Les forêts permettent de s’absenter du monde ? Et si on le comprenait en musique… on choisit Le Pietre dei Giganti comme bande son. Ce quatuor italien compose un rock brut et tribal. Le batteur Francesco Nucci présente l’univers de la bande.
Le second album est toujours le plus difficile dans la carrière d’un artiste, chantait Caparezza. Ce fut le cas pour la bande ?
On avançait avec une certaine terreur. Celle de croire que le second album est le plus difficile à composer. Finalement, ça ne l’était pas. Au contraire, par rapport au premier, c’était plus facile. On avait déjà fait l’expérience du studio donc on bossait sur le disque en sachant déjà ce qu’on voulait, l’objectif et le type de son. Il n’y avait pas non plus l’impact émotif d’être pour la première en studio. C’était vraiment un parcours plus relaxant. Disons que l’enregistrement de Veti e Culti était une fête malgré son ton très sombre.
Les campagnes et forêts prennent énormément de place dans les thèmes de Veti e Culti.
Le premier album nommé Abissi faisait référence au monde maritime. A un certain point, lorsqu’on écoutait les démos, on s’interrogeait sur le futur sujet du projet. Après avoir affronté les thèmes des océans et profondeurs marines, le mot terre nous venait à l’esprit. Nos chansons faisaient aussi écho à l’univers tribal. On pensait vraiment à une symbologie, une sonorité, un archétype. Le thème des forêts est une histoire racontée en quatre morceaux, c’est un concept. Mais la base générale du disque est l’homme, la terre, le tribal. Moi, j’aime bien le définir comme un album sur l’absence. Nous n’avions pas de fil conducteur. Mais, une fois les chansons assemblées, la thématique de l’absence apparaissait claire et nette. Comme penser à un fantôme ou, en tout cas, à quelque chose qui s’en va. Les forêts équivalent à prendre une absence du monde. C’est-à-dire qu’une fois dans les forêts, nous sortons du monde pour entrer dans quelque chose d’inconnu et fantastique. Puis, on retrouve le thème d’un village qui se vide, d’une personne qui nous quitte, l’absence physique, voire même des paroles apocalyptiques qui mènent l’humain à l’essence de l’absence.
J’aime l’importance donnée à la nature, aux éléments essentiels. Je me souviens des textes de Mogol, interprétés par Lucio Battisti, où l’on ressent une nature sacrée. En tant qu’artiste, est-ce nécessaire de se détacher du virtuel, parfois trop inintéressant ?
Ecoute, je suis très réaliste. Je ne dis pas : Nous devons retourner à la campagne. Je dis plutôt : Nous faisons partie de ce monde et ce monde est aussi fait de réseaux sociaux. Ils permettent aussi de faire cette interview à distance, de faire connaître notre disque, et de nous faire connaître. Qu’Internet soit toujours félicité. Comme chaque chose, le net prédit de bonnes choses et des pièges. Pour un groupe, c’est simple de forcer la perception pour sembler être toujours en tournée, travailleurs, pour après se dégonfler. C’est le risque encouru par les bandes. Il suffit de bien travailler sur ses réseaux et montrer la réalité telle qu’elle est. Désormais, on peut produire à n’importe quel niveau avec des coûts abordables. Puis, quand le disque sonne d’une manière, il faut voir s’il sonne pareil sur scène. Souvent, on nous fait un compliment. Des personnes avouent que nos chansons sont plus belles, une fois jouées en concert. Nous avons réussi à porter nos titres sur scène, de façon optimale. Tout le mérite revient aussi à notre producteur. Il certifie qu’on doit composer des morceaux qui nous ressemblent, qu’on pourra jouer en concert. On ne doit pas se prendre pour je ne sais quel groupe puis se dégonfler. C’est aussi important pour le public qui vient t’écouter.
Pour le prochain album, changerez-vous de style musical ?
Nous sommes en phase d’écoute de certaines idées musicales. L’idée n’est pas de changer de genre mais nous irons vers un horizon, des panoramas, que nous n’avons pas encore sondés. Sans dénaturer le son des Pietre dei Giganti, mais plutôt, en essayant de mélanger les cartes. Nous écoutons divers styles de musique. Nous cherchons des rythmes lointains, africains, caribéens. Ensuite, on voit ce que ça donne une fois qu’on y ajoute des guitares, des voix… c’est ce qui se faisait dans la musique prog. Le rock progressif s’inspire de rythmes d’autres pays pour après les décomposer sur des instruments variés. Nous sommes sur ce terrain de recherche. Il ne s’agit pas de copier Veti e Culti. Nous allons élargir notre langage sous d’autres points de vue.
Paranoiæ n’est pas un livre comme les autres. Giulio Rincione, aka Batawp, illustre les pensées d’Alan. Ce personnage torturé entraîne notre cerveau vers l’emprisonnement et la fuite. L’œuvre ambitionne d’être un miroir des lecteurs. L’enjeu est de taille. L’auteur présente ses techniques, sa philosophie et sa fascinante bande dessinée.
Comment définir Paranoiæ ? Comment le considérer parmi tes autres publications ?
C’est une œuvre nécessaire. Paranoiæ fut ma première bande dessinée auto-conclusive, longue, écrite par moi-même. Il y avait la volonté de dessiner des choses déterminées. D’une part, j’avais vraiment écrit une liste d’éléments à dessiner, plusieurs types de sensations, ambiances, villes, atmosphères. D’autre part, il y avait vraiment une exigence personnelle et narrative de raconter une histoire non-définie. Vers 2014 ou 2015, je commençais à penser à ce livre. Je ne vivais pas une période heureuse de ma vie. Je ne me sentais pas bien dans ma peau. C’était une période où je n’arrivais pas à me reconnaître. Comme si je trahissais mon essence. Par conséquent, j’étais isolé des autres et je ne savais pas quoi faire. Alors, l’idée était de mettre tout sur le papier, à travers les dessins et paroles. Non pas pour parler de moi. Mais parce que j’étais fortement convaincu qu’à ce moment de solitude, je n’étais pas seul. Je n’étais pas l’unique personne à éprouver ces sensations. J’étais convaincu que je ressentais des sentiments hautement partageables. Paranoiæ, je le définis comme un livre-miroir. C’est une sorte de vitre présente lors des interrogatoires de police. Je suis à nu devant les lecteurs. Comme si je te parlais car toi, tu dois te voir toi-même.
Aujourd’hui, te sens-tu plus Alan, Tête de Patate ou Docteur Bau ?
Actuellement, heureusement, je ne me sens moins comme eux. 8 années se sont écoulées depuis la parution de la BD, et heureusement, l’œuvre a fait son travail. Elle m’a aidé à sortir de certaines situations. Mais pour revenir aux 3 personnages, je choisirais quand même Tête de Patate. (sourire) Malheureusement, il a un caractère humain. Il fait toujours la même chose, croyant qu’il est différent des autres.
Il y a divers messages, interprétations pour cette BD. J’ai l’impression que tu souhaitais raconter comment se vit un mal-être pour les femmes et hommes piégés éternellement dans une sorte de cage. Mais j’imagine aussi que tu voulais transmettre une atmosphère bien particulière, plus qu’un message précis sur la vie.
Paranoiæ est un voyage brute à faire. Quand tu commences la lecture, il n’y a pas de moment où tu crois pouvoir fuir. A tel point que l’histoire est cyclique. La fin et le début coïncident, ce sont la même chose. Donc, parfois tu peux avoir la sensation que tout va bien -les passages à la plage, les scènes où surplombe un ciel bleu- mais ce n’est qu’une petite parenthèse, car tu es toujours oppressé lors de la lecture. Ce qui nous ramène à notre condition humaine et prisonnière. Nous ne pouvons pas nous échapper de notre corps et cerveau.
Parmi tous tes titres, mon préféré demeure Vies Dessinées. Et j’admets avoir un attrait pour les thèmes de Paranoiæ. J’avais tout de même du mal à terminer cette BD. Il y a quelques années, je perdais la personne que j’aimais le plus au monde. Certaines planches me renvoient à ce souvenir. J’espère ne pas être confus… ton processus d’écriture était un calvaire à certains moments ?
Pour l’écriture, j’ai fait quelque chose qu’habituellement, on n’a pas besoin de faire, selon le canon didactique de la bande dessinée. Je dessinais et coloriais toutes les planches, sans textes. Quand j’avais vraiment terminé, j’écrivais les textes en une nuit. C’est une méthode extrêmement dangereuse. Mais oui, Paranoiæ fut écrit d’un jet. Aujourd’hui, quand je le relis, je ne reconnais pas ce que j’ai écrit, vu qu’à l’époque, je rédigeais quasi en trans. Je pourrais revenir à cette méthode si je vivais encore quelque chose de fort dans ma vie. En somme, il est préférable de préparer un scénario à l’avance, pour fermer des cercles narratifs de façon cohérente pour les lecteurs.
Durant ton interview avec Dario Moccia, tu annonçais une idée de boucle. Les lecteurs peuvent s’arrêter à n’importe quelle page. Quand tu relis Paranoiæ, il y a toujours un instant différent sur lequel tu t’arrêtes ?
En 5 ou 6 ans, j’ai lu 2 fois Paranoiæ. Pour l’une, j’avais choisi une page et pour l’autre, c’était une page opposée. Dans ma vie, beaucoup de choses changeaient. J’avais changé d’entourage et moi-même je n’étais plus comme auparavant. Par conséquent, je n’étais plus dans la même phase de la boucle.
