ‘Easy Things’ ; plus simples mais non moins profonds.
On est au début d’une carrière. On n’a pas envie de s’enfermer dans quelque chose. On voulait ouvrir des branches pour ne pas se coincer dans un genre. Ce qui a beaucoup changé, c’est aussi le fait de partir deux semaines en studio avec un producteur. Il y a eu une vraie recherche pour chaque morceau de chaque son de guitare, chaque son de snare, voilà… à chaque morceau, on s’est creusé la tête pour savoir comment sonner.

Vous avez découvert du nouveau matos, une fois sur les lieux.

Totalement, ouais. On était dans au studio Katzwijm perdu aux Pays-Bas, à Voorhuit. Il y avait de vieux instruments, de vieux accordéons, des sortes de guitares faites maison, une snare des années trente, c’était une caisse claire super épaisse, presque difficile à jouer.
Floyd Atema, notre producteur, exposait souvent ses propres idées. Il posait des micros dans des tuyaux d’aspirateur, dans des casseroles avec des clous à l’intérieur. Il y avait un rapport au studio qui était assez cool. Le studio, ça peut être quelque chose de très classique, avec des techniciens qui posent soigneusement leurs micros. Là, c’est vrai qu’il y avait un rapport assez fun avec l’enregistrement.

Ces sons participent-ils à l’ambiance de l’album ? Matthew Bellamy enregistrait le bruit de sa braguette pour le second album de Muse. A l’écoute de leur morceau, on n’entend pas spécialement sa braguette. Ici, comment s’entendent vos sons atypiques ?

La résonance qu’il y a dans l’aspirateur crée comme un effet provenant d’une minuscule pièce. Donc ça crée un son très particulier. Après, on vient mixer ça par-dessus le mix existant. Ca ajoute une sorte de couleur.

Pensez-vous utiliser encore ces techniques pour le prochain album ? Ou viserez-vous encore plus haut, en utilisant d’autres ustensiles ?

(rire) Nan, écoute, c’est une bonne question. Pour la prochaine fois, on verra. Peut-être qu’on enregistrera dans les pièces différentes d’une maison. On ferait ça en fonction de l’acoustique, mais aussi de ce que peut raconter le lieu. Il y a des lieux qui sont vraiment chargés de quelque chose. C’était vraiment le cas du studio Katzwijm. Il y a des groupes qui passent là-bas depuis une vingtaine d’années, si ce n’est plus. Ce sont plusieurs groupes rock, de choses similaires à ce qu’on fait. Il y a vraiment une énergie particulière sur ces lieux. C’est toujours inspirant, au-delà de ces techniques, de faire face à des lieux qui portent certains vécus.

En parlant de techniques, on ne pouvait pas passer à côté d’une personnalité. On l’a déjà cité. Cet homme jouait un rôle fort quant à la conception de It Turns Pale. Je parle bien sûr de votre ingé son, Floyd Atema. Que retenir après vos séjours à ses côtés ?

Floyd, c’est quelqu’un qui a su nous rappeler que réaliser un enregistrement, ce n’est pas une formalité. Il se passe vraiment quelque chose. On est en train de figer une émotion. Et pour ça, il faut la vivre au moment où elle est captée. Parfois, lors de l’enregistrement des voix, je me lançais, je chantais le morceau comme j’ai l’habitude de le chanter. Puis, il m’arrêtait et me disait : OK, ça parle de quoi ?
Je lui expliquais un petit peu, il comprenait et on se relançait. Puis, il m’arrêtait en plein milieu en me demandant pourquoi je parlais de ce que je chantais. Pendant que les autres étaient en cabine, je lui racontais alors des choses personnelles, intimes. Le but n’était pas d’aller dans mon intimité. A l’instant où il a senti que je vivais des moments de fragilité, il m’a stoppé pour relancer l’enregistrement. C’était fort. J’étais devenu sensible. C’est clair que ça se transmettait dans l’enregistrement. Floyd, plus qu’un ingénieur du son ou producteur, c’est aussi quelqu’un qui… ne pratique pas la psychologie, mais qui, à ce stade, est carrément mystique (rire). Il fait ça avec beaucoup de respect. Ouais, c’était une rencontre très forte. C’est quelqu’un d’une constance… pendant deux semaines, il était hyper droit, aucune saute d’humeur.

