Film

You Heat Me Up, You Cool Me Down

King Krule se déplace de Londres à Manchester, mais aussi de la Terre jusqu’à la Lune. Quant à la première fois où le Roi entre dans ma vie, c’est lors de mon adolescence. Le choc est soudain. La découverte est jouissive. L’artiste redéfinit l’attitude musicale de l’Angleterre post 2000. The Libertines saigne de pétulantes guitares. Arctic Monkeys devient un tank aux rythmes turbulents.
King Krule, lui, s’initie à une musicalité encore plus riche. Il décrit l’amour, la solitude en mêlant la noblesse du jazz, le punk et sa brutalité, ainsi que les beats ultra frais propres au trip hop.
Quelques mélomanes se mettent d’accord pour lui laisser la couronne. J’en fais partie, même aujourd’hui, face à ses concerts filmés, synthèse de son éternelle fougue. 
You Heat Me Up, You Cool Me Down apporte un sourire aux lèvres.

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©Reuben Bastienne-Lewis

On y aperçoit le groupe d’Archy Marshall. Ses musiciens s’expriment comme ils le souhaitent sur scène. Ce côté organique offre des morceaux aux durées plus longues, mais surtout, des adaptations instrumentales bien plus généreuses !

Le court métrage se ponctue d’images d’archives. Le dandysme vestimentaire des premiers spectacles. Les voyages qui bercent l’imaginaire artistique. Le public apportant une incroyable force aux musiciens. Leur présentation, l’hommage indispensable qui clôt l’aventure visuelle. Les séquences témoignent également de la ténacité rageuse du rouquin.

Je pense que la colère est le sentiment le plus honnête que l’on puisse avoir.
C’est comme si l’on était possédé par cette rage, que ton esprit voulait s’enfuir, ainsi la seule vérité en surgit.
 -King Krule (RifRaf n°193, 2013)

You Heat Me Up, You Cool Me Down reflète l’importance des spectacles vivants. Ses images dévoilent le lien insécable entre les artistes et leur public. L’oeuvre tombe à pic, lorsque certains croient encore que la culture est non-essentielle.
Archy Marshall ne se limite pas à partager gratuitement cette espèce de documentaire. Un CD et deux vinyles (déjà soldout !) sont à vendre. L’Anglais continue de créer sans limite. Mon envie de le suivre dans chacun de ses délires grandit d’année en année.

DRAMA – Illustration ©JG Marshall

Bo Burnham : la génération de la fin du monde (1/4)

Mai 2021. Le confinement touche à sa fin, les chiffres sont à la baisse, et le Soleil d’un premier été déconfiné se lève sur une société bouleversée. Comment tout cela est-il arrivé ? Quels micro-évènements de la comédie humaine nous ont amené vers cet état catastrophique, où plus rien n’a de sens clair, où plus rien n’est stable ?

Parmi ce tas de décombres, le secteur culturel, jugé non-essentiel, se relève difficilement. En particulier, le monde du cinéma peine à reprendre de la vitesse. Art collectif, il a souffert du confinement, empêchant le travail en communauté.
Dans ce désert, on aperçoit un cavalier seul, habitué à créer dans sa chambre. Le confinement semblait comme l’occasion parfaite pour qu’il apparaisse dans toute sa splendeur. Alors qu’Internet était devenu une des dernières fenêtres sur le monde, un artiste maîtrisant ses codes les plus profonds émerge aux 4 coins de la toile : Bo Burnham.

Le comédien en pleine ascension a marqué le paysage cinématographique avec une œuvre majeure, incroyable portrait de l’époque actuelle : Inside. Mais si beaucoup connaissent l’artiste depuis son dernier travail, le parcours de Bo Burnham n’est pas exempt de chef d’œuvres. Car depuis 15 ans déjà, la moitié de sa vie, l’artiste saisit parfaitement les codes de son époque et de son média.

Comment Bo Burnham a-t-il construit son talent pour se hisser en tant que symbole de toute une époque artistique ? Comment est-il parvenu à représenter toute une génération, ses soucis et sa personnalité ? Un parcours long et étrange peint un tableau : la génération de la fin du monde.

