Interview

Marjorie Goffart Interview

Dernièrement, 3 Kurdes sont tués par balle à Paris. L’acte barbare est impensable. Des failles occidentales sont encore à dénoncer. Une question se vaut après avoir eu vent de la situation : comment découvrir les difficultés quotidiennes des minorités ? Les photographes jouent souvent un rôle important pour mieux comprendre les sociétés. La liégeoise Marjorie Goffart ne cache pas son envie de militer via son art.

marjo three

Tu milites en prenant des photos. A quel moment as-tu choisi cette voie ?

Je suis fille d’immigré. Ma maman est belge et mon papa vient du Nord de l’Inde. Je ne suis pas très connectée à la culture indienne. Il y a toujours eu une remise en question très forte en moi. Peut-être que c’est dû au fait que j’ai grandi à Droixhe (ndr : quartier de Liège), un endroit très multiculturel où se vit le racisme. Bref, tout le monde est un peu dans sa communauté et moi j’avais envie de questionner ça. Je me positionne où là-dedans ? Je voulais dénoncer le racisme et m’identifier en tant que militante. Donc, j’ai commencé à pointer ce que je souhaitais dénoncer, mais pas directement à travers la photo. Au départ, je ne savais pas trop où aller. Puis, j’ai réalisé des études de photographies. Mon travail de fin d’étude portait sur l’occupation Ebola, qui est désormais la voix des sans-papiers à Bruxelles. En gros, je travaillais sur l’invisibilisation des personnes qui participent quand même à l’économie du pays. Les personnes qui quittent leur pays et qui n’ont pas leurs papiers après 10 ou 15 ans sur une autre terre, sont beaucoup plus exposées aux injustices. J’ai commencé par là. Prendre des photos sur ces thématiques devenait une évidence. M’immerger dans la vie des gens, puis le montrer en photos. Aujourd’hui, je me dis encore que je pars de zéro et que les gens photographiés sont plus riches que moi au niveau émotionnel. Il y a un tas de choses à apprendre.
Par après, j’ai travaillé dans la presse et me suis engagée dans le féminisme. L’activité photo m’a vraiment aidé à confirmer mon envie de creuser les thèmes de l’immigration, d’identité individuelle, de collectivité et de m’engager dans un collectif comme Et ta sœur ?.

Par le passé, une personne sans-papiers t’interrogeait sur ta pratique. Elle déclarait : OK. Tu prends des photos. Et puis quoi ? Cette remarque est assez fascinante. Tu as sûrement envie de changer le monde.

Je crois que ce serait prétentieux d’annoncer vouloir changer le monde avec mes images. Je pense que c’est un outil qui y contribue. Je pense qu’il y a plein de choses qui, une fois assemblées à certaines valeurs, passent vers une première étape importante : la prise de conscience. Après ce premier pas, c’est intéressant de voir si tu es sensible à tel ou tel sujet.
Par exemple, avec Et ta sœur ?, on peut dénoncer autant qu’on veut, il faut savoir se faire entendre. Mais il faut aussi savoir se faire écouter. C’est extraordinaire de faire des actions de rue, mais si on ne nous voit pas, c’est problématique. Qu’est-ce qui va changer si les politiciens ne se bougent pas ? Ce sont de nouvelles lois qui vont vraiment changer les choses. La prise en charge de victimes de violences sexuelles et sexistes est mieux gérée. Les choses bougent par-là, en termes de prise de conscience et de législation. Ces changements ne se font pas tout seul.
Je crois que j’ai besoin d’un témoignage de ce que je vis en images, en sachant prendre de la distance, comme j’ai pu le faire suite à un voyage en Inde.

Prépare-toi à philosopher. Quelques acteurs trouvent leur identité en jouant divers rôles. Ressens-tu les mêmes sensations en photographiant ?

J’apprends à me connaître grâce à la perception que les autres ont de moi. C’est une bonne ou mauvaise chose, je ne sais pas… il faut un peu mixer. Mais quand je me vois faire des ateliers photos, j’ai un stress énorme. C’est drôle car on m’informe toujours que ça ne se voit pas. Je me suis rendue compte que j’étais une personne anxieuse en travaillant, lors de mes rapports sociaux. La photographie implique les rapports sociaux. La prise de vue, enclencher ton appareil photo, j’ai l’impression que parfois que ce n’est qu’un dixième du travail. J’explore tout le côté relationnel lié à l’art de la photographie. C’est là-dedans que j’explore vraiment ce que je suis, mes failles et comment réagir aux fragilités des gens en face de moi. Dès lors, je me suis rendue compte que j’étais une boule d’éponge. C’est un travail de valeurs, un exercice technique. Il faut être sur tous les fronts. Ça m’épuisait. Le travail m’a donc aidé à mieux comprendre mon tempérament. Quand je vois la Marjo d’il y a quelques années, l’étudiante prête à faire des reportages de guerre, ça me fait bien rire. Je suis parfois en PLS devant des femmes qui ont vécu des violences conjugales. C’est utile d’être à l’écoute de soi, sans trop s’auto-centrer. Parfois, il ne faut pas hésiter à se mettre de côté pour laisser la place aux autres, tout en gérant les prises de parole. Que chaque femme de mes ateliers puisse s’approprier sa photo. De base, la photographe, c’est moi, mais les idées viennent d’elles.

Rajastan

Merci de livrer tant de pensées intimes. Maintenant, j’aimerais citer le journaliste Ryszard Kapuscinski. Il était connu pour ses travaux sur le monde oriental. Selon lui, pour effectuer un bon reportage, il faut être un homme bon. Lors de mes études de journalisme, les professeurs n’insistaient pas sur ce point. Préfères-tu garder tes distances ou montrer de l’empathie, pendant une situation tendue ?

Autant y aller à fond, hein (rire). Il y a de plus en plus d’histoires humaines derrière mes photos. Ça me booste énormément. Lors de mes voyages, je peux ressentir à la fois de l’excitation et de la peur. Au Kirghizistan, j’ai vécu une agression sexiste. J’étais assez sonnée parce que je n’avais pas une image négative de ce pays. J’étais sidérée quand j’avais failli me faire embrasser par un guide. Je ne bougeais plus. Je lui refusais son envie plusieurs fois. J’avais plein de photos de ce gars. Au début, le contact passait bien. Survient le problème du patriarcat. Vu que je lui souriais, il s’est cru tout permis. Il y a un problème de considération dans le monde entier. Nous ne sommes pas épargnées en Belgique. Le patriarcat a plein de formes différentes.
Ça m’a mis du temps de publier une photo de lui sur mon compte Instagram. Je voulais jouer la carte de l’honnêteté. Je voulais jouer sur le côté vendeur du réseau social. Il y a souvent un aspect vendeur qui se dégage des photos Insta. Cela me rappelle la signification de ‘Kalopsia’, une chanson de Queens of the Stone Age. Le groupe décrit le concept de voir les choses plus belles qu’elles ne le sont en réalité. Je trouve qu’on vit à fond là-dedans. Et avec la photographie, on peut très vite y basculer. Même si ce cas d’agression au Kirghizistan semble isolé, je voulais raconter mon histoire. Je souhaitais voir les réactions des gens. Autant être honnête et y aller à fond. Autant illustrer ses expériences. Tu peux laisser les spectateurs interpréter les messages de tes photos. C’est ce qui fait la beauté de l’art et qui participe à ses libertés. Pour mon cas, sans son contexte, il était impossible de deviner qu’à travers le portrait de mon guide, se cachait un potentiel violeur. Je ne désirais pas avoir peur de me livrer. C’est aussi ça que m’a apporté mon vécu de militante, le fait d’assumer que ma vie intime est politique. Je remarquais aussi que la photo sert aussi à croire les victimes.

Laissons libre cours à ton imagination. Durant le confinement, j’ai écrit ma première nouvelle. Le Dernier Cliché met en scène un photographe. Il excelle dans sa profession. Il arrête le temps pour photographier de magnifiques paysages. Si tu possédais ce pouvoir, quel endroit serait à immortaliser ?

Aaah, fameuse question. Il triche ton personnage. C’est un sacré tricheur (rire). Alors, si je pouvais arrêter le temps… je réfléchis… (silence)
Je ne choisirais pas cette option. A mon avis, je passerais à côté de plein de trucs. J’aurais peut-être la sensation de tricher. Il n’y aurait plus cette tension face aux personnes. La dimension humaine de la photo n’y serait plus. C’est un moment hyper fragile. En secondaire, j’avais déjà un coup de cœur sur les reportages. J’imaginais traverser la Turquie pour rencontrer des Peshmergas luttant pour les libertés kurdes. Ce type de voyage me fait toujours vibrer à mort. Si je pouvais fantasmer mon arrivée sur ces lieux, ce serait pour être dans le feu de l’action… mais le feu de l’action, c’est quoi ? Être dans la guerre ? Nous ne sommes ni des cowboys, ni des cowgirls. Si j’arrêtais le temps, je vivrais un problème d’intégrité. D’où l’idée de cette triche… est-ce qu’il va chez le psy ton personnage ?

Il devrait… mais c’est pour ça que je l’aime bien !

Allons en thérapie, c’est super ! (rire)
C’est terrible de rater le moment parfait pour capturer une photo. Mais ça fait partie du deal. C’est comme ça qu’on apprend de ses échecs. Avoir trop de maîtrises sur tout, c’est impossible. S’imaginer qu’il y a un bon moment pour une prise photo, c’est utopique. C’est à toi de te plier. Ce n’est pas à toi de décider. Je t’avoue cela, mais peut-être que dans deux heures, je changerais d’avis (rire). La sensation de triche serait trop présente en moi. Comme je suis une pro pour culpabiliser pour rien, c’est bon quoi. Non merci, pas de super pouvoir. (rire)

marjo two

Interview menée par brunoaleas – Photos ©Marjorie Goffart

Gros Cœur Interview

Ils ne passent pas inaperçus. Gros son, grosses touffes de cheveux, gros paris assumés tant musicaux qu’esthétiques, les Liégeois de Gros Cœur sont pourtant tout sauf grotesques ! Quittant le studio d’enregistrement pour un premier disque, ces savants fous mêlent studio et live dans leurs productions. Rencontre psychédélique et voyage surréaliste dans leur bromance improvisée à la belge.

Votre premier morceau, Java, est disponible sur toutes les plateformes sous la forme d’une version live, c’est assez peu commun !
Quelles places ont la pratique du jam et le live dans votre projet ?

Jimmy (guitare, percussions, chœurs) : Pour une petite remise dans le contexte, on a déposé notre candidature au concours « Du F dans le texte », et pour poser cette candidature, il fallait impérativement une chanson en français. C’était un peu une espèce de pression dans le temps, on a été au moins coûteux et au plus pratique, car nous avions à l’époque un super local qui nous permettait ce genre d’enregistrements. C’était un peu la seule possibilité dans l’immédiat.

Adrien (guitare, chant lead) : Ce n’était pas uniquement par dépit ! Faire une session live offrait des moyens faciles, mais aussi un avant-goût rapide aux gens, de ce qui se construisaient.

