Erudition Sans Complexe

Dead Cross et la triste vérité

Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques. -Tiré d’un édito d’Albert Camus (Combat, 1945)

2 jours après l’explosion de la bombe atomique sur Hiroshima, Albert Camus fustige l’invention infernale. Il dénonce cette révolution scientifique créée par des hommes prêts à livrer l’arme ultime. L’écrivain pointe déjà le mal incarné, à savoir les côtés toxiques et fatalistes de l’humanité. L’être humain ne se limite pas à dévorer d’autres êtres vivants pour survivre… en 1945, il balance un fléau sur le Japon. Résultat ? 70.000 morts.
Aujourd’hui, un artiste rejoint la pensée de l’auteur : Mike Patton. De retour après avoir affronté son agoraphobie et ses problèmes d’alcool, le musicien avant-gardiste (écoutez Fantomas ou sa collab’ avec Vannier) bouscule la doxa. Il chante une triste vérité sur Reign of Error.

Who is our problem ? We are the problem.

L’homme est le pire ennemi de l’homme. Lorsqu’on questionne le chanteur sur son écriture sur le deuxième album de Dead Cross, il affirme ne rien dévoiler d’inédit. Bien joué Mickey. La brutalité du quatuor nous fait prendre conscience d’une autre brutalité. Politiciens, lobbyistes ou autres magnats font trop souvent preuve d’indifférence face à un monde moins privilégié, comme certains scientifiques sans foi ni loi. En juin dernier, la Cour suprême des États-Unis enterre l’arrêt Roe vs Wade qui, depuis près d’un demi-siècle, garantissait le droit des Américaines à avorter. Quelle en est la conséquence ? Chaque État sera libre d’autoriser l’avortement ou non. Le clip de Reign of Error se moque ouvertement des nantis, prenant des décisions à la place des Américaines.

Mike Patton s’éloigne de l’industrie musicale en fondant son label Ipecac. Aujourd’hui, il dénonce un secteur encore plus vaste. Comme si les systèmes établis n’étaient plus une source de bonheur. Comme si les mesures liberticides de ces dernières années reflétaient les vrais intérêts des gouvernants. Ne pas se rapprocher. Etre divisé. Et mieux subir l’insupportable norme.
Dead Cross assume sa veine contestataire depuis ses débuts. A nous de savoir si ses avertissements méritent une ou plusieurs écoutes. Pour ma part, mes oreilles en redemandent.

brunoaleas – Photo ©Becky DiGiglio

Lomepal : exit urbi

Lomepal n’est plus à ranger dans la case rap. Le fan des Strokes annonçait déjà la volonté d’insuffler du rock à son prochain album. Cette envie s’écoute et se comprend à l’arrivée de « Tee ». L’ombre d’une guitare règne en première partie du morceau. A sa conclusion, deux grattes bercent les auditeurs. Laissons de côté ces mélodies. Il est temps de se focaliser sur l’imaginaire de son nouveau clip. Il fascine mes yeux.

L’image l’emporte sur l’instru. Un plan égale une idée. Une philosophie visuelle déjà aperçue à foison sur les derniers clips de Kendrick Lamar.
Le single du francophone suit une direction assez similaire. Chaque séquence se calque sur les paroles de Lomepal (la marinade, le combiné, etc.).
Puis, un contraste se note excellemment bien. Les premières minutes de « Tee » affichent un Antoine Valentinelli caché. En ville, il fuit les regards, évite notre attention, tourne le dos à la caméra. Comme s’il trainait sur trop d’endroits anxiogènes. Une fois en pleine campagne, on admire le visage de l’artiste. Le décor s’ouvre sur une verdure rayonnante. Loin de la pluie et de la froide architecture des mégapoles, Lomepal forme un quatuor.

