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Dead Cross et la triste vérité

Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.

2 jours après l’explosion de la bombe atomique sur Hiroshima, Albert Camus fustige l’invention infernale (édito tiré du journal Combat, 1945). Il dénonce cette révolution scientifique créée par des hommes prêts à livrer l’arme ultime. L’écrivain pointe déjà le mal incarné, à savoir les côtés toxiques et fatalistes de l’humanité.
L’être humain ne se limite pas à dévorer d’autres êtres vivants pour survivre… en 1945, il balance un fléau sur le Japon. Résultat ? 70.000 morts.

Aujourd’hui, un artiste rejoint la pensée de l’auteur : Mike Patton. De retour après avoir affronté son agoraphobie et ses problèmes d’alcool, le musicien avant-gardiste (écoutez Fantomas ou sa collab’ avec Vannier) bouscule la doxa. Il chante une triste vérité sur « Reign of Error ».

Who is our problem ? We are the problem.

L’homme est le pire ennemi de l’homme. Lorsqu’on questionne le chanteur sur son écriture sur le deuxième album de Dead Cross, il affirme ne rien dévoiler d’inédit. Bien joué Mickey. La brutalité du quatuor nous fait prendre conscience d’une autre brutalité. Politiciens, lobbyistes ou autres magnats font trop souvent preuve d’indifférence face à un monde moins privilégié, comme certains scientifiques sans foi ni loi. En juin dernier, la Cour suprême des États-Unis enterre l’arrêt Roe vs Wade qui, depuis près d’un demi-siècle, garantissait le droit des Américaines à avorter. Quelle en est la conséquence ? Chaque État sera libre d’autoriser l’avortement ou non. Le clip de « Reign of Error » se moque ouvertement des nantis, prenant des décisions à la place des Américaines.

Mike Patton s’éloigne de l’industrie musicale en fondant son label Ipecac. Aujourd’hui, il dénonce un secteur encore plus vaste. Comme si les systèmes établis n’étaient plus une source de bonheur. Comme si les mesures liberticides de ces dernières années reflétaient les vrais intérêts des gouvernants. Ne pas se rapprocher. Etre divisé. Et mieux subir l’insupportable norme.

Dead Cross assume sa veine contestataire depuis ses débuts. A nous de savoir si ses avertissements méritent une ou plusieurs écoutes. Pour ma part, mes oreilles en redemandent.

brunoaleas – Photo ©Becky DiGiglio

Nope

Jordan Peele attire les regards. Comme s’il lançait un effet de mode. Comme s’il affirmait que le cinéma de genre portait un discours critique sur nos sociétés… Lors de la diffusion de Blade Runner 2049, je ressentais déjà une crainte amplifiée à la sortie de Nope. Et si le public d’aujourd’hui n’était plus habitué à voir des œuvres éminemment politiques ?
A force de bouffer Marvel et des comédies françaises de merde, les spectateurs subissent l’endormissement du cerveau.

Où sommes-nous transportés ? OJ et Emerald font partie de la famille Haywood. Ils gèrent un ranch californien et veulent sauver ce patrimoine laissé par leur père. Comment y parvenir ? Il suffit de prendre en photo une force mystérieuse sillonnant le ciel.

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Jordan Peele part toujours d’une situation typique pour basculer ensuite vers des mésaventures atypiques. Il filme la banalité pour la déconstruire. Pensons à la bourgeoisie et le racisme derrière Get Out. Sa dernière œuvre en date affiche les perversités propres au monde du spectacle. Que recherchons-nous à travers le divertissement ? Une reconnaissance ? Le bonheur ? L’évasion ? Le cinéaste comprend que la menace filmée à l’écran n’est qu’un prétexte pour montrer de vrais visages. Un jeune homme traumatisé par les shows télévisés, puis, lobotomisé par la starification. Un réalisateur absorbé par le désir de capturer l’inimaginable. Un journaliste dont le casque moto reflète la bêtise humaine et la volonté d’immortaliser toute image.