Jimmy : La place de la jam dans le groupe, c’est super central parce que simplement, ça a commencé comme ça. On ne se connaissait pas vraiment bien. On a fait une grosse jam et ça a cliqué à fond. On a décidé qu’on allait composer comme ça ! En pratique, Adri arrive avec des riffs, des bases de morceaux et on remanie tout complètement en live, ensemble. Et c’est ce qui est le plus représentatif de ce qu’on veut faire avec le groupe, c’est ce qui fonctionne le mieux, c’est le live.
On enregistre actuellement (
ndlr : septembre 2022) un album, et tout est enregistré de cette façon-là, sans clic, c’est tout organique. On a envie que ça sonne comme ça, que certains morceaux sonnent comme des jams et que la longueur soit variable, qu’on se regarde simplement quand on veut changer de partie. Les places du live et de la jam sont super centrales.

Adrien : J’arrive avec une idée de composer. Je n’ai pas envie d’imposer mes idées. Ce que j’aime avec le concept de jam, c’est que chacun peut trouver sa zone de création, même s’il y a un fil conducteur qui est apporté à la base. C’est ça qui fait que parfois musicalement, ça part un peu dans tous les sens, parce que justement, chacun apporte ses influences. Il faut sacrément être sûr de soi pour apporter une compo de A à Z et l’imposer à tes musiciens. Notre pari a pu être un peu risqué mais on s’est rendu compte très rapidement, dès la première répète, que c’était ça qui fonctionnait.

Quand on vous entend, on est face à un kaléidoscope, tant visuellement que musicalement. Pourtant, le projet est très cohérent, et on en vient à se demander comment personne n’avait pensé à un tel mélange très éclectique, mais très efficace.
De quoi est composé ce patchwork ?

Adrien : je voulais commencer à jouer avec un groupe de rock psyché. Mais je n’avais pas beaucoup de connaissance, car je venais d’un milieu plus électronique. Puis j’ai rencontré Jimmy, qui m’a fait découvrir plein de choses… ensuite, je me suis lancé à corps perdu dans un océan de psyché.

Julien (basse, claviers, chœurs) : Auparavant, on faisait tous déjà de la musique. Mais la chose qui m’a marquée au début de nos sessions d’impro, c’était cette volonté de ne pas se brider. C’était un peu un pari car on avait conscience du coté un peu patchwork de ce qu’on fait. Puis, assez rapidement, on s’est dit qu’on voulait aller dans une direction plutôt dansante, et sur scène, le coté rock marche bien aussi. On a fini par se dire qu’un mélange des deux marchait bien, en gardant toujours cette dimension organique, sans trop contrôler. Le projet est par ailleurs né pendant le confinement. Dès le début, on a voulu garder une dimension assez second degré dans ce contexte de pertes qu’on a tous traversé. On voulait que les gens puissent danser et on ne voulait pas se brider, ni sur la longueur, ni dans l’aspect rock ou plus dansant.
Niveau influences, on écoute vraiment beaucoup de choses.

Jimmy : Si on devait donner les noms des groupes ou artistes favoris des membres, ce serait très différent pour chacun.

Adrien : Jimmy adore le son clean, type Arctic Monkeys début 2006. C’était déjà à l’époque du rock dansant. Au moment où les Anglais l’amenaient vraiment, avec des Franz Ferdinand.

Jimmy : Au départ, je ne suis vraiment pas technicien. Je jouais de la guitare directement, sans aucune pédale. C’est Adrien qui m’a imposé ça (rires). Au départ je ne suis pas guitariste, donc je n’avais pas envie de bidouiller des effets.

Adrien : Je me dis souvent Pourquoi activer une pédale quand, tu peux en activer 5 ? J’aime bien surenchérir les effets, et avec Jimmy on se complète bien car il a un son plus sec, plutôt rock rythmique, alors que de mon côté, j’ajoute plutôt du psyché.

Jimmy et moi, on gravite à deux autour de la musique. Julien et Alex apportent toute l’assise, toute la puissance du projet.

Jimmy : On a la chance d’avoir un super batteur et un super bassiste, bassiste imposé et batteur confirmé ! J’ai vu deux bons batteurs dans ma vie, c’était Alex, et le batteur de Green Day (rires)

Alex : On nous a dit plusieurs fois que ça aurait pu se casser la gueule. On n’a jamais vraiment décidé de faire ce genre de musique. On l’a fait parce que ça s’est mis comme ça. Mais un jour, c’est tout à fait possible qu’on fasse un nouveau morceau et que les gens ne suivent pas…

Adrien : … que ce soit celui de trop (rires)

Alex : On a beaucoup profité de ce confinement, au départ c’était fort classique, du rock psyché en anglais avec un drum normal… On devait jouer avant, en juin 2020, puis le covid nous est tombé dessus et on a seulement pu faire notre premier concert en 2022. On a continué à répéter, à rajouter de nouvelles choses, des percussions, parce qu’on en a trouvé et que c’était drôle. Puis, on s’est dit que c’était quand même chiant l’anglais et qu’on allait passer au français. Toutes ces choses auraient pu être des idées de deuxième ou troisième album, si on n’avait pas eu cette opportunité.

Adrien : Et les liens se rapprochaient de plus en plus !

C’est vraiment ce qui se ressent sur scène ! Cet effet kaléidoscopique, mosaïque, on le retrouve également dans vos clips. D’où vient cette esthétique psychédélique et complètement excentrique, mais très assumée ?

Adrien : On voulait faire du fond vert parce qu’on n’avait pas de scénario écrit à la base, ça nous laissait beaucoup de possibilités. Alex et Julien sont intervenus dans la création, car Alex est cinéaste et Julien est vidéaste. Ils se sont alliés pour construire ce clip. On a tout fait sans moyens, à part le drap vert et les expérimentations fumigènes et fluides… 

Julien : De nouveau, c’est comme pour la musique, c’est beaucoup d’expérimentations. On voulait une dimension improvisée et pas trop sérieuse. La chanson parle de café, et c’est à peu près la seule chose abordée. On filme beaucoup de conneries ! On a pris deux jours pour le faire en entier.

Adrien : Le petit personnage, c’est Jimmy, et il représente la caféine. Au début, on voit le groupe, les tasses. A la fin, ce petit personnage tout excité danse, bouge…

Jimmy : En fait, on met surtout du sens après coup (rires)

Adrien : S’il y a une phase à propos d’un morceau, on peut vraiment en discuter. On s’écoute et on avance. On fonctionne vraiment comme lorsqu’on joue. On enlève un passage, on en rallonge un autre… c’est un peu aussi comme ça pour le clip.

Jimmy : On est tout de suite devenu de très bons amis. C’est un peu aussi pour ça qu’on a appelé le projet Gros Cœur, pour cette histoire de coup de foudre amical. Ça nous permet de faire beaucoup de conneries et d’en discuter ensemble.

Adrien : On réfléchit aussi beaucoup en amont pour l’aspect visuel sur le fait que nos morceaux sont très longs… Ce n’est pas évident du tout de clipper un morceau qui est très long. On va alors chercher des parades ou des tricks. On se repose plus sur l’association d’idées, sur le principe du cadavre exquis que sur le story telling très long. On en revient à la première question sur notre premier morceau. Un morceau de 10 minutes à clipper, c’est vraiment un défi. C’est un peu un casse-tête aussi niveau visuel. On réfléchit aussi à nos sessions live pour trouver les manières de les rendre originales.

Jimmy : Je tiens à faire un jour un clip chorégraphié car j’aime beaucoup la danse contemporaine, et c’est ma seule demande (rires). On danserait tous. Mais encore une fois, il y aurait une grande place pour l’impro. Je trouve que Gros Cœur a ce truc très corporel qui s’y prêterait bien.

Chanter en français pour ce genre de musique, c’est un petit peu briser les traditions. Quand il y a du français dans la musique, c’est souvent l’instrumental au service des paroles. Pourquoi ce choix de chanter en français ?

Adrien : Ce n’était pas vraiment dans l’idée de casser les règles, mais simplement je ne savais pas choisir entre le français en l’anglais, donc j’ai essayé les deux. Sauf que pour la seconde langue, je me suis retrouvé sur Google Traduction à essayer de traduire et ça n’allait pas du tout (rires)

Jimmy : En plus, on avait l’habitude avec Adrien d’écrire en français, car on avait fondé un projet où on écrivait à deux en français (ndlr : Johnny & Charly Ciccio).

Adrien : Le français, ça ne nous mettait aucune barrière. Vu qu’on voulait travailler avec beaucoup d’effets sur les voix, que ce soit de l’anglais ou du français, c’est relativement masqué, même si on arrive parfois à distinguer quelques mots.

Jimmy : Nous ne sommes pas anglophones. On ne parle pas à des anglophones de pure souche. On a aussi découvert la scène québécoise, et là-bas, il se servent du français comme d’un instrument mélodique, qui est sous-mixé (ndlr : à moindre volume qu’habituellement) par rapport à ce qu’on entend d’habitude en français.

Julien : C’est vraiment une différence culturelle. On a l’habitude, en France et en Belgique francophone, que le français soit du texte. Au Québec, il n’y a pas cette différence par rapport à l’anglais.

Vous venez de terminer d’enregistrer un nouveau « disque » chez Laurent Eyen, connu pour avoir travaillé avec It It Anita, Phoenician Drive, Naked Passion. Est-il dans la continuité de vos morceaux actuels ? Quelle en est la ligne directrice ?

Alex : On n’est pas le groupe le plus rapide de la terre. On aimerait rattraper le retard qu’on a pris (rires). Ces morceaux, c’est notre set live actuel en fait, couchés sur un disque. On réfléchir maintenant sur la manière de produire ça comme un disque, et pas que ce soit simplement une photographie du live. On souhaite que ce soit représentatif du live. Chez Roo (ndlr : Laurent Eyen), ça s’y perte très bien. On peut enregistrer tous ensemble. Tous les instruments repassent dans les micros de tout le monde. C’est ça qu’on recherche aussi.

Adrien : On a enregistré le disque en juin et on a pris un mois et demi pour le mixer. On termine actuellement le mixage. Demain, c’est notre dernière journée, et on aurait comme objectif de le sortir au printemps 2023.
On en parle comme d’un disque car on les choix s’offrant à nous se situe entre album et EP. Pour sortit notre premier album, on aurait envie de se trouver un label. Donc on n’a pas vraiment l’impression de sortir un premier album, même si le minutage correspond plutôt à un album. On mettra 5 ou 6 morceaux, c’est un peu comme un EP, sauf que les morceaux durent environ 10 minutes. On est donc plus sur une idée d’EP, mais qui fait la longueur d’un album, donc on l’a appelé
Disque.

Vous respectez une vraie cohérence, dans l’idée de ne pas faire de compromis.

Adrien : Le tout c’est de ne rien prendre mal, musicalement parlant. On ne s’attaque jamais. Il y a toujours quelque chose de constructif qui est présent tout le temps : en répète, sur notre visuel mais aussi en studio. C’est peut-être notre force, et en tout cas ça fonctionne très bien… On fonctionne au ressenti, à part peut-être pour les mixages car il y a ce côté figé dans le temps. Il faut qu’on soit bien tous d’accord, mais en ce qui concerne la musique et ce qu’on joue en live, on se laisse un peu aller. On ne se fait pas des debriefs de dingues. On avance chacun à notre rythme. Je pense qu’on ne s’est jamais mis des bâtons dans les roues.