Si je comprends bien, il ne vous poussait pas dans vos retranchements. Ses démarches étaient plutôt bienveillantes.

Oui. Il y avait une forme de bienveillance, mais aussi la volonté d’aller chercher un point de tension. Il nous a poussé, non pas dans nos retranchements, mais aux bons endroits.

Ca influencera ta manière de composer à l’avenir.

Complètement. L’expérience fut bouleversante. Notamment, quant aux textes, à ce qu’on dit, ce qui dit la musique. Tout devenait assez évident.

Parlons cette fois de votre dernier clip en date. J’adore les plans et décors de ‘Easy Things’. Ils servent un texte intéressant. Les paroles de la chanson nous invitent à se lâcher. Actuellement, la réalité est dure à encaisser. Les Français sont en désaccord avec leur gouvernement. L’Ukraine est en cendres. Les dirigeants continuent d’organiser des jeux sportifs dans des pays sans foi, ni loi. Je me disais, finalement, votre meilleur moyen pour lâcher prise, c’est d’être musicien.

(rire). Je ne sais pas. (rire again) Je ne pense pas que ça soit la seule manière de lâcher prise. Typiquement, ‘Easy Things’, ça vient d’une de mes expériences de plongée sous-marine. Quand on fait de la plongée profonde, il y a un moment où tu ne peux plus remonter à la surface comme tu le veux. Tu dois passer par des paliers. Tu bascules dans un monde très particulier. La lumière se fait rare. A chaque bouffée d’air, c’est comme si tu en inspirais six fois plus, donc tu entends tout ton organisme fonctionner, ton cœur battre, fin… c’est vraiment un autre environnement. Tu es en apesanteur. Tu n’as plus accès à l’autre monde que tu connais. L’exercice demande une certaine acceptation de la situation pour pouvoir la vivre convenablement. ‘Easy Things’ se réfère un peu à cela, à cette idée de lâcher prise face à quelque chose de terrifiant, inconnu, pour vivre quelque chose pleinement, sans se bloquer. On passe tous par des phases de cette ampleur, où on doit lâcher prise. Que ce soit un deuil, faire son coming out… ces moments dans la vie où il faut lâcher prise, accepter et vivre le truc pleinement.

Interview menée par brunoaleas – Photos ©Céline Non

Gipi Interview

Gipi est un auteur atypique. En 2006, il fut d’ailleurs primé au Festival d’Angoulême. Ses histoires sont le reflet de sa personne. L’humour et la poésie transpirent de ses planches. Surtout à la lecture de sa nouvelle bande dessinée : Barbarone. L’œuvre présente une aventure spatiale. Naïveté et cynisme sont au rendez-vous. Découvrez la mentalité d’un artiste italien suivant ses propres codes.

Gipi Barbarone


Avant de se pencher sur Barbarone, je souhaitais t’annoncer que notre équipe critique des bandes dessinées japonaises. Lis-tu un manga qui est d’une grande aide dans ton travail quotidien ?

Ecoute, je riais avant d’entendre ta question car je pense qu’il n’y a pas de personne moins adaptée que moi pour y répondre. Je n’ai jamais lu de manga. Jamais. Non pas que j’en sois contraire mais en général, je lis très peu les bandes dessinées. Presque rien. Les mangas sont probablement arrivés en Italie, quand j’étais déjà trop vieux pour en vouer une passion. Parfois, j’en feuillette car j’aime les solutions dessinées par certains auteurs.

Des BD t’attirent quand même pour plusieurs raisons.

De prime abord, je suis sûrement attiré par le style de dessin. Puis, en 3 minutes, fin, même pas en 3 minutes… je sais si j’ai envie d’en découvrir davantage, en 40 secondes. J’examine l’écriture des personnages et celle des dialogues pour savoir s’il en vaut la peine de gaspiller son temps, face à telle ou telle lecture.

Quand je lis, j’adore être surpris. J’ai lu pas mal de BD et je recherche cet auteur prêt à proposer un nouveau récit, à illustrer des dessins inédits. Désires-tu les mêmes sensations ?