2006, Etats-Unis. George Bush est président. La guerre en Irak fait rage et Internet apparaît lentement dans le monde occidental. Bo Burnham a 16 ans et, comme beaucoup après lui, il poste des vidéos sur le net. Musicien, le garçon grand et maigre martèle son synthétiseur sur des textes comiques, avec un sens de l’ironie déjà aigu, celui qui fera son succès. Il est loin de savoir que 15 ans plus tard, il reviendra au même format.

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©Amazon

Le garçon est talentueux et plus le temps passe, plus ses chansons parcourent le monde. Au fur et à mesure, la qualité sonore et visuelle s’améliorent. En plus des chansons, il se met aux sketchs et à 18 ans, il se produit sur scène. Mais alors, son œuvre n’est constituée que d’éléments isolés sur des sujets précis. Le but est de faire rire et c’est tout. Aucune prétention ne colore cette période de l’artiste. Il a une et une seule volonté : faire passer un bon moment au spectateur, en y parvenant chapeau bas.

Il faut dire que les années 2000 n’ont pas les mêmes enjeux que l’époque actuelle. Pas de crise climatique imminente, pas de pandémie mondiale, pas de chute dangereuse du capitalisme, et un optimisme global se ressent au sein de nos sociétés.

En 2010, sort son premier spectacle : Words Words Words. Long d’une heure, cette création est construite de A à Z par l’artiste. L’exécution et l’écriture sont plus complexes, tout comme les thèmes abordés. Bo Burnham ne se contente plus d’être drôle. Il utilise l’humour pour parler de sujets plus graves et personnels. De sa mise en scène résulte une véritable fusion entre un concert et un spectacle de stand-up. Il marie superbement les médias en jonglant entre sketchs et chansons dont chacune, à partir de cet instant, deviendront complexes et, pour certaines, cultes.

Dans « Oh Bo », il aborde le thème de la légitimité de l’artiste, sujet qui ne le quittera jamais, telle une obsession. Dans « What’s funny », il pose des questions sur la comédie en tant que genre. Quel est son but ? Qu’est-ce qui la définit ?
Finalement, le spectacle titube, il a du mal à trouver un équilibre entre les ambiances tragiques et comiques. Certains sketchs sont mal construits. On sent que l’artiste manque d’expérience pour devenir le réalisateur d’Inside.
Mais c’est à cette époque que se construit sa personnalité artistique, et ce qu’elle a d’original. Il ne fait pas uniquement de la comédie. Il fait de la comédie sur le fait de faire de la comédie. En constante angoisse sur sa légitimité, il utilise l’anxiété comme base pour faire rire. Réel « humour de la dépression », ce style le suivra pendant toute sa carrière.

A partir de Words Words Words, la stratégie de Bo Burnham va changer. Finies les vidéos et sketchs isolés, chacune de ses œuvres va ressembler à son premier spectacle. Une union fertile entre dépression et humour, sous fond musical de plus en plus riche et varié.

L’artiste s’isole pendant 3 ans. 3 longues années pendant lesquelles il peaufinera chaque ligne, chaque accord dans un perfectionnisme créatif exacerbé. La machine est lancée, et le deuxième enfant du monstre créatif s’appelle What… 8 ans avant la fin du monde.

Lou

Tim Burton en quelques lignes / Ed Wood

Tim Burton marque les esprits. Comment définir ses astuces ? Le cinéaste présente souvent des personnages au cœur d’or. Les récits attirent enfants et adultes. Son imaginaire illustre bel et bien de farfelus protagonistes baignant dans divers décors à la fois macabres et baroques. Mais il s’y note généralement une touche féerique.
Avant que mes cheveux blancs envahissent entièrement ma tête, analysons en quelques phrases certaines de ses œuvres.
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Ces films impossibles à terminer Part 1

Comment exprimer son dégoût face à certains films ? Pourquoi fuir devant l’incompréhension ? Nous revenons sur quelques expériences foireuses du septième art. Au programme : 3 films décriés par mois.