Jimmy : On essaie de ne pas figer les choses trop vite car on est encore un jeune projet. On a encore pas mal de choses à sortir. On rigolait avec l’idée d’appeler ce disque Gros Disque. On ne sait pas si ça restera, mais ça permet encore une fois de ne pas devoir trancher entre EP, LP, surtout avec les plateformes, le rapport au shuffle, l’écoute d’albums en intégrité par les médias… on trouve ça très bien.

Adrien : Je pense qu’on va l’appeler Gros Disque (rires)

Interview menée par Elena Lacroix

Thoineau Palis Interview

Le chanteur de TH da Freak a plusieurs casquettes. Thoineau Palis rassemble la crème de la crème du rock français. Notre musicien aux cheveux bleus est à la tête de Flippin’ Freaks, un label situé à Bordeaux. Il s’exprime sur sa seconde famille, son nouvel album et surtout, sur l’aspect fédérateur de la musique.

2022-09-05-2-032

Une question se pose sur la légitimité des labels. Les artistes savent fonctionner tout seul dorénavant, sans l’aide des médias ou autres managers. Daft Punk l’a très bien prouvé, avant sa séparation. Le duo était aux commandes de ses campagnes promotionnelles.
Aujourd’hui, à quoi bon s’inscrire dans un label ?

J’ai toujours vu les labels comme des familles d’artistes. Une fois inscrit dans une écurie, tu découvres peu à peu les artistes qui y gravitent. D’expérience personnelle, lorsque j’ai rejoint Howlin Banana, j’ai pu faire de très belles rencontres lors de leurs soirées. Par exemple, on se serrait les coudes, en se faisant de nouveaux potes. On s’aidait pour trouver des dates de concerts. S’inscrire dans un label, c’est important pour trouver sa place sur la scène. C’est aussi une manière de découvrir le monde musical.

Gérer Flippin’ Freaks t’a rendu meilleur. 

Sortir les disques des petits groupes est gratifiant. Parfois, ils n’ont pas forcément de gros public qui les suit. Ils ne savent pas comment s’y prendre pour les attirer. Ou alors, ils sont très jeunes et ont vécu peu d’expérience. Arriver au bon endroit, au bon moment, et pouvoir les aider à créer une promo efficace engendre deux situations : inviter d’autres artistes dans ton monde et motiver les plus jeunes à travailler à fond sur leurs activités.

C’est quoi la recette pour durer ?

Ca aide de se la jouer -collectif-. Ce n’est jamais une bonne idée de s’isoler dans un label, sans soutien moral. Vu qu’on est plusieurs à être des amis de longue date, s’il y a un de nous qui veut abandonner, les autres l’encourageront à continuer. Flippin’ Freaks, ça dure car on est nombreux et passionnés.

Parlons du nouvel album nommé Coyote.
Tes chansons semblent se tourner vers une ambiance mystique. Il n’y a qu’à voir les images poisseuses et enfantines des deux premiers clips. 

T’as visé juste. Le nom de l’album s’inspire de la mythologie des Amérindiens. Le coyote est aussi considéré comme leur -trickster-. Tout comme le renard en France, ou le Dieu Loki dans les croyances nordiques. Il équivaut au personnage rusé. Le coyote des Amérindiens a apporté le feu, la connaissance et la folie aux Hommes. L’album évoque ces éléments. Je voulais retranscrire cette ambiance propre aux contes mythologiques, via des images, des clips et jusqu’à la pochette. Elle s’inscrit dans ce délire.
Je me suis inspiré des paroles des morceaux. Les thèmes illustraient le feu intérieur qui brûle en chacun de nous. Puis, j’ai fais le lien avec la légende du coyote. A la base, l’album devait s’appeler
Burn. J’ai opté pour un nom plus mystérieux, plus lointain. Que chacun puisse s’imaginer ce qu’il veut, à travers cette image.

Vivons-nous dans une société qui a réellement besoin qu’on lui lise plus de contes ?

Nan. Je pense qu’on est dans une société où il faut se dire ses quatre vérités, crûment. Il y a trop de sujets qu’on évite. Je fais références aux générations nées avant nous. Elles ferment les yeux sur un tas de problématiques. En ce moment, il faut mettre le doigt dessus et en parler. Mais ça ne veut pas signifier que la musique doit nous empêcher de rêver. La musique n’a pas nécessairement besoin d’être politisée ou de transmettre un message moralisateur.

Je me demande toujours si on a affaire à l’album le plus sage du groupe.

Je ne sais pas. C’est à toi de décider (rire). Oui, il y a des morceaux assez calmes. Mais parfois, l’accalmie peut être provocatrice. Si un artiste réalise du gros garage punk durant toute sa carrière, et qu’à un instant il joue du folk, je trouverais ça violent comme concept.
A toi de juger si
Coyote est sage ou pas.

Interview menée par Drama Photos ©Pierre Martial

The Psychotic Monks Interview

Il y a énormément de façons de danser. Il y a énormément de façons de vivre et de ressentir la puissance aux multiples facettes du déferlement d’émotions d’un concert de Psychotic Monks. Au Micro Festival de Liège, le groupe parisien s’expose, viscères au dehors. Il partage cette intimité avec un public transcendé, prêt à recevoir encore davantage. Il est bien vite comblé, bien vite submergé. A un rock qui met des claques, les Moines ajoutent, explorent, et nous suivons, tous parcourus de cette énergie, des virages intenses entre larmes d’euphorie et rires frénétiques. La transe s’installe. Chacun dansant à sa manière, tous au même rythme.
Rencontre désarçonnante avec des personnes cohérentes, pas uniquement dans l’apparence, et inspirantes pour l’artiste, pour l’individu, pour l’âme.

tpm triptique

Vos concerts sont des cérémonies où règnent la bienveillance et le respect. En ne vous étant pas encore imprégné de l’ambiance du Micro Festival, à quoi ressemblerait un festival dans lequel vous auriez envie de transmettre votre musique ? Livrez-nous votre première impression du festival.

Paul (basse, chant, claviers, trompette) : Nous avons déjà retrouvé pas mal d’amis et de groupes qu’on connaissait, tout était toujours bienveillant. Les groupes qu’on connaissait, qu’on a croisés, nous ont dit que tout s’était super bien passé. C’est le genre d’ambiance qu’on aime bien retrouver. Souvent, quand on vient en Belgique, ça se passe bien. Les endroits dans lesquels on a des difficultés, c’est dans des grandes capitales, comme à Paris, le soir, quand il y a beaucoup d’alcool. Mais ici, je pense que tout va bien se passer.

En live, vous communiquez une énergie fougueuse qui fait partie intégrante de l’esthétique de votre projet. Comment considérez-vous la place du live dans votre projet ?

Clément (batterie, chant) : Il y a eu longtemps l’idée de s’oublier un peu là dedans, d’y aller à fond. Ca évolue avec le temps. Au début, le but était de rechercher une grosse transe. Nous avons chacun notre définition du concert, mais petit à petit, ça se transforme en une recherche d’être connecté le plus possible avec le public pour ma part, et de toujours garder cette dimension introspective pour que lorsqu’on sort du concert, on soit complètement soulagés. C’est dans tous les cas très liés à la musique. C’est super important. Quand on sort sans avoir ressenti ce truc (prononcé avec insistance), on est un peu frustrés.

Comment savez-vous que vous l’avez justement ressenti, que vous étiez en transe ?

Tous ensemble : On n’est pas tous d’accord !

C’est justement très intéressant. Chacun, vous avez votre définition de cet état.

Clément : C’est très inégal. Certains soirs, on sera deux sur quatre à avoir trouvé ça génial, et les deux autres auront trouvé ça plus compliqué. Ca dépend des places sur scène, du son, … Ce qui me plaît le plus, c’est quand je déconnecte. C’est ce moment quand je sors de scène, et je ne sais plus où je suis, que je ne sais pas trop ce qui s’est passé, mais que je sais que ça m’a fait du bien.

Martin (guitare, chant) : A titre personnel, c’est un vrai exutoire. Ca me fait énormément de bien. Il faut aussi trouver l’équilibre entre le fait de jouer pour nous, mais aussi le fait d’avoir des gens qui sont là, et d’essayer de trouver la connexion avec ces gens. Si on est trop renfermés sur nous-mêmes, ça se sent et la connexion peut ne pas avoir lieu. Par le passé, on a pu dégager des trucs parfois un peu trop intenses, parfois faire peur aux gens ou sembler trop fermés. Ce sont des choses qu’on essaye de débloquer, également par la musique qu’on fait, pour aller chercher d’autres émotions. C’est un équilibre sur le fil, qu’on essaie de chercher.

Paul : Sur le discours, on se rejoint beaucoup tous les quatre. C’est sur les sensations que nous partons sur des choses différentes. Parfois c’est difficile de se capter à 100% car pendant un concert nous ressentons parfois les choses différemment. On a parfois l’impression que l’un est dans tel ou tel état et c’est en sortant du concert qu’on se rend compte que c’était plus difficile pour lui, sans qu’on l’ait perçu ainsi. Nous discutons aussi beaucoup d’art thérapie et de ce genre de notions, et une partie de nos concerts est aussi un terrain d’exploration pour ça. Ca évoque en tout cas des choses différentes pour chacun d’entre nous, et c’est un endroit de liberté qui est en plus communicatif avec le public, une énergie fougueuse à la limite entre le contrôlé et le non contrôlé. On discute beaucoup des limites qu’on doit se mettre ou non, pour être à l’aise et dans le respect de cet équilibre.

Arthur (guitare, chant) : Je rejoins beaucoup ce qui a été dit. A titre personnel, je ne me sens en général pas très bien dans la société dans laquelle on évolue. La scène et cet univers musical me permettent de me sentir bien, de créer, pendant un moment éphémère, un espace où je peux me sentir plus libre et où je peux extérioriser des choses qui ont du mal à sortir en dehors de cet espace. Parfois ça se passe, parfois pas. Si ça ne se passe pas, ce n’est pas grave. C’est aussi l’intérêt du spectacle vivant, que le lendemain, ça pourrait être différent.

Martin : Comment on sait ? Pour ma part, ça arrive souvent qu’en sortant de scène, je me rappelle que le concert se soit passé, d’avoir ressenti des choses, sans justement trop savoir… Le retour du public est alors très intéressant pour voir si cette connexion est bien passée. Ca transforme complètement la perception qu’on peut avoir eue de la soirée et du concert. S’il y a un moment où les gens ont senti qu’il se passait quelque chose (qu’ils n’ont pas compris, rires), alors ça change tout. Mais en général, quand ça se passe mal, on s’en rend compte tout de suite, les gens s’en vont (rires).

Tant dans vos concerts que dans votre manière de répondre aux questions, tout le monde semble sur le même pied d’égalité. En live par exemple, les rôles de chacun sont définis mais en même temps fluides. Les places sur scène ou le chant varient.
Retrouvez-vous cette versatilité dans le travail de composition ?

Clément : Une des bases du groupe a été justement de ne pas avoir de leader, de se partager le chant au maximum, de tout faire pour que tout le monde s’y retrouve et qu’on puisse partager un maximum. Pour la composition, on passe beaucoup par la méthode jam. C’est beaucoup de discussions, de relevés, et en live, on passe par les quatre personnes. A partir de nos quatre personnages, on amène différentes idées. On sort de cette représentation du chanteur lead du groupe de rock.