Si tu devais choisir un groupe italien pour symboliser la colonne sonore de ton livre, à quel nom penser ?
Cette question est très difficile à répondre parce que Paranoiæ fut écrit et pensé en écoutant The Wall de Pink Floyd. Il y a carrément des phrases de l’album traduites en italien, puis insérées dans les planches. Donc, imaginer une bande italienne à la place de Pink Floyd est difficile. Non pas car il n’y a aucun musicien italien aussi talentueux, c’est juste que j’ai pensé ma BD via The Wall. Oui, je ne sais vraiment pas quoi te répondre. (grand sourire)
Pour la dernière question, analysons ton style graphique. Cette année, lors d’une conférence dans une librairie italienne, tu affirmais ta fascination pour les dessins des enfants. Ce ton enfantin se découvre en lisant tes livres. Il y a une sincérité et vérité dans les dessins des enfants, inatteignables une fois adultes ?
Plus qu’une vérité, il y a 2 choses que j’aime énormément dans leur façon de faire. Premièrement, le plaisir de dessiner propre aux enfants. Malheureusement, quand on sort de la zone ludique et que le travail devient long, pénible, il se peut que j’en souffre. Réaliser de force une chose qui te plaît, ou plaisait, est assez douloureux. Ce que j’aime chez les enfants, c’est qu’ils dessinent parce qu’ils veulent dessiner. Déjà là, cette observation les porte à un plan supérieur. Deuxièmement, quand un enfant fait un dessin, il n’en dira jamais qu’il est laid. Les plus jeunes ne critiquent pas leurs dessins en solo. Donc, ils ne vivent pas le sens de la frustration, faute. Alors que nous, dessinateurs, aimons nous l’offrir chaque jour. Quand je conçois mes planches, je pense directement à ce qui ne me plaît pas, à ce qu’il faut améliorer. D’une certaine manière, ces idées éteignent le plaisir. C’est clair qu’elles sont nécessaires pour évoluer. Mais nous parlons de dessins, une activité qui devrait être liée au plaisir. Les enfants sont d’une extrême sincérité. Ils ont une absence de faute et sentent une joie de dessiner, donc ce sont mes idoles. Un jour, j’espère dessiner, non comme les enfants au niveau technique, mais j’espère réussir à dessiner avec leur état d’esprit.
La poésie est un grain de sable dans l’engrenage. Sacha Piersanti prononce cette idée haut et fort. Il est membre de La Maison Zeugma. L’initiative romaine provoque les rencontres entre poètes et public sans étiquette. La poésie prend énormément de sens une fois interprétée… Sacha Piersanti le fait comprendre en toute simplicité.
Peux-tu décrire la Maison de la Poésie de Rome nommée Zeugma ?
Zeugma est un projet né en 2021. L’idée était de trouver un espace physique où y dédier la poésie, à Rome. Dans cette ville, on retrouvait une Maison de la Littérature, une Maison de l’Architecture mais pas encore de Maison de la Poésie. On souhaitait créer une ambiance où tout un chacun puisse se sentir à la maison. C’est un espace domestique où les personnes se retrouvent et partagent les poésies. On organise aussi des évènements en invitant des artistes divers et variés. Notre ligne commune est de faire lire la poésie. Nos invités lisent leurs poésies. Leurs écrits ont un style reconnaissable de qualité, indépendant du succès des auteurs ou de leur maison d’édition. Mais leur point commun est de partager de vive voix leurs poésies. Nous ne présentons pas de A à Z un livre. Nous lisons soit des poésies écrites actuellement, soit nous invitons des artistes prêts à rendre hommage aux poésies du passé. Puis, les spectateurs peuvent échanger avec les artistes, lors de la fin des lectures. On reste ensemble, on boit, on mange, on se confronte de manière informelle.
Vos évènements sont souvent un moment de rencontre entre vieilles et jeunes générations.
Le public de la poésie, hier comme aujourd’hui, est souvent le public qui fait la poésie. Des auteurs viennent écouter des poètes pour ensuite venir faire comme eux, des interprétations sur scène. Un des objectifs de Zeugma est de démonter cette dynamique. Nous avons commencé à inviter des personnes qui se situent loin du monde poétique. Cela a déjà rassemblé des femmes ayant plus de 70 ans aux côtés de jeunes de 18 ans. Inviter des gens du théâtre, des musiciens d’electro, fait qu’un public différent puisse se rapprocher. Parfois, des personnes ne connaissant rien de la poésies se voyaient surprises de voir à quel point la poésie pouvait s’éloigner d’une quelconque valeur scolaire.
Crois-tu que la politique puisse se détacher de la poésie ? Je suis persuadé que tout est politique, de notre conversation au choix de te voir. Par ‘politique’, j’entends ‘donner des messages forts’, ‘se diriger vers un bord politique assumé’.
La politique dans le sens ‘relation’, ‘activité humaine, avant celle citoyenne’… la politique est impossible d’enlever à chaque fait humain, artistique, non ? En particulier dans la poésie. En écrire est un acte énormément subversif. Faire de la poésie signifie exactement ne pas satisfaire l’esprit du temps. L’esprit du temps équivaut à nos envies d’avoir tout et très vite. Par exemple, l’effet des tweets, un fait d’actualité passé de mode après quelques minutes, la limite des images, tout ceci, cette vitesse, cette frénésie du contemporain est l’ennemi des poétesses et poètes. La poésie signifie discipline, rigueur artisanale, concentration. Imaginer vouloir écrire de la poésie est donc déjà politiquement puissant vis-à-vis de la contemporanéité. Une contemporanéité qui nous souffle : Fais tout, fais tout de suite, travaille, dépense, travaille, dépense. C’est à ce moment qu’il me vient de dire, la poésie est un grain de sable dans l’engrenage. Quelque chose de petit, mais qui, peut-être, fera sauter la machine. L’engrenage tourne encore et encore mais le grain devient son obstacle. La poésie est cela par rapport à la réalité, à comment on conçoit la réalité d’aujourd’hui.
Qui se marre sur Twitch ? Pierre Reynders et Bruno présentent Je Crie C’est La Musique chez Silenceless. Les camarades développent divers sujets. Demeurer d’insatiables curieux. Recruter les premiers venus. S’adresser à n’importe quel artiste. Promouvoir, non pas la 5G sur Mars, mais les projets artistiques des membres. Bonne écoute !
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Lucien Phare est musicien, très philosophe. Ses réponses sont simples. Non pas simplistes, mais légères, mystiques, pertinentes. Il présente son premier album, Idiosyncrasy. A quoi s’attendre ? L’insouciance infantile, l’œil de Francisco Mata Rosas, Carl Jung et ses réflexions.
Parlons de la pochette du disque. Tu as choisi une photo de Francisco Mata Rosas. Voulais-tu refléter l’insouciance des enfants, celle qui disparaît quand on vieillit ?
J’aime bien l’idée que chacun puisse se faire sa petite histoire. C’est important parce que cette image est quelque chose de très symbolique et ça ouvre… en fait, on peut envisager un tas de narrations. Si tu le souhaites, je peux raconter la mienne.
Oh, oui oui.
L’image m’est tout de suite apparue touchante. Après, j’y mets cette idée de l’insouciance, c’est sûr. Il y a aussi cette idée du regard qui est ultra parlant. Il reflète une chose très forte quand on pense aux masques que l’on porte. Puis, ça me faisait penser au fait que chaque personne sur Terre a été un enfant. Plus je revenais sur cette idée, plus ça me faisait réfléchir… par exemple, quand j’observais des dirigeants du monde, des choses comme ça, et que je songeais qu’ils étaient des enfants, je ne sais pas, ça me faisait énormément réfléchir… le fait que ces parents ont aussi été de petits enfants, qu’on a tous traversé la période de l’enfance. Je me focalise sur l’idée que tout le monde peut à un moment enlever son masque et montrer cette insouciance, comme tu dis. Ces choses un peu enfouies, un peu cachées.
L’enfance, tu as des facilités à en parler. Ou alors, est-ce une thématique complexe qui demande du temps pour être développée au fil de l’album ?
Bonne question… mais je pense que ouais, j’ai de plus en plus de facilités à en parler. Je ne cours pas après mais disons que je ne cesse de redécouvrir un peu ces sensations, ces ressentis qui réapparaissent. Dans cet album, il y a des morceaux dans lesquels je ne me suis vraiment pas pris la tête. Je jouais quelque chose d’assez fluide, d’assez simple. Je suivais une philosophie : lâcher prise, ce que les enfants font très bien. (rire) L’attitude est punk sans l’être. On se relâche. Les choses deviennent futiles.
J’aimerais revenir sur le photographe Rosas. Très vite, il arrive à choper notre attention. Ses photos sont très épurées. Qu’est-ce qui te marque le plus dans le travail de cet artiste ?
J’étais dans un musée à Mexico. Il s’y trouvait une photo mémorable de Francisco. Ensuite, je m’étais renseigné et j’apprenais qu’il pratique le photojournalisme. Il y a ce côté… je ne sais pas, son style est authentique. Il y a des moments de vie. Pour la pochette de l’album, il y a une mise en scène minime. Mais finalement, ce n’est pas dans ses habitudes. La mise en scène se voit rarement dans ses clichés. Ce sont souvent des photos de rue. J’aime vraiment l’authenticité qu’il réussit à capturer.
