Lucien Phare Interview

Lucien Phare est musicien, très philosophe. Ses réponses sont simples. Non pas simplistes, mais légères, mystiques, pertinentes. Il présente son premier album, Idiosyncrasy. A quoi s’attendre ? L’insouciance infantile, l’œil de Francisco Mata Rosas, Carl Jung et ses réflexions.

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Parlons de la pochette du disque. Tu as choisi une photo de Francisco Mata Rosas. Voulais-tu refléter l’insouciance des enfants, celle qui disparaît quand on vieillit ?

J’aime bien l’idée que chacun puisse se faire sa petite histoire. C’est important parce que cette image est quelque chose de très symbolique et ça ouvre… en fait, on peut envisager un tas de narrations. Si tu le souhaites, je peux raconter la mienne.

Oh, oui oui.

L’image m’est tout de suite apparue touchante. Après, j’y mets cette idée de l’insouciance, c’est sûr. Il y a aussi cette idée du regard qui est ultra parlant. Il reflète une chose très forte quand on pense aux masques que l’on porte. Puis, ça me faisait penser au fait que chaque personne sur Terre a été un enfant. Plus je revenais sur cette idée, plus ça me faisait réfléchir… par exemple, quand j’observais des dirigeants du monde, des choses comme ça, et que je songeais qu’ils étaient des enfants, je ne sais pas, ça me faisait énormément réfléchir… le fait que ces parents ont aussi été de petits enfants, qu’on a tous traversé la période de l’enfance. Je me focalise sur l’idée que tout le monde peut à un moment enlever son masque et montrer cette insouciance, comme tu dis. Ces choses un peu enfouies, un peu cachées.

L’enfance, tu as des facilités à en parler. Ou alors, est-ce une thématique complexe qui demande du temps pour être développée au fil de l’album ?

Bonne question… mais je pense que ouais, j’ai de plus en plus de facilités à en parler. Je ne cours pas après mais disons que je ne cesse de redécouvrir un peu ces sensations, ces ressentis qui réapparaissent.
Dans cet album, il y a des morceaux dans lesquels je ne me suis vraiment pas pris la tête. Je jouais quelque chose d’assez fluide, d’assez simple. Je suivais une philosophie : lâcher prise, ce que les enfants font très bien. (rire) L’attitude est punk sans l’être. On se relâche. Les choses deviennent futiles.

J’aimerais revenir sur le photographe Rosas. Très vite, il arrive à choper notre attention. Ses photos sont très épurées. Qu’est-ce qui te marque le plus dans le travail de cet artiste ?

J’étais dans un musée à Mexico. Il s’y trouvait une photo mémorable de Francisco. Ensuite, je m’étais renseigné et j’apprenais qu’il pratique le photojournalisme. Il y a ce côté… je ne sais pas, son style est authentique. Il y a des moments de vie. Pour la pochette de l’album, il y a une mise en scène minime. Mais finalement, ce n’est pas dans ses habitudes. La mise en scène se voit rarement dans ses clichés. Ce sont souvent des photos de rue. J’aime vraiment l’authenticité qu’il réussit à capturer.

J’aime beaucoup visualiser tes chansons comme un phare, une aide lumineuse. En m’informant sur Idiosyncrasy, je me demandais si la peur était le plus gros frein de nos actes, à chacune de nos pensées. Tu souhaitais partager ce message en composant l’album.

Oui. Je le réalisais dans un moment où je ressentais beaucoup de peur. Inévitablement, ça en parlait. Quand je composais, je ne me disais pas qu’il fallait évoquer la peur. Mais en fait, j’étais dans cet état. Les compositions répondaient à ça. Par exemple, l’idée du morceau ‘Calm Down’ était clairement imaginée au moment où tout bouillonnait en moi, quand venait l’instant de se dire : laisse aller, n’aies pas peur, enfin plutôt… c’était bien plus, laisse la peur être ce qu’elle est et puis ça passera. Il y a cette proposition de ralentir le rythme au fil de l’album. La peur, c’est aussi l’accélération. C’est pour ça que dans cet album, tout est très lent. Des fois, il ne se passe pas grand-chose. Mais c’est fait exprès. Qu’une envie de lâcher prise puisse planer.