Paul : Le terme de fluidité que tu as employé résonne beaucoup. Ce n’est pas une vraie égalité totale au sens strict, plutôt une fluidité dans le sens d’essayer de briser les structures hiérarchiques et les frontières. C’est ça qui nous intéresse musicalement, socialement, psychologiquement. C’est un terme bien utilisé.

Martin : L’idée est de créer un espace où on se sent tous les quatre libres le plus possible. Libres de mettre ce qu’on veut dans le groupe. Donc, c’est assez mouvant. À certains moments, certains d’entre nous portent davantage sur certains aspects, mais ça finit par s’équilibrer à chaque fois. On se retrouve toujours autour de la musique. Il n’y a donc pas qu’un seul compositeur et la façon dont on crée la musique s’est transformée comme ça : on ne part de rien, on se met à quatre dans un studio de répète et on jam ensemble.

Paul : La seule chose que j’aurais à ajouter, c’est que la démocratie, c’est de la merde (rires). Au départ, on se revendiquait groupe démocratique… Tu as employé le mot fluide, je m’y suis reconnu. Quand on est quatre et que la majorité souhaite faire telle chose, la démocratie voudrait que cette majorité l’emporte. Comment fait-on alors pour être le plus horizontal possible, sachant qu’on est des personnes différentes avec des caractères différents ? Alors on s’équilibre. Mais certains ont tendance à prendre davantage le lead sur telle ou telle chose. Notre force, c’est cette différence. C’est toujours un travail en cours de rechercher cet équilibre. En tout cas sur scène, ça fait plaisir car récemment, on ressent que chacun a sa place qui ne déborde pas sur celle des autres. C’est encourageant d’entendre ça (que cette fluidité des rôles se ressent).

Vous défendez des valeurs de localité, de circuit court, que ce soit sur vos réseaux sociaux et également de par les endroits dans lesquels vous préférez jouer.
Vous avez notamment travaillé avec Clara Marguerat pour vos photos de groupe. Est-ce important pour vous de mettre en valeur la proximité ?

Clément : Tant dans les gens avec qui on travaille que dans les dates de concert, on privilégie les dates associatives. Lorsque des amis à nous font de la photo, on essaie de commencer quelque chose, de regarder si ça marche… C’est aussi se laisser le droit à l’erreur. On a toujours essayé de bosser avec les gens autour de nous. Mais on n’a pas toujours été super bien organisés, parce que le groupe nous prenait beaucoup de temps et ça nous a demandé de remettre pas mal de choses en place. Pour le prochain disque, on vient de s’ouvrir à des gens qu’on ne connait pas du tout. Le circuit court, c’est important. J’apprécie cette démarche. Elle influence les choix de nos dates. Les dates associatives nous ont énormément aidées. Les associations qui sont montées sont vraiment super.

73470556_2026846967418984_6909796568535600415_n

Ce soir, vous allez jouer de nouveaux morceaux. Par rapport à votre dernier album, assez narratif, divisé en chapitres, très sombre et introspectif, comment vous orientez-vous pour ces nouveautés ?

Paul : On va faire un tour pour ça ! Pour ma part, ce qui me vient, c’est envie d’être plus invitant à danser d’une manière ou d’une autre, quelle que soit l’esthétique. Une danse qui serait le plus possible dans l’inclusivité. Évidemment, il y a plein de manières de danser, mais dans ces nouveaux morceaux, il y l’idée de ce lâcher prise, d’être à la fois très introspectif mais aussi de partager avec la personne qui est à coté de soi, en bougeant au même rythme et en dansant ensemble. On se rapproche aussi de certains codes de musique électronique…. On en a beaucoup discuté entre nous, on était sûrs de ne jamais faire ça (rires). C’est toujours comme ça, il y des choses qu’on pensait ne jamais faire. Puis, on en vient à se demande comment on en est arrivé là. Du moment qu’on est tous les quatre alignés sur ce qu’on a envie de faire au moment où on monte sur scène, je pense qu’on essaie le plus possible de se laisser libre de ce qu’on peut faire.

Arthur : Nous, on a envie de faire de la pop, et c’est vraiment ce qu’on essaie de faire. C’est juste qu’on n’y arrive pas vraiment (rires). C’est ce vers quoi, en tout cas, on essaie de tendre. La pop vers laquelle on essaie de se diriger, c’est quelque chose qui aurait une forme d’accessibilité. Un style qui permettrait aux personnes qui nous écoutent d’êtres invitées dans des endroits où ils n’iraient pas forcément. Il y a toujours cette notion, ce fantasme de permettre aux personnes de pouvoir découvrir des choses, des émotions en elles. Faire en sorte que sans ces portes-là, ces gens n’auraient pas eu forcément accès. Ce vers quoi on se dirige. On se dit que c’est de la pop, mais on est les seuls à le penser (rires).

Martin : Nous avons traversé une période avec l’album précédent, quelque chose d’un petit peu dur, de très sombre, qui allait chercher ce genre d’émotions. Je pense qu’on a eu vraiment besoin de s’en détacher. Peut-être que ouvert est le bon terme. Je dirais que je recherche la sensation dans le corps, sur le moment. Je rejoins Paul sur le fait de faire lancer les gens, même si c’est à notre manière, d’aller chercher davantage dans ces codes-là, même dans la manière dont on s’exprime sur scène, d’être plus lumineux. En tout cas c’est comme ça que je l’imagine. Plus de sourires aussi. La question est aussi un peu difficile car c‘est une éternelle recherche. Pour compléter, ce qui me plaît, c’est de me surprendre des directions qu’on finit par prendre et d’à quel point il ne faut jamais dire jamais. S’il y a quatre ans, on m’avait dit qu’on explorerait certaines esthétiques qu’on explore actuellement, je n’y aurais pas cru, alors que finalement on s’y plaît beaucoup.

Clément : On avait tendance à un peu romaniser la musique, à faire des références à des films, faire des chapitres. Maintenant, au lieu d’être dans l’introspection, on se tourne un peu plus dans une sorte de partage d’intimité. On désire apprendre des autres, libérer une parole. Je le vois comme essayer d’arriver à une sorte de simplicité, pour que le contact se fasse plus directement avec les gens, même si on a toujours un travail de personnage sur scène car on y est tous différents. On aimerait essayer d’arriver à la simplicité la plus pure. D’être juste là. D’être avec les gens.

Martin : Quand on a commencé à faire des concerts, ça a été une période de vie où je découvrais beaucoup sur mon environnement et sur moi-même. La musique et les concerts ont vraiment été un endroit où j’exprimais beaucoup de colère ressentie au quotidien, autour de moi. L’illustration de plusieurs incompréhensions. Je trouvais ça apaisant, car je ne ressentais plus de colère ailleurs. Je la déplaçais uniquement dans la musique et les concerts. Je pouvais m’assurer que ça ne jaillissait pas ailleurs, sur les autres ou sur moi. Durant la période covid, les concerts étaient annulés. Comment faire quand on est habitué, pendant un an et demi, à mettre toutes ses émotions quelque part ? Devais-je les mettre ailleurs ? On a continué à se voir, à faire de la musique, et certaines choses ont changé aussi. C’est parfois fort légitime d’être en colère. J’aimerais pouvoir exprimer d’autres émotions sur scène maintenant. En écoutant d’autres artistes, je me suis rendu compte qu’il y avait de la place pour tout ce qu’on peut ressentir. Ce qui est compliqué aussi, c’est que quand certaines personnes apprécient ce qu’on fait, le changement peut faire peur. Mais autour de nous, nous sommes toujours inspirés par des gens qui prennent le risque d’évoluer, car il y a toujours cette possibilité de déplaire. A notre échelle, ça va. C’est difficile pour quelqu’un d’être toujours identifié à faire quelque chose de particulier, puis de proposer quelque chose de nouveau. Au niveau identitaire, ça peut être un peu bizarre. On essaie de demeurer libres d’évoluer.

Paul : Il y a toute une imagerie autour de la musique qu’on a pu faire et qu’on fait, on a même voulu en faire partie. Désormais, on essaie un peu de le déconstruire. Ca peut être un but en soi, si à la fin d’un concert, on peut arrêter de nous dire : ça fait du bien de voir du gros rock qui met des claques. Je n’ai personnellement plus trop envie d’entendre ça. Mais chacun y voit évidemment ce qu’il veut. On a encore des phases, qui parfois, font référence à ces codes-là. On essaye de s’en éloigner et de chercher d’autres sonorités.

1 (bannière)

Interview menée par Elena Lacroix  Photos ©Quentin Perot & ©Clara Marguerat

Good Morning TV Interview

L’insomnie est souvent source d’inspiration artistique. Suite à un EP éponyme, Good Morning TV sort un premier album dont le travail provient de joies nocturnes. Ces Français, généreux en termes d’effets instrumentaux, apportent quelques visions précises de ce qu’est leur musique, et dévoilent leur fonctionnement de purs mélomanes.

Y a-t-il une personne insomniaque dans la bande ? Si c’est le cas, cela doit sûrement nourrir votre créativité.

Barth : Je le suis et effectivement. C’est inspirant. J’ai passé des années à faire de la musique, toutes les nuits, chez moi comme un gros geek. D’ailleurs, j’ai réalisé mes meilleures productions par manque de sommeil !

Thibault : Durant les heures nocturnes, c’est le temps où t’as rien à faire et donc, ça inspire pas mal nos créations. Les heures creuses t’amènent à de l’introspection.

Bérénice : J’ai écris le morceau « Insomniac ». En dehors de l’insomnie, la chanson relate de toutes les questions qu’on se pose quand on n’arrive pas à dormir. Ce sont les prises de tête qui n’aident jamais à t’apaiser ou à dormir correctement.

Les miroirs de votre clip « Insomniac » semblent illustrer une part du problème.

Thibault : On essaye toujours de réfléchir selon un principe. Le but est de trouver un principe qui se décline. Le miroir nous paraissait cool pour dupliquer le point de vue. On obtient une variété de plans et une richesse visuelle. C’est aussi une manière de créer de la désorientation dans la musique. On part d’une structure simple pour après te perdre dans des mélodies plus foisonnantes. C’est un peu ce qu’on voulait reproduire à l’image avec les miroirs.

Bérénice : On désirait jouer sur la perte de repères. Tu ne sais jamais ce qui est la vraie image.

C’est ce que ressent Barth.

Barth : J’ai passé des heures et des heures à transformer plusieurs morceaux. Comme si j’étais hors du temps. Je n’ai pas l’impression de perdre du temps ou d’avoir une limite. Ca m’a toujours poussé à tester des trucs.

Fais-tu partie de ces gens qui souhaitent des journées de 28 heures ?

Barth : Ouais, à fond ouais.

Parlons d’un autre titre. « Storm Rider » est mon morceau préféré.
Symbolise-t-il le plus la couleur sonore du groupe ? C’est-à-dire, l’apport de transitions douces et féroces ou même d’un solo de guitare dissonant.

Bérénice : Ce morceau du premier EP n’est pas vraiment l’emblème du groupe. On ne travaillait pas encore à 4. Au début, c’était juste Barth et moi. Je ne pense pas que ce soit le meilleur récapitulatif de ce qu’on aime faire ensemble.

Thibault : Il y a quand même des éléments dans ce morceau qui ont été développés par le groupe. Ca colle un peu à nos morceaux fleuves, aux ruptures harmoniques. On a approfondi sur l’album ce qu’on pouvait déjà écouter sur notre EP.