J’aime beaucoup visualiser tes chansons comme un phare, une aide lumineuse. En m’informant sur Idiosyncrasy, je me demandais si la peur était le plus gros frein de nos actes, à chacune de nos pensées. Tu souhaitais partager ce message en composant l’album.
Oui. Je le réalisais dans un moment où je ressentais beaucoup de peur. Inévitablement, ça en parlait. Quand je composais, je ne me disais pas qu’il fallait évoquer la peur. Mais en fait, j’étais dans cet état. Les compositions répondaient à ça. Par exemple, l’idée du morceau ‘Calm Down’ était clairement imaginée au moment où tout bouillonnait en moi, quand venait l’instant de se dire : laisse aller, n’aies pas peur, enfin plutôt… c’était bien plus, laisse la peur être ce qu’elle est et puis ça passera. Il y a cette proposition de ralentir le rythme au fil de l’album. La peur, c’est aussi l’accélération. C’est pour ça que dans cet album, tout est très lent. Des fois, il ne se passe pas grand-chose. Mais c’est fait exprès. Qu’une envie de lâcher prise puisse planer.
Peut-on percevoir la peur comme quelque chose de positif ? Durant la période covid, des amis artistes se mettaient à composer, à écrire. Inconsciemment, ils craignaient que tout se termine. Créer, maintenant ou jamais. La peur peut devenir un moteur pour créer ?
Ouais, c’est arrivé mais ça m’arrive de moins en de moins. Quand ça arrive, ça arrive. Je ne lutte pas contre (rire). A ce moment-là de ma vie, lors des enregistrements de l’opus, ouais, c’était dans le sujet. Mais en ce moment, ça va. Je suis plutôt dans une phase où j’ai de moins en moins peur. Je pense que la sensation propre à la peur peut aider. Ça fait partie des choses qui motivent, tout comme la colère, ou juste l’amour. Ça devient parfois un vecteur d’inspiration artistique.
Quand j’écoute l’album, je me transporte vers un western féerique. Comme si j’étais au milieu d’un désert, où les cowboys utilisent leurs armes pour planter des arbres. Des personnalités participent à la féerie du projet. Je fais référence aux voix féminines. Elles sont envoûtantes. Comment fais-tu pour caser ces voix aux meilleurs moments ?
Là, pour le coup, j’étais dans l’intuition. Les chœurs ont été fait par une amie. Elle s’appelle Victoire. Nous sommes très proches. Elle était près de moi pendant ces phases. Ça s’est fait de manière assez fluide parce qu’en fait, les compositions des morceaux se réalisaient sur un temps long. Ce temps n’avait rien de défini. J’étais chez moi et ça durait plus d’un an. Nous travaillions petit à petit. Sur ‘Walk Don’t Stop’, j’avais des idées claires. J’entendais des sons, néanmoins, le petit pont de voix fut écrit par Victoire. Pour les dernières chansons, la voix est moins formulée en chœur. Elle nous est plus proche. J’étais, là aussi, accompagné d’une amie avec qui je passais beaucoup de temps. A un moment donné, on a enregistré dans ma cave.
C’est ta première interview pour un webzine belge. Aimerais-tu que je te pose une question plus qu’une autre ?
(gros silence) Pourquoi je me retrouve à parler de Carl Gustav Jung sur mon album ? Je me suis rendu compte que ce n’était habituel de citer un psychiatre en musique. Derrière cela, il y a le processus d’individuation. Cette idée signifie d’aller vers un soi indivisible, authentique, une sorte d’unité qui accepte la conflictualité en soi et qui la découvre… Le disque parle un peu de ces choses. Il y a l’idée du soin. Je ne sais pas encore si c’est une idée qui va perdurer dans mes prochaines créations. En tout cas, à travers Idiosyncrasy, il y a idée qui est portée sur le soin. Et plus précisément, sur l’idée de guérison.
Tu traduis en musique les écrits de Jung.
Ses écrits m’inspiraient. Je lisais pendant que je créais ma musique. Forcément, ça influençais mes sons. C’était arrivé dedans sans que je le veuille. Ca faisait partie de ma vie et ça finissait inévitablement dans les compositions.
A qui conseiller ces lectures ? Quelle personne en aurait le plus besoin ?
L’auteur m’aidait beaucoup lorsque j’étais confus à cause du flot de pensées dans ma tête… je le conseille aux personnes qui ont un mental un peu envahissant. Aux personnes qui ont parfois peur de l’inconnu, de l’invisible, qui ont peur d’eux-mêmes, des autres, de ce que Jung appelle l’ombre. C’est-à-dire, tout ce qui concerne ce qu’on n’arrive pas à négocier entre nous et nous-même. Qu’ils lisent Jung, ils trouveront des trucs vachement croustillants. Enfin, pour moi c’était décisif dans ma vie.
It Turns Pale. Comment nier cet album de Cosse ?! Les compositions et ambiances sont soignées. Les mélodies accrochent et bercent l’oreille. Ranger le groupe dans la case noise est trop réducteur. Floyd Atema participe à la magie de l’opus. Ce shaman de l’émotion pure enregistre des sons atypiques. On le sait grâce au chanteur-guitariste Nils Bö. Il nous raconte son vécu… son expérience fut inoubliable !
Dans votre manière de composer, quelque chose a radicalement changé entre le premier et nouvel album ?
Artistiquement, on n’a pas voulu changer drastiquement. Il y a des morceaux qui font vraiment le pont entre l’EP sorti en 2020 et cet album. Maintenant, on avait une envie d’ouvrir plus de portes. On se dirigeait vers des approches différentes de l’EP, avec des morceaux un peu plus simples comme ‘Easy Things’ ; plus simples mais non moins profonds. On est au début d’une carrière. On n’a pas envie de s’enfermer dans quelque chose. On voulait ouvrir des branches pour ne pas se coincer dans un genre. Ce qui a beaucoup changé, c’est aussi le fait de partir deux semaines en studio avec un producteur. Il y a eu une vraie recherche pour chaque morceau de chaque son de guitare, chaque son de snare, voilà… à chaque morceau, on s’est creusé la tête pour savoir comment sonner.
Vous avez découvert du nouveau matos, une fois sur les lieux.
Totalement, ouais. On était dans au studio Katzwijm perdu aux Pays-Bas, à Voorhuit. Il y avait de vieux instruments, de vieux accordéons, des sortes de guitares faites maison, une snare des années trente, c’était une caisse claire super épaisse, presque difficile à jouer. Floyd Atema, notre producteur, exposait souvent ses propres idées. Il posait des micros dans des tuyaux d’aspirateur, dans des casseroles avec des clous à l’intérieur. Il y avait un rapport au studio qui était assez cool. Le studio, ça peut être quelque chose de très classique, avec des techniciens qui posent soigneusement leurs micros. Là, c’est vrai qu’il y avait un rapport assez fun avec l’enregistrement.
Ces sons participent-ils à l’ambiance de l’album ? Matthew Bellamy enregistrait le bruit de sa braguette pour le second album de Muse. A l’écoute de leur morceau, on n’entend pas spécialement sa braguette. Ici, comment s’entendent vos sons atypiques ?
La résonance qu’il y a dans l’aspirateur crée comme un effet provenant d’une minuscule pièce. Donc ça crée un son très particulier. Après, on vient mixer ça par-dessus le mix existant. Ca ajoute une sorte de couleur.
Pensez-vous utiliser encore ces techniques pour le prochain album ? Ou viserez-vous encore plus haut, en utilisant d’autres ustensiles ?
(rire) Nan, écoute, c’est une bonne question. Pour la prochaine fois, on verra. Peut-être qu’on enregistrera dans les pièces différentes d’une maison. On ferait ça en fonction de l’acoustique, mais aussi de ce que peut raconter le lieu. Il y a des lieux qui sont vraiment chargés de quelque chose. C’était vraiment le cas du studio Katzwijm. Il y a des groupes qui passent là-bas depuis une vingtaine d’années, si ce n’est plus. Ce sont plusieurs groupes rock, de choses similaires à ce qu’on fait. Il y a vraiment une énergie particulière sur ces lieux. C’est toujours inspirant, au-delà de ces techniques, de faire face à des lieux qui portent certains vécus.
En parlant de techniques, on ne pouvait pas passer à côté d’une personnalité. On l’a déjà cité. Cet homme jouait un rôle fort quant à la conception de It Turns Pale. Je parle bien sûr de votre ingé son, Floyd Atema. Que retenir après vos séjours à ses côtés ?
Floyd, c’est quelqu’un qui a su nous rappeler que réaliser un enregistrement, ce n’est pas une formalité. Il se passe vraiment quelque chose. On est en train de figer une émotion. Et pour ça, il faut la vivre au moment où elle est captée. Parfois, lors de l’enregistrement des voix, je me lançais, je chantais le morceau comme j’ai l’habitude de le chanter. Puis, il m’arrêtait et me disait : OK, ça parle de quoi ? Je lui expliquais un petit peu, il comprenait et on se relançait. Puis, il m’arrêtait en plein milieu en me demandant pourquoi je parlais de ce que je chantais. Pendant que les autres étaient en cabine, je lui racontais alors des choses personnelles, intimes. Le but n’était pas d’aller dans mon intimité. A l’instant où il a senti que je vivais des moments de fragilité, il m’a stoppé pour relancer l’enregistrement. C’était fort. J’étais devenu sensible. C’est clair que ça se transmettait dans l’enregistrement. Floyd, plus qu’un ingénieur du son ou producteur, c’est aussi quelqu’un qui… ne pratique pas la psychologie, mais qui, à ce stade, est carrément mystique (rire). Il fait ça avec beaucoup de respect. Ouais, c’était une rencontre très forte. C’est quelqu’un d’une constance… pendant deux semaines, il était hyper droit, aucune saute d’humeur.