Sleepy Hollow – Tim Burton

Pour beaucoup, Tim Burton est un des plus grands cinéastes de sa génération. Et si, en effet, son style atypique et son alchimie unique ont fait de lui un grand nom du cinéma fantastique contemporain, son parcours n’est pas immaculé. Sleepy Hollow (1999) est une douloureuse éraflure dans la filmographie du génie.
Nous contemplons des personnages trop plats et caricaturaux. Il ne se passe pas grand-chose, et la matière est trop pauvre pour laisser la magie opérer. Avec beaucoup d’efforts, il est possible d’atteindre la moitié de l’œuvre. Mais son dynamisme, déjà faible, s’écroule assez vite. L’effort que demande le visionnage rompt le contrat entre le spectateur et le film. Alors, 
Sleepy Hollow se goûte dans la gastronomie de Burton telle une tranche de pain de mie, sans saveur ni intérêt.

Downsizing – Alexander Payne

Downsizing date de 2018 et est un parfait exemple de mariage raté entre deux genres. Collés de force à grands coups de scotch, la comédie et le drame empiètent l’un sur l’autre comme de mauvais voisins : impossibles à concilier, ils ne demandent qu’à se fuir l’un l’autre.
Pourtant, il est possible, et même très intéressant, de faire de la comédie dramatique. Rire des choses tristes est un terrain fertile qui a su inspirer de nombreuses œuvres. Néanmoins, il y a une différence entre ‘comédie dramatique’ et ‘comédie + drame’. Dans 
Downsizing, les rires et les pleurs se succèdent sans s’entremêler, sans s’associer. Si bien qu’on a l’impression, en réalité, de se trouver devant deux films différents, diffusés en même temps. Or, le téméraire qui aurait tenté une telle expérience le sait : c’est insupportable.

El Topo – Alejandro Jodorowski

Alejandro Jodorowski est un véritable alien. Perdu entre les styles et au-dessus des conventions, il est le maître du bizarre et parmi les rois incontestés des films d’auteur. En 1970, le réalisateur franco-chilien sort son deuxième long métrage : El Topo. Comme on peut en attendre de l’artiste, le film est une œuvre étrange. Ecrite, tournée, et montée bizarrement. Cependant, bizarrement ne signifie pas mal, car on sent une grande maîtrise de la part du réalisateur. Malgré la qualité incontestable d’El Topo, en venir à bout est un supplice. Sa lenteur et son vide narratif sont si pesants que peu d’entre nous pourront se vanter d’avoir atteint les dernières minutes.
L’œuvre semble avoir été conçue pour les artistes, mais pas pour les spectateurs. Ou en tout cas, pas pour le public occidental actuel, peut être trop habitué au cinéma hollywoodien, rapide, rempli et rythmé.

Lou

Le Mal contourné par Miyazaki

L’égoïsme est un thème extrêmement fascinant. Peu importe sa nature, l’être humain ne peut échapper à cet état d’esprit.
Le cinéaste Hayao Miyazaki exploite ce sujet à de nombreuses reprises. Là où deux poids, l’Homme et la Nature, tentent de s’équilibrer dans ses productions, une autre parenthèse est à noter. L’artiste nippon expose les mortels et leurs sacrifices. 

Ne passons pas en revue toute l’orfèvrerie visuelle du maître de l’animation. Le Vent se lève retient mon attention. Non pas qu’ils soit mon Miyazaki favori. Cependant, il présente bel et bien un récit pertinent. Il s’articule autour d’une histoire vraie : le destin de Jiro Horikoshi (1903-1982). Cette figure conçoit le Mitsubishi A6M Zero. L’appareil est considéré comme l’un des meilleurs de la Seconde Guerre mondiale. Il reste pourtant associé à une sombre période du militarisme japonais, propre aux missions kamikazes de forces aériennes.

Au départ, je ne devine pas ce que veut transmettre l’œuvre. Plus l’histoire avance, plus je comprends mon erreur. Il ne s’agit pas de raconter des batailles historiques. Face à mes yeux se dressent deux histoires d’amours. D’une part, la passion de l’aviation ancré chez un homme depuis son enfance. De l’autre, la flamme amoureuse brûlant chez deux jeunes adultes. Le Vent se lève perturbe l’espace d’un instant. Il ne se limite pas du tout à son aspect documentaire.

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Miyazaki ne pointe pas seulement des progrès aéronautiques et les mœurs d’une époque. Il emmène également les spectateurs vers le surnaturel. Jiro partage ses rêves avec son idole Giovanni Battista Caproni. L’importance du rêve se dépeint alors grâce à ces images !