Notre metteur en scène conjugue technologies toxiques et absurde humanité. Nope détient cette puissance d’être plus contemporain que n’importe quel documentaire portant sur les avancées technologiques. Parfois, elles sont souvent à voir d’un bon œil. Souvent, elles sont utilisées à trop mauvais escient. Comment ne pas être dégoûté face à des jeunes filmant une bagarre, plutôt que de prévenir des secours ou de s’interposer ? Se divertir mène au succès. Voici ce que Jordan Peele dénonce grâce à son humour. Et surtout grâce à ses séquences horrifiques, où l’angoisse est savamment installée dans un désert. L’individualisme l’emporte sur l’altruisme.

Nope n’est pas un chef d’œuvre. L’ennemi de nos protagonistes disparaît de manière pathétique, laissant une sensation anti-spectaculaire… Néanmoins, sa photographie demeure mémorable et son atmosphère glauque est maîtrisée de bout en bout : sa scène d’ouverture, la maison ensanglantée, de terrifiants maquillages, son montage radical, etc. Le long métrage annonce assurément une belle carrière pour son artisan. Il rappelle aussi une dure vérité : hommes et femmes n’envisageront jamais les civilisations sans la construction d’arènes.

Drama

The Psychotic Monks Interview

Il y a énormément de façons de danser. Il y a énormément de façons de vivre et de ressentir la puissance aux multiples facettes du déferlement d’émotions d’un concert de Psychotic Monks. Au Micro Festival de Liège, le groupe parisien s’expose, viscères au dehors. Il partage cette intimité avec un public transcendé, prêt à recevoir encore davantage. Il est bien vite comblé, bien vite submergé. A un rock qui met des claques, les Moines ajoutent, explorent, et nous suivons, tous parcourus de cette énergie, des virages intenses entre larmes d’euphorie et rires frénétiques. La transe s’installe. Chacun dansant à sa manière, tous au même rythme.
Rencontre désarçonnante avec des personnes cohérentes, pas uniquement dans l’apparence, et inspirantes pour l’artiste, pour l’individu, pour l’âme.

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Vos concerts sont des cérémonies où règnent la bienveillance et le respect. En ne vous étant pas encore imprégné de l’ambiance du Micro Festival, à quoi ressemblerait un festival dans lequel vous auriez envie de transmettre votre musique ? Livrez-nous votre première impression du festival.

Paul (basse, chant, claviers, trompette) : Nous avons déjà retrouvé pas mal d’amis et de groupes qu’on connaissait, tout était toujours bienveillant. Les groupes qu’on connaissait, qu’on a croisés, nous ont dit que tout s’était super bien passé. C’est le genre d’ambiance qu’on aime bien retrouver. Souvent, quand on vient en Belgique, ça se passe bien. Les endroits dans lesquels on a des difficultés, c’est dans des grandes capitales, comme à Paris, le soir, quand il y a beaucoup d’alcool. Mais ici, je pense que tout va bien se passer.

En live, vous communiquez une énergie fougueuse qui fait partie intégrante de l’esthétique de votre projet. Comment considérez-vous la place du live dans votre projet ?

Clément (batterie, chant) : Il y a eu longtemps l’idée de s’oublier un peu là dedans, d’y aller à fond. Ca évolue avec le temps. Au début, le but était de rechercher une grosse transe. Nous avons chacun notre définition du concert, mais petit à petit, ça se transforme en une recherche d’être connecté le plus possible avec le public pour ma part, et de toujours garder cette dimension introspective pour que lorsqu’on sort du concert, on soit complètement soulagés. C’est dans tous les cas très liés à la musique. C’est super important. Quand on sort sans avoir ressenti ce truc (prononcé avec insistance), on est un peu frustrés.

Comment savez-vous que vous l’avez justement ressenti, que vous étiez en transe ?

Tous ensemble : On n’est pas tous d’accord !

C’est justement très intéressant. Chacun, vous avez votre définition de cet état.