Si je comprends bien, il ne vous poussait pas dans vos retranchements. Ses démarches étaient plutôt bienveillantes.
Oui. Il y avait une forme de bienveillance, mais aussi la volonté d’aller chercher un point de tension. Il nous a poussé, non pas dans nos retranchements, mais aux bons endroits.
Ca influencera ta manière de composer à l’avenir.
Complètement. L’expérience fut bouleversante. Notamment, quant aux textes, à ce qu’on dit, ce qui dit la musique. Tout devenait assez évident.
Parlons cette fois de votre dernier clip en date. J’adore les plans et décors de ‘Easy Things’. Ils servent un texte intéressant. Les paroles de la chanson nous invitent à se lâcher. Actuellement, la réalité est dure à encaisser. Les Français sont en désaccord avec leur gouvernement. L’Ukraine est en cendres. Les dirigeants continuent d’organiser des jeux sportifs dans des pays sans foi, ni loi. Je me disais, finalement, votre meilleur moyen pour lâcher prise, c’est d’être musicien.
(rire). Je ne sais pas. (rire again) Je ne pense pas que ça soit la seule manière de lâcher prise. Typiquement, ‘Easy Things’, ça vient d’une de mes expériences de plongée sous-marine. Quand on fait de la plongée profonde, il y a un moment où tu ne peux plus remonter à la surface comme tu le veux. Tu dois passer par des paliers. Tu bascules dans un monde très particulier. La lumière se fait rare. A chaque bouffée d’air, c’est comme si tu en inspirais six fois plus, donc tu entends tout ton organisme fonctionner, ton cœur battre, fin… c’est vraiment un autre environnement. Tu es en apesanteur. Tu n’as plus accès à l’autre monde que tu connais. L’exercice demande une certaine acceptation de la situation pour pouvoir la vivre convenablement. ‘Easy Things’ se réfère un peu à cela, à cette idée de lâcher prise face à quelque chose de terrifiant, inconnu, pour vivre quelque chose pleinement, sans se bloquer. On passe tous par des phases de cette ampleur, où on doit lâcher prise. Que ce soit un deuil, faire son coming out… ces moments dans la vie où il faut lâcher prise, accepter et vivre le truc pleinement.
Gipi est un auteur atypique. En 2006, il fut d’ailleurs primé au Festival d’Angoulême. Ses histoires sont le reflet de sa personne. L’humour et la poésie transpirent de ses planches. Surtout à la lecture de sa nouvelle bande dessinée : Barbarone. L’œuvre présente une aventure spatiale. Naïveté et cynisme sont au rendez-vous. Découvrez la mentalité d’un artiste italien suivant ses propres codes.
Avant de se pencher sur Barbarone, je souhaitais t’annoncer que notre équipe critique des bandes dessinées japonaises. Lis-tu un manga qui est d’une grande aide dans ton travail quotidien ?
Ecoute, je riais avant d’entendre ta question car je pense qu’il n’y a pas de personne moins adaptée que moi pour y répondre. Je n’ai jamais lu de manga. Jamais. Non pas que j’en sois contraire mais en général, je lis très peu les bandes dessinées. Presque rien. Les mangas sont probablement arrivés en Italie, quand j’étais déjà trop vieux pour en vouer une passion. Parfois, j’en feuillette car j’aime les solutions dessinées par certains auteurs.
Des BD t’attirent quand même pour plusieurs raisons.
De prime abord, je suis sûrement attiré par le style de dessin. Puis, en 3 minutes, fin, même pas en 3 minutes… je sais si j’ai envie d’en découvrir davantage, en 40 secondes. J’examine l’écriture des personnages et celle des dialogues pour savoir s’il en vaut la peine de gaspiller son temps, face à telle ou telle lecture.
Quand je lis, j’adore être surpris. J’ai lu pas mal de BD et je recherche cet auteur prêt à proposer un nouveau récit, à illustrer des dessins inédits. Désires-tu les mêmes sensations ?
Je cherche une absolue authenticité entre l’auteur et ce qu’il raconte. Les trames surprenantes ne m’intéressent pas. Je regarde si la personne écrivant, racontant, dessinant est honnête avec elle-même et par conséquent, avec le lecteur. Ça peut sembler étrange, mais d’expérience, je peux le comprendre très vite.
Parlons de Barbarone. C’est une bande dessinée complétement folle. Chaque personnage de cette aventure spatiale incarne un caractère qui t’appartient. Gogo pour le narcissisme. Pozza di Piscio pour le cynisme. Quant à Barbarone, il est la personnification de l’enthousiasme. Il veut découvrir de nouvelles créatures, de nouvelles planètes, en respectant chaque être vivant sur son parcours. En fin de compte, et même s’il s’agit du premier volume d’une trilogie, Barbarone n’est-elle pas ton œuvre la plus optimiste ?
Oui, c’est mon œuvre la plus allègre, assurément. Celle où j’ai pu le plus jouer. Je suis vraiment revenu à la BD divertissante dont j’étais passionné durant ma jeunesse. Je ne sais pour quel motif quand je concevais des livres, je réalisais des histoires sombres. Ces mêmes motifs étaient un peu tristes. Barbarone naît toujours pour une triste raison vu la dure période vécue avant sa parution. La réaction qui en résulte fut sûrement plus joyeuse. Donc, j’aime beaucoup ce livre, ses personnages. C’est mon œuvre la plus autobiographique. (rire) Même si j’ai sorti des livres directement plus autobiographiques en apparence, et même si je n’ai jamais voyagé dans l’espace. Barbarone est bien le plus autobiographique.
Était-il plus thérapeutique d’écrire une œuvre comme Barbarone, plutôt qu’une autre comme La Terre des Fils ?
Oui. Imaginer Barbarone était vraiment curatif. La bonne humeur de ses pages était très précieuse à ce moment de ma vie. La Terre des Fils est un livre complètement différent. Les racines de cette histoire découlent du passé de ma famille, chose qu’on ne peut pas deviner en la lisant car cela concerne ma vie privée. Même pour ses motivations, cette œuvre est bien plus différente. A cette époque, j’avais besoin de publier une histoire où je n’y étais pas moi-même, sans ma voix narrative. C’était une importante période de rupture. Barbarone… c’est un jeu. Son récit est bien plus similaire à ce que je suis dans la vie de tous les jours. Je m’assimile à ces personnages, cette approche plus joueuse au sujet de l’existence.
Pour Barbarone, tu utilises un papier déjà aperçu sur La Terre des Fils. Pour ce qui est des traits du dessin, j’aimerais comprendre quelle est la plus grande difficulté quand on dessine tout à la main et au Bic.
Tu n’as pas accès au Control Z. Il faut rester concentré. Sincèrement, j’aime travailler de cette manière. J’aime l’idée de risquer de ruiner une page, au lieu de toujours avoir une voie électronique pour fuir. Il y a bel et bien une vraie difficulté quant à la conception de Barbarone. Cette bande dessinée ne présente pas de vignettes. Ses planches n’ont pas de vignettes divisant les actions à des moments précis. Dès lors, créer des pages devient difficile. Il faut que le flux de bulles de lecture soit juste, sans l’aide des vignettes. J’ai vraiment fait en sorte que l’on puisse tout comprendre à la lecture. Et ce, même si tu sautes des dialogues par erreur. Ce système était complexe à mettre au point. C’était un défi. L’autre challenge était d’illustrer un personnage à l’intérieur d’un autre. A savoir, Pozza di Piscio s’exprimant après avoir été bu par Gogo. Là, c’était vraiment confus. (rire)
As-tu laissé Barbarone entre les mains d’un enfant pour voir sa réaction ?
Oui. Il est préférable que l’enfant ne soit pas trop jeune, au vu de l’énorme quantité de jurons. Les enfants de mes amis s’amusaient beaucoup à le lire. On me racontait que les expressions de Gogo sont mêmes entrées dans certains lexiques familiaux. Ce sont des phrases qu’ils répètent et qui les font rire. C’est aussi arrivé à la sortie de Aldobrando, un livre imaginé avec Luigi Critone. Là aussi, les enfants reprenaient les passages vulgaires car on sait qu’ils rient facilement avec les gros mots. (rire) Ca me plaisait beaucoup.
Le jeune Aldobrando et l’aventureux Barbarone ont des points en commun, non ? Ils font preuve d’innocence à diverses situations.
Tout à fait. Quand je crée des héros, ils portent un regard d’enfant sur le monde. Aldobrando suit un parcours et Barbarone se dirige vers un autre. Ce dernier est bien plus stupide. Il dégage aussi un côté obscur. On peut l’observer au premier volume, quand il s’énerve sur une minuscule créature.
Portes-tu aussi un regard d’enfant sur le monde ? Trouver la joie dans les petits riens de la vie. Préserver l’innocence.
