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Notre sympathie pour Denji

Depuis quelques années, un manga apparaît comme une dinguerie. Chainsaw Man conte l’histoire de Denji. Héros malgré lui, le jeune homme se lance dans la chasse aux démons pour survivre. Assez pauvre. Quasi inculte. Denji est un protagoniste fascinant. Il fusionne avec son chien. Du jour au lendemain, il devient l’Homme Tronçonneuse ! Le jeunot suit alors les ordres de Makima et affronte les menaces aux côtés de Power.

Plus le temps passe, plus une question m’obnubile. Comment se fait-ce qu’un tel paumé soit si attachant, alors que la seconde partie du manga est moins palpitante que la première ?

Primo, nous sommes ses yeux. Comment ? Les lecteurs découvrent littéralement la folie qui s’offre à Denji. L’univers construit par Tatsuki Fujimoto est renversant. Rien n’est acquis. Des liens se font et défont. Des relations se créent et s’annihilent, en un rien de temps. Denji subit énormément de tragédies sans jamais perdre son énergie. Soudain, il devient notre envie de foncer droit dans le feu. Comme si les chapitres symbolisaient aussi notre percée dans le monde si taré du mangaka !

Secundo, l’adolescent ne suit pas exactement le parcours du héros théorisé par Joseph Campbell. Pourquoi cet auteur fut connu ? Pour son analyse du parcours héroïque des récits littéraires. S’il fallait le résumer, définissons 3 étapes : séparations, initiations, retour.
Revenons à notre blondinet. A aucun moment, au début de son aventure, se vit une initiation. Nul mentor rencontré. Inconsciemment, nous ressentons une certaine sympathie pour ce mec qui part de rien… dont les actes sont ensuite vénérés par le peuple sauvé !
En d’autres mots, Denji est livré à lui-même. Makima n’est pas une figure protectrice. Power n’est pas un ange gardien. Dès lors, l’enjeu est prononcé. A qui faire confiance ? Au fil de la lecture, la réponse semble effrayer…

Ces 2 raisons font la force de l’œuvre ! Denji est un personnage plutôt inoubliable, tant ses désir sont d’une simplicité déconcertante : baiser et manger. Des désirs à assouvir au sein d’une société imprévisible. Des désirs nous rappelant que la normalité est bien relative.

Peut-être que je suis devenu un Chasseur de Démons pour une raison vraiment superficielle… mais je suis prêt à mourir pour continuer à vivre comme ça. -Denji

brunoaleas – Illustrations ©Tatsuki Fujimoto

Les bourgeois de Chute Libre

Remettons l’église au milieu du village. Je ne déteste pas les bourgeois. Certains me diront qu’amasser de l’argent influence notre personnalité. D’autres affirmeront : l’habit ne fait pas le moine. Vaste débat ! Mais, difficile de nier une réalité : dès l’enfance, notre vie est façonnée par le milieu dans lequel on grandit. Puis, plus on grandit, plus nos comportements se distinguent parmi la masse. Apercevoir nos différences est fascinant.

En tout cas, contempler les bourgeois dans Chute Libre est fascinant. En 1993, Joel Schumacher dévoile ce thriller. Il raconte le parcours chaotique d’un homme divorcé, au chômage. Ce dernier souhaite atteindre la maison de son ex-femme pour la fête d’anniversaire de leur fille. Il vit alors de nombreuses rencontres foireuses, en passant par un épicier grossier à des racailles. Son exaspération le mène à être de plus en plus violent vis-à-vis des personnes sur son chemin. Le protagoniste se plaint de l’anarchie ambiante, tout en devenant l’anarchie incarnée.

Le propos du film n’a pas pris une ride ! Il affiche les réactions d’un individu dérangé, face à une société qu’il ne sait plus idéaliser. Combien de proches font un burnout, tentent de trouver un sens à leur job, dénoncent le capitalisme ?!
Joel Schumacher opère un tour de force. Surtout quand on sait à quel point les années 80 furent un tournant pour le libéralisme. En d’autres mots, sa démarche artistique n’a rien d’inintéressant. Le réalisateur dénonce une société ancrée dans un système économique pourrissant nos mentalités. Le profit. La beauté. La compétition. Ces concepts sont viciés, dès les premières séquences de Chute Libre.

Il y a tant à écrire ! Or, une scène retient mon attention. Lorsque le personnage principal se balade sur un terrain de golf, il s’adresse à 2 bourgeois. Son monologue donne à réfléchir.

Nan, mais c’est pas vrai ça ! Vous essayez de me tuer avec une balle de golf. Ca ne vous suffit pas de clôturer ce magnifique terrain pour jouer à votre jeu à la con, en plus, vous voulez me flinguer avec une balle de golf ! Il devrait y avoir des enfants qui jouent ici. Il devrait y avoir des familles qui pique-niquent. Il devrait y avoir un zoo ou un parc d’attraction. Au lieu de ça, il y a des voitures électriques débiles pour un troupeau de vieillards désœuvrés.

Je ne défendrai pas cet énergumène. Néanmoins, il fait méditer sur les actions d’autrui. Comment sommes-nous capables de définir ce qui est bon ou mauvais, si nous nous sommes des crevures, si nos actes sont pitoyables et méprisants ? Je ne théorise pas quelque chose d’original, je sais… mais parfois, une piqure de rappel est nécessaire. Si nous sommes emprunts de sympathie pour le cinglé criant sa rage face à des golfeurs, c’est parce qu’il dénonce les travers de la bourgeoisie. Posséder toujours plus. Préférer l’intérêt individuel aux préoccupations collectives. C’est pourquoi, écouter ce monologue est vachement intéressant, même si la violence n’est jamais le remède à nos maux…

Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. -Extrait d’un discours de Martin Luther King (1968)

brunoaleas

Mk.gee et l’imperfection

Eric Delsart, tu abuses beaucoup trop. Ce rédacteur écrit une singerie dans les pages du magazine Rock & Folk. Suite à une longue analyse au sujet de Kurt Cobain, il livre un point de vue pessimiste quant au rock. Il manquerait au genre une figure de proue. Plus aucun artiste excite et fascine dans un monde musical toujours plus standardisé. Bref, Kurt n’est plus, et avec lui, c’est toute une scène qui s’écroule, bla bla bla…

Evidemment, je suis bien plus optimiste. Les temps changent, chante MC Solaar. Là où le critique pleurniche une époque révolue, je préfère contempler les nouveaux talents. Mk.gee fait partie des jeunes artistes à suivre ! Pour comprendre à quel point l’artiste envoie du lourd, comparons-le un instant – même si je déteste comparer les personnes – au chanteur de Nirvana.

Cette année, le jeunot sort son premier album nommé Two Star & the Dream Police. 33 minutes, c’est la durée totale de son écoute. En moins d’une heure donc, Mk.gee sonne un univers aux croisées multiples : rock, pop, R&B. Ces 12 chansons portent le poids d’un talent artistique si bien étudié et exécuté de manière experte, décrit Pitchfork, webzine vachement respecté par les mélomanes.
Ses chansons courtes, efficaces et produites de manière à se croire entre les années 80 et 90, attirent l’attention. Mais, c’est la saleté des instrus qui retient ma curiosité.

Kurt Cobain fut adepte du sabotage. Lorsqu’il saccage ses instruments sur scène, ou quand il déploie sa folle imperfection sur In Utero, les auditeurs savent à qui ils ont affaire. C’est pourquoi, le dernier opus de Nirvana est un bijou du quatrième art.

Mk.gee, lui, n’est pas architecte du chaos. Mais il partage un point commun avec l’ange déchu, la volonté d’expérimenter sons et effets. Il n’y a qu’à écouter ‘Candy’ pour s’en rendre compte. Percussions sonnant comme des feux d’artifice. Guitare additionnée à une pédale flanger, dont l’effet gonfle les sons saturées. Voix mi-douce, mi-rocailleuse, affrontant vents et marées ! Puis, l’esprit se retrouve dans les paroles.

I’ve done some bad, I won’t fake it. I got patterns, don’t think I’ll shake it.
Ah, but you fucked up too, and that’s fine. I cut you slack, you cut me minе.

Le rock n’est pas mort. Je l’inscrivais déjà en lettres de feu, ado. J’en suis toujours convaincu. Votre webzine respecte un but : ne pas stagner dans le passéisme. Rock & Folk, je vous laisse le c’était mieux avant. Kurt Cobain détestait les phrases toutes faites. Il semblait adorer les remises en question. Ses écrits, parfois cryptiques, sont enrichissants. Découvrez les paroles d’un musicien en avance sur son temps.