Clément : C’est très inégal. Certains soirs, on sera deux sur quatre à avoir trouvé ça génial, et les deux autres auront trouvé ça plus compliqué. Ca dépend des places sur scène, du son, … Ce qui me plaît le plus, c’est quand je déconnecte. C’est ce moment quand je sors de scène, et je ne sais plus où je suis, que je ne sais pas trop ce qui s’est passé, mais que je sais que ça m’a fait du bien.

Martin (guitare, chant) : A titre personnel, c’est un vrai exutoire. Ca me fait énormément de bien. Il faut aussi trouver l’équilibre entre le fait de jouer pour nous, mais aussi le fait d’avoir des gens qui sont là, et d’essayer de trouver la connexion avec ces gens. Si on est trop renfermés sur nous-mêmes, ça se sent et la connexion peut ne pas avoir lieu. Par le passé, on a pu dégager des trucs parfois un peu trop intenses, parfois faire peur aux gens ou sembler trop fermés. Ce sont des choses qu’on essaye de débloquer, également par la musique qu’on fait, pour aller chercher d’autres émotions. C’est un équilibre sur le fil, qu’on essaie de chercher.

Paul : Sur le discours, on se rejoint beaucoup tous les quatre. C’est sur les sensations que nous partons sur des choses différentes. Parfois c’est difficile de se capter à 100% car pendant un concert nous ressentons parfois les choses différemment. On a parfois l’impression que l’un est dans tel ou tel état et c’est en sortant du concert qu’on se rend compte que c’était plus difficile pour lui, sans qu’on l’ait perçu ainsi. Nous discutons aussi beaucoup d’art thérapie et de ce genre de notions, et une partie de nos concerts est aussi un terrain d’exploration pour ça. Ca évoque en tout cas des choses différentes pour chacun d’entre nous, et c’est un endroit de liberté qui est en plus communicatif avec le public, une énergie fougueuse à la limite entre le contrôlé et le non contrôlé. On discute beaucoup des limites qu’on doit se mettre ou non, pour être à l’aise et dans le respect de cet équilibre.

Arthur (guitare, chant) : Je rejoins beaucoup ce qui a été dit. A titre personnel, je ne me sens en général pas très bien dans la société dans laquelle on évolue. La scène et cet univers musical me permettent de me sentir bien, de créer, pendant un moment éphémère, un espace où je peux me sentir plus libre et où je peux extérioriser des choses qui ont du mal à sortir en dehors de cet espace. Parfois ça se passe, parfois pas. Si ça ne se passe pas, ce n’est pas grave. C’est aussi l’intérêt du spectacle vivant, que le lendemain, ça pourrait être différent.

Martin : Comment on sait ? Pour ma part, ça arrive souvent qu’en sortant de scène, je me rappelle que le concert se soit passé, d’avoir ressenti des choses, sans justement trop savoir… Le retour du public est alors très intéressant pour voir si cette connexion est bien passée. Ca transforme complètement la perception qu’on peut avoir eue de la soirée et du concert. S’il y a un moment où les gens ont senti qu’il se passait quelque chose (qu’ils n’ont pas compris, rires), alors ça change tout. Mais en général, quand ça se passe mal, on s’en rend compte tout de suite, les gens s’en vont (rires).

Tant dans vos concerts que dans votre manière de répondre aux questions, tout le monde semble sur le même pied d’égalité. En live par exemple, les rôles de chacun sont définis mais en même temps fluides. Les places sur scène ou le chant varient.
Retrouvez-vous cette versatilité dans le travail de composition ?

Clément : Une des bases du groupe a été justement de ne pas avoir de leader, de se partager le chant au maximum, de tout faire pour que tout le monde s’y retrouve et qu’on puisse partager un maximum. Pour la composition, on passe beaucoup par la méthode jam. C’est beaucoup de discussions, de relevés, et en live, on passe par les quatre personnes. A partir de nos quatre personnages, on amène différentes idées. On sort de cette représentation du chanteur lead du groupe de rock.

Paul : Le terme de fluidité que tu as employé résonne beaucoup. Ce n’est pas une vraie égalité totale au sens strict, plutôt une fluidité dans le sens d’essayer de briser les structures hiérarchiques et les frontières. C’est ça qui nous intéresse musicalement, socialement, psychologiquement. C’est un terme bien utilisé.