Vu sous cet angle, je construis un début de conviction : Miyazaki contourne le Mal à l’aide de son Art. Le Vent se lève décrit les atrocités de la guerre mais ne s’y focalise pas pendant des heures. Le réalisateur provoque l’oubli des atrocités via ce qu’il conte. Caproni est au service d’un certain Benito Mussolini. Il ne représente pas le Diable à l’écran. Il rappelle plutôt à quel point choisir équivaut à renoncer.
Le cofondateur du Studio Ghibli présente des personnages égoïstes entreprenant leurs souhaits les plus profonds, quel qu’en soit le prix à payer.

Au bout de la course, une séquence vient marquer mon esprit. Des larmes arrivent presque à mes yeux en observant une et une seule relation fusionnelle : Jiro et sa bien-aimée atteinte de tuberculose. Rien ne peut arrêter ces êtres déchirés par leurs obligations. Ils se complètent et symbolisent la persévérance (Disney n’a qu’à se cacher).

Un avion amélioré peut devenir une arme de guerre. Un couple peut se rencontrer malgré des risques maladifs. Dès lors, est-ce que notre passion l’emporte sur notre raison ? Est-ce que l’amour rend aveugle ? Qui sommes-nous pour juger ? Est-ce vraiment correct de s’émouvoir devant un homme participant au chaos mondial ?! Trop de questions avalent le mental… ce qui donne une vraie force aux propos du film.

Les années 30 sont tragiques. Heureusement, quelques rêveurs vivent leurs désirs. Le réalisateur avoue avoir produit une simple mise en scène, celle d’un ingénieur soucieux de concevoir de beaux avions. Nos visions ont beau être manichéennes, parfois, l’égoïsme aussi s’éloigne du Mal.

Le Temps scintille et le Songe est savoir. -Paul Valéry

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Inside

La sagacité de Bo Burnham l’amène à composer une fresque de notre époque. L’artiste passe en revue les absurdités actuelles avec un humour qui pique. Il n’est pas pour autant violent dans ses propos. Inside propose vraiment de sages paroles. Quelle est l’arme principale de ses mots ? L’ironie. Continuer la lecture

Que révèlent les pétitions fanatiques ?

Quelques événements ont divisé les fanatiques : Star Wars VIII, le final de Game of Thrones, celui de l’Attaque des Titans. Ces fanatiques décident alors de lancer des pétitions. Pourquoi ? Pour tourner ou écrire leurs œuvres fétiches d’une autre manière… quelle bouffonnerie.
Je déteste les ultimes séquences de GoT. Néanmoins, je ne désire pas voler la plume d’un/e auteur/e.
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Anderson et la perfection

On dit qu’il existe deux types d’artistes : les jardiniers et les architectes. Les premiers créent de manière désorganisée, laissant les idées voyager entre leurs deux oreilles, voguer au gré du vent et, peut-être, germer dans une des terres fertiles de l’imagination.

La méthode des deuxièmes est radicalement différente. L’architecte construit ses œuvres comme on construit une tour : d’une idée viennent les plans, des plans vient la structure, puis seulement, la construction. L’architecte sait où son œuvre va atterrir avant même son instrument. Bien avant l’atterrissage de la plume ou du pinceau sur le support de création.
Bien sûr, une méthode n’est pas supérieure à l’autre. Il ne s’agit-là que de différences dans la façon d’aborder la création. De plus, c’est une division dichotomique, qui n’est à considérer que de manière abstraite dans un milieu aussi vague et riche que la création artistique.

Mais les œuvres, parfois, se retrouvent empruntes d’un style correspondant plus à un extrême qu’à un autre. Là où le style jardinier pourrait être décrit par des termes tels que « vaporeux »,
« vague », ou « déstructuré », le style de l’architecte est synonyme d’un nom : Wes Anderson.

Le lecteur s’est peut-être déjà retrouvé devant un de ces films. Ultra-symétrique, chorégraphié, où chaque geste microscopique a un sens, où chaque plan est articulé avec le suivant dans une danse frénétique.
The Grand Budapest Hotel et plus récemment, L’Île aux chiens sont des exemples d’œuvres du réalisateur américain. Elles ont su charmer le public, tout en jouissant de grands succès critiques.
Mais il peut être pertinent de remonter la chronologie. Découvrons une œuvre plus ancienne qui mérite, elle aussi, de l’intérêt.