Je cherche une absolue authenticité entre l’auteur et ce qu’il raconte. Les trames surprenantes ne m’intéressent pas. Je regarde si la personne écrivant, racontant, dessinant est honnête avec elle-même et par conséquent, avec le lecteur. Ça peut sembler étrange, mais d’expérience, je peux le comprendre très vite.

Parlons de Barbarone. C’est une bande dessinée complétement folle. Chaque personnage de cette aventure spatiale incarne un caractère qui t’appartient. Gogo pour le narcissisme. Pozza di Piscio pour le cynisme. Quant à Barbarone, il est la personnification de l’enthousiasme. Il veut découvrir de nouvelles créatures, de nouvelles planètes, en respectant chaque être vivant sur son parcours. En fin de compte, et même s’il s’agit du premier volume d’une trilogie, Barbarone n’est-elle pas ton œuvre la plus optimiste ?

Oui, c’est mon œuvre la plus allègre, assurément. Celle où j’ai pu le plus jouer. Je suis vraiment revenu à la BD divertissante dont j’étais passionné durant ma jeunesse. Je ne sais pour quel motif quand je concevais des livres, je réalisais des histoires sombres. Ces mêmes motifs étaient un peu tristes. Barbarone naît toujours pour une triste raison vu la dure période vécue avant sa parution. La réaction qui en résulte fut sûrement plus joyeuse. Donc, j’aime beaucoup ce livre, ses personnages.
C’est mon œuvre la plus autobiographique. (rire) Même si j’ai sorti des livres directement plus autobiographiques en apparence, et même si je n’ai jamais voyagé dans l’espace. Barbarone est bien le plus autobiographique.

Était-il plus thérapeutique d’écrire une œuvre comme Barbarone, plutôt qu’une autre comme La Terre des Fils ? 

Oui. Imaginer Barbarone était vraiment curatif. La bonne humeur de ses pages était très précieuse à ce moment de ma vie. La Terre des Fils est un livre complètement différent. Les racines de cette histoire découlent du passé de ma famille, chose qu’on ne peut pas deviner en la lisant car cela concerne ma vie privée. Même pour ses motivations, cette œuvre est bien plus différente. A cette époque, j’avais besoin de publier une histoire où je n’y étais pas moi-même, sans ma voix narrative. C’était une importante période de rupture.
Barbarone… c’est un jeu. Son récit est bien plus similaire à ce que je suis dans la vie de tous les jours. Je m’assimile à ces personnages, cette approche plus joueuse au sujet de l’existence.

Pour Barbarone, tu utilises un papier déjà aperçu sur La Terre des Fils. Pour ce qui est des traits du dessin, j’aimerais comprendre quelle est la plus grande difficulté quand on dessine tout à la main et au Bic.

Tu n’as pas accès au Control Z. Il faut rester concentré. Sincèrement, j’aime travailler de cette manière. J’aime l’idée de risquer de ruiner une page, au lieu de toujours avoir une voie électronique pour fuir.
Il y a bel et bien une vraie difficulté quant à la conception de Barbarone. Cette bande dessinée ne présente pas de vignettes. Ses planches n’ont pas de vignettes divisant les actions à des moments précis. Dès lors, créer des pages devient difficile. Il faut que le flux de bulles de lecture soit juste, sans l’aide des vignettes. J’ai vraiment fait en sorte que l’on puisse tout comprendre à la lecture. Et ce, même si tu sautes des dialogues par erreur. Ce système était complexe à mettre au point. C’était un défi.
L’autre challenge était d’illustrer un personnage à l’intérieur d’un autre. A savoir, Pozza di Piscio s’exprimant après avoir été bu par Gogo. Là, c’était vraiment confus. (rire)

As-tu laissé Barbarone entre les mains d’un enfant pour voir sa réaction ?

Oui. Il est préférable que l’enfant ne soit pas trop jeune, au vu de l’énorme quantité de jurons. Les enfants de mes amis s’amusaient beaucoup à le lire. On me racontait que les expressions de Gogo sont mêmes entrées dans certains lexiques familiaux. Ce sont des phrases qu’ils répètent et qui les font rire. C’est aussi arrivé à la sortie de Aldobrando, un livre imaginé avec Luigi Critone. Là aussi, les enfants reprenaient les passages vulgaires car on sait qu’ils rient facilement avec les gros mots. (rire) Ca me plaisait beaucoup.