Martin : L’idée est de créer un espace où on se sent tous les quatre libres le plus possible. Libres de mettre ce qu’on veut dans le groupe. Donc, c’est assez mouvant. À certains moments, certains d’entre nous portent davantage sur certains aspects, mais ça finit par s’équilibrer à chaque fois. On se retrouve toujours autour de la musique. Il n’y a donc pas qu’un seul compositeur et la façon dont on crée la musique s’est transformée comme ça : on ne part de rien, on se met à quatre dans un studio de répète et on jam ensemble.

Paul : La seule chose que j’aurais à ajouter, c’est que la démocratie, c’est de la merde (rires). Au départ, on se revendiquait groupe démocratique… Tu as employé le mot fluide, je m’y suis reconnu. Quand on est quatre et que la majorité souhaite faire telle chose, la démocratie voudrait que cette majorité l’emporte. Comment fait-on alors pour être le plus horizontal possible, sachant qu’on est des personnes différentes avec des caractères différents ? Alors on s’équilibre. Mais certains ont tendance à prendre davantage le lead sur telle ou telle chose. Notre force, c’est cette différence. C’est toujours un travail en cours de rechercher cet équilibre. En tout cas sur scène, ça fait plaisir car récemment, on ressent que chacun a sa place qui ne déborde pas sur celle des autres. C’est encourageant d’entendre ça (que cette fluidité des rôles se ressent).

Vous défendez des valeurs de localité, de circuit court, que ce soit sur vos réseaux sociaux et également de par les endroits dans lesquels vous préférez jouer.
Vous avez notamment travaillé avec Clara Marguerat pour vos photos de groupe. Est-ce important pour vous de mettre en valeur la proximité ?

Clément : Tant dans les gens avec qui on travaille que dans les dates de concert, on privilégie les dates associatives. Lorsque des amis à nous font de la photo, on essaie de commencer quelque chose, de regarder si ça marche… C’est aussi se laisser le droit à l’erreur. On a toujours essayé de bosser avec les gens autour de nous. Mais on n’a pas toujours été super bien organisés, parce que le groupe nous prenait beaucoup de temps et ça nous a demandé de remettre pas mal de choses en place. Pour le prochain disque, on vient de s’ouvrir à des gens qu’on ne connait pas du tout. Le circuit court, c’est important. J’apprécie cette démarche. Elle influence les choix de nos dates. Les dates associatives nous ont énormément aidées. Les associations qui sont montées sont vraiment super.

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Ce soir, vous allez jouer de nouveaux morceaux. Par rapport à votre dernier album, assez narratif, divisé en chapitres, très sombre et introspectif, comment vous orientez-vous pour ces nouveautés ?

Paul : On va faire un tour pour ça ! Pour ma part, ce qui me vient, c’est envie d’être plus invitant à danser d’une manière ou d’une autre, quelle que soit l’esthétique. Une danse qui serait le plus possible dans l’inclusivité. Évidemment, il y a plein de manières de danser, mais dans ces nouveaux morceaux, il y l’idée de ce lâcher prise, d’être à la fois très introspectif mais aussi de partager avec la personne qui est à coté de soi, en bougeant au même rythme et en dansant ensemble. On se rapproche aussi de certains codes de musique électronique…. On en a beaucoup discuté entre nous, on était sûrs de ne jamais faire ça (rires). C’est toujours comme ça, il y des choses qu’on pensait ne jamais faire. Puis, on en vient à se demande comment on en est arrivé là. Du moment qu’on est tous les quatre alignés sur ce qu’on a envie de faire au moment où on monte sur scène, je pense qu’on essaie le plus possible de se laisser libre de ce qu’on peut faire.