Barth : En tout cas, ta remarque est très juste. Lorsque j’ai écouté pour le première fois les morceaux de Bérénice conçus dans sa chambre, j’ai tout de suite accroché aux transitions sonores. Par la suite, c’est vraiment un truc que j’ai essayé de pousser à fond sur l’EP.

Durant votre live à Les Capsules, j’ai noté que vous utilisez de nombreux effets sonores, notamment sur les instruments à corde.
Comment trouver le juste équilibre sans que ce soit trop brouillon ?

Barth : On ne se pose pas la question (rire).

Thibault : C’est une question de balance. Chaque partie nécessite des textures différentes pour obtenir un morceau contrasté. On tente d’apporter divers timbres d’instrument. On aime écouter une diversité de sons intéressants à l’oreille. Le plus important avec les effets, c’est de servir la mélodie. Il ne faut pas que ce soit des artifices.

Et aujourd’hui, après ce live et malgré les temps troubles, qu’est-ce qui vous motive à faire de la musique ?

Barth : Je pense qu’on a la musique dans le sang. On continuera à jouer quel que soit le contexte. Je parle pour mon compte mais je suis convaincu que tout le monde suit cette philosophie dans le groupe. C’est plus qu’une passion à nos yeux.
La musique, c’est notre vie et on en fera toujours.

Interview menée par Drama – Photos ©Antoine Magnien

Grandma’s Ashes Interview

En France, le stoner féminin est fièrement porté par Grandma’s Ashes ! Au nom jouant d’emblée avec l’humour absurde, le trio partage un univers décomplexé. Comprenons « Daddy Issues » et découvrons la définition d’un morceau efficace.

Nous vivons une période historique totalement inédite. Sortir un opus en 2021 doit être exceptionnel.

Eva : C’est particulier parce qu’on jouait cet EP depuis 2 ans, en live. Notre public connaissait déjà les chansons. Là, c’est littéralement un accomplissement de les partager via un mini-album. Bien sûr, on est frustrée de ne pas avoir pu tourner par après. Mais la sortie de l’EP amène à une plus grosse focalisation sur un vrai album. On vit plutôt bien sa sortie.

Edith : On est assez étonnée pour ce qui est de la réception du disque. On pensait faire un flop total mais les retours étaient plutôt agréables à digérer. C’était une très belle surprise.

Vos méthodes de distribution sont-elles de la vieille école ?

Edith : On réfléchit beaucoup sur la manière de construire une identité, une fois sur les réseaux. Puis, on a eu des demandes pour nos supports physiques, ce qui permet de garder un contact avec le public. Il y a un regain d’intérêt pour le vinyle. Il reste pertinent à réaliser pour un groupe. Alors que tout ce qui est CD et cassettes sont mis de côté.

Odezenne a une relation assez particulière avec ses fans. La bande s’adresse par e-mails à sa communauté. Vous effectuez les mêmes démarches ?

Eva : A la base, on avait l’habitude de communiquer à nos concerts (rire). Là, c’est bien plus compliqué. On est active sur les réseaux. Sur ces plateformes, des questions découlent de la part du public. On vise à répondre à chacune d’entre elle. Nous nous y impliquons vachement lorsqu’on nous interroge quant à l’avenir du groupe.

Myriam : On personnalise nos messages. On aime envoyer des cartes, de les signer, de partager de vieilles setlists ou de livrer des dessins. Ces actes deviennent uniques.

Vous percevez l’univers musical différemment depuis la sortie de The Fates.

Myriam : Oui. Je me concentrais beaucoup sur le live et sur le fait de composer et d’écrire uniquement pour notre jeu en concert. Je voulais voir comment le public pouvait réagir face à mon travail. A savoir, quel morceau faire durer plus longtemps, quel autre pour lancer les pogos. Depuis qu’on s’attaque à l’album, on bosse sur des musiques appréciables en dehors des live.

Eva : On réfléchit beaucoup plus sur des compositions brutes. On n’a pas à se prendre la tête sur ce qui doit être impérativement efficace sur scène.

Quelle est la meilleure leçon à tirer de votre premier projet ?

Edith : Adopter de meilleures organisations. (rire) On a collaboré avec pas mal de personnes extérieures à notre trio. C’est déstabilisant. Au niveau de la communication, on prévoit de mieux s’exprimer sur nos projets.

Myriam : Au départ, nos méthodes de travail étaient bien plus punk. En studio, on a enregistré tout en 3 jours, sans rien éditer derrière. On se demandait quand tout allait s’enchaîner. Ensuite, on a réalisé qu’on devait avoir affaire à un label et à des distributeurs.

Lors de votre interview au Sensation Rock, vous caractérisez « Daddy Issues » comme un morceau efficace. Comment définir ‘un morceau efficace’ ?

Eva : Un morceau efficace est celui dont la mélodie est chantée inconsciemment dans la douche, après 2 ou 3 écoutes.

Myriam : L’efficacité s’illustre via une mélodie qui reste en tête, mêlée à une énergie qui entraîne tout le monde.

Edith : Ca équivaut aussi à la sensation ressentie après avoir reçu une claque. A chaque fois qu’on joue « Daddy Issues », j’ai l’impression qu’on réussit à plier notre spectacle avec brutalité. Le morceau n’a pas demandé beaucoup de prises en studio, juste beaucoup d’énergie.

Les paroles et le clip de cette chanson me laissent imaginer une Terre vierge de tout, ne subissant pas l’arrivée de l’humanité prête à polluer et détruire.
Voulez-vous traduire l’absurdité de la vie grâce à vos textes ?

Eva : L’esthétique même du groupe est de dépeindre des situations problématiques avec humour. On aborde les injustices, la mort, le fatalisme, les absurdités de la vie. On se fixe ces thèmes comme buts à nos textes. On ne met pas du tout à l’écart l’introspection. « Daddy Issues » parle de la séparation de mes parents advenue lors de mon enfance. Ces termes signifient ‘un traumatisme psychologique’. Il se développe par exemple chez une femme qui se méfie des hommes. Pourtant, ces mots sont parfois insultants pour une femme qui a vécu un trauma à la con par le passé. C’est banaliser un événement de la vie trop facilement.

Myriam : Nos sujets se rapportent aux difficultés à tisser des liens durables entre les personnes. On chante les contrariétés et contraintes qui ne devraient pas avoir lieu dans une relation humaine.

Aujourd’hui, il serait difficile de savourer des sketchs ressemblant à ceux des Monty Python, ou bien à ceux des Inconnus. La censure et la bien-pensance sont deux obstacles artistiques à ne pas ignorer. Est-il plus facile de s’exprimer en musique ? 

Eva : Les Inconnus ont un humour beaucoup plus potache que le nôtre. Par contre, on se rapproche bien plus de l’absurdité anglaise des Monty Python. C’est plus fin, plus bête. On est loin de la grandiloquence française qui se veut dénonciatrice de quelque chose.

Myriam : On ne se concentre pas forcément sur la dénonciation.

Edith : Il n’y a pas vraiment de quoi se taper des barres en lisant nos textes. Je préfère endosser un rôle nihiliste. Les personnages que l’on présente sont en pleine crise existentielle. Il y a comme une idée de déconnexion.

Et si vous aviez un message à passer aux artistes français, quels seraient vos mots ?

Eva : De s’accrocher. De ne surtout pas baisser les bras. De continuer à défendre son art et sa culture. C’est très important. Une société sans art est une société mourante. Elle ne vaudrait plus le coup de se battre pour ses causes. Même si c’est difficile de garder sa veine artistique ou d’avoir confiance en son art, continuons à réaliser nos rêves.

Interview menée par Drama – Photo ©Yann Morrisson

Zoo Baby Interview

Zoo Baby signe un disque où le désamour tient une place centrale. Le Chicoutimien décortique bel et bien ce thème via ses titres dansants. Profitons-en pour le questionner sur la conception de son opus bercé dans l’intimité et baigné dans un groove omniprésent !

N’en as-tu pas marre qu’on te compare à Julian Casablancas ?

Franchement, c’est flatteur. Que ce soit avec The Strokes ou au sein d’autres projets, Julian Casablancas a une vision précise de la musique. Quand j’ai commencé à jouer du punk, c’est un peu la comparaison que je souhaitais avoir. Mais au Québec, on compare surtout les groupes locaux entre eux. Cette comparaison très flatteuse vient de l’Europe. Il n’y a rien d’insultant. Puis, ouais, elle ne me dérange pas encore.

Plus sérieusement, je me questionne beaucoup sur le fond de ton album. Il transmet des images érotiques. Je songe alors à un amour aussi addictif et néfaste qu’une drogue.
Faut-il y voir des descriptions de couples du XXIsiècle ? Ou est-ce encore plus universel ?

Quand j’ai conçu l’album, je vivais une phase de déception face à l’amour. Je le voyais sous un angle froid, en manque d’émotion et d’humanité. J’aborde les relations comme une série de pièges. Si le ton suave et le groove des instrus se mêlent aux textes, c’est pour donner de la beauté aux messages. J’étais juste capable d’écrire des chansons en étant désillusionné.

Cela me rappelle la notion de romantisme, la souffrance est indissociable d’une histoire amoureuse.

Je ne suis pas un romantique. Je ne veux pas généraliser l’amour de cette manière. On ne retrouve même pas la passion d’un romantique dans mes chansons. On est loin du tout-mutilation. Il y a juste une froideur, un retrait face à l’émotion. C’est de l’amour sur le papier.
Il y a une distance entre le narrateur et une interrogation : où l’atome sentimental peut atterrir ? L’amour peut vite devenir une quête assez vide de sens, surtout quand tu accumules les mauvais souvenirs. J’ai essayé d’en faire une thématique. Cette lourdeur textuelle contraste avec la pop léchée et groovy que je propose.
 

A l’écoute de « Filles gentilles », j’imagine qu’à chaque relation amoureuse, nous nous comportons comme des éternels insatisfaits.

Oui, totalement. Il y a toujours cette peur de manquer quelque chose. Cette façon de toujours suivre le film dans ta tête, de choper ce que tu considères comme les meilleures opportunités de ta vie… c’est comme un sentiment d’imbu de soi-même. Ca éloigne beaucoup de monde. « Filles gentilles » dresse un constat : celui de savoir si l’amour est un schéma où la désillusion se répète en plusieurs cycles.
J’ai eu beaucoup de retours par rapport à cette chanson. Comme si elle reflétait notre génération. Cette même génération qui n’a pas le goût d’arriver à la trentaine.

Une fois l’album digéré, on se dit que nulle recette n’aide à trouver son bonheur. Est-ce une interprétation qu’on peut aussi retrouver pour les chansons de Gazoline ?

Je ne sais pas. Quand j’écrivais pour Gazoline, j’étais vraiment amoureux. Je crois que Gazoline, grâce aussi à son style plus rock, se positionne dans quelque chose de plus humain et sensible. J’ai l’impression que c’était nécessaire de balancer une sensibilité à fleur de peau à assumer complètement. La morale de Gazoline est peut-être de vivre la beauté des émotions, la simplicité des expériences.
Alors que Zoo Baby transpire quelque chose de plus froid. On a affaire à une métaphore de l’amour. La distance se perçoit dans tout. Des sujets ne sont pas tout à fait assumés, des idées ne sont pas conclues. On se retrouve dans une espèce de statu quo, dans un état de non-avancement.