Je suis Barbarone quand je rencontre quelqu’un. Immédiatement, j’ai envie de devenir de son ami. Je désire être une personne correcte, généreuse, bonne. Souvent, je me fais arnaquer. (rire) Il est bon de vivre ainsi. Je pense qu’il vaut mieux se faire tromper plutôt que d’être détaché, distant ou méfiant, dès qu’on rencontre des gens. Il faut avoir les mains ouvertes lorsqu’on vit, et ne pas garder les poings fermés. C’est vrai, à poings fermés, tu te défends. Sauf qu’une fois les mains ouvertes, n’importe qui peut te laisser quelque chose d’inattendu. Mais c’est plus risqué.
Une fois ton ouvrage terminé, pourquoi avoir choisi Rulez pour l’éditer ?
J’avais très peur de Barbarone. Par le passé, j’avais déjà exploité l’humorisme avec parcimonie. Cependant, je n’avais jamais fait de livre entièrement comique. J’étais effrayé. J’avais l’impression de suivre une voie incohérente, déviant de mon parcours artistique. Suivre Rulez, c’était la voie la plus juste car la plus différente. Je suis en très bon rapport avec Coconino Press. Je ferai d’autres livres avec ces éditeurs. Je leur ai vraiment dit que je me prenais une vacance. Barbarone est un livre différent à traiter différemment. Tout va bien. Coconino soutient le travail confié à ma femme. Elle dirige Rulez. L’idée était de faire un livre à la maison. Le contrôler sous tous ses aspects, dans sa distribution, etc. C’était aussi une expérience. Cette collaboration fait que je n’ai pas le droit de mentir vu que ma femme est à mes côtés (rire). Le travail joue également un rôle important dans ma journée. Puis, c’est beau de contempler le soin apporté par Chiara Palmieri (ndr : épouse de Gipi). C’est un soin à la fois maniaque et incroyable. Je n’ai jamais vu ça.
Revenons un instant sur la thématique de l’optimisme. J’aimerais rebondir sur une de tes anciennes déclarations. Soit, tu y répondras en 30 secondes, soit en 30 jours… Gipi, Dieu te hait encore ?
(rire) S’il existe, il ne hait personne en théorie. Donc, je ne crois pas qu’il me haïsse. Malheureusement, je ne crois pas en Dieu. Je fais de tout pour y croire. Je vis comme s’il existait. Je vis comme si les enseignements chrétiens étaient réels. Je lis la Bible. C’est juste que je ne crois pas au personnage principal (rire). Ça me rappelle une très belle blague de Woody Allen. Il déclarait : Bon, la Bible est une histoire prodigieuse. Dommage que son protagoniste ne soit pas crédible.
Tu n’as pas peur de vivre une grande fable.
No, no. Ça dépend de ce que tu entends par grande fable.
Une fable niant la dure réalité.
Non. Selon moi, le devoir des êtres humains est d’affronter les dures réalités sous toutes leurs formes et aspects. Nous vivons un temps où l’on envisage une illusion de protection pour les jeunes générations. Comme si la société pouvait les préserver du mal. Ceci me semble très cruel vis-à-vis des jeunes. J’ai toujours pensé que la vie était quelque chose de dure. Quand tu es jeune, elle peut ne pas le sembler. Mais quand tu commences à vieillir, tu comprends qu’elle peut être très douloureuse. Se construire pour l’affronter, c’est aussi la tâche des plus jeunes… mais c’est cool de le faire. (rire) Ca, c’est le plus important.
Dernièrement, 3 Kurdes sont tués par balle à Paris. L’acte barbare est impensable. Des failles occidentales sont encore à dénoncer. Une question se vaut après avoir eu vent de la situation : comment découvrir les difficultés quotidiennes des minorités ? Les photographes jouent souvent un rôle important pour mieux comprendre les sociétés. La liégeoise Marjorie Goffart ne cache pas son envie de militer via son art.
Tu milites en prenant des photos. A quel moment as-tu choisi cette voie ?
Je suis fille d’immigré. Ma maman est belge et mon papa vient du Nord de l’Inde. Je ne suis pas très connectée à la culture indienne. Il y a toujours eu une remise en question très forte en moi. Peut-être que c’est dû au fait que j’ai grandi à Droixhe (ndr : quartier de Liège), un endroit très multiculturel où se vit le racisme. Bref, tout le monde est un peu dans sa communauté et moi j’avais envie de questionner ça. Je me positionne où là-dedans ? Je voulais dénoncer le racisme et m’identifier en tant que militante. Donc, j’ai commencé à pointer ce que je souhaitais dénoncer, mais pas directement à travers la photo. Au départ, je ne savais pas trop où aller. Puis, j’ai réalisé des études de photographies. Mon travail de fin d’étude portait sur l’occupation Ebola, qui est désormais la voix des sans-papiers à Bruxelles. En gros, je travaillais sur l’invisibilisation des personnes qui participent quand même à l’économie du pays. Les personnes qui quittent leur pays et qui n’ont pas leurs papiers après 10 ou 15 ans sur une autre terre, sont beaucoup plus exposées aux injustices. J’ai commencé par là. Prendre des photos sur ces thématiques devenait une évidence. M’immerger dans la vie des gens, puis le montrer en photos. Aujourd’hui, je me dis encore que je pars de zéro et que les gens photographiés sont plus riches que moi au niveau émotionnel. Il y a un tas de choses à apprendre. Par après, j’ai travaillé dans la presse et me suis engagée dans le féminisme. L’activité photo m’a vraiment aidé à confirmer mon envie de creuser les thèmes de l’immigration, d’identité individuelle, de collectivité et de m’engager dans un collectif comme Et ta sœur ?.
Par le passé, une personne sans-papiers t’interrogeait sur ta pratique. Elle déclarait : OK. Tu prends des photos. Et puis quoi ? Cette remarque est assez fascinante. Tu as sûrement envie de changer le monde.
Je crois que ce serait prétentieux d’annoncer vouloir changer le monde avec mes images. Je pense que c’est un outil qui y contribue. Je pense qu’il y a plein de choses qui, une fois assemblées à certaines valeurs, passent vers une première étape importante : la prise de conscience. Après ce premier pas, c’est intéressant de voir si tu es sensible à tel ou tel sujet. Par exemple, avec Et ta sœur ?, on peut dénoncer autant qu’on veut, il faut savoir se faire entendre. Mais il faut aussi savoir se faire écouter. C’est extraordinaire de faire des actions de rue, mais si on ne nous voit pas, c’est problématique. Qu’est-ce qui va changer si les politiciens ne se bougent pas ? Ce sont de nouvelles lois qui vont vraiment changer les choses. La prise en charge de victimes de violences sexuelles et sexistes est mieux gérée. Les choses bougent par-là, en termes de prise de conscience et de législation. Ces changements ne se font pas tout seul. Je crois que j’ai besoin d’un témoignage de ce que je vis en images, en sachant prendre de la distance, comme j’ai pu le faire suite à un voyage en Inde.
Prépare-toi à philosopher. Quelques acteurs trouvent leur identité en jouant divers rôles. Ressens-tu les mêmes sensations en photographiant ?
J’apprends à me connaître grâce à la perception que les autres ont de moi. C’est une bonne ou mauvaise chose, je ne sais pas… il faut un peu mixer. Mais quand je me vois faire des ateliers photos, j’ai un stress énorme. C’est drôle car on m’informe toujours que ça ne se voit pas. Je me suis rendue compte que j’étais une personne anxieuse en travaillant, lors de mes rapports sociaux. La photographie implique les rapports sociaux. La prise de vue, enclencher ton appareil photo, j’ai l’impression que parfois que ce n’est qu’un dixième du travail. J’explore tout le côté relationnel lié à l’art de la photographie. C’est là-dedans que j’explore vraiment ce que je suis, mes failles et comment réagir aux fragilités des gens en face de moi. Dès lors, je me suis rendue compte que j’étais une boule d’éponge. C’est un travail de valeurs, un exercice technique. Il faut être sur tous les fronts. Ça m’épuisait. Le travail m’a donc aidé à mieux comprendre mon tempérament. Quand je vois la Marjo d’il y a quelques années, l’étudiante prête à faire des reportages de guerre, ça me fait bien rire. Je suis parfois en PLS devant des femmes qui ont vécu des violences conjugales. C’est utile d’être à l’écoute de soi, sans trop s’auto-centrer. Parfois, il ne faut pas hésiter à se mettre de côté pour laisser la place aux autres, tout en gérant les prises de parole. Que chaque femme de mes ateliers puisse s’approprier sa photo. De base, la photographe, c’est moi, mais les idées viennent d’elles.
Merci de livrer tant de pensées intimes. Maintenant, j’aimerais citer le journaliste Ryszard Kapuscinski. Il était connu pour ses travaux sur le monde oriental. Selon lui, pour effectuer un bon reportage, il faut être un homme bon. Lors de mes études de journalisme, les professeurs n’insistaient pas sur ce point. Préfères-tu garder tes distances ou montrer de l’empathie, pendant une situation tendue ?