Arthur : Nous, on a envie de faire de la pop, et c’est vraiment ce qu’on essaie de faire. C’est juste qu’on n’y arrive pas vraiment (rires). C’est ce vers quoi, en tout cas, on essaie de tendre. La pop vers laquelle on essaie de se diriger, c’est quelque chose qui aurait une forme d’accessibilité. Un style qui permettrait aux personnes qui nous écoutent d’êtres invitées dans des endroits où ils n’iraient pas forcément. Il y a toujours cette notion, ce fantasme de permettre aux personnes de pouvoir découvrir des choses, des émotions en elles. Faire en sorte que sans ces portes-là, ces gens n’auraient pas eu forcément accès. Ce vers quoi on se dirige. On se dit que c’est de la pop, mais on est les seuls à le penser (rires).

Martin : Nous avons traversé une période avec l’album précédent, quelque chose d’un petit peu dur, de très sombre, qui allait chercher ce genre d’émotions. Je pense qu’on a eu vraiment besoin de s’en détacher. Peut-être que ouvert est le bon terme. Je dirais que je recherche la sensation dans le corps, sur le moment. Je rejoins Paul sur le fait de faire lancer les gens, même si c’est à notre manière, d’aller chercher davantage dans ces codes-là, même dans la manière dont on s’exprime sur scène, d’être plus lumineux. En tout cas c’est comme ça que je l’imagine. Plus de sourires aussi. La question est aussi un peu difficile car c‘est une éternelle recherche. Pour compléter, ce qui me plaît, c’est de me surprendre des directions qu’on finit par prendre et d’à quel point il ne faut jamais dire jamais. S’il y a quatre ans, on m’avait dit qu’on explorerait certaines esthétiques qu’on explore actuellement, je n’y aurais pas cru, alors que finalement on s’y plaît beaucoup.

Clément : On avait tendance à un peu romaniser la musique, à faire des références à des films, faire des chapitres. Maintenant, au lieu d’être dans l’introspection, on se tourne un peu plus dans une sorte de partage d’intimité. On désire apprendre des autres, libérer une parole. Je le vois comme essayer d’arriver à une sorte de simplicité, pour que le contact se fasse plus directement avec les gens, même si on a toujours un travail de personnage sur scène car on y est tous différents. On aimerait essayer d’arriver à la simplicité la plus pure. D’être juste là. D’être avec les gens.

Martin : Quand on a commencé à faire des concerts, ça a été une période de vie où je découvrais beaucoup sur mon environnement et sur moi-même. La musique et les concerts ont vraiment été un endroit où j’exprimais beaucoup de colère ressentie au quotidien, autour de moi. L’illustration de plusieurs incompréhensions. Je trouvais ça apaisant, car je ne ressentais plus de colère ailleurs. Je la déplaçais uniquement dans la musique et les concerts. Je pouvais m’assurer que ça ne jaillissait pas ailleurs, sur les autres ou sur moi. Durant la période covid, les concerts étaient annulés. Comment faire quand on est habitué, pendant un an et demi, à mettre toutes ses émotions quelque part ? Devais-je les mettre ailleurs ? On a continué à se voir, à faire de la musique, et certaines choses ont changé aussi. C’est parfois fort légitime d’être en colère. J’aimerais pouvoir exprimer d’autres émotions sur scène maintenant. En écoutant d’autres artistes, je me suis rendu compte qu’il y avait de la place pour tout ce qu’on peut ressentir. Ce qui est compliqué aussi, c’est que quand certaines personnes apprécient ce qu’on fait, le changement peut faire peur. Mais autour de nous, nous sommes toujours inspirés par des gens qui prennent le risque d’évoluer, car il y a toujours cette possibilité de déplaire. A notre échelle, ça va. C’est difficile pour quelqu’un d’être toujours identifié à faire quelque chose de particulier, puis de proposer quelque chose de nouveau. Au niveau identitaire, ça peut être un peu bizarre. On essaie de demeurer libres d’évoluer.

Paul : Il y a toute une imagerie autour de la musique qu’on a pu faire et qu’on fait, on a même voulu en faire partie. Désormais, on essaie un peu de le déconstruire. Ca peut être un but en soi, si à la fin d’un concert, on peut arrêter de nous dire : ça fait du bien de voir du gros rock qui met des claques. Je n’ai personnellement plus trop envie d’entendre ça. Mais chacun y voit évidemment ce qu’il veut. On a encore des phases, qui parfois, font référence à ces codes-là. On essaye de s’en éloigner et de chercher d’autres sonorités.