Le talent, à l’évidence supérieur, n’est pas seulement le fruit du travail, mais également ce petit don spécial accordé en bonus à la naissance — et nourri par la passion. Un amour inné, totalement spirituel, inexplicable, new age, putain de cosmique et débordant d’énergie pour la passion. Eh oui, ils représentent un pourcentage plus infime encore du petit pourcentage. Ils sont spéciaux ! Se méfient des faiseurs de systèmes. Tout ne peut pas être jaugé selon la logique intégrale ou la science. Personne n’est suffisamment spécial pour répondre à ça.Kurt Cobain

brunoaleas

See You in L.A. Interview

See You in L.A. est une agence aidant divers musiciens. Lucie Marmiesse soutient Pales, We Hate You Please Die, Tramhaus, Johnnie Carwash, Fishtalk, Cosse, etc. Elle gère donc sa structure pour trouver des perles rock ! Comprenons sa profession.

Présente-nous See You in L.A. en quelques mots.

See You in L.A. est une structure bienveillante de relations presse que j’ai créé en 2016. Je défends des projets rock, post-punk qui sont des coups de cœur.

Nous vivons l’ère numérique. Les plateformes et Internet bouffent l’attention de tout un chacun. Est-ce difficile, aujourd’hui plus qu’hier, de rendre visible le travail des musiciens dont tu t’occupes ?

Le secteur évolue et effectivement ce n’est pas toujours simple. La réduction de fenêtres médiatiques, et les algorithmes des plateformes qui favorisent les artistes populaires, rendent la distinction difficile. Cela ne signifie pas que le métier d’attaché.e presse n’a plus d’utilité ou de sens. Je m’adapte à cet environnement en mutation. L’ère du numérique offre des opportunités avec un accès mondial instantané et des outils analytiques puissants.

Début septembre, on pourra assister sur les rives de la Seine, à la quinzième édition du Rock in the Barn. Un festival laissant notamment la place à Johnnie Carwash. Quel est le meilleur argument pour aller à ce festoche ?

Le meilleur argument pour aller au festival Rock in the Barn est l’expérience immersive unique qu’il offre : une combinaison parfaite d’une programmation électrisante de groupes rock indépendants, régionaux, français et internationaux, dans un cadre enchanteur et verdoyant. Ajoutez à cela la possibilité de savourer des bières fraîches et des délices locaux, et vous avez une fête pour tous vos sens qui promet des souvenirs inoubliables.

Quel est ton plus beau souvenir d’attachée de presse ?

J’en ai plusieurs, mais je crois que mes préférés sont les moments passés aux côtés de mes groupes dans les backstages, en m’imprégnant de l’ambiance avant et après le show.

Interview menée par brunoaleas – Photo ©Carolina Moreno

Cycle de l’enfance : Un Monde Meilleur

L’enfance est sacrée. Parfois, on s’éloignait des codes et obligations imposés par la société… une particularité phénoménale. Certaines œuvres dépeignent les enfants comme des êtres à part. Découvrons un dernier titre américain !

Seul un enfant pouvait trouver la formule pour changer le monde, nous dit l’affiche de Un Monde Meilleur, film dramatique réalisé par Mimi Leder. 

Trevor McKinney, 11 ans, est malheureux. Il vit à Las Vegas avec sa mère Arlène qui est alcoolique et qui a 2 boulots pour les faire vivre parce que le père du petit s’est tiré. Pas que ce soit une grande perte en soi vu qu’il buvait aussi et qu’il était violent avec sa femme. Mais tout de même, ce personnage n’est pas vraiment un gosse en fait, parce que c’est lui qui s’occupe de sa mère. Cette situation initiale a un impact gros comme une maison sur l’intrigue qui va suivre.
Pourquoi ? Et bien parce que les 3 motivations de Trevor sont claires : il souhaite protéger sa mère de son addiction et du retour de son paternel, avoir une bien meilleure vie, et aider les gens autour de lui.

Ce troisième but existe en lui car il ne connait que trop bien le malheur et également parce qu’il est un enfant doté d’une grande empathie. Tout cela est mis en avant quand son professeur, Monsieur Simonet, lui donne un devoir de travaux pratiques qui vise à rendre le monde meilleur. L’idée de Trevor consiste à rendre un service désintéressé à 3 personnes. Cela doit être quelque chose d’important que ces personnes ne peuvent pas faire seules. Ensuite, ces 3 personnes doivent à leur tour rendre un service similaire à 3 autres personnes. Et ainsi de suite. Pay it forward, titre original du film, signifie Payer au suivant. Et ce mouvement peut rapidement grossir, comme le petit l’explique en classe, en dessinant un schéma explicatif de son projet au tableau.
Trevor décide d’aider, en premier lieu, un SDF héroïnomane du nom de Jerry. Pour se faire, il l’invite à son domicile sans l’accord de sa mère. Il le nourrit de céréales, le laisse prendre une douche et se changer, puis l’envoie dormir à l’arrière d’une camionnette qui ne fonctionne plus dans le garage. En découvrant l’inconnu, sa mère pète un câble – normal – et fonce voir le professeur Simonet pour lui demander qu’est-ce que c’est que ce délire – logique hein – mais bon, le gars ne comprend pas trop son emballement. Il dit qu’il n’a pas demandé précisément au gosse de ramener un clodo drogué à la maison. Que c’est un devoir, rien de plus. Ses élèves peuvent l’interpréter comme ils le veulent. Arlène repart furieuse mais finit toutefois par sympathiser avec Jerry, puisque ce dernier répare la camionnette et lui explique en détails le projet de son fils, qu’elle trouve plutôt pas mal, en fin de compte. Peu après, Trevor constate que Jerry n’arrive pas à arrêter de consommer de l’héroïne et rien que pour cela il se dit que sa tentative d’aide est un échec – comme si c’était facile à la base de se sevrer de cette merde – du coup, le petite broie du noir.  
Puis, il tente un peu de se rapprocher du prof, en lui demandant s’il trouvait vraiment que son idée de devoir avait du potentiel. Monsieur Simonet laisse entendre qu’il n’est pas un menteur. Alors, le jeune homme se permet de lui demander ce qui lui était arrivé, car il faut le préciser, puisque c’est un peu important pour comprendre le reste, le prof est brulé au visage, ainsi qu’au torse. Vous avez tiré à la courte paille et c’est tombé sur vous ?, demande-t-il, croyant qu’un groupe d’enfants comme autre, hilare, devant eux, était la bande d’amis de Trevor. Cependant, il n’en était rien. Il l’avait compris en voyant son élève partir seul au loin. Cette remarque sortie sur le la défensive fit comprendre à Trevor que son professeur manquait de confiance en lui, sans doute à cause de son apparence et de ce qui lui était arrivé. Même si c’était maladroit de la part de Simonet, l’enfant n’éprouve pas de rancune, bien au contraire, car il décide de faire de lui sa deuxième personne à aider.

Et là, c’est légèrement plus complexe. En clair, Trevor fait en sorte de réunir son prof et sa mère, sur le plan amoureux. – chaud patate ça ! –. Bien que je trouve cela bizarre, en vrai, chapeau à lui. C’est avec brio que son travail d’entremetteur fut réalisé. Je ne vais pas m’étendre sur sa méthode, je vous laisse la surprise de la découverte.  

Mais ! Juste au moment où cela devient un peu concret entre Arlène et Eugène – c’est le petit nom du prof – Eugène a la haine, et le petit aussi, parce que Ricky McKinney revient ! Dès lors, parlons du jeu d’acteur de chacun. Attention ça va saigner. Le père du petit est joué par John Bon Jovi ! Son jeu est un régal. Là, je vois clairement qu’Arlène et lui ont un passé, à la façon dont ils se regardent et s’engueulent. J’irai même jusqu’à dire que Bon Jovi aurait dû jouer le rôle d’Eugène à la place de Kevin Spacey, tellement l’alchimie est bien plus au rendez-vous entre Helene Hunt et lui ! C’est simple, je ne crois pas en la love story d’Arlène et Eugène, principalement à cause du jeu médiocre de Spacey. Sinon, comme à chaque fois, en ce qui concerne le protagoniste principal, Haley Joel Osment, c’est juste incroyable à quel point sa gueule d’ange en impose. Il est juste méga doué.   

Adam est la troisième personne que Trevor aimerait aider. C’est un enfant de son école qui subit un harcèlement scolaire assez grave. Là encore, il pense qu’il a foiré car il tente de s’interposer quand il voit qu’Adam se fait frapper, sans en trouver le courage. L’inventeur du mouvement lui-même pense que rien n’a fonctionné, que c’est peine perdue. Sauf qu’en fait, un journaliste vient leur rendre visite et leur explique que Pay it forward s’est étendu jusqu’à Los Angeles, grâce à Jerry ! Il a été le seul des 3 personnes initiales à passer le relais, pour des raisons que je vais taire. Je ne vais pas non plus vous dévoiler la fin, ainsi que le parcours du mouvement. Retenons que ce film pourrait aisément déranger les grands cinéphiles, à cause de certaines techniques liées au scénario qui avaient pour but de tout exagérer, pour tirer un max sur notre corde sensible. Pour être plus transparente, c’est un Oscar bait, à savoir, un film semblant avoir pour seul but d’obtenir des nominations aux Oscars.  
Or, ce drame comporte de belles scènes. Il peut très bien faire l’affaire quand on ressent le besoin de relativiser sur sa propre vie. Il est clair que ce qui arrive aux personnages peut exister dans la vraie vie, mais que ces évènements ne touchent pas la masse.