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En 2009, Wes Anderson est au milieu de sa carrière actuelle. Il sort un film qui restera emblématique de son travail : Fantastic Mr. Fox.

Un livre qui s’ouvre, une immense plaine rousse sous un ciel doré. Tel est le début du film, dont on rentre vite dans l’intrigue. Parcourant la plaine, un couple de renards vole de la nourriture. Soudain, une maladresse les met en mauvaise position, puisqu’ils se retrouvent enfermés, piégés dans une cage.
Après cet incident, Mme Renard fait promettre à monsieur renard qu’à l’avenir, ils ne voleraient plus. Finie la vie de malfrat. C’était sans compter la nature sauvage de son compagnon, qui finira par voir ressurgir ses pulsions bien plus tard, une fois sa vie de famille solidement établie.
À lire ces lignes de synopsis, on pourrait croire que Fantastic Mr. Fox est une histoire banale, plate, sans rien de grandiloquent. Malgré son parti-pris plutôt simple, le film arrive à séduire par son style et son ambiance.

Le plus important dans une histoire, ce n’est pas ce qu’on raconte, mais comment on le raconte.

Cette phrase n’a jamais été aussi vraie que pour les films de Wes Anderson. Le scénario semble à première vue sans intérêt, mais pour peu qu’on se laisse bercer par l’histoire, chaque élément jusqu’au plus simple devient un plaisir. La simplicité n’est qu’une base pour laisser l’ambiance guider nos émotions. Cette simplicité, le cinéaste la traduit par une sorte de « perfection académique ». Tout est millimétré pour respecter les règles cinématographiques de symétrie, d’équilibre, de règle des tiers…
Pourtant, le résultat divise. Là où certains y trouvent de la satisfaction, d’autres y trouvent de la frustration. Car c’est parfait, trop parfait pour que ce soit agréable.

Et c’est là le principal reproche qu’on pourrait faire à Wes Anderson. Le travail est si propre qu’on a du mal à le considérer comme cohérent. On attend que la gaffe survienne. Et puisqu’aucune œuvre est exempte de défauts, lorsqu’elle survient, sa puissance est décuplée. Dès lors, on y fait beaucoup plus attention. A travers Fanstastic Mr. Fox, la moindre maladresse ou sortie volontaire des codes classiques est visible telle une rugueuse paroi voulue lisse.

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Pour prendre un exemple, parlons du scénario. Contrairement à la réalisation, celui-ci est très peu structuré. L’élément déclencheur est divisé en plusieurs rebondissements : la promesse de M. Renard, le déménagement, l’arrivée du cousin Kristofferson…
La plupart des histoires classiques se seraient contentées d’un déclencheur simple et précis, surtout les contes.

De nombreux autres éléments de narration sont démantelés comme celui de la psychologie des personnages. Cela n’est pas un problème en soi. Les règles narratologiques ne sont que les sentiers battus que tout auteur choisit ou non d’emprunter, pour une raison ou une autre.
Cependant, dans le contexte d’une œuvre aussi académiquement parfaite que Fantastic Mr. Fox, il renvoie une impression étrange que cette discipline soit hétérogène, présente dans certains aspects du film, mais pas d’autres.

Fantastic Mr. Fox est une adaptation du livre éponyme de Roald Dahl. Il est donc logique que les styles divergent entre le récit de base et la réalisation. Néanmoins, il est de la responsabilité de l’équipe du film de rendre le tout cohérent. Et si Anderson est du côté des architectes, c’est un choix étrange d’utiliser une matière de base déstructurée sans la transformer davantage.

Jardinier ? Architecte ? Un peu des deux ? Chaque auteur choisit sa voie. Nous attendons tout de même que les divers corps du récit s’accordent dans un style plus ou moins commun. Il n’existe qu’un maître-mot : la cohérence.
Dans le cas de Fantastic Mr. Fox, la volonté de perfection visuelle fait ressortir chaque rugosité scénaristique. La mélodie est belle, trop belle. Si bien qu’en profondeur, on l’entend dissoner.

Lou

Perdu dans Le Labyrinthe de Pan

ATTENTION SPOILERS

Sombre. Le Labyrinthe de Pan est une œuvre très noire. Peu après la guerre d’Espagne, la jeune Ofelia rencontre un faune. La créature lui déclare qu’elle est la princesse d’un monde souterrain. Elle doit alors réussir trois épreuves pour obtenir son titre.