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Interview menée par Elena Lacroix  Photos ©Quentin Perot & ©Clara Marguerat

L’Orient en Belgique

Notre pays fut bercée par l’immigration. En Belgique, quelques artistes participent au folklore oriental. Leurs compositions caressent nos oreilles, loin des mélodies dominant les radios. Exit la trap parisienne, drill ou autre hérésie. Tamino et Wyatt. E attirent l’attention. Comment ? Pourquoi ? Découvrons leur musique.

Tamino

Tamino est envoûtant. Via sa voix, son regard ou son jeu gracieux à la guitare, le musicien illustre son héritage en musique. Tamino-Amir Moharam, d’origine égyptienne, obtient les faveurs du public à la sortie de Indigo Night. Le succès est immédiat grâce à une performance vocale jouant sur plusieurs octaves. L’apport créatif du bassiste de Radiohead, Colin Greenwood, participe aussi à la magie du tube.

Pour son retour, Tamino ne mise pas sur un single des plus radiophonique. Au contraire, The First Disciple et ses six minutes nous transporte vers un territoire mystique. Dès les premières notes, le voyage est intense. Comme s’il était impossible à l’artiste de se détacher de ses racines. On ne sait vers où il se dirige dans son clip si enivrant. Mais une pensée du navigateur français Titouan Lamazou résume cette posture : c’est l’errance qui nous oriente. Après deux années où le contact social fut prohibé, Tamino se joint aux autres, en pleine communion. Puis, on comprend que sa chanson remet en question une figure idolâtrée.

They would pay any price to kiss your skin. Don’t tell me that is loving.
You know that don’t mean nothing.

Sahar, futur second opus, aura-t-il pour thème principal la fascination ? Une initiative qui serait fascinante, à une époque où la starification devient de plus en plus malsaine. A suivre.

Wyatt E.

Wyatt E. réussit l’exploit d’invoquer les Dieux mésopotamiens. A leur écoute, quelle est la première divinité qui vient à l’esprit ? Ishtar, déesse étroitement associée à l’amour et la guerre. Comme si le trio incarnait douceur et brutalité sonores. Le disque āl bēlūti dārû invite bel et bien à planer.

L’album est sans équivoque un voyage. Il s’agit là d’une suite solide de Exile to Beyn Neharot. Marche militaire. Saz. Saxophone. A travers la recherche instrumentale du groupe, les références propres au monde oriental sont toujours aussi puissantes.
D’ailleurs, il s’y se cache un désir intime. A savoir, une volonté plutôt assumée de réaliser une introspection.

On a longtemps cherché l’identité du groupe. Avant de devenir Wyatt E., nous avons tourné en rond quelques années. Notre musique était clairement drone. Le changement s’est opéré à l’époque où nous avons rencontré notre premier batteur. C’est avec lui, en esquissant les bases musicales de ce qu’est devenu Wyatt E., que j’ai pensé que le groupe pouvait ne faire qu’un avec un projet personnel qui me trottait dans la tête depuis longtemps déjà.
J
’ai des ancêtres juifs ashkénazes d’Europe de l’Est dont l’origine est assez claire, mais également des juifs mizrahis de Syrie, et là l’origine est plus laborieuse à trouver.
Cette poursuite d’identité a été fondatrice dans l’élaboration de l’univers où le groupe allait évoluer. Stéphane Rondia m’accompagne dans cette quête.
-Sébastien von Landau, guitariste et claviériste de Wyatt E.

Le fond de l’histoire est le déracinement, ajoute le musicien. Lorsque Nabuchodonosor II, roi de l’Empire néo-babylonien capture les élites juives de Jérusalem, il les envoie ensuite à Babylone. Wyatt E. s’approprie ce fait historique. Le déracinement tient alors une place centrale dans l’imaginaire de āl bēlūti dārû.

Découvrir Babylone à travers les yeux des ancêtres ouvrait un champs des possibles incroyable.