Tatiana Kazakova

Fabien Vehlmann Interview Part 2

Les mangas attirent les plus jeunes. Et les bédés franco-belges ? En 2006, Fabien Vehlmann obtient un prix au festival d’Angoulême pour Seuls. On y suit Dodji, Terry, Leïla et d’autres enfants, au sein d’une ville sans adultes. L’auteur décrit ses envies artistiques !

Parfois les fans n’ont pas toujours cette envie d’être surpris par une approche pacifiste. On a rarement l’occasion d’aborder le pacifisme. Heureusement, il existe des exceptions. Je pense au manga Shaman King, où le personnage principal dialogue avec l’ennemi, au lieu de le combattre. Le concept est pertinent à l’heure actuelle. Plusieurs conflits éclatent à quelques kilomètres. On observe la montée des extrêmes, en Europe. Lire une œuvre pacifique adressée aux jeunes est vraiment intéressant. Voici une perspective différente.

Oui, et je pense même que c’est nécessaire. Je partage complètement des craintes par rapport à l’analyse actuelle des choses, surtout concernant la montée des extrêmes. Bien sûr, nous n’avons pas tous la même perspective.
Lors de dédicaces, je rencontre des personnes moins inquiètes que moi quant à la montée de l’extrême droite, en France. Est-ce que cela signifie qu’ils sont d’extrême droite ? Pas nécessairement. Mais ces idées les choquent moins que celles de l’extrême gauche. Et je leur réponds souvent qu’il est beaucoup moins probable que l’extrême gauche arrive au pouvoir que l’extrême droite, qui semble de plus en plus proche de le faire.
Laisser l’extrême droite accéder au pouvoir n’est jamais anodin, même si elle se présente de manière plus civilisée, à l’image d’une Giorgia Meloni, en Italie. Je tiens à préciser que je combats les idées d’extrême droite, pas les individus. Certaines personnes défendant ces idées peuvent être très intelligentes et intéressantes, même si nous n’avons pas la même analyse des choses. Parfois, il y a aussi des personnes vraiment dangereuses derrière ces idées.
Pour moi, Seuls, à sa modeste échelle, tente de participer à une réflexion : comment continuer à dialoguer, malgré tout, entre des factions opposées ? Dans Seuls, il y a une mythologie opposant les premières et dernières familles, des familles d’enfants plus anciens, en conflit depuis des siècles. Cela sert à illustrer un manichéisme classique dans les récits de jeunesse, cette opposition entre le Bien et le Mal, dont je me méfie.

Dès que l’on se place dans une dichotomie nous les gentils contre eux les méchants, on reproduit ce que l’on voit dans les polémiques, sur les forums Internet ou les réseaux sociaux. On est constamment dans une logique de camp contre camp, ce qui est exacerbé dans les conflits internationaux, comme le conflit israélo-palestinien ou la guerre en Ukraine.
Je me dis que si je peux promouvoir le dialogue dans une BD dont je maîtrise les codes et règles, tant mieux. Je cherche aussi des exemples d’œuvres qui ont réussi à le faire sans être naïves, car les bons sentiments ne font pas toujours de bonnes histoires. La dramaturgie occidentale est basée sur le conflit, depuis la Grèce antique. Peut-on inventer un autre mode de narration, où le conflit n’est pas central ? La tension narrative est essentielle, car elle retient l’attention du lecteur, spectateur. Or, la BD Seuls est en concurrence, non seulement avec d’autres BD, mais aussi avec les réseaux sociaux, les jeux vidéo, le cinéma, et Netflix. Dans cette économie, il faut captiver l’audience, la faire rire, maintenir une forme d’efficacité narrative. Les bons sentiments ne sont pas toujours les plus efficaces par rapport à une scène de violence. Une altercation sur un réseau social générera des milliers de vues, tandis qu’un message de paix avec une fleur semblera naïf.
Donc, trouver la manière de conserver une tension narrative, sans verser dans l’apologie du conflit, est une belle mission pour les auteurs et autrices.

Maintenant, parlons dessin. Te souviens-tu des premières pages du tome 10 ? Tu remercies Bruno Gazzotti. Il relève des défis graphiques. Tu as sûrement déjà travaillé avec un/e dessinateur/trice incapable d’exposer les idées en images.

Oui, c’est quelque chose d’inhérent à la bande dessinée, surtout quand on travaille en binôme. Cette dynamique entre 2 créateurs, comme c’est souvent le cas dans la BD, crée une forme de tension créative. Cela dit, ce n’est pas le cas de toutes les bandes dessinées, car on voit de plus en plus d’auteurs complets qui gèrent à la fois le scénario et les dessins.
Quand il y a un binôme, cette tension est presque systématique. Scott McCloud en parle très bien dans son livre L’Art invisible. McCloud explique que le scénariste tend à vouloir aller vers quelque chose de littéraire, souvent très dialogué et écrit, tandis que le dessinateur préfère une approche plus picturale, proche de la peinture. Ces 2 polarités peuvent créer une belle alchimie, un peu comme une pile électrique. Mais parfois elles peuvent aussi être excessives.
Ce qui arrive souvent, c’est de proposer un scénario dépassant ce que le dessinateur est prêt à réaliser. Un scénariste peut imaginer un récit presque muet, composé de grandes cases contemplatives, tandis qu’un scénariste en quête de rebondissements pourrait vouloir une histoire dense et pleine d’action. Chacun a sa manière de donner au lecteur, l’un à travers de belles images, l’autre à travers une narration riche.
Cependant, un récit sans dialogue, bien que très beau, peut se lire rapidement. Le lecteur parcourt les pages en quelques minutes, comprenant l’idée de chaque image, sans vraiment s’attarder. C’est le problème avec les bandes dessinées qui se concentrent uniquement sur l’aspect visuel : elles peuvent laisser une impression de superficialité et le lecteur peut se sentir frustré, surtout s’il ne trouve pas un équilibre entre le prix de l’album et le temps qu’il y passe.
Pour cette raison, j’ai tendance à surcharger mes récits de dialogues, de personnages et de rebondissements. Une tâche lourde à gérer pour le dessinateur. Bruno est capable de créer des séquences incroyables avec peu d’éléments graphiques, mais cela représente un défi considérable pour lui.
C’est précisément pour cela que dans le tome 10, j’ai voulu rappeler une évidence : je réalise Seuls, une bonne série pour enfants, parce que Bruno se donne énormément de mal pour illustrer des idées qui ne sont pas toujours simples à visualiser. Et je plaide coupable, car il est vrai que j’ai parfois été trop complexe.
Au fil de la série, j’ai voulu introduire un foisonnement de mystères et d’idées, souvent en laissant de nombreuses portes ouvertes vers d’autres mystères. Par générosité, je voulais offrir beaucoup de contenu, mais parfois, le mieux est l’ennemi du bien. À un certain point, vers les tomes 10 ou 11, nous avons accumulé tellement d’intrigues que certains lecteurs se sont sentis perdus. Bruno a été l’un des premiers à me signaler qu’il fallait simplifier et recentrer le récit. Nous avons commencé à le faire dans le troisième cycle. Nous le faisons maintenant de manière encore plus résolue dans le quatrième. Avec notre nouvel éditeur, Rue de Sèvres, cette notion de simplification et de focalisation vers la conclusion de la série est devenue une partie essentielle de notre réflexion.

Dépeindre des enfants en pleurs équivaut à dévoiler leur fragilité. Si on pense à Dodji, contempler ses larmes, ça fait bizarre. Mon propos est caricatural, je sais, mais ce protagoniste symbolise la force de se relever, la débrouillardise. Comment doser les scènes dramatiques ?