« Tee » synthétise l’ambiance de ces deux dernières années. La ville enfermait les citoyens dans une espèce de cauchemar. Surveillés. Epiés. Contrôlés. L’urbanisme s’apparentait à une dystopie. Des mesures liberticides dictaient nos pas. Sortir de chez soi devenait une contrainte. Dès lors, la nature était notre porte ouverte vers un Ailleurs plus que nécessaire. Nous avions tout le temps de découvrir de nouveaux coins abandonnés ou isolés. Se reconnecter à la nature fait un bien fou. Parfois, le vrai visage des humains se révèle s’il se trouve sur des plaines verdoyantes. Qui sait ? La foule n’a jamais été de bon augure. La présence des insectes, des plantes ou de l’air frais sont à des années lumières des quelconques préoccupations existentielles.

brunoaleas – Photo ©Victor Boccard

Arcade Fire et la transmission parentale

Qui est blasé d’écouter Arcade Fire ? La question se pose suite à leurs récentes activités.
Après un Everything Now en demi-teinte, plongé vers un surplus de néons, d’electrosonorités lourdes, et d’ambiance trop festoyeuse, la bande désire encore surprendre notre ouïe. Les derniers titres proposés ne s’éloignent pas de leur une zone de confort. La recette se résume à des chants fédérateurs, de joyeux changements de cadence, un jeu rapide et entrainant. Arcade Fire ne surpasse aucun niveau avant-gardiste. Néanmoins, leurs messages engagés apportent une vraie couleur et une sacrée force à leur prochain projet !

WE offre 40 minutes de réflexion. Le groupe partage ce qu’ils savent faire de mieux : porter un cri engagé vers les masses endormies. L’objectif de l’album est d’afficher les forces qui menacent de nous séparer des gens que l’on aime et le besoin urgent de les dépasser, dévoile un communiqué de presse. Comment ne pas penser à ces dernières années hors du temps ?
Les Canadiens suivent une philosophie aristotélicienne. Les humains sont des animaux politiques. Leur communauté est source de satisfaction.

Arcade Fire enfonce le clou via « Unconditional I (Lookout Kid) ». Les musiciens livre un texte rempli d’émotions fortes. Là où certains ne souhaitent plus élever d’enfants sur une planète surexploitées, Win Butler chante une ode à la transmission parentale. La société impose de futiles priorités : posséder une voiture, fonder une famille, finir ses études, sourire à pleines dents, marcher droit, etc. L’artiste n’oublie pas ces faits absurdes. Il écrit aux futures générations. Il partage une vérité loin d’un égoïsme pesant, proche d’une empathie certaine.

Lookout kid, trust your body
You can dance, and you can shake
Things will break, you make mistakes
You lose your friends, again and again
’cause nothing is ever perfect
No one’s perfect
Lеt me say it again : no one’s perfеct

Win Butler a les yeux en face des trous. Au lieu de cacher les tristes réalités aux futures génération, il sacrifie son temps et sa sagesse pour la bonne cause. L’artiste n’hésite pas à jouer « Unconditional I (Lookout Kid) » au festival Coachella. Prêt à ouvrir son cœur pour bâtir un monde meilleur, il pleure devant son public. Notre passé influence notre présent.
Si les citoyens préfèrent supporter des
mesures liberticides pour le bien-commun, l’apocalypse est à prévoir. Si les citoyens préfèrent vivre en adéquation avec les bouleversements culturels et les aléas de la vie, l’ataraxie est envisageable… pour nous et nos enfants.

brunoaleas – Photo ©SilverDave

Loons et la relance rock

Le rock n’est pas mort. Une telle évidence n’est plus à écrire.
Pourtant, un détail assez superfétatoire est à noter. Certains articles parlent de revival dès que des groupes ravivent les cendres du rock and roll… comme si leur style se résumait à une simple relance. Au diable les étiquettes ! Au diable les cases trop réductrices !

Montpellier voit naître un trio percutant les oreilles. Loons n’a rien d’une relance rock. Je prie pour que la bande soit au contraire, un fer de lance pour d’autres jeunots souhaitant dégommer les scènes. Signé sur Flippin’ Freaks, le groupe d’adolescents sort un premier EP nommé Cold Flames. Quelle est la raison de cet oxymore ? La volonté de proposer des mélodies à la fois calmes et brutales. Non pas à la manière des Pixies via des morceaux très courts, mais plus à la façon de Nirvana suintant la rage d’un jeu rapide, sans fioriture où chants et instruments flirtent avec les notes graves. Montpellier n’est pas Néo-Seattle, berceau d’un futur grunge prononcé. Il s’y trouve tout de même des mélomanes friands de rock post 2020.
Comment expliquer un tel phénomène ?