DRAMA – Photo ©Antonino Caruana

His House

Nous sommes à Londres, dans un centre de demandeur d’asile. Bol et Rial font face à 3 personnes. Ces dernières leur annoncent que l’Etat leur octroie un habitat. Un sourire et des rires de soulagement transparaissent de notre couple. Enfin il va avoir la maison dont il rêvait. Arrivés chez eux, la désillusion et le passé les hantent. Et si cette maison n’était pas vraiment la leur ? Continuer la lecture

Decision to Leave

L’amour impossible prend une tournure sanglante chez Park Chan-Wook. Le retour du cinéaste se fête en beauté. Il se nomme Decision to Leave. Dernièrement, le film remporte un prix au Festival de Cannes. Sa romance n’est nullement ennuyeuse. Hae-jun, policier herculéen, ne trouve plus sommeil. L’arrivée d’une belle et mystérieuse jeune femme n’arrange rien. Infirmière au passé trouble, elle paraît être une autre personne face à ses partenaires masculins…

Le réalisateur signe un récit purement hitchcockien. Même s’il semble se détacher des références propres au Maître du Suspens, Park Chan-Wook joue sur les ambiguïtés. Il annonce une couleur en première partie de l’œuvre : le quotidien d’un mari dévoué à la cause policière. Au second volet, il expose les réelles intentions des personnages. D’un côté, une femme bouleversée par la délicatesse d’un enquêteur classieux. De l’autre, un homme dont l’amour dépasse tout entendement. Ce récit affiche une mise en scène mémorable. Nos yeux admirent divers angles de vue sophistiqués, des transitions aux petits oignons, moult décors majestueux, etc.
Néanmoins, le fond l’emporte sur la forme. Decision to leave est une tragi-comédie présentant des protagonistes conscients de l’ampleur de leurs actes. Dissimuler des preuves. Fabriquer des mensonges. Comprendre le Mal. Deux concepts ne cessent de se confronter : justice et amoralité. Pourquoi le cinéma coréen attire l’attention via de telles thématiques vues et revues ?

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Je pense que si le cinéma coréen est apprécié, c’est en raison de son amplitude émotionnelle. Dans le cinéma moderne, ce sont peut-être les Coréens qui expriment le plus d’énergie dans les sentiments et les états d’âmes.Park Chan-Wook

Pensons à Dernier train pour Busan, ou plus récemment, à Parasite. Le septième art coréen a la réputation de manipuler, puis mélanger les genres de manière inouïe. Decision to Leave dépeint des séquences hilarantes, angoissantes et surtout, philosophiques. De fait, quelques passages questionnent notre moralité. Si l’amour rend aveugle, faut-il protéger l’ignominie ? Hae-jun est en ça intéressant. Il met à rude épreuve son code moral. Qu’il soit en montagne, en ville ou au commissariat, il souhaite demeurer un justicier… malgré le caractère d’une dame à la fois rusée et envoutante.
Le polar nous renvoie à notre condition humaine. On a beau lutter pour nos passions premières, contre toute attente, nos désirs l’emportent sur notre raison.

Drama

L’équilibre de Jack White

Jack White sort des sentiers battus depuis quelques années. Il assume une posture de géant du blues contemporain. Ses deux premiers albums demeurent très accessibles. Puis, advient un jet très expérimental, voire trop foireux. Boarding House Reach mêle un foutoir impossible à retenir. L’opus est au carrefour entre hip hop, rock, sonorités de science-fiction…
Heureusement, Jacques commence à contrôler ses désirs de surprendre. La ballade If I Die Tomorrow illustre le point d’équilibre de l’artiste. On s’éloigne des lubies artistiques. On s’approche d’un morceau folk, au mixage policé.
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LA DURE A CUIRE #66

Kwoon

Sandy Lavallard, nomade et aventurier, voyage seul. Jusqu’aux premières notes du moins, car c’est alors qu’il nous invite parmi les rochers inquiétants du phare hanté de Tévennec. Le voyage ne s’arrête pas là : cette valse battant au rythme des vagues versatiles se matérialise en une vidéo narrative et virevoltante. Sa fluidité entre air et eau fait presque oublier que la plasticine utilisée colle trop aux doigts que pour accompagner une musique si aérienne.