Pourquoi avoir fait appel à Julien Mineau pour l’architecture sonore du projet ?

Au départ, je voulais m’occuper de toutes les parties instrumentales. Puis, je me suis mis à jouer dans une bande. Je savais aussi que Julien Mineau était vraiment un cavalier seul, un ermite, qui allait comprendre cette volonté de travailler dans une chambre en mettant en avant l’isolation et l’introspection. Je voulais qu’il amène l’architecture sonique de l’opus. Ca me plaisait de partager mes idées entre nous deux, sans qu’il n’y ait personne d’autre pour nous interrompre.
Julien n’est jamais satisfait d’un son, ce qui a donné beaucoup de profondeur à 
Zoo Baby. J’aimais vraiment penser outside the box. J’aimais prendre des risques, enlever des mélodies trop accrocheuses ou évidentes et tenter de nouvelles approches musicales.

Une collaboration avec Fred Fortin serait-elle possible ? Il est fabuleux pour ce qui est de créer des ambiances très intimes.

Des albums comme Planter le décor ont influencé mon écriture et mes compositions. Néanmoins, Fred Fortin baigne dans le folk, le blues. C’est un vocabulaire que je ne connais pas vraiment. Mes démarches et mon bagage artistique se rapprochent plus aux productions de Prince.
J’adorerai travailler avec Fred Fortin, mais il me faudrait un projet qui puisse exploiter au mieux ses forces.

Terminons sur une note d’actualité. Vis-tu cette période Covid comme un étouffoir ou comme une incroyable source d’inspiration ?

Quand cette période a débutée, j’avais beaucoup de morceaux en stock. Je n’avais jamais vraiment le temps de bosser dessus. Ensuite, j’étais en pleine créativité pendant 6 mois.
Pour le moment, j’ai du mal à raconter de nouvelles choses. Il faut que tu vives en amont de ta création pour partager des histoires. Sauf que là, je n’ai pas la sensation d’avoir vécu des folies. Je n’ai pas joué de l’été. Je ne vois pas ma famille. Je n’ai pas rencontré de filles (rire). Je n’ai pris aucune brosse monumentale (ndlr : se saouler).

Interview menée par Drama – Photo ©Jimmi Francoeur

Erase(Her.) Interview

Admiratif devant un Népal, Erase(Her.) signe lui-aussi des textes assez métaphysiques. Le rappeur belge s’exprime via un premier EP. Sa plume ne banalise pas le quotidien mais en fait son terrain de jeu. Prenons le temps d’interroger la mise en scène de ses observations !

T’es-tu surpassé lors de la création de ton premier album ?

Franchement, ouais. Si je devais passer une nuit blanche à taffer sur une instru, je le faisais. A des moments, il suffisait que je sois inspiré pour rester éveillé jusque 3 ou 4h du matin. (rire) Même 2 jours avant la sortie de l’album, je réalisais de nouvelles prises encore et encore… c’était du non-stop.

Le confinement a dû te motiver à terminer convenablement ce projet. 

Dès que t’es enfermé, seul avec toi-même et tes idées, tu épouses ta passion. Je n’ai pas vu ça comme une malédiction. J’ai perçu le côté bénéfique et positif de la chose.

J’ai vraiment un tas de question par rapport au fond de tes morceaux. Commençons ! Comment fait-on passer un message intelligent à travers un morceau de rap ?
As-tu une recette à partager ?

C’est une très bonne question. Honnêtement, je ne pense pas avoir de recette. Quand j’écris, j’imagine l’exercice comme une conversation avec moi-même. A partir d’un de mes constats, je vais commencer à disserter. En allant de réponses en réponses, je développe un sujet. A la fin, j’obtiens une sorte de fil conducteur respectant une réflexion de base.
Il peut tout à fait évoluer au fur et à mesure du morceau. Il n’y pas de limite. Je m’inspire à 100% du réel. Je n’ai pas envie de traiter d’expériences que je ne vis pas ou que je ne connais pas.

Ne te sentirais-tu pas légitime pour écrire au sujet d’un thème inconnu à tes yeux ? Il y a des rappeurs qui jouent divers personnages et qui foncent dans leurs délires.

Je respecte entièrement cela. Je ne sais pas si c’est une question de légitimité. C’est une question d’authenticité. Je sais que si on parle d’évènements vécus, on sera fatalement bien plus en train de vivre un sujet. On sera par ailleurs plus à l’aise pour en parler. Alors que si on rappe sur un sujet qu’on ne connait pas, on n’est pas à l’abri d’une erreur ou l’autre. Ca casserait l’effet d’immersion que j’aimerais transmettre autour de moi.

Dans « Yeux ouverts », tu déclares : Le Paradis réside en nos entrailles. Perds pas ton temps à le chercher. Ces mots sont-ils optimistes ? Veux-tu dire par là qu’il ne tient qu’à nous de modeler notre bonheur ?

Exactement. Plusieurs personnes croient que le bonheur équivaut à posséder telle ou telle chose. Que ce soit une maison, une voiture, une copine, un chien, peu importe. Au fond, le bonheur n’a rien de matérialiste. C’est vraiment une façon de penser. Le ciel sera moins nuageux si tu sais rester positif, pendant que tu affrontes de nombreux problèmes dans ta vie. Cette attitude n’a rien de religieux chez moi. Elle est en accord avec mes valeurs.

Certains désirent définir le bonheur alors qu’ils ne savent point prononcer Je t’aime. Comme si c’était tabou.

Je pense que c’est tabou. C’est vu comme une phrase qui peut être mal interprétée. Il faut éviter des embrouilles ou l’incompréhension alors qu’on ne le dit pas assez. Même si parfois, je l’exprime pleinement à des potes qui se comportent comme des frères.
Quand tu es prêt à l’avouer, il y a souvent un truc qui freine l’initiative. Et c’est trop tard pour revenir là-dessus. Le pire, c’est vraiment de vivre avec des regrets. S’il y a une chose à dire, il faut la dire. Il ne faut pas perdre son temps à avoir peur d’être soi-même.

Tes morceaux se centrent sur l’introspection. Tu t’inscris dans une démarche remarquée chez Swing. Comptes-tu rester sur des thèmes très personnels pour tes prochains projets ?

J’aime écrire de cette façon. C’est vraiment une source d’inspiration intarissable. J’aimerais bien essayer par après de me diversifier vers des sujets plus politiques. Les inégalités est une thématique qui ne m’est pas invisible. Puis, j’aimerais me focaliser tant sur les relations humaines que sur nos visions du monde. Je crois que ça peut être intéressant.

J’ai souvent observé des fans de rap qui analysent de fond en comble des thèmes musicaux. Je suppose que tu passes également des heures sur des textes d’autres artistes.

C’est quelque chose que je fais régulièrement. Ca arrive par exemple pour les albums de Dinos ou ceux de Népal. Je les écoute en boucle. Je m’interroge toujours sur l’essence d’un texte de rap. Au final, c’est juste une personne en face de sa feuille qui rédige pendant des heures sur un sujet. Ensuite, on peut en tirer de grandes leçons de sagesse. C’est aussi la beauté de raconter un vécu ou une histoire particulière.

J’aimerais te parler d’une problématique plus universelle et globale. Un jour, tu m’as déclaré que le plus gros souci de l’humanité est de ne pas savoir penser au bien commun.
Y fais-tu référence dans ton EP ?

Cela s’écoute notamment dans « Poltergeist » : Certains cachent leurs crochets vénéneux dans le silence, cachent les phrases trash qu’ils ne disent pas mais pensent, crachent dans le dos puis plaident leur innocencedisparaissent en flash au premier coup de vent.
Je cite ces gens qui ne pensent qu’à leurs intérêts personnels au lieu de comprendre que leurs actes auront des répercussions sur les autres. La vie est comme un jeu d’échec : chacune de nos actions à sa conséquence. Tu ne peux pas l’omettre. Chaque pièce jouée aura son importance. La volonté de dénoncer des problèmes sociaux repose dans les racines du rap.

Eloignons-nous des problèmes. Au final, qu’est-ce que le rap t’a apporté de meilleur ?

Son aspect propre à l’écriture. Cela m’est très thérapeutique. Le fait de coucher mes hantises sur le papier, ça me fait du bien. Une fois écrites, elles sont matérialisées et tu t’en fais une idée plus concrète. Le rap m’apporte une sérénité d’esprit.

DRAMA – Illustration ©Kevin Popescu / Interview réalisée le 23/01/2021

Last Night Issue Interview

Le duo liégeois Last Night Issue était en première partie des Last Train au Reflektor. L’occasion idéale pour rencontrer ces gais lurons ! On discute de Liège, de leurs sonorités punk et de la mort du CD… Tout en voyant un cul de batteur !

C’est quoi votre rêve en tant que musicien ?

Lou : Avoir une super bagnole, avoir une femme avec des seins siliconés, être plusieurs fois disques de platine sans sortir d’albums… Tout ça réuni, c’est déjà bien hein.

Liège demeure une des meilleures niches belges pour les rockeurs.

Timizy : Moi je crois que non. (rire) J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de groupes rock sur Liège et que c’est un peu saturé. Ce n’est pas si simple de faire son nom dans cette ville. Puis, on a récemment joué en Flandre et ce n’est pas du tout comparable. J’ai la sensation que le public est plus chaud, plus amateur de rock, de stoner et de metal quoi !

87979472_2591339927777917_1249379194400407552_o

Quel est l’inconvénient de jouer en duo ?

Timizy : Quand tu es en froid avec l’un des gars du groupe, ben il n’y a plus de groupe. (rire)
C’est cool quand ça marche et moins quand on s’engueule.

Lou : On est deux à porter une batterie. Mine de rien, on porte plus de matos qu’un groupe de cinq.

Pour ce qui est des avantages ?

Timizy : Les répet’ ! (rire) Ca c’est top. Conduire une seule bagnole pour aller aux concerts, c’est bon aussi. On avait plusieurs groupes avant et c’était l’horreur.

Là comme ça, vous ne pensez pas vous élargir…

Lou : J’essaye de maigrir justement. (rire) Ce n’est pas dans mes plans !

Timizy : Nan mais plus sérieusement, on y a pensé. On a joué avec plusieurs bassistes par le passé. C’est super difficile de trouver un gars qui ne fasse pas deux plus un, aussi bien d’un point de vue musical que celui de l’entente. Quitte à être trois, on veut sonner à trois. On n’arrivait pas à trouver une aussi belle synergie propre à nous deux. C’est comme si t’essayais de convaincre ta gonzesse de la normalité de faire un plan à trois. Ce n’est pas évident. C’est compliqué. Après je ne suis pas contre hein ! (rire)

87975736_2591339737777936_1263181509892767744_o

Maintenant, il faut répondre du tac au tac. Vous n’avez droit qu’à une seul bonne réponse. Qui préférez-vous entre les Whites Stripes et les Black Keys ?

Timizy : Je crois que ma réponse serait Black Keys et lui, White Stripes.

Lou : On aime beaucoup les deux mais en termes d’influence musicale, on sonne comme aucun des deux. Je surkiffe les White Stripes. J’aime beaucoup moins les deux derniers albums des Black Keys… D’ailleurs, si tu m’entends Dan, arrête ! Stop it man ! (rire) Même s’ils ont un côté bluesy qu’on retrouve chez Royal Blood, cette bande nous inspire bien plus. Ces mecs ont un son gras et rentre dedans. Il y a du blues dans ce qu’ils produisent : des arpèges, des gammes pentatoniques, etc. Nous, on essaye de se démarquer avec des riffs pas metal, mais agressifs, moins blues que punk, avec un chant clair.