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Aujourd’hui, il y a plein de gens ouverts d’esprit. Quand on joue à Montpellier, on voit pas mal de jeunes à nos concerts et c’est cool. On sait que ce n’est pas leur musique de premier choix, mais on arrive à leur partager quelque chose. D’autant plus que c’est le public qu’on vise indirectement.
On ne fait pas de la musique pour ce que ça plaise. Mais on se dit que si ça nous plaît, ça plaira forcément aux gens de notre âge.
-Elio Richardeau, chanteur et guitariste de Loons

Après avoir subi deux années de blocage intense au niveau culturel (aussi bien en France qu’en Belgique), il nous fallait un groupe comme Loons afin de suer en paix !

Lorsqu’on est sur scène, on ressent une sensation très spéciale. Elle permet de libérer son esprit. C’est le moment où on se lâche avec la réalité, comme si l’instrument se mettait à parler.
Et oui, de notre côté, on dégage beaucoup d’énergie.
-Antoine Bay, bassiste de Loons

Le musicien complète en comparant ses performances artistiques à la puissance d’un Super Saiyan (on n’aurait pas trouver meilleure image). L’énergie déployée sur scène est bel et bien une caractéristique propre aux retours positifs de leurs auditeurs. Energie et curiosité nourrissent donc le rock de Loons. Dès lors, arrêtons de simplement résumer leur genre aux codes des années 90, une période rock reflétant des cheveux gras, des pulls à rayures et des sourires ravagés… les clichés sont aussi à oublier.

DRAMA – Photos ©Bertrand Richardeau

Måneskin n’est qu’un effet de mode ?

Måneskin rayonne jours et nuits. Ces Italiens commencent doucement mais sûrement.
En 2017, ils terminent en seconde place du podium de X Factor, en Italie. Puis, s’annonce une excellente nouvelle : les voici triple disque de platine, à la sortie de leur premier album.
Dès 2021, le quatuor enchaîne de mémorables réussites. Il gagne le Grand Prix au 71e Festival de Sanremo, véritable institution de la chanson italienne.
Il remporte ensuite la 65e édition de l’Eurovision !

La bande fait grand succès à la vitesse du son. Pour les mélomanes habitués aux sonorités du rock italien, Måneskin n’apporte point une plus-value extrême sur la scène. Leurs riffs et mélodies ont de quoi accrocher. Mais Le Vibrazioni ou les projets de Piero Pelù attirent bien plus mon attention en termes de compositions brutes et efficaces. Heureusement, une évidence est de mise. Le chant de Damiano David apparaît comme la plus grande force de Måneskin. Je veux savoir jusqu’où sa voix caverneuse peut surprendre nos oreilles !

Quant à son attitude, le groupe reflète une image maîtrisée. Le côté androgyne des musiciens, leurs performances extraverties, le goût de la provocation érotique…
ces facteurs nourrissent leur univers. Devant de telles constations, une et une seule interrogation se pose : et si Måneskin n’était qu’un effet de mode ?

Le fait de jouer sur son image, ça n’a rien de nouveau. Les codes repris par Måneskin datent des années 70. Ils ne le cachent pas. Ils empruntent aux groupes glam rock, à Roxy Music, aux personnages de David Bowie. Ces artistes jouaient beaucoup sur leur aspect androgyne via leur attitude. Ils proposaient aussi une musique en adéquation avec leur style vestimentaire.
A cette époque, certains se questionnaient pour savoir si l’esthétique ne l’emportait pas sur la musique. L’Histoire a prouvé que leur musique était extrêmement importante. Elle continue d’être célébrée aujourd’hui.
Laurent Rieppi

Le journaliste et auteur belge complète par un sagace parallèle. Måneskin suit les traces d’un mouvement de libération sexuelle initié durant les années 70 (pensons à la bissexualité assumée de David Bowie). Le groupe utilise des modes d’expression du passée pour les adapter à l’heure actuelle. Même s’il est facile de pointer le côté politiquement trop correct de leurs démarches, la position de Måneskin n’a rien d’inintéressant. Ses membres partagent une certaine volonté : tout le monde est la bienvenue à leurs concerts. Nous balanceront-ils des messages politiques, baignant dans la même soupe musicale d’année en année ? Mamma mia !
Profitons d’abord de leurs derniers morceaux en date.