Marble

Marble ne sont pas aussi sphériques et compacts que le suggère leur nom. Leur premier single Myth, en référence au mythe de Sisyphe; cherche sa personnalité parmi des influences s’annulant parfois les unes les autres dont la résultante est une indie pop/rock catchy, simple et efficace. A la complexité du discours sur l’œuvre se heurte une simplicité solaire musicale, visuelle et lyrique. Elle n’a finalement rien à envier aux prises de tête intellectuelles annoncées par le groupe. Less is more.

Clipperton

Même au beau milieu d’un décor excentrique, la sobriété lumineuse de Clipperton attire instantanément le regard et l’oreille. Pour leur live session intimiste, le trio est accompagné d’une claviériste chanteuse dont les harmonies confirment l’élégante limpidité des compositions.
Clipperton interprète humblement et justement (à tous les sens du terme) 4 titres pop mais mélancoliques, dont Abyss sorti il y a quelques mois.

Elena Lacroix
Notre playlist Spotify

Quel est l’album de cet été ?

Quel album symbolise cet été ? La question semble ridicule. Il n’est pas question de réduire une œuvre à une saison. En tant que mélomane, je veux tomber sur les berceuses de mes jours ensoleillés. Sur les routes italiennes, une évidence me vint à l’esprit. Un mec sort du lot et défonce mes oreilles en sueur. Pourtant, la concurrence fut rude. Cet été, plusieurs artistes peuvent aisément envahir l’inconscient collectif. Miles Kane pour son côté Lennon énervé sur Change the Show. Ou Mr. Oizo et son dernier opus italo-funky-rap. Un garçon plus jeune encore remporte ma palme estivale : Steve Lacy. Continuer la lecture

L’été en France

A quoi ressemble un été en France ? Les politicards profiteront des vacances pour légiférer les pires lois. La canicule asséchera les citadins, tout comme les rats des villes.

Heureusement, la musique, cure des Dieux, rappelle à quel point la France regorge de talents. S’impose alors une obligation : partager une playlist éclectique pour danser, chanter et planer. Optons pour des artistes contemporains attirant notre curiosité. Le retour rock poétique de Mademoiselle K. La richesse instrumentale de Groundation. La fougue composée par Dégage. Ou l’electro d’opéra propre à Superpoze. Bonne écoute. Bonnes vacances ! Continuer la lecture

Bienvenue à Bossanova

Brook et Carmen voyagent sans but à atteindre. Soudain, l’équilibre des mondes est perturbé sur les routes mexicaines… Brook est largué dans une dimension loufoque, prêt à retrouver sa bien-aimée. Bruno Caruana signe une nouvelle bleutée de 5 pages. A quoi s’attendre ? Comédie, drame, fantastique et poésie ! Antoine Wathelet soigne plusieurs aspects de l’œuvre : la mise en page et l’illustration au dos de l’écrit, formant un poster A3 ! Une case fait aussi office de carte postale. L’impression sort tout droit des Ateliers du Toner.

  • En stock ? Une vingtaine d’exemplaires / Coût d’un exemplaire ? 5 euros

Pour s’en acquérir, il suffit de :

  • verser la somme exacte sur BE58 1431 3003 6079
  • communiquer vos coordonnées complètes (NOM prénom, adresse et code postal) et préciser le nombre d’exemplaires que vous souhaitez recevoir via jcclmusique@gmail.com

Disponibles également dans une librairie de la réalité vraie :

➜ Papyrus – Rue Bas de la Place 16, 5000 Namur

Nous nous occupons d’envoyer la commande par la poste. Pour découvrir l’auteur et son œuvre, l’origine du projet et l’envers du décor : KultQuatremille & Equinox FM. Quant à cette boutique, elle est provisoire. Elle disparaîtra une fois le stock écoulé. Bonne lecture !

boutique bas de page

Illustration & photos ©Antoine Wathelet