Timizy : On est aussi parfois plus influencé par des groupes comme Queens of The Stone Age.

Que réservez-vous pour la suite ?

Timizy : Ben je te montrerai bien mon cul nan ? (et il le fait)

Lou : La bagnole, la fille siliconée et la coke. Mais pour arriver jusque là, on va réaliser plein de titres.

Un album en préparation ?

Lou : J’ai bien envie de te lâcher une exclu et une date, mais non. (rire) Pour l’instant, on fonctionne à un rythme qui nous correspond. Si un jour on pond un album, je crois que ça demandera beaucoup d’énergie. On souhaite faire ça d’une bonne manière sans brûler les étapes. On verra aussi si une occasion ou qu’une demande se présente à nous. Donc, aucun album n’est prévu tout de suite.

Timizy : Je ne suis pas convaincu au sujet du concept de l’album. Passer autant de temps et d’énergie à enregistrer douze titres par exemple, c’est vain. D’abord, les gens n’achètent plus vraiment d’albums. Ensuite, tu pourrais passer pour un musicien hyper sérieux sans pour autant envoyer d’albums à des organisateurs d’évènements. C’est beaucoup plus chouette d’enregistrer quelques titres et de filmer certaines vidéos. Mais ouais, si un jour on a trop d’argents, pourquoi pas se lancer dans la réalisation d’un album.

Lou : N’oublions pas les contraintes du temps, de la créativité. Même si on est capable de travailler vite et de façon efficace. Mais le plus gros obstacle reste surtout celui de l’argent. On avance grâce à la passion. On n’a pas de vocation à passer pro demain.

Timizy : Ce qu’on veut vendre aux gens, c’est l’envie de venir à nos concerts. On est bon à ces moments-là. C’est là qu’on a de l’énergie à revendre. Venez profitez en live et non en CD. Admettons qu’on sorte un album, ce ne sera pas du tout pareil à ce qu’on fait sur scène.

88347136_2591340607777849_1344837136066543616_o

DRAMA  Photos ©Dominique Houcmant/Goldo

Alice Martin Interview

Lors du confinement, j’écoutais tout style de musique. Les covers folk d’Alice Martin ne me laissaient pas indifférent. Elle participe alors à sa première interview ! Le temps de discuter de ses reprises, de son expérience musicale et de son futur EP.

djonyone
Aujourd’hui, que signifie « être une chanteuse folk » ?

C’est un subtil mélange de charme, de peps, et de sensibilité. Au rythme dynamique d’une guitare, l’émotion se laisse transparaître dans la fragilité de la voix et à travers des textes pas toujours heureux, qui nous sortent des tripes. La base d’une chanteuse folk se résume à son jeu de guitare, à sa voix et dans une quintessence pure accompagnée d’un texte percutant.

Comment choisis-tu les morceaux de tes reprises ?

Depuis longtemps je voue un intérêt particulier pour la culture musicale des USA. Je pense au blues, folk, à Bob Dylan, Johnny Cash, Bessie Smith, ou aux Canadiens, comme Neil Young. Mais aussi les monuments mythiques anglais : The Beatles, Queen ou David Bowie… Je m’inspire énormément des chanteuses de rock, ou même parfois pop, qui sont charismatiques et qui prônent l’indépendance et l’émancipation de la femme. Patti Smith, Debby Harry, PJ Harvey ou même Lady Gaga. Et je tente de transformer tout ça à ma sauce.

Parmi ces chansons, en admires-tu une plus qu’une autre ?

Je pense avoir un coup de cœur particulier pour ma dernière cover qui fut le premier challenge d’une longue série à venir. « Do for the others » de Stephen Stills. Il est selon moi l’un des plus grands guitaristes vivant de ce monde. Sa chanson paraît simple aux premiers abords, mais elle demande beaucoup de travail sur le jeu de guitare. De fait, cet exercice m’a donné encore plus l’envie d’accroître ma pratique. Enfin, c’est avant tout une dédicace à mon père, qui m’a fait découvrir ce grand musicien.

Tu as voyagé à l’est des USA, sur la route du blues. Une escapade bouleversante à tes yeux. Quelle est la plus grande leçon retenue de ce voyage ?

Ce voyage m’a fait prendre conscience de quoi j’étais capable quand j’étais livrée à moi-même. Via les différents états que j’ai traversé, il m’a été vraiment difficile de m’imposer en tant que jeune chanteuse belge parmi des artistes locaux bien imprégnés. J’ai surtout réalisé que la musique avait une importance bien plus colossale que je ne le pensais dans ma vie. A travers de belles rencontres, j’ai eu la chance de monter sur des scènes à Nashville, au Texas, à la Nouvelle-Orléans, ou encore à New York. Ces rencontres m’ont aussi fait prendre conscience qu’il ne suffisait pas d’avoir uniquement l’envie, mais que le vrai challenge, c’était d’avoir l’audace de foncer sans se poser mille questions. “Smoke them all !”

Dorénavant confinée, ton envie de composer est d’autant plus nourrie.

Plus que jamais. A la base, je suis serveuse dans un restaurant à plein temps et je pense avoir trop longtemps fui l’univers de la musique en me noyant dans mon travail. Le confinement m’a permis de me reconnecter avec mes créations et de me concentrer pleinement sur ma musique. Je ne vois quasiment personne. Je suis comme devenue autiste mais ça me fait du bien. Je le vois comme une chance de rattraper le temps perdu. J’apprends de nouvelles choses, tel que le piano ou à utilisé les DAW pour m’enregistrer, ainsi que renforcer ma technique à la guitare comme pour les échauffements vocaux. D’ailleurs, je plains un peu mes voisins.

Parlons de ton EP prévu pour septembre.
Qu’est-ce qui t’as motivé à te lancer dans sa création ?

A nouveaux, ce sont de belles rencontres. Une petite équipe s’est doucement créée autour de moi. Le réalisateur Julian Bordeau, qui est un ami avant tout, m’aide à travailler mon image et ma confiance en moi. Parfois, il me pousse dans mes retranchements mais ça m’encourage beaucoup.
Ainsi que le producteur Théophile Moussouni, qui dès la première écoute de mes démos m’a mise directement en confiance et s’est impliqué dans le projet en apportant sa patte plus trip hop.

A quoi doit-on s’attendre ? Comment le décrire ?

Le projet étant toujours au stade de l’émergence, sera pour le moment un mix d’influences folk et trip hop, qui je l’espère sera très prometteur. Je mise aussi sur la qualité des textes, qui sont en anglais, mais auxquels je consacre énormément de temps. Il y a déjà un squelette et le reste se peaufine jour après jour, ou nuit après nuit.
Les sujets sont variés mais se concentrent beaucoup sur des extirpations de douleurs passées, la dépression, ou encore des sujets plus féministes… et naturellement, on y trouve un peu d’amour.

DRAMA  Photos ©Alice Martin

Par.Sek Interview

Dès 2017, Simon devient la tête pensante de Par.Sek. Marion le rejoint ensuite à la basse, tout comme Corentin aux percussions. Désormais, le chant de Simon enrichit les compositions electros de la bande. Découvrons l’univers chaleureux de ces Français souhaitant embrasser la pop ! Le groupe nous offre également la diffusion du clip « GALERE » en avant-première. Quel honneur !

Vos premiers morceaux expérimentent diverses sonorités.
On dirait que vous vous lancez plusieurs défis au niveau de vos compositions.

Simon : Le premier album était plutôt un album de recherche. J’étais encore seul dans par.sek à ce moment-là. J’avais juste demandé à Marion d’enregistrer des lignes de basse. L’idée était de me laisser aller dans mes envies. Les compositions ont été très orientées par des « erreurs » dont je m’inspirais pour continuer à composer, car je ne connaissais pas encore très bien les outils que j’utilisais. Je m’attendais souvent à autre chose que le résultat sonore que je trouvais. Plutôt que de chercher absolument à retrouver mon idée initiale, je laissais ces hasards et ces choses inattendues guider la suite des compos. Le seul « défi » que je me suis imposé a été de créer quelque chose de différent de ce que j’entendais dans la musique que j’appréciais à cette époque. Je désirais de travailler sur la surprise, les changements brutaux de rythme, d’ambiance sonore, et ne pas me poser de limites en termes de composition.

Etes-vous toujours dans une perpétuelle recherche de nouvelles sonorités ou avez-vous trouvé votre style ?

Simon : Aujourd’hui, je pense qu’on a trouvé un style qui nous correspond, en effet. Cela dit, ça n’empêche pas d’être toujours en recherche de nouveauté en matière de rythme et de son. On garde toujours une porte ouverte à l’utilisation d’une autre gamme de son, à l’inspiration d’autres styles musicaux dans lesquels on va piocher ce qui nous plaît sur le moment pour l’insérer dans les nouvelles compos. Se garder une possibilité permet d’être toujours en évolution, ce qui nous paraît très important dans notre pratique de la musique. En plus, découvrir de nouveaux champs d’exploration permet de revenir sur les compos finies qui ne sont pas encore sorties, de les emmener plus loin à chaque fois qu’on a envie de revenir dessus. Mais bon, à un moment, il faut quand même savoir s’arrêter et fixer ce qui a été fait pour pouvoir avancer sur autre chose. Globalement, ce rythme de création est plutôt guidé par nos envies, et on a souvent envie d’avancer vers le futur, de créer du neuf, pour notre plaisir personnel, beaucoup, parce qu’on ressent que c’est vital de se renouveler.

Marion : Comme le style a pas mal évolué depuis le début en passant de l’instrumental à la chanson, j’ai l’impression que, même si on est plutôt fixé maintenant, on est assez libre de revenir sur le style plus instru et expé, si l’envie nous prend.
D’ailleurs, on n’a pas abandonné les anciens morceaux, car on continue à les jouer en live. Ce qui est assez chouette pour changer d’univers.

Pourquoi avoir décidé d’inclure le chant dans votre EP prévu pour septembre ?

Simon : L’idée initiale du groupe Par.Sek, c’est de créer un pont entre musique expérimentale et musique pop, de décider de ne pas faire de distinction. Avec Marion, on est allé en fac de musicologie. Là-bas, on nous apprend qu’il y a en gros, la musique savante d’un côté, et la pop de l’autre. Ce qui est un peu tristoune comme vision de la chose. Pour moi, ce sont des musiques qui s’appuient sur des ressorts différents, mais qui utilisent chacune un langage très complet, même si ce n’est pas toujours le même. Un des outils hyper importants de la pop, ce sont les paroles. Après le premier album, qui se situe dans un paradigme plus expé, on s’est dit que ce serait chouette d’aller voir ce qu’on pouvait trouver dans une musique plus pop. Et d’entamer ce geste avec l’ajout de paroles, sur des mélodies simples, comme on entend dans « GALERE ». Au fur et à mesure des EPs, d’albums, etc. On va essayer de trouver le point de rencontre, pile au milieu, entre ces deux « mondes » musicaux, qui sont quasiment des manières de voir l’art pour certains. Donc on oscille autour du point central, et on essaie de se rapprocher. Après, il faut admettre qu’on a pris goût à la chanson. Franchement, c’est super agréable à faire, et plus simple à partager en soirée.