C’est compliqué d’avoir une règle précise, car souvent, c’est un peu au pifomètre. On veut montrer que, malgré leur statut de héros, ces enfants sont confrontés à des situations bien trop grandes pour eux. C’est aussi une question de trouver le bon équilibre entre la vulnérabilité et la force des personnages. Si on montre trop souvent leur fragilité, cela peut devenir pleurnichard ; si on ne le fait pas du tout, ça peut devenir trop héroïque.
Sans compter la difficulté émotionnelle pour le dessinateur, quand il faut représenter ces moments. Par exemple, dans le tome 5, quand on révèle la cause derrière la disparition des gens, c’est-à-dire que les enfants sont morts et vivent dans une réplique du monde réel, appelée les limbes, Bruno a dû dessiner des scènes très chargées émotionnellement. Il m’a confié que c’était compliqué, mais c’est très différent des scènes d’action. Quand je lui demande de dessiner une armée de 15 000 cavaliers envahissant le World Trade Center, cela peut paraître abstrait, mais la réalité est que chaque scène a son propre degré de difficulté, en fonction du contexte et du nombre d’éléments visuels à gérer.
A travers le tome 14, il est question de statues qui s’animent pour traquer les enfants. J’avais pensé montrer plusieurs statues, mais Bruno m’a conseillé de n’en représenter qu’une seule pour ne pas alourdir le récit. En effet, dans un album de 46 pages, il est essentiel de simplifier pour se concentrer sur l’essentiel, tout en évitant de perdre le lecteur dans une complexité inutile. Cette tendance à ajouter des éléments, que ce soit des personnages ou des intrigues secondaires, peut parfois diluer le récit. Vers les tomes 10 ou 11, nous avons eu beaucoup de portes ouvertes, ce qui a pu désorienter les lecteurs. Bruno a été l’un des premiers à me dire de simplifier, recentrer le récit, ce que nous avons commencé à faire dans le cycle 3. Nous continuons de manière plus résolue dans le cycle 4. Le changement d’éditeur (ndr : passer des Editions Dupuis à Rue de Sèvres) a aussi renforcé cette nécessité de simplification pour tendre vers la fin du récit.
En fin de compte, chaque décision de simplification, de fermetures de portes, réduit les possibilités narratives et peut décevoir certains lecteurs qui avaient d’autres attentes. Néanmoins, il est aussi important de respecter la vision artistique, tout en cherchant des solutions qui maintiennent l’intérêt des lecteurs.

Interview menée par Pierre Reynders & brunoaleas – Illustrations ©Bruno Gazzotti

LA DURE A CUIRE #110

La Dure à Cuire est un concept né en 2018. Commentons l’actualité rock de la moins douce, à la plus brutale. Puis, écoutons sa playlist homonyme !

Naked Passion

Naked Passion, c’est fini. J’apprends la nouvelle, lorsque j’arpente les plages portugaises… j’aurais aimé découvrir leur prochain album. ‘Overdensities’ est leur dernier titre ravageur. Je félicite ces jeunes Belges. Insert Name devenait leur tremblement de terre. A chaque opus, se ressentait de savoureuses tensions. Bravo. Bonne continuation !

Highly Suspect

I wanted space and time, spend time in space. But what does it matter now that nothing remains. I cannot sleep when all I hear is a silent symphony of pain and disgrace.

delving

Qui se cache derrière delving ? Nicholas DiSalvo, musicien chez Elder. Par le passé, l’artiste prouve ô combien son jeu aboutit à de riches mélodies pour l’Histoire du Rock.
Le voici à nouveau dans nos oreilles. Son nouvel album vient de sortir. Rien n’est laissé au hasard. Dès lors, surfons sur sa vague psychédélique !

brunoaleas

IAMWILL Interview

Guillaume Vierset s’éloigne des collectifs. En solo, il livre une musique plus intimiste. Voix et guitare deviennent ses meilleures compagnes sur scène. Première interview pour IAMWILL, une bouffée d’air frais dans le paysage musical.

Au sein du groupe Edges, tu exprimais un ras le bol de la société. Aujourd’hui, sens-tu une forme d’apaisement ? Vas-tu chercher d’autres émotions ?

Alors, le second album d’Edges sortira au printemps prochain. Il sera pire que le premier. Donc, je n’accepte pas encore les choses. IAMWILL est une réaction au fait de devoir tourner en Wallonie, à Bruxelles. D’abord, j’exprime l’amour de cette musique, le folk. Je mélange un peu toutes mes influences. Que ce soit folk, pop indé, que ce soit jazz, parce que ça improvise aussi. Puis, l’autre face de cette réaction est de jouer en solo. Pour un artiste en Fédération Wallonie-Bruxelles, être programmé, c’est de plus en plus dur. L’étau se resserre. Proposer quelque chose en solo, c’est beaucoup plus facile à défendre.
Voici les 2 penchants de ce projet.

A certains concerts, une idée martèle mon crâne. Plusieurs groupes sonnent comme les Beatles. Comme si mon cerveau était piégé dans leurs notes et influences. Toi, t’assumes tes influences : Elliott Smith et Nick Drake. Souhaites-tu te distinguer de ces artistes, proposer quelque chose de singulier ? Ou alors, embrasses-tu cet héritage ?

J’ai embrassé cet héritage et j’ai essayé de le comprendre comme moi je le comprenais. Le but est de le ressortir avec d’autres choses. J’ai une connaissance de l’harmonie assez approfondie de la musique jazz et plus populaire. Je suis instrumentiste avant tout, je suis improvisateur avant tout, et donc, tout ça fait que j’essaie de proposer une musique liée à cet héritage, mais d’une manière différente.
Mais il y a des actions qui sont inévitables. Par exemple, tu citais les Beatles. Récemment, je réécoutais l’album blanc, le White. C’est quand même inévitable de jouer comme les Anglais. Cet album est majestueux en tout point de vue. Par conséquent, c’est difficile de ne pas le compter dans ses propres influences. Je pense que tout le monde, d’une manière ou d’une autre, vit les effets des Beatles.
Par rapport à Nick Drake et Elliott Smith, ben oui, ce sont des songwriters qui font souvent des concerts en solo, instaurant une ambiance assez troublante, nostalgique. C’est sûr que ça reflète considérablement la musique. Ce sont mes premières influences. Néanmoins, j’essayerai de proposer quelque chose d’un peu plus ouvert, d’un peu moins dark. J’essaye en tout cas. Et puis, il y a aussi toutes les techniques actuelles. Ici, c’est la première fois où je vais utiliser quelques séquences (ndr : juste après l’interview, l’artiste jouait au café Le Parc, à Liège). J’utilise aussi des percussions. C’est assez nouveau. Là, j’essaye de réussir un son plus auto-satisfaisant, en solo.

Une fois sur scène, tu adores ce goût du risque. Finalement, Guillaume Vierset, plus il vieillit, plus il recherche cette envie et sensation.

J’ai besoin de me mettre en danger pour me sentir vivre. Je ne pourrai pas me reposer sur mes lauriers. Quand c’est le cas, c’est cool, je n’ai plus aucun stress et du coup, je fais autre chose. Je continue le projet, mais je vais plus loin. Moi, j’ai besoin de me sentir vivre, de me sentir vivant. Il y a des gens qui ont besoin de sauter en parachute. Moi, j’ai besoin de sauter dans le vide avec de nouveaux projets, des productions strictement jamais réalisées. Voilà, ici, je me retrouve seul avec un micro devant moi. C’est quelque chose que je n’ai plus fait depuis l’âge de 17 ans. J’avais complètement oublié quelques actes. Donc, j’ai dû réapprendre certains réflexes.
Malgré tout, ces techniques demeurent plus ou moins dans le sang. C’est un saut dans le vide, avec tout ce que ça implique : le son, les paroles, la gestion de l’instrument. Mais c’est hyper excitant. En fait, j’adore ça. Je n’ai pas dormi cette nuit. Ça n’a rien avoir avec le stress. Je suis super excité de jouer à Liège.

Tu te lances de nouveaux défis. On se concentre sur une toute autre réflexion.

Complètement. Le message, c’est : Venez, entrez dans ma bulle. Voilà ce que j’ai à proposer, de petites histoires. Et si on est toujours dans cette bulle, ça va bien se passer.

Quant aux paroles de tes chansons, tu aimerais qu’elles soient moins sombres. Peut-on carrément qualifier tes mots d’optimistes ?

Alors, autant être clair, j’écris 15% des paroles. L’autre pourcentage provient de David Bartholomé (ndr : chanteur/bassiste de Sharko). Il m’aide beaucoup. Ce sont des paroles assez poétiques, oniriques, à prendre un peu comme on veut. Je les interprète d’une certaine manière, lui les écrit en les interprétant à sa façon. Il ne m’a pas dit comment les interpréter. Au bout du compte, je les comprends à ma sauce. Oui, parfois c’est dark, parfois pas. Il y a quand même de l’espoir dans tout ça, sinon, autant abandonner.

La plume de David Bartholomé, parlons-en. Qu’aimes-tu le plus dans son écriture ?

Ce n’est pas sa plume que j’aime, mais c’est le personnage dans son entièreté. C’est une personne extrêmement intelligente, cultivée, avec qui j’adore parler. Il a souvent un avis bien tranché. C’est quelqu’un qui va dire les choses, sans prendre de pincettes. Il m’a considérablement fait avancer, à bien des égards.
Concernant ses textes, ce que j’aime, c’est qu’il arrive à faire rimer les paroles à ma manière. Je lui transmets des lalala, des ohoho, etc. Ensuite, quand j’écoute ses paroles, je reconnais presque les onomatopées envoyées. Puis, il a cette intelligence de comprendre exactement la couleur de cette musique.