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Le jeune Aldobrando et l’aventureux Barbarone ont des points en commun, non ? Ils font preuve d’innocence à diverses situations.

Tout à fait. Quand je crée des héros, ils portent un regard d’enfant sur le monde. Aldobrando suit un parcours et Barbarone se dirige vers un autre. Ce dernier est bien plus stupide. Il dégage aussi un côté obscur. On peut l’observer au premier volume, quand il s’énerve sur une minuscule créature.

Portes-tu aussi un regard d’enfant sur le monde ? Trouver la joie dans les petits riens de la vie. Préserver l’innocence.

Je suis Barbarone quand je rencontre quelqu’un. Immédiatement, j’ai envie de devenir de son ami. Je désire être une personne correcte, généreuse, bonne. Souvent, je me fais arnaquer. (rire) Il est bon de vivre ainsi. Je pense qu’il vaut mieux se faire tromper plutôt que d’être détaché, distant ou méfiant, dès qu’on rencontre des gens. Il faut avoir les mains ouvertes lorsqu’on vit, et ne pas garder les poings fermés. C’est vrai, à poings fermés, tu te défends. Sauf qu’une fois les mains ouvertes, n’importe qui peut te laisser quelque chose d’inattendu. Mais c’est plus risqué.

Une fois ton ouvrage terminé, pourquoi avoir choisi Rulez pour l’éditer ?

J’avais très peur de Barbarone. Par le passé, j’avais déjà exploité l’humorisme avec parcimonie. Cependant, je n’avais jamais fait de livre entièrement comique. J’étais effrayé. J’avais l’impression de suivre une voie incohérente, déviant de mon parcours artistique. Suivre Rulez, c’était la voie la plus juste car la plus différente. Je suis en très bon rapport avec Coconino Press. Je ferai d’autres livres avec ces éditeurs. Je leur ai vraiment dit que je me prenais une vacance. Barbarone est un livre différent à traiter différemment. Tout va bien. Coconino soutient le travail confié à ma femme. Elle dirige Rulez. L’idée était de faire un livre à la maison. Le contrôler sous tous ses aspects, dans sa distribution, etc. C’était aussi une expérience. Cette collaboration fait que je n’ai pas le droit de mentir vu que ma femme est à mes côtés (rire). Le travail joue également un rôle important dans ma journée. Puis, c’est beau de contempler le soin apporté par Chiara Palmieri (ndr : épouse de Gipi). C’est un soin à la fois maniaque et incroyable. Je n’ai jamais vu ça.

Revenons un instant sur la thématique de l’optimisme. J’aimerais rebondir sur une de tes anciennes déclarations. Soit, tu y répondras en 30 secondes, soit en 30 jours… Gipi, Dieu te hait encore ?

(rire) S’il existe, il ne hait personne en théorie. Donc, je ne crois pas qu’il me haïsse. Malheureusement, je ne crois pas en Dieu. Je fais de tout pour y croire. Je vis comme s’il existait. Je vis comme si les enseignements chrétiens étaient réels. Je lis la Bible. C’est juste que je ne crois pas au personnage principal (rire). Ça me rappelle une très belle blague de Woody Allen. Il déclarait : Bon, la Bible est une histoire prodigieuse. Dommage que son protagoniste ne soit pas crédible.

Tu n’as pas peur de vivre une grande fable.

No, no. Ça dépend de ce que tu entends par grande fable.

Une fable niant la dure réalité.

Non. Selon moi, le devoir des êtres humains est d’affronter les dures réalités sous toutes leurs formes et aspects. Nous vivons un temps où l’on envisage une illusion de protection pour les jeunes générations. Comme si la société pouvait les préserver du mal. Ceci me semble très cruel vis-à-vis des jeunes. J’ai toujours pensé que la vie était quelque chose de dure. Quand tu es jeune, elle peut ne pas  le sembler. Mais quand tu commences à vieillir, tu comprends qu’elle peut être très douloureuse. Se construire pour l’affronter, c’est aussi la tâche des plus jeunes… mais c’est cool de le faire. (rire) Ca, c’est le plus important.

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Interview menée par brunoaleas – Illustration bannière ©Daniele Caluri