DRAMA – Photo ©Ilaria Leie

Par.Sek et l’incompréhension

Par.Sek s’inspire de ces derniers mois aux évènements inédits. L’arrivée de la pandémie provoque un chamboulement de nos habitudes, ainsi que 5 nouveaux morceaux du duo ! Aux sonorités dansantes et relaxantes, Les vrais trucs est l’EP qu’il défendra sur scène.
Une espèce de fil rouge se note tout au long de l’écoute. Plusieurs thèmes sont abordés, du climat à l’amour de l’Autre. Une thématique prime au-dessus du reste : notre incompréhension face au monde. Une sensation qui nous suit depuis la naissance.

Même si cela semble trompeur, l’œuvre n’est point un tract militant pour l’écologie, la paix dans le monde ou la fin d’un capitalisme toxique… Par.Sek n’a pas cette prétention.
Leur démarche est bien plus socratique qu’il n’y paraît. Que chacun demeure juge de ses pensées personnelles. Nul besoin d’imposer une morale à tout un chacun.

VISUEL_LIVE2_Crédits Ronan Dore

Ecrire des chansons me fait un bien fou. Cela me permet de comprendre des choses, en tout cas de voir où j’en suis par rapport au monde. S’il y a des gens qui sont touchés par mes textes, c’est très cool. Mais je n’ai pas l’impression d’y montrer la réalité. C’est bien plus de l’ordre du regard. D’où le titre de l’EP qui est une blague.
On ne peut pas prétendre refléter la réalité via un regard très personnel lié à un endroit, à un contexte de vie propre à une personne.
-Simon Padiou, chanteur et claviériste de Par.Sek

Lorsque le flou des mesures sanitaires, la séparation de nos proches et la déprime dictent nos journées, des poètes pointent le bout de leur nez pour poser des mots justes. A une époque où l’on échange sa liberté contre un QR Code, quelques artistes (Vald, Eric Clapton) dénoncent les folies actuelles, sans censure, sans regret.
« RIEN » est né durant le premier confinement. Ce morceau sonne optimiste. Il est important de construire un avis critique, loin des influences malsaines (la biz à Victor Bonnefoy, vidéaste confondant la propagande d’Etat aux discours critiques sur le cinéma).
Les dernières paroles de la chanson m’évoquent une autre pensée : qui nous empêche de considérer les réflexions de notre entourage comme source de sagesse ? Diminuer notre incompréhension journalière commence souvent au moment où l’on écoute les idées d’autrui. Laissons l’art de convaincre aux corrompus, aux moralistes, aux bien-penseurs… la musique est notre cure.

DRAMA  Photos ©Manon Sabatier & ©Ronan Dore

Salmo incendie les étiquettes

Salmo incendie les étiquettes. L’Italien balance un crachat de qualité, au Noël dernier. Plus de deux minutes, c’est le temps qu’il lui faut pour citer quelques angoisses. Les étiquettes sont nombreuses : fascistes, communistes, anti-vax et j’en passe. Xanax, cette foutue merde à supprimer du marché, est un mot si puissant et si révélateur de nos faiblesses, qu’il figure aussi sur la liste.

A force de nommer tout et n’importe quoi, l’être humain divise. Diviser pour mieux régner ? Si ce n’est pas l’objectif de nos dirigeants, comment nier ce fait de créer des espèces de luttes des clans en permanence ?! Pensez aux termes essentiels, non-essentiels. Pensez à cette distinction obligatoire à réduire un être humain à la figure du non-vacciné. Les mots ont une puissance. L’artiste l’a très bien compris. Il se lâche quant à son rôle, lors d’une interview face à l’acteur Alessandro Borghi (Suburra, Sulla mia pelle, Dalida).

Le problème, c’est que les gens, surtout les rappeurs, portent cette croix de devoir obligatoirement envoyer un message positif. Mais ce sont des conneries : quand tu écris une chanson, tu ne dois pas faire de la rhétorique, tu n’as pas dire aux gens ce qu’ils doivent faire.
Tu dois raconter ton histoire, et si quelqu’un a une histoire similaire à la tienne, alors là se crée la magie.
Salmo

Il révèle aussi ce qu’est le meilleur moyen de réciter devant la caméra. Il suffit de faire abstraction du jugement de soi-même, ainsi que celui d’autrui.
Dans un monde idéal, personne ne poserait de présupposé à chaque rencontre. Malheureusement, hommes et femmes ont besoin de tout expliquer. Ce constat date de la nuit des temps. A l’Antiquité, les Grecs donnent du sens à leur vie à travers leurs nombreuses mythologies.