Sans compter l’ironie.

Oui, bien sûr. Il y a beaucoup d’ironie, mais de nouveau, chacun y trouvera sa signification. Il y a plusieurs angles choisis pour les paroles. Mais oui, il y a beaucoup d’ironie. Forcément. On parle quand même de David Bartholomé. (grand sourire)

Qu’aimerais-tu que le public retienne de tes concerts ?

J’ai envie qu’on retienne une intégrité à 100%, quelque chose de terriblement sincère. Je suis tout seul en scène, donc si je me trompe, tout le monde va l’entendre. Et j’aime bien jouer avec ça. J’aime bien jouer avec les silences. C’est quelque chose qu’on ne fait plus du tout maintenant. Désormais, la musique est extrêmement chargée. Il y a des éléments dans tous les sens. On ne distingue plus qui joue quoi. Ici, je suis à poil avec ma guitare.
J’aimerais qu’on se souvienne de concerts authentiques. Même si voilà, comme je l’ai dit, j’utilise aussi des éléments plus modernes. Comme pour quelques morceaux, j’ai des petites séquences qui sont lancées, enregistrées par moi-même avec mes instruments. Il n’y a rien d’électronique. C’est ultra sincère, intimiste. Et la musique intimiste, c’est quelque chose qui s’oublie un petit peu.
Alors, c’est sûr, je ne ne vais pas jouer à 22h30 aux Francofolies ou à Werchter. Ça n’arrivera certainement jamais. Mais en tout cas, je désire proposer une musique qui est beaucoup plus proche du public. Puisqu’en Wallonie-Bruxelles, à nouveau, c’est de plus en plus dur. C’est un peu comme dans la vraie vie, il y a les riches et les pauvres, les choix politiques, la gauche et la droite. Actuellement, il n’y a plus de milieu. Pareil pour le milieu musical. En tout cas, je parle bien de la Wallonie-Bruxelles. Je pense qu’en Flandre, c’est différent. Soit, on est un artiste qui ramène 10 000 personnes, et alors, on joue en festival. Soit, on n’est rien du tout. Il n’y a plus de milieu, où être artiste entre les 2 est possible. J’estime que je ne suis rien du tout et que ma place, pour le moment, est de jouer dans des petits endroits de proximité. Mon rôle n’est pas de jouer dans de grands festivals. Ce n’est pas le but. Que les gens retiennent cette démarche, retrouver l’essence même des choses, même au niveau des festivals. Récupérons la culture à taille humaine, ainsi que la culture à frais humain. La culture, ça ne doit pas être cher. C’est de l’enseignement. Ça doit être gratuit, même s’il faut rémunérer les artistes. Tout le monde devrait pouvoir en profiter.

Interview menée par brunoaleas

Cycle de l’enfance : Digimon

L’enfance est sacrée. Parfois, on s’éloignait des codes et obligations imposés par la société… une particularité phénoménale. Certaines œuvres dépeignent les enfants comme des êtres à part. Découvrons des titres américains et japonais !

Aucun générique ne me plonge dans un sentiment de nostalgie comme celui de Digimon.

Digimon, beaucoup s’en souviennent, parfois avec cynisme, comme une pâle copie de Pokémon, créée pour vendre un maximum de jouets. Et vous savez quoi ? Je ne peux pas vraiment réfuter ces accusations.

Imaginés en 1997 pour offrir une version plus « garçon » des Tamagotchis, tous les produits dérivés, que ce soient les dessins animés, cartes ou jouets, sortent juste après le succès phénoménal de Pokémon. Il s’agit de 2 franchises dont le principe est de collectionner un maximum de petits monstres colorés, de les faire s’affronter… après tout, la comparaison est légitime. Mais clairement, Digimon a toujours eu un je ne sais quoi de différent à mes yeux. Il y a là, un design plus cru, organique et belliqueux des créatures : là ou Pokémon réalise énormément de mascottes et d’animaux colorés avec l’occasionnel dragon, Digimon est plutôt du genre à présenter des dinosaures, machines et anges en armure.
Mais si je considère vraiment cette franchise comme celle qui m’a le plus marquée dans mon enfance, c’est aussi grâce aux messages transmis par ses médias. Ils ne sont pas les mêmes que ceux de la concurrence.

Pour le comprendre, penchons-nous sur le dessin animé, et plus précisément la saison 1 et 3. Décrivons les raisons qui m’ont tant marquées.

Première saison : l’ode à l’enfance

Le tout premier dessin animé de Digimon se nomme Digimon Adventure. Il raconte l’histoire de 7 jeunes enfants transportés dans le Digi-monde. Complètement démunis dans ce monde sauvage et plein de dangers, ils rencontrent chacun un compagnon Digimon, et grâce à la force de leurs amitiés, les enfants permettent à leurs compagnons d’évoluer en de puissants monstres. Ces êtres seront alors capables de rétablir l’ordre dans un Digi-monde en proie au chaos.

Digimon Adventure est sorti en 1999, donc imaginez le coup de vieux. Eh oui, les 10 premiers épisodes n’ont qu’une vocation : montrer le plus d’évolutions possibles, afin que les enfants puissent reconnaître quels jouets acheter en magasin. Le scénario se répète en boucle. Les jeunes protagonistes arrivent dans un nouvel endroit, ils se font attaquer par un Digimon maléfique, et un Digimon gentil évolue pour le battre. Néanmoins, une fois la première partie achevée, les choses sérieuses commencent !

Contrairement à Pokémon, qui reste un road trip où très peu de choses se passent, où les épisodes ne sont reliés que par de faibles fils narratifs, Digimon ressemble beaucoup plus à un anime contemporain. Il y a de l’action, du drame, des antagonistes complexes, et même des personnages qui meurent ou se sacrifient !

Bien qu’à la base ce soit une franchise multimédia dont le but est commercial, les créateurs décident d’y mettre de l’attention, de ne pas prendre l’audience pour des bébés.

Je me souviens à quel point tomber sur cette fiction me rendait hystérique, lorsque j’étais petit. J’avais l’assurance qu’à chaque épisode, on notait un moment assez épique. Même quand tout semblait perdu, le héros du jour allait trouver la force en lui de changer, s’améliorer, et par la même occasion, permettre à son partenaire Digimon de se digivolver en un monstre puissant et majestueux. Ces scènes me remplissaient d’émotion.

Les jingles accrocheurs, la musique, tout était parfait. Des thèmes sont mis de côté. On ne contemple pas l’entraînement ou l’acquisition de force physique qui fait progresser les héros, mais bien l’amélioration de soi. Le récit me donnait l’impression que tant que je continuais de grandir, d’apprendre, rien n’était impossible.

Les liens d’amitié unissant les héros et leurs Digimons étaient si forts, si purs. C’est aussi ce genre d’idéal qui représente l’enfance à mes yeux. Trouver de la simplicité et de la force dans les jolies choses de la vie.

Lors d’une phase de la série, les héros apprennent qu’ils possèdent tous une qualité unique. Ils doivent la développer pour renforcer leurs Digimons. Le courage, la fiabilité, la gentillesse, etc. Trouver de la force dans nos propres qualités, dans ce que nous pouvons apporter aux autres, n’est-ce pas une valeur magnifique à inculquer ?

Troisième saison : ne pas avoir peur des sujets graves, quand on parle aux enfants

Si la toute première saison reste un doux souvenir nostalgique, intrinsèquement lié à mon enfance, la meilleure chose arrivée à Digimon est sa troisième saison.

Cette nouvelle partie commence déjà avec un parti pris intéressant. Faire table rase, se détacher presque complètement des premières séries. La série débute dans notre monde, où Digimon, et surtout le jeu de cartes associé, sont bien connus de tout enfant. 3 protagonistes feront cependant la rencontre, dans leurs quartiers, d’un partenaire Digimon.
Dès lors, ils devront sauver leur ville de diverses menaces, des Digimons apparaissant mystérieusement près de chez eux.

Une prémisse très simple qui, bien sûr, sert avant tout à introduire de nouveaux monstres et jouets, sauf que ! Cette nouvelle série est scénarisée par Chiaki J. Konaka, aussi connu pour l’iconique Serial Experiments Lain, une série cyberpunk, qualifiée aussi de thriller psychologique !