Peut-on percevoir la peur comme quelque chose de positif ? Durant la période covid, des amis artistes se mettaient à composer, à écrire. Inconsciemment, ils craignaient que tout se termine. Créer, maintenant ou jamais. La peur peut devenir un moteur pour créer ?

Ouais, c’est arrivé mais ça m’arrive de moins en de moins. Quand ça arrive, ça arrive. Je ne lutte pas contre (rire). A ce moment-là de ma vie, lors des enregistrements de l’opus, ouais, c’était dans le sujet.
Mais en ce moment, ça va. Je suis plutôt dans une phase où j’ai de moins en moins peur. Je pense que la sensation propre à la peur peut aider. Ça fait partie des choses qui motivent, tout comme la colère, ou juste l’amour. Ça devient parfois un vecteur d’inspiration artistique.

Quand j’écoute l’album, je me transporte vers un western féerique. Comme si j’étais au milieu d’un désert, où les cowboys utilisent leurs armes pour planter des arbres. Des personnalités participent à la féerie du projet. Je fais référence aux voix féminines. Elles sont envoûtantes. Comment fais-tu pour caser ces voix aux meilleurs moments ?

Là, pour le coup, j’étais dans l’intuition. Les chœurs ont été fait par une amie. Elle s’appelle Victoire. Nous sommes très proches. Elle était près de moi pendant ces phases. Ça s’est fait de manière assez fluide parce qu’en fait, les compositions des morceaux se réalisaient sur un temps long. Ce temps n’avait rien de défini. J’étais chez moi et ça durait plus d’un an. Nous travaillions petit à petit. Sur ‘Walk Don’t Stop’, j’avais des idées claires. J’entendais des sons, néanmoins, le petit pont de voix fut écrit par Victoire.
Pour les dernières chansons, la voix est moins formulée en chœur. Elle nous est plus proche. J’étais, là aussi, accompagné d’une amie avec qui je passais beaucoup de temps. A un moment donné, on a enregistré dans ma cave.

C’est ta première interview pour un webzine belge. Aimerais-tu que je te pose une question plus qu’une autre ?

(gros silence) Pourquoi je me retrouve à parler de Carl Gustav Jung sur mon album ? Je me suis rendu compte que ce n’était habituel de citer un psychiatre en musique. Derrière cela, il y a le processus d’individuation. Cette idée signifie d’aller vers un soi indivisible, authentique, une sorte d’unité qui accepte la conflictualité en soi et qui la découvre…
Le disque parle un peu de ces choses. Il y a l’idée du soin. Je ne sais pas encore si c’est une idée qui va perdurer dans mes prochaines créations. En tout cas, à travers
Idiosyncrasy, il y a idée qui est portée sur le soin. Et plus précisément, sur l’idée de guérison.

Tu traduis en musique les écrits de Jung.

Ses écrits m’inspiraient. Je lisais pendant que je créais ma musique. Forcément, ça influençais mes sons. C’était arrivé dedans sans que je le veuille. Ca faisait partie de ma vie et ça finissait inévitablement dans les compositions.

A qui conseiller ces lectures ? Quelle personne en aurait le plus besoin ?

L’auteur m’aidait beaucoup lorsque j’étais confus à cause du flot de pensées dans ma tête… je le conseille aux personnes qui ont un mental un peu envahissant. Aux personnes qui ont parfois peur de l’inconnu, de l’invisible, qui ont peur d’eux-mêmes, des autres, de ce que Jung appelle l’ombre. C’est-à-dire, tout ce qui concerne ce qu’on n’arrive pas à négocier entre nous et nous-même. Qu’ils lisent Jung, ils trouveront des trucs vachement croustillants. Enfin, pour moi c’était décisif dans ma vie.

Interview menée par brunoaleas

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