Autant y aller à fond, hein (rire). Il y a de plus en plus d’histoires humaines derrière mes photos. Ça me booste énormément. Lors de mes voyages, je peux ressentir à la fois de l’excitation et de la peur. Au Kirghizistan, j’ai vécu une agression sexiste. J’étais assez sonnée parce que je n’avais pas une image négative de ce pays. J’étais sidérée quand j’avais failli me faire embrasser par un guide. Je ne bougeais plus. Je lui refusais son envie plusieurs fois. J’avais plein de photos de ce gars. Au début, le contact passait bien. Survient le problème du patriarcat. Vu que je lui souriais, il s’est cru tout permis. Il y a un problème de considération dans le monde entier. Nous ne sommes pas épargnées en Belgique. Le patriarcat a plein de formes différentes. Ça m’a mis du temps de publier une photo de lui sur mon compte Instagram. Je voulais jouer la carte de l’honnêteté. Je voulais jouer sur le côté vendeur du réseau social. Il y a souvent un aspect vendeur qui se dégage des photos Insta. Cela me rappelle la signification de ‘Kalopsia’, une chanson de Queens of the Stone Age. Le groupe décrit le concept de voir les choses plus belles qu’elles ne le sont en réalité. Je trouve qu’on vit à fond là-dedans. Et avec la photographie, on peut très vite y basculer. Même si ce cas d’agression au Kirghizistan semble isolé, je voulais raconter mon histoire. Je souhaitais voir les réactions des gens. Autant être honnête et y aller à fond. Autant illustrer ses expériences. Tu peux laisser les spectateurs interpréter les messages de tes photos. C’est ce qui fait la beauté de l’art et qui participe à ses libertés. Pour mon cas, sans son contexte, il était impossible de deviner qu’à travers le portrait de mon guide, se cachait un potentiel violeur. Je ne désirais pas avoir peur de me livrer. C’est aussi ça que m’a apporté mon vécu de militante, le fait d’assumer que ma vie intime est politique. Je remarquais aussi que la photo sert aussi à croire les victimes.
Laissons libre cours à ton imagination. Durant le confinement, j’ai écrit ma première nouvelle. Le Dernier Cliché met en scène un photographe. Il excelle dans sa profession. Il arrête le temps pour photographier de magnifiques paysages. Si tu possédais ce pouvoir, quel endroit serait à immortaliser ?
Aaah, fameuse question. Il triche ton personnage. C’est un sacré tricheur (rire). Alors, si je pouvais arrêter le temps… je réfléchis… (silence) Je ne choisirais pas cette option. A mon avis, je passerais à côté de plein de trucs. J’aurais peut-être la sensation de tricher. Il n’y aurait plus cette tension face aux personnes. La dimension humaine de la photo n’y serait plus. C’est un moment hyper fragile. En secondaire, j’avais déjà un coup de cœur sur les reportages. J’imaginais traverser la Turquie pour rencontrer des Peshmergas luttant pour les libertés kurdes. Ce type de voyage me fait toujours vibrer à mort. Si je pouvais fantasmer mon arrivée sur ces lieux, ce serait pour être dans le feu de l’action… mais le feu de l’action, c’est quoi ? Être dans la guerre ? Nous ne sommes ni des cowboys, ni des cowgirls. Si j’arrêtais le temps, je vivrais un problème d’intégrité. D’où l’idée de cette triche… est-ce qu’il va chez le psy ton personnage ?
Il devrait… mais c’est pour ça que je l’aime bien !
Allons en thérapie, c’est super ! (rire) C’est terrible de rater le moment parfait pour capturer une photo. Mais ça fait partie du deal. C’est comme ça qu’on apprend de ses échecs. Avoir trop de maîtrises sur tout, c’est impossible. S’imaginer qu’il y a un bon moment pour une prise photo, c’est utopique. C’est à toi de te plier. Ce n’est pas à toi de décider. Je t’avoue cela, mais peut-être que dans deux heures, je changerais d’avis (rire). La sensation de triche serait trop présente en moi. Comme je suis une pro pour culpabiliser pour rien, c’est bon quoi. Non merci, pas de super pouvoir. (rire)
Ils ne passent pas inaperçus. Gros son, grosses touffes de cheveux, gros paris assumés tant musicaux qu’esthétiques, les Liégeois de Gros Cœur sont pourtant tout sauf grotesques ! Quittant le studio d’enregistrement pour un premier disque, ces savants fous mêlent studio et live dans leurs productions. Rencontre psychédélique et voyage surréaliste dans leur bromance improvisée à la belge.
Votre premier morceau, Java, est disponible sur toutes les plateformes sous la forme d’une version live, c’est assez peu commun !
Quelles places ont la pratique du jam et le live dans votre projet ?
Jimmy (guitare, percussions, chœurs) : Pour une petite remise dans le contexte, on a déposé notre candidature au concours « Du F dans le texte », et pour poser cette candidature, il fallait impérativement une chanson en français. C’était un peu une espèce de pression dans le temps, on a été au moins coûteux et au plus pratique, car nous avions à l’époque un super local qui nous permettait ce genre d’enregistrements. C’était un peu la seule possibilité dans l’immédiat.
Adrien (guitare, chant lead) : Ce n’était pas uniquement par dépit ! Faire une session live offrait des moyens faciles, mais aussi un avant-goût rapide aux gens, de ce qui se construisaient.
Jimmy : La place de la jam dans le groupe, c’est super central parce que simplement, ça a commencé comme ça. On ne se connaissait pas vraiment bien. On a fait une grosse jam et ça a cliqué à fond. On a décidé qu’on allait composer comme ça ! En pratique, Adri arrive avec des riffs, des bases de morceaux et on remanie tout complètement en live, ensemble. Et c’est ce qui est le plus représentatif de ce qu’on veut faire avec le groupe, c’est ce qui fonctionne le mieux, c’est le live.
On enregistre actuellement (ndlr : septembre 2022) un album, et tout est enregistré de cette façon-là, sans clic, c’est tout organique. On a envie que ça sonne comme ça, que certains morceaux sonnent comme des jams et que la longueur soit variable, qu’on se regarde simplement quand on veut changer de partie. Les places du live et de la jam sont super centrales.
Adrien : J’arrive avec une idée de composer. Je n’ai pas envie d’imposer mes idées. Ce que j’aime avec le concept de jam, c’est que chacun peut trouver sa zone de création, même s’il y a un fil conducteur qui est apporté à la base. C’est ça qui fait que parfois musicalement, ça part un peu dans tous les sens, parce que justement, chacun apporte ses influences. Il faut sacrément être sûr de soi pour apporter une compo de A à Z et l’imposer à tes musiciens. Notre pari a pu être un peu risqué mais on s’est rendu compte très rapidement, dès la première répète, que c’était ça qui fonctionnait.
Quand on vous entend, on est face à un kaléidoscope, tant visuellement que musicalement. Pourtant, le projet est très cohérent, et on en vient à se demander comment personne n’avait pensé à un tel mélange très éclectique, mais très efficace.
De quoi est composé ce patchwork ?
Adrien : je voulais commencer à jouer avec un groupe de rock psyché. Mais je n’avais pas beaucoup de connaissance, car je venais d’un milieu plus électronique. Puis j’ai rencontré Jimmy, qui m’a fait découvrir plein de choses… ensuite, je me suis lancé à corps perdu dans un océan de psyché.
Julien (basse, claviers, chœurs) : Auparavant, on faisait tous déjà de la musique. Mais la chose qui m’a marquée au début de nos sessions d’impro, c’était cette volonté de ne pas se brider. C’était un peu un pari car on avait conscience du coté un peu patchwork de ce qu’on fait. Puis, assez rapidement, on s’est dit qu’on voulait aller dans une direction plutôt dansante, et sur scène, le coté rock marche bien aussi. On a fini par se dire qu’un mélange des deux marchait bien, en gardant toujours cette dimension organique, sans trop contrôler. Le projet est par ailleurs né pendant le confinement. Dès le début, on a voulu garder une dimension assez second degré dans ce contexte de pertes qu’on a tous traversé. On voulait que les gens puissent danser et on ne voulait pas se brider, ni sur la longueur, ni dans l’aspect rock ou plus dansant.
Niveau influences, on écoute vraiment beaucoup de choses.
Jimmy : Si on devait donner les noms des groupes ou artistes favoris des membres, ce serait très différent pour chacun.
Adrien : Jimmy adore le son clean, type Arctic Monkeys début 2006. C’était déjà à l’époque du rock dansant. Au moment où les Anglais l’amenaient vraiment, avec des Franz Ferdinand.
Jimmy : Au départ, je ne suis vraiment pas technicien. Je jouais de la guitare directement, sans aucune pédale. C’est Adrien qui m’a imposé ça (rires). Au départ je ne suis pas guitariste, donc je n’avais pas envie de bidouiller des effets.
Adrien : Je me dis souvent Pourquoi activer une pédale quand, tu peux en activer 5 ? J’aime bien surenchérir les effets, et avec Jimmy on se complète bien car il a un son plus sec, plutôt rock rythmique, alors que de mon côté, j’ajoute plutôt du psyché.
Jimmy et moi, on gravite à deux autour de la musique. Julien et Alex apportent toute l’assise, toute la puissance du projet.