Aujourd’hui, nos repères deviennent de plus en plus flous. Le rappeur tombe à pic.
« PLOF » traduit peut-être une seule évidence : le consensus ne nourrit pas l’esprit critique. Nous pouvons nous détacher de la novlangue des gouvernements étatiques. Nous pouvons construire un vrai raisonnement, à l’instar du punk Salmo. Il est temps de cultiver son jardin.

DRAMA – Photo ©Nicola Corradino

Gomma et la vieillesse

GOMMA a la rage ! Zombie Cowboys, leur nouvel album, porte au débat. Le groupe de Caserta questionne notre système capitaliste… et il a bien raison !
L’argent appelle l’argent. L’investissement n’est pas synonyme de bonheur. Moins encore l’éternelle augmentation de capitaux.

Le thème n’est point simple à aborder.
Dès lors, comment conclure l’opus ? Les propos de « SENTENZE » s’éloignent du monde de la finance et partagent d’autres constatations. Le morceau apporte une touche de poésie mémorable à l’œuvre. Il fonde un sagace parallèle entre jeunes et vielles générations.

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En tant que jeunes, nous ressentons ce qui est exprimé via « SENTENZE ». On y explore la perspective, et l’envie qui en découle, de vivre la sénilité. Cela reste un mode de vie tout à fait imagé puisque nous ne sommes pas encore vieux. C’est le dernier rempart d’espoir de ceux qui ne peuvent concevoir une idée de l’avenir. C’est-à-dire, se réfugier dans l’idée que lorsqu’on vieillit, le sentiment de résignation prendra le dessus. -Giovanni Fusco, guitariste de GOMMA

La jeunesse a un pouvoir d’action. La vieillesse signe le début de la fin.
« SENTENZE » ne donne pas d’ordre. Le morceau ne se veut pas moralisateur. Il souligne une observation faite sur les générations d’antan. D’ailleurs, ce constat est rempli d’admiration. A un certain âge, ne plus protester devient naturel. Les derniers acteurs de nos sociétés cherchent bien plus souvent à se reposer, en fin de vie. Qui sommes-nous pour les blâmer ?

Le quatuor propose une vraie réflexion sur nos désirs. Ses membres ne se résument pas à de banals punks. Leurs chansons n’ont pas pour unique but d’éclater sa tête contre le Mur de Berlin. Est-ce que notre confort, notre époque, notre indifférence nous éloignent des révolutions ? « SENTENZE », via son ambiance apaisante et son message pertinent, démontre ô combien la bande sait soulever ce type question universelle.

DRAMA – Photos ©voolvox & ©Alessandro Pascolo

Le shamanisme de Léonie Pernet

La musique peut fédérer. La musique peut relaxer. Elle peut surtout consoler.
Après une rupture, une déception, un dégoût inexprimable, ce n’est pas un/e proche qui venait me rassurer à 200%. Euterpe est ma seule partenaire. Elle m’accompagne dans chaque galère. L’équivalent d’une drogue sans ses côtés toxiques.

Léonie Pernet comprend cette vision du quatrième art. On l’aperçoit lorsqu’elle délivre une performance hors-norme sur Radio Nova. Elle rejoint cette force de vouloir englober tout type de public, les enjouées, tout comme les désespérés. Elle fait preuve de shamanisme. A l’inverse de l’effet d’une danse de la pluie, elle invoque le Soleil. Une magie possible grâce à ses sonorités africaines. A coups de derboukas ou de chants liturgiques, l’artiste nous emporte vers un univers très singulier. L’electro y vient apporter une touche de modernité. L’ambiance est parfaite pour la radio française l’invitant dans sa Chambre Noire.

Trop d’informations fusent dans mon cerveau, une fois initié le premier morceau. Les instrus de Léonie Pernet n’ont rien de minimal. Les synthés se fondent à merveille aux différentes atmosphères du Cirque de Consolation : la transe de « A Rebours », la rage planante propre à « Il pleut des Hommes », « Mon amour tu bois trop » et sa ténébreuse poésie.