Cette création hispano-mexicaine partage des propos et un visuel frôlant les ténèbres. Elle développe 2 thèmes : la joie finie de l’imaginaire infantile et la tristesse infinie d’une guerre civile. Continuer la lecture

Soul : dialogue d’âmes

Quoi de mieux que la compagnie à la lampe pour éclairer ces temps obscurs ?

Après de nombreux succès qui ont fait sa renommée, Pixar revient à la charge avec un nouveau long métrage : Soul. Une fois encore, c’est Pete Docter qui est aux commandes. La-haut, Monstres&cie, Toy Story, Wall-E… Le studio d’animation doit beaucoup au réalisateur américain, signant de son nom ses films les plus emblématiques.

Joe Gardner, professeur de musique dans un collège de New York, saisit l’opportunité de sa vie. Aspirant pianiste de jazz, il a l’occasion de jouer avec une star locale. Mais alors qu’il s’apprête à réaliser son rêve, il chute et tombe… Dans le coma.

Dans cet état de mort partielle, il aura un avant-goût de l’au-delà (« great beyond » en anglais), et surtout du « great before », l’endroit où nos âmes se trouvent avant notre naissance. Il y fait la connaissance de nombreuses entités étranges. Parmi elles, 22, une âme sans but dans la vie, qui cherche sa voie.

Si Soul a des airs de Vice-versa dans sa concrétisation de concepts abstraits, il va bien plus loin. Toute une mythologie merveilleusement cohérente est construite pour servir le propos du scénario.

La force de Pixar ? Sa capacité à parler de thèmes difficiles de manière pertinente, et compréhensible, pour tous les publics. Après l’apocalypse (Wall-E), les rêves brisés (Là-haut) et la mort (Coco), la compagnie à la lampe s’attaque au plus difficile des thèmes…
Le sens de la vie.

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Ce sujet ridiculement vaste et abstrait pourrait sonner comme une mauvaise parodie métaphysique, mais c’est pourtant le sujet de Soul. Que faisons-nous sur cette terre ? Sommes-nous nés pour réaliser nos rêves, ou pour suivre notre destin ?

Le film ne répond pas à ces questions. Il les pose, et laisse les personnages et l’intrigue débattre entre eux, bien qu’une vague conclusion en ressorte.

Ce débat complexe est prétexte à un spectacle visuel époustouflant. Les concepts illustrés sont si abstraits qu’on peut les représenter de mille façons différentes. Les décrire avec des mots serait une tâche complexe. Comment décrire les « Jerry », ces personnages filiformes, qui sont des sortes de fonctionnaires de l’au-delà ? Soul utilise le langage visuel, bien plus direct que le langage littéraire, pour rendre ces concepts intelligibles. L’illustration est réalisée avec brio, et le film est l’un des plus visuellement créatifs de la compagnie.

Lorsque Joe tombe dans l’au-delà, le « paradis » est illustré tel une sorte de trou noir inversé, d’où la lumière sort, éclairant les âmes des défunts sur un immense tapis roulant. Le « great before » quant à lui, est un immense pré bleuâtre baigné d’une lumière onirique et de bâtiments à l’architecture impossible.

Soul est une grande histoire. C’est probablement un des meilleurs Pixar, et son propos est important. Qui plus est, sa structure narrative est novatrice. Certaines règles du scénario sont brisées magnifiquement pour servir le message de l’œuvre. Il n’y a pas de climax. Le héros atteint ses objectifs, mais il n’en éprouve que peu de satisfaction. Pourquoi ? Le film démontre par son histoire et sa structure que le plus important dans une vie n’est pas la réalisation de ses rêves, ni même le chemin que nous avons utilisé pour y parvenir. Ce qui est important dans une vie, c’est la vie elle-même. C’est chacun des microéléments qui la compose. Un bruissement de feuilles, une brise au visage, le goût, le toucher, l’odorat.

Si la vie est une histoire, alors son intérêt ne réside pas dans son climax, dans ses objectifs, dans l’accomplissement. Si la vie est une histoire, alors son intérêt se trouve dans les effluves du monde qui nous entoure, et dans son dialogue avec notre âme.

Lou