Futuropolis Interview

Quelle maison d’édition surprend plus d’une fois ? Futuropolis. On y trouve des bédés illustrant des peuples et époques. Les thèmes sociaux ne sont donc pas écartés ! Alain David, membre de l’équipe éditoriale, souligne les spécificités du projet artistique.

Comment résumer les 50 ans de Futuropolis ?

Quelle question ! Résumer 50 ans en quelques lignes, vaste sujet. On peut déjà dire que l’histoire de Futuropolis se décline en 2 grandes périodes : de 1974 à 1994, le canal historique, né de la volonté de Florence Cestac et Étienne Robial, et la renaissance, de 2004 à aujourd’hui, sous les bons auspices d’Antoine Gallimard – qui était le propriétaire de Futuropolis, depuis 1987 – Mourad Boudjellal et sous la direction de Sébastien Gnaedig et Patrice Margotin. En 50 ans, le marché de la bande dessinée a bien changé. Le nombre de publications est multiplié par plus de 10, mais je crois que l’ADN de la maison est resté le même. Futuropolis a été un des premiers éditeurs – voire, le premier – à mettre en avant les auteurs plutôt que des personnages ou des séries. Une grande attention est apportée aux livres, aux sujets traités, à la conception graphique. Des auteurs majeurs de la première époque se sont retrouvés dans la seconde époque, Baru, J.C. Denis, Tardi, Munoz et Sampayo, Rabaté…
Nous avons même cette année le retour d’Edmond Baudoin !! Je crois qu’en 50 ans, le moteur des éditeurs de Futuropolis est resté le même : l’amour et le respect des livres, des auteurs et de la bande dessinée. 

Votre maison d’édition se focalise énormément sur des évènements historiques. Puis, un Gipi apparaît aussi dans votre catalogue. Actuellement, comment sélectionnez-vous les livres à publier ?

Il y a de grands axes sur lesquels nous restons fixés : un regard sur le monde, le social, l’écologie, l’histoire, la littérature et le dessin – ce qui peut paraître paradoxal, mais qui apparaît, parfois, comme le parent pauvre de certaines publications de bande dessinée –. Être éditeur ne se résume pas à publier des livres mois après mois. C’est créer un catalogue, travailler sur la durée avec un auteur, anticiper le titre suivant. Gipi, Davodeau, Lepage, Sacco, Kokor, Gibrat, Keum Suk Gendry-Kim… ont une place de choix dans notre catalogue. Nous avons plaisir à faire un long chemin avec eux.
Reste qu’avec la volonté de ne pas faire plus de 40 livres par an, les choix sont souvent cornéliens. Les projets de nouveaux auteurs se doivent d’intégrer notre politique éditoriale. Un recueil de gags en une page, tout aussi bon soit-il, manquerait certainement sa cible en étant publié par Futuropolis. Idem, quand nous publions des livres étrangers en achat de droits, c’est qu’ils s’inscrivent dans notre logique éditoriale. Et qu’il ne nous aurait pas paru aberrant d’en être les primo-éditeurs.

La montée de l’extrême droite est affolante en Europe. Quant aux nombreuses guerres, elles sont insupportables à voir. Editer Journal d’une invasion, au sujet de l’Ukraine et dessiné par Igort, sonnait comme une évidence ?

Bien évidemment. Toutefois, n’oublions pas que le Journal d’une invasion fait suite à 2 autres ouvrages essentiels d’Igort : Les cahiers russes et Les cahiers ukrainiens, où il racontait déjà ces pays, les dérives autocratiques de Poutine, l’assassinat d’Anna Politkovskaïa, l’Holodomor voulue par Staline… certains livres sont des réactions à chaud, même si le temps d’un livre n’est pas le même que celui de la presse. D’autres livres sont plus longuement muris. Luz a pu réaliser Catharsis quelques temps après le drame de Charlie Hebdo, puis Indélébiles, où il revient avec recul sur son parcours, au sein de cette même rédaction.
Mais effectivement, je ne pense pas que Futuropolis soit un éditeur neutre. Publier Igort, Joe Sacco, Benoit Colombat, Etienne Davodeau, Sébastien Vassant, Lisa Lugrin, pour n’en citer que quelques-uns, c’est envoyer des messages, des regards sur le monde, des alertes. Même une œuvre qui semble de pure distraction, Shaolin Cowboy de Geof Darrow, véhicule un constat terrible sur l’Amérique de Donald Trump.

Le Faux Soir raconte la création d’un pastiche du Soir volé. Ce quotidien belge fut confisqué à ses propriétaires, durant la Seconde Guerre mondiale. On y retrouve un fac-similé dévoilant le journal conçu par la résistance belge. Finalement, la bande dessinée est le meilleur outil littéraire pour mieux connaître les faits historiques.

Ce serait peut-être prétentieux de dire que c’est le meilleur, mais un excellent, tout à fait. Par nature, la bande dessinée, alliant texte et dessin, est un art ludique, à la portée du plus grand nombre. Dès lors qu’il y a reconstitution historique, la bande dessinée possède un avantage sur l’audiovisuel : les contraintes budgétaires sont moindres. L’auteur, s’il le souhaite, peut utiliser tous les décors qu’il veut, tous les figurants. Et maintenant, avec l’intérêt grandissant pour les romans graphiques, une pagination plus libre permettant d’approfondir son propos.
Quant au lecteur, libre à lui de prendre tout le temps qu’il souhaite pour lire le récit, digérer les informations, revenir en arrière. En résumé, vous avez certainement raison. 

Interview menée par brunoaleas – Illustrations ©Igort & ©Christian Durieux

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