Digimon Tamers a donc la chance d’être beaucoup plus qu’une série pour enfants. On y retrouve tout ce qu’on recherche dans Digimon : de l’action, de l’amitié, des personnages devant faire face à leurs peurs et défauts pour triompher. De plus, des thématiques très graves sont abordées. Les sacrifices qu’on est prêt à faire pour l’ambition, la maltraitance, le deuil, la vengeance. Parfois présentée de manière sombre et sérieuse, la série ne prend pas de pincettes. Elle aborde ces thèmes de manière crue et mature. Mais le plus étonnant, c’est lorsqu’un personnage meurt et que son partenaire, déjà accablé par un deuil et une relation difficile avec sa famille, perd complètement les pédales, noyé par le chagrin. Ces séquences sont parfois dérangeantes. Digimon Tamers prend le risque de raconter un vrai récit dramatique, d’aller bien plus loin que les autres séries franchisées pour enfants. Ces scènes ne me quitteront jamais. Elles m’offrent la conviction que certaines sensations m’accompagnent jusqu’à maintenant : la tension et impression palpable des héros. Ces mêmes personnages ont quelque chose à perdre, à apprendre dans chaque situation.

Aujourd’hui, la franchise continue d’évoluer. Elle semble suivre la maturation de ses fans de la première heure. Ils viennent de sortir un jeu vidéo alliant visual novel et jeu de stratégie. L’ambiance est plus sombre (Digimon Survive). Les créateurs sont en train de lancer un nouveau jeu de cartes à jouer/collectionner plutôt compétitif, rempli d’allusions très nostalgiques des débuts de la série. Voilà une franchise qui sait utiliser le transmédia pour faire plaisir à ses fans.

Run faster than the wind !
Aim farther than the skies !
You can meet a new you
Unknown courage sleeps in your heart, and when you realize
The downpour in your heart
Will surely stop… show me your brave heart

Pierre Reynders

Fabien Vehlmann Interview Part 1

Les mangas attirent les plus jeunes. Et les bédés franco-belges ? En 2006, Fabien Vehlmann obtient un prix au festival d’Angoulême pour Seuls. On y suit Dodji, Terry, Leïla et d’autres enfants, au sein d’une ville sans adultes. L’auteur décrit ses envies artistiques !

Avant d’analyser Seuls, je remarque que tu exploites souvent un thème bien précis. La disparition. On le retrouve dans La Cuisine des Ogres. Cette thématique est généralement visible dans les films d’horreur. La technique du hors champ est fascinante. Il y a quelque chose d’attirant et excitant, quand on ne perçoit pas la menace. C’est vraiment une belle façon d’amener le public à découvrir l’œuvre. Le thème de la disparition est-il un bon point de départ pour créer une œuvre artistique ?

La difficulté et parfois le défaut de la bande dessinée, c’est qu’elle peut tout montrer, et souvent elle le fait. Pour un dessinateur, représenter une bataille spatiale est aussi simple que dessiner un embouteillage, mais bien plus excitant pour un jeune lecteur adolescent. C’est pourquoi, la bande dessinée s’est appropriée des genres comme la science-fiction et l’horreur, difficiles à représenter dans d’autres médias. Cependant, cela peut entraîner une perte de la force de l’hors-champ, qui est si puissante en littérature et au cinéma, obligeant le lecteur ou le spectateur à imaginer ce qui n’est pas montré.

Dans Seuls, cette question de ce qu’on montre ou non est centrale. La disparition des adultes dans un récit jeunesse est un choix évident. Mais la mise en scène soulève aussi la question de ce qui doit être montré. Faut-il montrer la mort d’un enfant ?
Trouver un équilibre entre montrer trop, ou trop peu, est crucial.
Un exemple de ce choix narratif se trouve dans Le Clan du Requin, le troisième tome de la série. Nous avions la possibilité de montrer un requin blanc sous tous les angles, mais nous avons choisi une approche cinématographique, inspirée des Dents de la Mer, en montrant très peu le requin. Par exemple, quand Camille descend dans un souterrain et voit le requin à travers une grande baie, nous avons privilégié l’angle émotionnel des enfants qui perçoivent une menace sans la voir entièrement.
Dès lors, qu’est-ce qui est intéressant ? Les lecteurs peuvent se représenter un millier de choses possibles. Le premier cycle, qui s’étend sur 5 albums, se concentre sur l’envie de laisser les lecteurs imaginer les raisons des disparitions. De cette manière, chacun envisage des scénarios inexistants, des éléments absents. C’est peut-être cela qui nous a permis de conserver une certaine forme de succès commercial, malgré le fait que nous ne soyons des flèches.
Avec Bruno Gazzotti (ndr : dessinateur de Seuls), nous ne sommes pas extrêmement rapides. Cela a parfois été un défaut, ralentissant notre rythme de publication annuel. Or, ce mystère et cette attente ont permis aux enfants de rêver ce qu’ils imaginaient comme la suite idéale. Jouer sur cette attente, jouer avec l’imagination des enfants, est devenu un des piliers de la série.

Ces dernières années, on ne compte plus les œuvres postapocalyptiques. The Walking Dead, The Last of us, Mad Max… quant à Seuls, comment éviter le déjà-lu ? Comment ne pas répéter les mêmes rebondissements, les mêmes récits ?

Tout d’abord, il est presque impossible de ne pas tomber dans certains clichés, lorsqu’on aborde un genre. Les clichés sont inhérents au genre lui-même. Ils peuvent être agaçants parce qu’on les voit mille fois, mais aussi rassurants pour la même raison, car ils posent rapidement une scène. Par exemple, on sait immédiatement si on est dans un film de zombies ou un film postapo comme Mad Max, en quelques plans. Cela permet de gagner beaucoup de temps narratif. Cette technique peut ensuite être utilisée pour écrire quelque chose d’original.
Bruno et moi utilisons joyeusement quelques clichés. Mais, notre récit se distingue de la plupart des récits postapocalyptiques par une approche joyeuse, voire humoristique, malgré la gravité de l’histoire. Seuls fait peur, mais permet aussi aux enfants de dire des bêtises et de jouer à Robinson Crusoé dans une ville.
Un contre-exemple serait un récit où une maladie tue les adolescents à la puberté, telle l’histoire de la bande dessinée La Dernière Récré. Cette idée, bien que réaliste, entraînerait des cadavres partout, rendant impossible l’humour et les jeux entre enfants. La vraie bonne idée de Seuls était d’imaginer une disparition « indolore » : on ne sait pas ce qui s’est passé. Cette méthode permet aux enfants d’avoir peur, tout en s’imaginant le pire, à leur mesure.
Pour un enfant lisant cette BD, ce pire n’est peut-être pas si grave. La bande dessinée peut être perçue comme une histoire amusante avec des aliens, rien de très grave. Un enfant plus angoissé y projettera des peurs plus profondes. J’aime beaucoup cette notion présente dans les contes, où certains passages sont reçus différemment selon le degré de maturité du lecteur. Et dans Seuls, il y a de ça aussi.

C’est vrai. La joie est un aspect important de la bande dessinée. Je suis content que tu en parles. Cette joie se reflète dans les pouvoirs des enfants. Puis, plus l’aventure continue, plus la mission épate. Il s’agit d’une belle mission, apporter la paix. Des lectrices et lecteurs ont souvent soif de violence. Seuls parle de paix. Ce concept sert à atteindre les portes du paradis. J’apprécie. La joie apparaît dans plusieurs pages. Tu te mets donc à la place des enfants, dès que tu écris.

Bien sûr. Pour moi, cette notion de joie, même dans des sujets douloureux, comme le deuil et la mort, est essentielle. Dans Seuls, on aborde ces thèmes. Cette joie est très liée à ce que je considère comme inhérent à l’enfance : la capacité de passer d’une émotion à une autre, en quelques secondes. J’aime souvent raconter cette anecdote : lors de l’enterrement de mon père, mes neveux et nièces, encore enfants, pouvaient être en larmes pendant l’homélie, puis jouer joyeusement en sortant de l’église, avant de décider de faire une collecte pour offrir une fleur à leur grand-mère, et revenir aux larmes, quelques minutes plus tard.
Les émotions fortes et changeantes sont très proches de l’enfance. On peut être très triste, puis excité, puis effrayé, en très peu de temps. J’ai voulu refléter cela dans Seuls. Néanmoins, défendre des valeurs comme la paix et le vivre-ensemble est plus compliqué, surtout dans le cadre d’un récit occidental, classique. Les mangas ont un niveau d’acceptation de la violence beaucoup plus grand qu’avant. Cela ne signifie pas pour autant qu’on doit toujours aller vers cette violence.
Au début de la série Seuls, on nous voyait comme très transgressifs. Les gens disaient que ce n’était pas une série pour enfants. Aujourd’hui, avec la popularité des mangas, nous paraissons presque traditionnels.