La scène permet à la multi-instrumentiste de s’évader. Quant à sa dernière œuvre en date, elle symbolise bien plus qu’une simple évasion.

Le titre (NDRL : de son second album) recouvre à la fois l’aspect théâtral de nos vies, le besoin que nous avons d’être ensemble, mais aussi ce second souffle, ce mouvement intérieur qu’est la consolation. -Léonie Pernet (Les Inrocks, novembre 2021)

La musicienne met sa mélancolie de côté et compte célébrer la vie. L’appel aux esprits subsahariens est imminent. Qui est prêt à danser sur son coup d’Etat musical ?

DRAMA – Photo ©Jean-François Robert

OrelSan a tout dit

Quoi ? Qu’est-ce qu’on vient d’entendre ?! Pardon, Aurélien ? OrelSan est de retour ! Ce n’est pas l’instrumentation de ‘L’odeur de l’essence’ qui me ravit. Je n’accroche toujours pas aux délires de Skread. Il livre des sonorités datés, sans grand renouvellement…
qui s’apparentent à du Kanye West de Wish.
Via ce nouveau clip, l’attention est directement portée sur les paroles du rappeur !

Titre politique. Punchlines politiques. Attitude ? Politique, bien sûr ! OrelSan passe le cap de la maturité. Fini le temps où sa pensée se limitait à Les mecs du FN ont la même tête que les méchants dans les films. Son morceau, tiré de Civilisation, dépeint des constats bien plus poignants. L’hypocrisie humaine : critiquer les riches quand on aime posséder de l’argent. L’incompréhension face au système scolaire : on ne forme pas des citoyens, on le devient. L’échec des dirigeants étatiques : le ras-bol se ressent et se ressentira dans les rues. Et surtout (merci Orel d’en parler) : une paranoïa toujours plus grandissante, où tout semble trop sensible.

Une phrase particulière marque l’esprit. Elle symbolise une idée éternelle.

L’histoire appartient à ceux qui l’ont écrite.

Je vous laisse interpréter ce passage. Pour ma part, je crois qu’il souffle un vent d’optimisme, malgré la noirceur de ‘L’odeur de l’essence’. Il n’est jamais trop tard pour faire valoir son dégoût de la société. OrelSan le fait à travers son art. Il passe au scanner nos actualités, nos peurs et nos problématiques.
Certes, son instru ne casse pas trois pattes à un canard. Néanmoins, ‘L’odeur de l’essence’ donne une sacrée envie de découvrir
le quatrième album de l’artiste !

brunoaleas – Photo ©OrelSan

Damon Albarn et l’importance du voyage

L’exil est parfois une étape obligatoire pour les êtres vivants. Quoi de mieux pour se confronter au réel ? Se déplacer d’un territoire à une autre demande de l’investissement moral. L’écoute, le dialogue et la curiosité sont souvent à favoriser. Si un homme apprend énormément au sujet des bienfaits du voyage, c’est bien Michel de Montaigne (1533-1592).

Faire des voyages me semble un exercice profitable.
L’esprit y a une activité continuelle pour remarquer les choses inconnues et nouvelles, et je ne connais pas de meilleure école pour former la vie que de mettre sans cesse devant nos yeux la diversité de tant d’autres vies, opinions et usages. 
-Extrait de Les Essais

Le philosophe, une fois atteint de maladie, entame des pérégrinations en Europe. Il tient même un journal, ayant un intérêt plus médical que littéraire. Aujourd’hui, un autre artiste sort de ses terres natales, en quête de nouvelles créations : Damon Albarn. 

En Islande, il se concentre sur un ensemble de morceaux formant The Nearer the Fountain, More Pure the stream flows. L’œuvre sera la démonstration de l’importance des voyages. Entouré des centaines de volcans et de gigantesques glaciers, l’Anglais honore un pays à la nature grandiose. Pour ce faire, il apparaît aux côtés de moult musiciens performants, aussi bien des violonistes qu’un saxophoniste. Initialement, ce nouveau disque est pensé pour être une pièce orchestrale dépeignant les paysages islandais. La crise covid et l’enfermement déclenchent l’écriture de cet projet, de quoi chanter de légères paroles.
Le leader de Blur est également en deuil, son ami Tony Allen nous ayant quitté l’an passé. Sa renaissance s’exprime en musique. L’ouverture de Royal Morning Blue illustre en partie ce constat : Rain turning into snow.