Jimmy : On a la chance d’avoir un super batteur et un super bassiste, bassiste imposé et batteur confirmé ! J’ai vu deux bons batteurs dans ma vie, c’était Alex, et le batteur de Green Day (rires)
Alex : On nous a dit plusieurs fois que ça aurait pu se casser la gueule. On n’a jamais vraiment décidé de faire ce genre de musique. On l’a fait parce que ça s’est mis comme ça. Mais un jour, c’est tout à fait possible qu’on fasse un nouveau morceau et que les gens ne suivent pas…
Adrien : … que ce soit celui de trop (rires)
Alex : On a beaucoup profité de ce confinement, au départ c’était fort classique, du rock psyché en anglais avec un drum normal… On devait jouer avant, en juin 2020, puis le covid nous est tombé dessus et on a seulement pu faire notre premier concert en 2022. On a continué à répéter, à rajouter de nouvelles choses, des percussions, parce qu’on en a trouvé et que c’était drôle. Puis, on s’est dit que c’était quand même chiant l’anglais et qu’on allait passer au français. Toutes ces choses auraient pu être des idées de deuxième ou troisième album, si on n’avait pas eu cette opportunité.
Adrien : Et les liens se rapprochaient de plus en plus !
C’est vraiment ce qui se ressent sur scène ! Cet effet kaléidoscopique, mosaïque, on le retrouve également dans vos clips. D’où vient cette esthétique psychédélique et complètement excentrique, mais très assumée ?
Adrien : On voulait faire du fond vert parce qu’on n’avait pas de scénario écrit à la base, ça nous laissait beaucoup de possibilités. Alex et Julien sont intervenus dans la création, car Alex est cinéaste et Julien est vidéaste. Ils se sont alliés pour construire ce clip. On a tout fait sans moyens, à part le drap vert et les expérimentations fumigènes et fluides…
Julien : De nouveau, c’est comme pour la musique, c’est beaucoup d’expérimentations. On voulait une dimension improvisée et pas trop sérieuse. La chanson parle de café, et c’est à peu près la seule chose abordée. On filme beaucoup de conneries ! On a pris deux jours pour le faire en entier.
Adrien : Le petit personnage, c’est Jimmy, et il représente la caféine. Au début, on voit le groupe, les tasses. A la fin, ce petit personnage tout excité danse, bouge…
Jimmy : En fait, on met surtout du sens après coup (rires)
Adrien : S’il y a une phase à propos d’un morceau, on peut vraiment en discuter. On s’écoute et on avance. On fonctionne vraiment comme lorsqu’on joue. On enlève un passage, on en rallonge un autre… c’est un peu aussi comme ça pour le clip.
Jimmy : On est tout de suite devenu de très bons amis. C’est un peu aussi pour ça qu’on a appelé le projet Gros Cœur, pour cette histoire de coup de foudre amical. Ça nous permet de faire beaucoup de conneries et d’en discuter ensemble.
Adrien : On réfléchit aussi beaucoup en amont pour l’aspect visuel sur le fait que nos morceaux sont très longs… Ce n’est pas évident du tout de clipper un morceau qui est très long. On va alors chercher des parades ou des tricks. On se repose plus sur l’association d’idées, sur le principe du cadavre exquis que sur le story telling très long. On en revient à la première question sur notre premier morceau. Un morceau de 10 minutes à clipper, c’est vraiment un défi. C’est un peu un casse-tête aussi niveau visuel. On réfléchit aussi à nos sessions live pour trouver les manières de les rendre originales.
Jimmy : Je tiens à faire un jour un clip chorégraphié car j’aime beaucoup la danse contemporaine, et c’est ma seule demande (rires). On danserait tous. Mais encore une fois, il y aurait une grande place pour l’impro. Je trouve que Gros Cœur a ce truc très corporel qui s’y prêterait bien.
Chanter en français pour ce genre de musique, c’est un petit peu briser les traditions. Quand il y a du français dans la musique, c’est souvent l’instrumental au service des paroles. Pourquoi ce choix de chanter en français ?
Adrien : Ce n’était pas vraiment dans l’idée de casser les règles, mais simplement je ne savais pas choisir entre le français en l’anglais, donc j’ai essayé les deux. Sauf que pour la seconde langue, je me suis retrouvé sur Google Traduction à essayer de traduire et ça n’allait pas du tout (rires)
Jimmy : En plus, on avait l’habitude avec Adrien d’écrire en français, car on avait fondé un projet où on écrivait à deux en français (ndlr : Johnny & Charly Ciccio).
Adrien : Le français, ça ne nous mettait aucune barrière. Vu qu’on voulait travailler avec beaucoup d’effets sur les voix, que ce soit de l’anglais ou du français, c’est relativement masqué, même si on arrive parfois à distinguer quelques mots.
Jimmy : Nous ne sommes pas anglophones. On ne parle pas à des anglophones de pure souche. On a aussi découvert la scène québécoise, et là-bas, il se servent du français comme d’un instrument mélodique, qui est sous-mixé (ndlr : à moindre volume qu’habituellement) par rapport à ce qu’on entend d’habitude en français.
Julien : C’est vraiment une différence culturelle. On a l’habitude, en France et en Belgique francophone, que le français soit du texte. Au Québec, il n’y a pas cette différence par rapport à l’anglais.
Vous venez de terminer d’enregistrer un nouveau « disque » chez Laurent Eyen, connu pour avoir travaillé avec It It Anita, Phoenician Drive, Naked Passion. Est-il dans la continuité de vos morceaux actuels ? Quelle en est la ligne directrice ?
Alex : On n’est pas le groupe le plus rapide de la terre. On aimerait rattraper le retard qu’on a pris (rires). Ces morceaux, c’est notre set live actuel en fait, couchés sur un disque. On réfléchir maintenant sur la manière de produire ça comme un disque, et pas que ce soit simplement une photographie du live. On souhaite que ce soit représentatif du live. Chez Roo (ndlr : Laurent Eyen), ça s’y perte très bien. On peut enregistrer tous ensemble. Tous les instruments repassent dans les micros de tout le monde. C’est ça qu’on recherche aussi.
Adrien : On a enregistré le disque en juin et on a pris un mois et demi pour le mixer. On termine actuellement le mixage. Demain, c’est notre dernière journée, et on aurait comme objectif de le sortir au printemps 2023.
On en parle comme d’un disque car on les choix s’offrant à nous se situe entre album et EP. Pour sortit notre premier album, on aurait envie de se trouver un label. Donc on n’a pas vraiment l’impression de sortir un premier album, même si le minutage correspond plutôt à un album. On mettra 5 ou 6 morceaux, c’est un peu comme un EP, sauf que les morceaux durent environ 10 minutes. On est donc plus sur une idée d’EP, mais qui fait la longueur d’un album, donc on l’a appelé Disque.
Vous respectez une vraie cohérence, dans l’idée de ne pas faire de compromis.
Adrien : Le tout c’est de ne rien prendre mal, musicalement parlant. On ne s’attaque jamais. Il y a toujours quelque chose de constructif qui est présent tout le temps : en répète, sur notre visuel mais aussi en studio. C’est peut-être notre force, et en tout cas ça fonctionne très bien… On fonctionne au ressenti, à part peut-être pour les mixages car il y a ce côté figé dans le temps. Il faut qu’on soit bien tous d’accord, mais en ce qui concerne la musique et ce qu’on joue en live, on se laisse un peu aller. On ne se fait pas des debriefs de dingues. On avance chacun à notre rythme. Je pense qu’on ne s’est jamais mis des bâtons dans les roues.
Jimmy : On essaie de ne pas figer les choses trop vite car on est encore un jeune projet. On a encore pas mal de choses à sortir. On rigolait avec l’idée d’appeler ce disque Gros Disque. On ne sait pas si ça restera, mais ça permet encore une fois de ne pas devoir trancher entre EP, LP, surtout avec les plateformes, le rapport au shuffle, l’écoute d’albums en intégrité par les médias… on trouve ça très bien.
Adrien : Je pense qu’on va l’appeler Gros Disque (rires)
Le chanteur de TH da Freak a plusieurs casquettes. Thoineau Palis rassemble la crème de la crème du rock français. Notre musicien aux cheveux bleus est à la tête de Flippin’ Freaks, un label situé à Bordeaux. Il s’exprime sur sa seconde famille, son nouvel album et surtout, sur l’aspect fédérateur de la musique.
Une question se pose sur la légitimité des labels. Les artistes savent fonctionner tout seul dorénavant, sans l’aide des médias ou autres managers. Daft Punk l’a très bien prouvé, avant sa séparation. Le duo était aux commandes de ses campagnes promotionnelles.
Aujourd’hui, à quoi bon s’inscrire dans un label ?
J’ai toujours vu les labels comme des familles d’artistes. Une fois inscrit dans une écurie, tu découvres peu à peu les artistes qui y gravitent. D’expérience personnelle, lorsque j’ai rejoint Howlin Banana, j’ai pu faire de très belles rencontres lors de leurs soirées. Par exemple, on se serrait les coudes, en se faisant de nouveaux potes. On s’aidait pour trouver des dates de concerts. S’inscrire dans un label, c’est important pour trouver sa place sur la scène. C’est aussi une manière de découvrir le monde musical.
Gérer Flippin’ Freaks t’a rendu meilleur.
Sortir les disques des petits groupes est gratifiant. Parfois, ils n’ont pas forcément de gros public qui les suit. Ils ne savent pas comment s’y prendre pour les attirer. Ou alors, ils sont très jeunes et ont vécu peu d’expérience. Arriver au bon endroit, au bon moment, et pouvoir les aider à créer une promo efficace engendre deux situations : inviter d’autres artistes dans ton monde et motiver les plus jeunes à travailler à fond sur leurs activités.
C’est quoi la recette pour durer ?
