Anderson et la perfection

On dit qu’il existe deux types d’artistes : les jardiniers et les architectes. Les premiers créent de manière désorganisée, laissant les idées voyager entre leurs deux oreilles, voguer au gré du vent et, peut-être, germer dans une des terres fertiles de l’imagination.

La méthode des deuxièmes est radicalement différente. L’architecte construit ses œuvres comme on construit une tour : d’une idée viennent les plans, des plans vient la structure, puis seulement, la construction. L’architecte sait où son œuvre va atterrir avant même son instrument. Bien avant l’atterrissage de la plume ou du pinceau sur le support de création.
Bien sûr, une méthode n’est pas supérieure à l’autre. Il ne s’agit-là que de différences dans la façon d’aborder la création. De plus, c’est une division dichotomique, qui n’est à considérer que de manière abstraite dans un milieu aussi vague et riche que la création artistique.

Mais les œuvres, parfois, se retrouvent empruntes d’un style correspondant plus à un extrême qu’à un autre. Là où le style jardinier pourrait être décrit par des termes tels que « vaporeux »,
« vague », ou « déstructuré », le style de l’architecte est synonyme d’un nom : Wes Anderson.

Le lecteur s’est peut-être déjà retrouvé devant un de ces films. Ultra-symétrique, chorégraphié, où chaque geste microscopique a un sens, où chaque plan est articulé avec le suivant dans une danse frénétique.
The Grand Budapest Hotel et plus récemment, L’Île aux chiens sont des exemples d’œuvres du réalisateur américain. Elles ont su charmer le public, tout en jouissant de grands succès critiques.
Mais il peut être pertinent de remonter la chronologie. Découvrons une œuvre plus ancienne qui mérite, elle aussi, de l’intérêt.

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En 2009, Wes Anderson est au milieu de sa carrière actuelle. Il sort un film qui restera emblématique de son travail : Fantastic Mr. Fox.

Un livre qui s’ouvre, une immense plaine rousse sous un ciel doré. Tel est le début du film, dont on rentre vite dans l’intrigue. Parcourant la plaine, un couple de renards vole de la nourriture. Soudain, une maladresse les met en mauvaise position, puisqu’ils se retrouvent enfermés, piégés dans une cage.
Après cet incident, Mme Renard fait promettre à monsieur renard qu’à l’avenir, ils ne voleraient plus. Finie la vie de malfrat. C’était sans compter la nature sauvage de son compagnon, qui finira par voir ressurgir ses pulsions bien plus tard, une fois sa vie de famille solidement établie.
À lire ces lignes de synopsis, on pourrait croire que Fantastic Mr. Fox est une histoire banale, plate, sans rien de grandiloquent. Malgré son parti-pris plutôt simple, le film arrive à séduire par son style et son ambiance.

Le plus important dans une histoire, ce n’est pas ce qu’on raconte, mais comment on le raconte.

Cette phrase n’a jamais été aussi vraie que pour les films de Wes Anderson. Le scénario semble à première vue sans intérêt, mais pour peu qu’on se laisse bercer par l’histoire, chaque élément jusqu’au plus simple devient un plaisir. La simplicité n’est qu’une base pour laisser l’ambiance guider nos émotions. Cette simplicité, le cinéaste la traduit par une sorte de « perfection académique ». Tout est millimétré pour respecter les règles cinématographiques de symétrie, d’équilibre, de règle des tiers…
Pourtant, le résultat divise. Là où certains y trouvent de la satisfaction, d’autres y trouvent de la frustration. Car c’est parfait, trop parfait pour que ce soit agréable.

Et c’est là le principal reproche qu’on pourrait faire à Wes Anderson. Le travail est si propre qu’on a du mal à le considérer comme cohérent. On attend que la gaffe survienne. Et puisqu’aucune œuvre est exempte de défauts, lorsqu’elle survient, sa puissance est décuplée. Dès lors, on y fait beaucoup plus attention. A travers Fanstastic Mr. Fox, la moindre maladresse ou sortie volontaire des codes classiques est visible telle une rugueuse paroi voulue lisse.

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Pour prendre un exemple, parlons du scénario. Contrairement à la réalisation, celui-ci est très peu structuré. L’élément déclencheur est divisé en plusieurs rebondissements : la promesse de M. Renard, le déménagement, l’arrivée du cousin Kristofferson…
La plupart des histoires classiques se seraient contentées d’un déclencheur simple et précis, surtout les contes.

De nombreux autres éléments de narration sont démantelés comme celui de la psychologie des personnages. Cela n’est pas un problème en soi. Les règles narratologiques ne sont que les sentiers battus que tout auteur choisit ou non d’emprunter, pour une raison ou une autre.
Cependant, dans le contexte d’une œuvre aussi académiquement parfaite que Fantastic Mr. Fox, il renvoie une impression étrange que cette discipline soit hétérogène, présente dans certains aspects du film, mais pas d’autres.

Fantastic Mr. Fox est une adaptation du livre éponyme de Roald Dahl. Il est donc logique que les styles divergent entre le récit de base et la réalisation. Néanmoins, il est de la responsabilité de l’équipe du film de rendre le tout cohérent. Et si Anderson est du côté des architectes, c’est un choix étrange d’utiliser une matière de base déstructurée sans la transformer davantage.

Jardinier ? Architecte ? Un peu des deux ? Chaque auteur choisit sa voie. Nous attendons tout de même que les divers corps du récit s’accordent dans un style plus ou moins commun. Il n’existe qu’un maître-mot : la cohérence.
Dans le cas de Fantastic Mr. Fox, la volonté de perfection visuelle fait ressortir chaque rugosité scénaristique. La mélodie est belle, trop belle. Si bien qu’en profondeur, on l’entend dissoner.

Raturix

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