Son couplet final fait penser à une lutte, l’humain contre un vide permanent. Comme si nous étions toujours en recherche de contact social. Damon Albarn livre une autre raison de voyager : vivre des expériences parmi plusieurs personnes ! Partager ses savoirs n’a rien d’insensé. L’enfer n’est pas les autres.

Alors voyagez ! Comment comprendre les notions de liberté et d’égalité, si l’on voit uniquement le monde à travers nos traditions et croyances ? Fuguer amène bel et bien à se connecter vers d’autres réalités. Du haut de sa tour, Damon Albarn ne se plaint pas bêtement de la disparition d’un ancien monde (Once, there was cinema, and we had parties/And the light at the top of the tower could reach Argentina)… il joue un air latino, content de troquer sa souffrance contre la poésie.

DRAMA  Photo ©Matt Cronin & Nathan Prince

BadBadNotGood en place publique

Encore un article engagé ?! Soyons francs. Nous vivons un moment historique qui sera conté dans les manuels scolaires. Les mesures sanitaires dictent l’avenir de nos sociétés. Il est presque impossible d’éviter le sujet à un diner de famille, en terrasse ou face à son médecin.
Il y a quelques semaines, BadBadNotGood dévoile « Signal from the Noise ». Je n’ai effectué aucune recherche quant à ce que souhaite partager la bande comme message. De cet article résulte mon humble interprétation. La vidéo semble refléter les changements de notre quotidien.

Duncan Loudon filme un homme qui s’attache un casque à la tête. Serait-ce la figure de l’artiste drogué par sa propre musique ? Qui sait ? En tout cas, il trace à la craie son espace de jeu, situé sur une place publique. L’individu est quasiment incompris par la société. Ensuite, un policier intervient pour l’interrompre et l’éloigner. Notre protagoniste ne dit pas son dernier mot et continue d’exercer son art.

Le clip est sûrement la meilleure métaphore des derniers évènements européens. Des Gilets Jaunes violentés par les forces de l’ordre. Des mesures sanitaires empêchant tout un chacun de vivre. Des politiciens qui ne donnent jamais la parole aux citoyens, vu que le referendum est un concept inimaginable en Belgique. En d’autres mots, le clip expose le manque de contacts, l’invisible communication. J’ai l’impression que le cinéaste met en image un grand malaise. Celui-même ressenti par moult artistes, séparés de leur public. Ces séquences amènent également à une autre problématique.

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L’épidémie a été l’accélérateur d’une organisation policière du monde qui était déjà en germe. Le fait que tout se passe à distance, le télétravail, le télé-enseignement : tout cela est homogène avec la vision du monde des puissances dominantes.
Je ne crois pas que cela constitue un contrôle absolu de nos vies par l’informatique. C’est plutôt un monde où les rapports sociaux n’impliquent plus le partage d’un même espace. Or, la politique nécessite des rencontres entre des gens qui vivent dans des espaces et visibilités séparés. L’utopie dominante n’est pas tant le contrôle que le fait que chacun soit bien à sa place : l’enseignant, l’élève, et ainsi de suite
. -Le philosophe Jacques Rancière (Les Inrocks, n°1316)

Que ce soit à travers des spectacles, ou bien même sur les bancs d’écoles, des professions rendent les interactions indispensables. Le journalisme pratiqué sur Teams est une vaste blague. Des leçons données par mail ne riment à rien. L’être humain a besoin de partager son humanité.
En outre, si l’on ne remet plus en question notre système en place publique, autant laisser nos dirigeants foncer dans le mur. Il n’est jamais trop tard pour réfléchir sur ces questions… les images de « Signal from the Noise » parlent d’elles-mêmes.

Non à une société où l’on a besoin d’un ticket pour assister à un concert. Non à une réalité dans laquelle le droit de manifester est bafoué. Ne plus exister dans un lieu commun relève de la dystopie. Même si nos causes sont vides de sens, nos expressions artistiques illustrent souvent nos convictions et notre couleur politique… parfois, cela vaut tout l’or du monde.

Mon conseil ? Il n’y a pas de bonne façon de faire quoi que ce soit.Duncan Loudon

DRAMA – Photos ©Duncan Loudon