Marion : Souvent, on se dit que c’est étrange parce qu’en dehors des gens qui viennent nous voir en live, personne n’est vraiment au courant de l’évolution pop de Par.Sek. Alors je trouve que faire un EP avec du chant, c’est aussi l’occasion de montrer cette nouvelle facette.

L’ajout de paroles à vos morceaux donnent moins d’espace et de liberté à vos instrus ?

Simon : Un peu, quand même. Le fait qu’il y ait moins d’espace pour l’instru se sent beaucoup dans « GALERE », où il y a vraiment peu de place pour la musique instrumentale d’une manière temporelle, et aussi peu de place pour la complexité musicale. Mettre des paroles, ça cadre toujours un peu, surtout qu’on voulait pouvoir les chanter, qu’elles soient rythmées,… Si c’est trop complexe, on en perd le sens à mon goût. Mais c’est une liberté et un espace qu’on compte retrouver dans nos prochaines compos. On la retrouve déjà un peu dans l’EP qu’on sort en septembre.

28082019-DSC_0443
A l’écoute de « GALERE », on réalise que l’humain peut aller jusqu’à construire des navettes spatiales mais est parfois incapable d’avouer ses sentiments.
Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire une chanson pareille ?

Simon : Il y a dans « GALERE » une volonté de raconter ça, en effet. Plus précisément, que ces choses que l’on construit, on les fait souvent aussi pour s’adresser aux autres, que ce soit nos proches ou le monde tout entier.
Il y a des gens qui choisissent de faire une carrière incroyable. D’autres qui veulent acheter des choses qui les feront briller, ou amasser énormément d’argent pour en faire profiter leurs proches. Puis, il y a les cadeaux qu’on s’offre, aussi. Tout ça, je le vois comme une multitude de manières de faire du bien aux gens qu’on aime. Ou bien, c’est une recherche de reconnaissance, mais je pense qu’on veut être reconnu parce qu’on aime l’autre, de base, et qu’on veut donc avoir de la valeur à ses yeux. En gros, les paroles, c’est « je parle à mes objets, mais ce que je vise n’est pas de leur parler à eux, mais aux autres ». Je ne sais pas si c’est de mauvais goût de faire une explication de texte comme ça !
Nous, on fait des objets musicaux, parce que ça nous permet de parler à des gens, de partager avec eux. On n’y arriverait peut-être pas juste en les croisant dans la rue, ou n’importe où, parce que c’est galère. Il y a plein de trucs qui rentrent en compte : le temps qu’on a, la timidité, les névroses, les galères en tout genre, qui font qu’être en société des fois, c’est compliqué.
Tout ça amène parfois à faire des choses qui ne sont pas si bonnes pour les autres en voulant leur parler. Par exemple, Elon Musk, pour parler à l’humanité et lui dire qu’il l’aime, il a décidé qu’il allait envoyer 32 000 satellites dans l’espace.
Je suppose qu’il voit ça comme un gros gros, gros, gros cadeau. Mais bon, au final, ça fait quand même un peu trop de satellites. Il y a plein de choses comme ça qui se font dans le monde.
Après, on ne peut pas se placer en juges et déterminer qui a raison ou qui a tort. Même si on a souvent notre avis sur la question, on doit très souvent se tromper. Alors, on n’a pas parlé d’Elon Musk, ni de personne d’autre dans la chanson. Juste de nous pour ne pas trop se mouiller.

Corentin : Et puis, d’un point de vue sociologique, j’ai l’impression que la pudeur physique et verbale caractérisent de plus en plus nos échanges... Même si les signaux sont parfois contradictoires entre la volonté de se dévoiler aux autres et la peur de se montrer tel qu’on est. Et si rompre cette pudeur commençait par en faire le constat publique ?

Depuis des années, on assiste à la démocratisation de l’électro. Il existe même de sérieuses études concernant la rave party ! Quant à Flume, il s’allie aussi bien à Beck qu’à JPEGMAFIA. Aujourd’hui, en tant que musicien, désirez-vous créer la surprise ?

Simon : C’était un des objectifs du dernier album. Mais je trouve qu’il est trop difficile. Il y a beaucoup trop d’infos qui nous arrivent de partout pour pouvoir surprendre qui que ce soit. Surtout en musique électronique, comme tu le dis, il y a tellement choses différentes et excellentes de partout…
Aujourd’hui, ce que je voudrais, plus que créer la surprise, c’est créer un sentiment de liberté. Ce qu’on peut ressentir, quand on se dit qu’on peut faire ce qu’on veut musicalement parlant, et plus globalement en créant de l’art. C’est vraiment de la liberté qui fait de mal à personne, et qui est assez infinie. Je pense que je voudrais transmettre ça aux gens qui écoutent ce qu’on fait.

Marion : Pour ma part, plus que la surprise, j’aime l’idée de pouvoir toucher les gens, et les faire oublier un peu leur galère du quotidien. Ou même pouvoir prendre du recul dessus. Je ne sais pas trop si on y arrive mais c’est en tout cas ce que je ressens dans ce que j’écoute, et ce que j’espère pouvoir transmettre aussi.

Corentin : Tous ces mélanges sont super. Je me demande ce qui va naître de ces croisements de plus en plus fous et rapides entre les genres. Par rapport à la surprise, en tant que musicien, on cherche aussi à atteindre une forme de sincérité. Dans la composition, ce qui est parfois impalpable, mais aussi dans le texte. Je crois que le Graal est de se surprendre soi-même, en réussissant à aborder des sujets qu’on redoute ou qui nous paraissent hors de portée des mots qu’on imagine. C’est un chemin de prise de conscience et d’assurance.

Pour ce qui est de la France, elle a toujours été une terre sacrée pour l’electro (Justice, Daft Punk, SebastiAn, Mr. Oizo, etc.). Actuellement, certains groupes mêlent de plus en plus la langue française à des sons très surprenants. Entre Odezenne, Bagarre et Flavien Berger, avec qui prendriez-vous un verre ?

Simon : J’irais bien prendre un verre avec Flavien Berger. J’ai eu une grosse phase Flavien Berger, où je l’écoutais en boucle. Je trouve qu’il est très touchant. Je suis assez fasciné par sa musique. En plus, je serais trop intimidé pour aller prendre un verre avec un groupe entier comme Bagarre ou Odezenne. Ca fait plusieurs personnalités à rencontrer d’un coup. Je suis plus à l’aise avec une seule personne.

Marion : Même si je pense aussi qu’un groupe est bien plus intimidant, je choisirais de boire un verre avec Odezenne. Leur musique me touche beaucoup, dans leur sonorité et leurs paroles. C’est peut-être un des groupes dans lequel je me suis le plus plongée récemment.

Corentin : En soit si tout le monde veut faire la teuf, je suis preneur.

Pour terminer, j’ai une question trop importante à poser.
Simon, serais-tu le fils caché de Damon Albarn (Blur, Gorillaz) ?

Simon : C’est une question extrêmement flatteuse ! (rire)
Je demanderai peut-être à mes parents, mais je ne crois pas. Enfin, ce serait un sacré choc, sous tout point de vue !
En vrai, Damon Albarn est quelqu’un de très inspirant, musicalement, et dans ce qu’il représente. Via sa musique, il transmet ce sentiment de liberté dont je parlais. C’est très beau.

93991560_2591459481112657_8539363246170177536_n

DRAMA – Bannière logo ©Clémentine Stfkn / Photo ©Intza Bagur

Marina Cedro Interview

Marina Cedro viendra présenter son second album à La Cité Miroir (Liège) ce vendredi 4 octobre. Très engagée, elle chante et danse le tango depuis son plus jeune âge. A la question « Etes-vous une chanteuse engagée ? », la chanteuse argentine répond du tac au tac par l’affirmative. Mais ses nombreux textes sur la dictature argentine et ses messages d’amours libres ne résument pas entièrement son univers. L’artiste d’une quarantaine d’années chante la vie, ses émotions, ses souvenirs, reprend quelques classiques (Creep de Radiohead, I Put a Spell on You de Screamin’ Jay Hawkins) et fait vivre le tango de son pays avec passion.

Vous donnez quatre concerts en Belgique sur cette tournée, pourquoi ?

J’ai conservé un beau souvenir de mon concert à Charleroi en 2009. Initialement, j’avais même pour objectif de revenir durant un mois entier en Belgique. C’est un pays que j’adore parce que ’y retrouve une belle écoute de la chanson et un respect de la poésie.

Votre musique est passionnée, engagée. J’ai l’impression que de nombreuses causes vous animent.

Il faut avant tout que ce que je chante soit vrai. Je revisite mes paroles et mes écrits via mes émotions. Mes chansons parlent de tout. De l’amour, la colère, la révolte, la passion, le bonheur. Le message qui doit découler de tout cela est la vérité. Quand je chante une chanson d’amour, je la vis entièrement du début à la fin. Peut-être que cela éveille l’amour chez une autre personne. C’est cela que j’appelle l’émotion vraie.

Vous parlez beaucoup de l’Argentine de 1972. À quoi ressemble le pays aujourd’hui ?

Il n’y a plus de militaires. Mais il reste des silences et des blessures dans le pays. La censure et le tabou sont encore d’actualité. La force artistique argentine avait pu sublimer l’ancienne dictature. Ce qu’on a vécu devient aussi notre patrimoine. Notre rôle d’artiste est de continuer à créer.

L’Argentine est un pays à l’histoire riche, aux influences multiples. Comment le traduire en musique ?

Les migrants sont à l’origine de la naissance de Buenos Aires. Ils venaient de tout horizon. Tout le monde souhaitait faire sa vie dans ce pays où il n’y avait rien. Ces instants de trouvailles et retrouvailles demeurent une richesse. Nous sommes un pays très curieux. Dès que les Argentins sortent de leurs terres, ils vont s’intéresser aux autres cultures et reviennent avec leurs savoirs. Ce qui alimente notre amour de la psychologie, aussi. On est toujours en quête de soi vu que notre peuple est le mélange d’autres cultures. C’est ça le tango : être une éponge, une évolution constante. Je fais du jazz, du folklore et du classique, mais avec le tango, j’ai trouvé une façon de m’exprimer. C’est la voix de l’âme.

Vous expliquez également dans plusieurs interviews que le tango vous permet de tout essayer.

C’est une musique qui naît de plusieurs cultures. Le tango s’exprime autant dans la danse que dans les paroles. Toutes les émotions peuvent y être transposées : la mort, la solitude, la joie. C’est une trilogie : il y a le corps, la parole et la musique. J’ai appris les trois disciplines quand j’étais petite. Lorsque je joue du piano, je peux aussi danser avec mes jambes ou mon bras. C’est tout que j’aime dans le tango.

Votre tango est assez moderne. Votre collaboration avec le rappeur Mike Ladd y participe. Pourquoi l’avoir choisi pour ce second album ?

J’aime bien le rap mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est dire les choses. Le rap est une manière de transmettre la vérité et de la manifester en rythme. Avec Buenos Aires 72, je voulais parler de révoltes. Mike Ladd a sa place dans La noche de los lapices. C’est une chanson qui décrit la Nuit des Crayons où des étudiants argentins ont été torturés et tués. Il me fallait une force pour expliquer ce qui s’était passé.

DRAMA – Photo ©Nathalie Carlier