J’ai une problématique similaire avec La Cuisine des Ogres. Les lecteurs adultes pensent que ce n’est pas pour les enfants, alors que je crois fermement que c’est un récit pour eux. Il y a toujours un moyen de rester transgressif. C’est rassurant.
Dans Seuls, promouvoir la paix et montrer que des enfants tentent d’éviter une guerre, plutôt que de se précipiter dedans pour la gagner, est une idée que je tiens à défendre.
C’est un sacré défi narratif, car ce n’est pas forcément ce qu’attendent les lecteurs. Trouver la bonne manière de raconter cela n’est pas simple. Il y a des tensions, des lignes de fracture, entre les anciens et nouveaux lecteurs, dont les attentes ne sont pas les mêmes.
Prenons un exemple typique : dans l’album 13, à la fin du troisième cycle, on découvre que les enfants de Fortville ont des pouvoirs. Pas des pouvoirs incroyables, mais des pouvoirs tout de même. Cela a suscité un débat sur les forums des amateurs de Seuls. Les premiers lecteurs, maintenant jeunes adultes, disaient que ce n’était pas une bonne idée. Cela leur semblait trop cliché. Ils pensaient que c’était quelque chose qu’on avait déjà vu mille fois.
Mon argument était de dire que, oui, c’est peut-être un peu cliché, mais il faut attendre de voir ce que nous allons en faire. Dans le tome 14, Dodji a beaucoup de mal à maîtriser ses pouvoirs, et pour Terry, c’est un peu du n’importe quoi. D’autre part, il serait dommage de ne pas tenir compte des attentes du nouveau public, notamment les jeunes lecteurs de 10 ans. Ils sont maintenant très influencés par le manga. Leurs attentes sont complètement différentes de celles des lecteurs des années 2000, même s’il y avait déjà des mangas à l’époque.
Il est intéressant de voir que les anciens lecteurs, que j’appelle les gardiens du temple, préfèrent une approche plus sobre, sans pouvoirs. J’ai beaucoup d’affection pour eux. Nos échanges sont toujours pertinents. En revanche, les jeunes lecteurs de 10 ans sont ravis que l’histoire entre enfin dans le vif du sujet avec l’apparition des pouvoirs.
Avec Bruno, nous cherchons un équilibre. Il est normal qu’un jeune lecteur ait envie de voir ses héros vivre des aventures extraordinaires, impliquant des effets spectaculaires. Nous sommes dans un univers appelé Les Limbes, ou La Quatrième Dimension et Demie, où des enfants peuvent théoriquement avoir des pouvoirs. Cela a déjà été le cas dans la série. Il serait dommage de ne pas utiliser cette puissance narrative.
D’un autre côté, je comprends le besoin de sobriété de certains premiers lecteurs, car je le partage. L’overdose actuelle de super-pouvoirs dans les blockbusters américains m’agace. Je la trouve dangereuse politiquement, au sens large. Rien ne semble pertinent en termes de messages véhiculés quant à la vision du monde, de la société. J’ai peur qu’ils promeuvent un modèle axé sur le pouvoir, la domination des uns sur les autres, et l’extractivisme, c’est-à-dire l’exploitation des ressources de la nature, quel qu’en soit le prix.
Entre l’excitation des jeunes lecteurs qui veulent de l’action et le désir de ne pas promouvoir le pouvoir comme une fin ultime pour les héros, il faut constamment chercher un équilibre, comme sur un surf. On est toujours en train de chercher le bon moment, en évitant de tomber, tout en restant dans le bon flow.

Interview menée par Pierre Reynders & brunoaleas – Illustrations ©Bruno Gazzotti

Cycle de l’enfance : Sixième Sens

L’enfance est sacrée. Parfois, on s’éloignait des codes et obligations imposés par la société… une particularité phénoménale. Certaines œuvres dépeignent les enfants comme des êtres à part. Découvrons des titres américains et japonais !

Vous savez pourquoi vous avez peur quand vous êtes seuls ? Non ?
Vincent Gray le savait, lui. Il le savait car il possédait un sixième sens que son ancien psychiatre n’avait pas su voir en lui. D’où vient cette séquence de cinéma ? Du thriller fantastique de M. Night Shyamalan, tout part de là. 

La scène d’ouverture du Sixième Sens nous sert sur un plateau d’argent absolument toutes les clés de compréhension de l’intrigue. Suivez-moi, je vous explique. Le docteur Malcolm Crowe se prend une cuite chez lui avec sa femme, Anna. Ils sont en train de fêter une récente distinction professionnelle qui assure les compétences de Malcolm en tant que psychiatre pour enfants. Alors que le couple admire le cadre hors de prix qu’ils ont devant eux, Anna remarque que d’un seul coup il fait très froid, donc, elle donne un pull à son mari et enfile un gilet. Peu après cela, la température monte entre eux, ce qui les conduit à se rendre dans leur chambre. Ils sont en train de se déshabiller puisqu’ils ont l’intention de faire l’amour. Mais en fait, Malcolm n’enlève uniquement son pull et Anna, son gilet. C’est là qu’Anna marche sur du verre brisé et que leur bonheur conjugal se transforme en drame.  

Quelqu’un est entré chez eux par effraction ! Et cette personne n’est autre que Vincent Gray. Nu, ou presque, dans leur salle de bain, il réclame ce que le docteur pour enfants lui avait promis. Ce qu’il veut par-dessus tout est de ne plus avoir peur. Il le dit et le montre. Mais comme il ne ressent pas d’entrain immédiat de la part de Malcolm, qui d’ailleurs ne l’avait pas reconnu, Vincent décide de tuer son ancien psychiatre par balle, sous les yeux de sa femme, avant de se suicider. 

Un écriteau de transition annonce ensuite que la scène qui suit se déroule à l’automne prochain.  

On y voit Malcolm Crowe assis sur un banc, prendre des notes devant la maison d’un petit garçon de 9 ans. Ce dernier sort de chez lui et se rend jusqu’à une église non loin de là, à toutes jambes, suivit par le psychiatre, qui le rejoint à l’intérieur. On comprend aisément qu’il s’agit de leur première rencontre.
À partir de là, il y a déjà quelque chose qui cloche. Malcolm ne pouvait pas connaître ce petit garçon, alors pourquoi prend-il des notes sur lui, et qui plus est, en le suivant ? Depuis quand les psys se comportent ainsi ? C’est totalement creepy ! Et c’est pour ainsi dire normal, puisque ce mec est un revenant. Rien d’autre ne peut l’expliquer. Il n’y a qu’à voir la tête que tire le petit Cole, en le voyant le suivre et entrer dans l’église. Sur son visage, je lis de la peur car il sait ce qu’il voit. De plus, il lui parle, se présente comme un médecin compétent qui veut l’aider alors que rien n’est prévu pour que cela se produise. À aucun moment du film le docteur ne parle à quelqu’un d’autre que Cole. Il reste vêtu de la même manière tout du long, à part quelques fois où on le voit avec le pull donné par sa femme quand ils avaient froid, la nuit de sa mort. Pour moi, il est clair que cette façon de faire lui est dictée par son instinct. Malcolm a quelque chose à régler. Il veut absolument aider un enfant dans la même situation que Vincent, afin de réparer ses torts et partir en paix. Il agit à chaud, exactement comme les autres revenants qui visitent Cole, si ce n’est qu’il fait preuve de plus de maîtrise, ce qui explique que l’enfant baisse la garde en sa compagnie. 

Je rappelle que nous avons clairement assisté à un meurtre dès le début. On pourrait bien sûr penser qu’une blessure par balle n’est pas toujours fatale, si on est rapidement emmené à l’hôpital le plus proche. Après tout, Anna était là et s’est précipitée à son chevet. Mais moi, je n’avais aucun doute. Tout ce que j’ai vu par la suite n’a fait que confirmer ce que je pensais.
Petit détail très parlant, quand Cole sort de l’église juste après sa première rencontre avec le psy, il choppe une statue religieuse au passage. On voit par la suite qu’il s’est constitué un autel anti-revenants dans sa chambre pour être un peu tranquille quelque part. Quand Malcolm rend visite à Cole chez lui, on sent bien que le petit est retissant à l’idée de parler à voix haute avec lui, de peur d’être prit pour un fou par sa mère, exactement comme avec ses camarades de classe. 

Parlons-en de ses camarades ! Lors d’une fête d’anniversaire à laquelle Cole avait été invité par le père du petit Darren, ce dernier, ainsi que Toni, l’acteur en herbe complètement naze, décident d’enfermer Cole dans ce qu’ils appelaient un donjon. Sauf qu’il y avait un vieux revenant violent dedans, qui a conduit le petit médium à se faire hospitaliser. Là-bas, M. Night Shyamalan fait son caméo. Il incarne un médecin et accuse la mère de maltraitance car ils ont trouvé des plaies, partout sur le corps du petit. Même là, Malcolm est présent et personne ne le calcule. Malgré l’ignorance de tous, ce psy garde la tête froide et s’accroche à sa vision rationnelle du monde, tout comme la mère et le médecin de l’hôpital. 
D’ailleurs, dans ce film, il y a un puissant symbolisme dans les couleurs. Le vert est utilisé pour représenter le rationnel. Lynn, la mère de Cole, est très souvent vêtue de vert, car elle se demande qui fait du mal à son fils. Puis, elle ne comprend pas les manifestations de l’au-delà, celles qui gravitent autour de son enfant. Donc, elle se torture à trouver des explications logiques. Au moment où elle discute avec le réalisateur indien, on les perçoit tous les 3 accablés par des inquiétudes beaucoup trop terre à terre, ce qui ne colle pas avec la situation. Ces personnages sont tant rationnels face à l’enfant qu’ils provoquent une confusion. Une confusion encore plus appuyée à l’apparition d’un jeu en bois, vert, face aux protagonistes, placé là comme un rappel artistique. A l’inverse, c’est la présence du rouge qui représente le surnaturel. Teinte complètement absente, lors de ce dialogue.  

S’ensuit une scène absolument mythique dans laquelle Cole demande au doc pourquoi il est triste. Alors, le perso joué par Bruce Willis se confie à propos de Vincent, le patient qu’il n’a pas pu aider. Malcolm pense également que sa femme n’aime pas l’homme qu’il est devenu et que c’est pour cela qu’ils se comportent maintenant comme des étrangers. – Non mec, elle t’aime, c’est juste que t’es mort –.  

Soudainement le petit raconte son secret. Pourquoi ? Les confidences personnelles de son revenant préféré déclenchent cette volonté. J’ai trouvé cela très attendrissant. Cette scène est pour moi l’une des plus importantes, avec celle du meurtre, car quand on pense aux 2 simultanément, tout s’éclaire d’un coup.  

Laissez-moi vous montrer ce que j’y ai vu : 
  
Je vois des gens qui sont morts. 
 
En rêves tu veux dire ? 
 
Cole fait non de la tête. 
 
Quand tu es éveillé ? 
 
Là c’est un oui. 
 
Tu vois des morts, dans des tombes, des cercueils ?
 
Non ! Ils vont et viennent comme n’importe qui, ils ne se voient pas entre eux, ils ne voient que ce qu’ils ont envie de voir, ils ne savent pas qu’ils sont morts. 
 
Et tu en vois souvent ? 

Tout le temps ! Ils y en a partout. 

À ce moment précis, Cole vient d’énoncer des infos primordiales sur les morts qui sont partout autour de lui et cela inclut Malcolm Crowe. Plus aucun doute n’est possible, il est indéniable que ce visage sceptique cache un savoir inconscient. En voyant cette scène, je ressens indubitablement une présence fantomatique. Puis, Cole a froid. Il dit qu’il voit des morts tout le temps. Il est clair qu’il n’énonce pas tous ces détails sur les perceptions des morts pour rien. Il le fait car il aimerait lui aussi aider le psy.
La scène du secret est vraiment un point culminant du jeu d’acteur de Haley Joel Osment. Au moment du tournage, il n’avait que 12 ans, mais il joue parfaitement du début à la fin. Grace à cela, son personnage nous fait comprendre énormément de choses, sans nous les montrer, sans les dire avec l’aide des dialogues, mises en situations. En l’observant bien, je comprends qu’il connait l’origine et la nature de Malcolm mais qu’il ne le lui dit pas pour ne pas le brusquer. Il trouve plutôt des moyens détournés pour lui ouvrir les yeux. 

Maintenant accrochez-vous ! 

Ce film n’est pas du tout un long métrage à twist ! Il n’y a aucune révélation de fin à proprement parlé puisqu’il est facile pour tout spectateur attentif de comprendre la condition fantomatique de ce psy. Il n’y a que Malcolm qui doit comprendre ce qu’il est. Mais avant, il doit commencer par croire au sixième sens de Cole. 

Ce qui se produit quand il se rend compte des paroles similaires dites par Vincent et Cole. Une révélation s’empare alors de lui quand il écoute une cassette d’un entretien enregistré avec Vincent, il y a longtemps. Non seulement il croit au sixième sens des 2 gamins, mais en plus de cela, il trouve une solution pour que Cole se débarrasse de ses peurs. Je vous la donne en mille : l’aide avec un grand A. A cet instant, mes sentiments se mitigent car on se retrouve face à une facilité scénaristique, plus précisément, quand Cole aide son premier fantôme. En effet, une petite fille nommée Kyra vient le voir et lui demande de l’aider. Dans quel but ? Dire à son père que sa belle-mère l’a empoisonné. Et là, on nous montre encore une révélation avec l’aide d’une cassette ! Cole la donne au père qui la visionne tout de suite. Il peut y voir une petite partie d’un spectacle de marionnettes de sa fille, jusqu’à ce que la belle-mère entre avec le dîner. On la voit mettre un liquide bizarre dans la soupe, avant de la servir à la petite. À mon sens, c’est bien trop simple pour être crédible, d’autant plus que les morts ne sont pas censés savoir qu’ils sont morts. Mais passons. 

Kyra, comme les autres morts, possède un instinct qui la conduit à Cole. Dans le bus, l’enfant déclare même à Malcolm qu’elle est venue de loin pour le voir, au constat de la route qui n’en finit pas. Les revenants savent que le garçon peut les voir. Tout comme le docteur, un revenant l’aidant pour s’aider lui-même. Et c’est précisément cette valeur d’entraide que j’aime dans ce film. Elle est accompagnée d’un symbolisme immense. Cette technique ne laisse personne indifférent. Je me dois de la saluer.
Regarder ce film est pour moi un immense plaisir. Je l’ai vu pour la première fois à mes 11 ans. Il est même devenu mon film préféré de cette époque. C’est pourquoi, je lui pardonne tous ses défauts. Tout d’abord, ce que je ressens en le visionnant est plus fort que toutes mes petites déceptions. Ensuite, j’admire le travail réalisé. Tout cet effort déployé par les acteurs, par la place du symbolisme, des détails, par la musique qui déclenche de fortes émotions et qui est bien en accord avec les rebondissements et la tension dramatique. Gros big up à James Newton Howard, au passage, pour ses compositions musicales qualitatives ! 

J’aime ce film et ça ne changera jamais. Si vous ne l’avez pas vu, foncez le voir, même si je vous déballe presque tout. Sorry, mais il le fallait, sinon j’allais dire quoi sérieux ? Non en vrai, ça va, je vous épargne moult subtilités.  

Tatiana Kazakova

Slomosa au Misery Fest

Ce n’est plus un secret. En Belgique, les douches sont gratuites en été. Il suffit de mettre sa tête dehors pour recevoir la pisse des Dieux. Mais ! Mais, mais, mais ! Lorsqu’une brasserie organise un petit festival pour fêter son anniversaire, en pleine campagne, comment refuser ?! Il faut affronter vents et marées !

Je me dirige alors vers le Misery Beer. Le manoir est plutôt connu pour ses bières spéciales, son cadre verdoyant et son ambiance rock’n roll. L’endroit fête son cinquième anniversaire. Fonçons. E25, me voilà !

La Province de Liège s’apparente aux décors de Silent Hill… rien ne m’arrête. A 20h se pointe un quatuor plutôt incroyable. Slomosa fut surprenant à Leuven (Het Depot, novembre 2023). Ma mémoire ne peut défaire ce souvenir. La voix fédératrice. Les gros riffs efficaces. Une nostalgie aimée et retrouvée pour les fans de Kyuss ou Fu Manchu. Juste avant l’arrivée des Norvégiens sur scène, 2 personnes souriantes prennent le micro. Le propriétaire de la brasserie entame un discours émouvant, aux côtés de sa femme.

Recevoir Slomosa, ici… je ne comprends rien à ma vie. Merci ! Les gars, sachez-le, j’étais un cancre. J’étais un cancre !

Le concert commence, l’énergie du groupe est à nouveau remarquable. Epaté par la force de frappe, je confirme une vieille idée. Slomosa est vraiment balèze sur scène. 2 membres de Silenceless acquiescent et valident cette observation. Nul besoin de feu d’artifice, lumières psychédéliques ou costumes carnavalesques… ici, on se concentre sur un jeu stoner, décoiffant. Le groupe kiffe sa vie et sourit face à un public en délire.

Pogos en veux-tu en voilà et joyeux lurons frôlant les airs – plusieurs personnes se laissent porter par d’autres bras pour ensuite être bousculées h24, l’euphorie au max –. J’ai rarement autant ri, lors d’un concert. A ce point là ?! Fuck yeah. Le public crée le show, digne d’une comédie inouïe ! Un dinosaure muni d’une coupe afro, un masque de cheval ou d’autres fantaisies rythment le spectacle.

Like animals, we dig the earth, chante Benjamin Berdous. ‘Battling Guns’ illustre l’absurdité de la guerre et pointe une sorte de fatalisme… mais à cette soirée, tout le monde souffle un vent de joie incomparable. Comme quoi, danser et fêter sont des actes salvateurs – clin d’œil aux politicards pro confinements –.

Longue vie à Slomosa ! Hâte d’écouter Tundra Rock, un prochain album à hurler haut et fort !

brunoaleas – Photos ©Dominique Bernard