Ca aide de se la jouer -collectif-. Ce n’est jamais une bonne idée de s’isoler dans un label, sans soutien moral. Vu qu’on est plusieurs à être des amis de longue date, s’il y a un de nous qui veut abandonner, les autres l’encourageront à continuer. Flippin’ Freaks, ça dure car on est nombreux et passionnés.
Parlons du nouvel album nommé Coyote.
Tes chansons semblent se tourner vers une ambiance mystique. Il n’y a qu’à voir les images poisseuses et enfantines des deux premiers clips.
T’as visé juste. Le nom de l’album s’inspire de la mythologie des Amérindiens. Le coyote est aussi considéré comme leur -trickster-. Tout comme le renard en France, ou le Dieu Loki dans les croyances nordiques. Il équivaut au personnage rusé. Le coyote des Amérindiens a apporté le feu, la connaissance et la folie aux Hommes. L’album évoque ces éléments. Je voulais retranscrire cette ambiance propre aux contes mythologiques, via des images, des clips et jusqu’à la pochette. Elle s’inscrit dans ce délire.
Je me suis inspiré des paroles des morceaux. Les thèmes illustraient le feu intérieur qui brûle en chacun de nous. Puis, j’ai fais le lien avec la légende du coyote. A la base, l’album devait s’appeler Burn. J’ai opté pour un nom plus mystérieux, plus lointain. Que chacun puisse s’imaginer ce qu’il veut, à travers cette image.
Vivons-nous dans une société qui a réellement besoin qu’on lui lise plus de contes ?
Nan. Je pense qu’on est dans une société où il faut se dire ses quatre vérités, crûment. Il y a trop de sujets qu’on évite. Je fais références aux générations nées avant nous. Elles ferment les yeux sur un tas de problématiques. En ce moment, il faut mettre le doigt dessus et en parler. Mais ça ne veut pas signifier que la musique doit nous empêcher de rêver. La musique n’a pas nécessairement besoin d’être politisée ou de transmettre un message moralisateur.
Je me demande toujours si on a affaire à l’album le plus sage du groupe.
Je ne sais pas. C’est à toi de décider (rire). Oui, il y a des morceaux assez calmes. Mais parfois, l’accalmie peut être provocatrice. Si un artiste réalise du gros garage punk durant toute sa carrière, et qu’à un instant il joue du folk, je trouverais ça violent comme concept.
A toi de juger si Coyote est sage ou pas.
Il y a énormément de façons de danser. Il y a énormément de façons de vivre et de ressentir la puissance aux multiples facettes du déferlement d’émotions d’un concert de Psychotic Monks. Au Micro Festival de Liège, le groupe parisien s’expose, viscères au dehors. Il partage cette intimité avec un public transcendé, prêt à recevoir encore davantage. Il est bien vite comblé, bien vite submergé. A un rock qui met des claques, les Moines ajoutent, explorent, et nous suivons, tous parcourus de cette énergie, des virages intenses entre larmes d’euphorie et rires frénétiques. La transe s’installe. Chacun dansant à sa manière, tous au même rythme. Rencontre désarçonnante avec des personnes cohérentes, pas uniquement dans l’apparence, et inspirantes pour l’artiste, pour l’individu, pour l’âme.
Vos concerts sont des cérémonies où règnent la bienveillance et le respect. En ne vous étant pas encore imprégné de l’ambiance du Micro Festival, à quoi ressemblerait un festival dans lequel vous auriez envie de transmettre votre musique ? Livrez-nous votre première impression du festival.
Paul (basse, chant, claviers, trompette) : Nous avons déjà retrouvé pas mal d’amis et de groupes qu’on connaissait, tout était toujours bienveillant. Les groupes qu’on connaissait, qu’on a croisés, nous ont dit que tout s’était super bien passé. C’est le genre d’ambiance qu’on aime bien retrouver. Souvent, quand on vient en Belgique, ça se passe bien. Les endroits dans lesquels on a des difficultés, c’est dans des grandes capitales, comme à Paris, le soir, quand il y a beaucoup d’alcool. Mais ici, je pense que tout va bien se passer.
En live, vous communiquez une énergie fougueuse qui fait partie intégrante de l’esthétique de votre projet. Comment considérez-vous la place du live dans votre projet ?
Clément (batterie, chant) : Il y a eu longtemps l’idée de s’oublier un peu là dedans, d’y aller à fond. Ca évolue avec le temps. Au début, le but était de rechercher une grosse transe. Nous avons chacun notre définition du concert, mais petit à petit, ça se transforme en une recherche d’être connecté le plus possible avec le public pour ma part, et de toujours garder cette dimension introspective pour que lorsqu’on sort du concert, on soit complètement soulagés. C’est dans tous les cas très liés à la musique. C’est super important. Quand on sort sans avoir ressenti ce truc (prononcé avec insistance), on est un peu frustrés.
Comment savez-vous que vous l’avez justement ressenti, que vous étiez en transe ?
Tous ensemble : On n’est pas tous d’accord !
C’est justement très intéressant. Chacun, vous avez votre définition de cet état.
Clément : C’est très inégal. Certains soirs, on sera deux sur quatre à avoir trouvé ça génial, et les deux autres auront trouvé ça plus compliqué. Ca dépend des places sur scène, du son, … Ce qui me plaît le plus, c’est quand je déconnecte. C’est ce moment quand je sors de scène, et je ne sais plus où je suis, que je ne sais pas trop ce qui s’est passé, mais que je sais que ça m’a fait du bien.
Martin (guitare, chant) : A titre personnel, c’est un vrai exutoire. Ca me fait énormément de bien. Il faut aussi trouver l’équilibre entre le fait de jouer pour nous, mais aussi le fait d’avoir des gens qui sont là, et d’essayer de trouver la connexion avec ces gens. Si on est trop renfermés sur nous-mêmes, ça se sent et la connexion peut ne pas avoir lieu. Par le passé, on a pu dégager des trucs parfois un peu trop intenses, parfois faire peur aux gens ou sembler trop fermés. Ce sont des choses qu’on essaye de débloquer, également par la musique qu’on fait, pour aller chercher d’autres émotions. C’est un équilibre sur le fil, qu’on essaie de chercher.
Paul : Sur le discours, on se rejoint beaucoup tous les quatre. C’est sur les sensations que nous partons sur des choses différentes. Parfois c’est difficile de se capter à 100% car pendant un concert nous ressentons parfois les choses différemment. On a parfois l’impression que l’un est dans tel ou tel état et c’est en sortant du concert qu’on se rend compte que c’était plus difficile pour lui, sans qu’on l’ait perçu ainsi. Nous discutons aussi beaucoup d’art thérapie et de ce genre de notions, et une partie de nos concerts est aussi un terrain d’exploration pour ça. Ca évoque en tout cas des choses différentes pour chacun d’entre nous, et c’est un endroit de liberté qui est en plus communicatif avec le public, une énergie fougueuse à la limite entre le contrôlé et le non contrôlé. On discute beaucoup des limites qu’on doit se mettre ou non, pour être à l’aise et dans le respect de cet équilibre.
Arthur (guitare, chant) : Je rejoins beaucoup ce qui a été dit. A titre personnel, je ne me sens en général pas très bien dans la société dans laquelle on évolue. La scène et cet univers musical me permettent de me sentir bien, de créer, pendant un moment éphémère, un espace où je peux me sentir plus libre et où je peux extérioriser des choses qui ont du mal à sortir en dehors de cet espace. Parfois ça se passe, parfois pas. Si ça ne se passe pas, ce n’est pas grave. C’est aussi l’intérêt du spectacle vivant, que le lendemain, ça pourrait être différent.
Martin : Comment on sait ? Pour ma part, ça arrive souvent qu’en sortant de scène, je me rappelle que le concert se soit passé, d’avoir ressenti des choses, sans justement trop savoir… Le retour du public est alors très intéressant pour voir si cette connexion est bien passée. Ca transforme complètement la perception qu’on peut avoir eue de la soirée et du concert. S’il y a un moment où les gens ont senti qu’il se passait quelque chose (qu’ils n’ont pas compris, rires), alors ça change tout. Mais en général, quand ça se passe mal, on s’en rend compte tout de suite, les gens s’en vont (rires).
Tant dans vos concerts que dans votre manière de répondre aux questions, tout le monde semble sur le même pied d’égalité. En live par exemple, les rôles de chacun sont définis mais en même temps fluides. Les places sur scène ou le chant varient.
Retrouvez-vous cette versatilité dans le travail de composition ?
Clément : Une des bases du groupe a été justement de ne pas avoir de leader, de se partager le chant au maximum, de tout faire pour que tout le monde s’y retrouve et qu’on puisse partager un maximum. Pour la composition, on passe beaucoup par la méthode jam. C’est beaucoup de discussions, de relevés, et en live, on passe par les quatre personnes. A partir de nos quatre personnages, on amène différentes idées. On sort de cette représentation du chanteur lead du groupe de rock.
Paul : Le terme de fluidité que tu as employé résonne beaucoup. Ce n’est pas une vraie égalité totale au sens strict, plutôt une fluidité dans le sens d’essayer de briser les structures hiérarchiques et les frontières. C’est ça qui nous intéresse musicalement, socialement, psychologiquement. C’est un terme bien utilisé.
Martin : L’idée est de créer un espace où on se sent tous les quatre libres le plus possible. Libres de mettre ce qu’on veut dans le groupe. Donc, c’est assez mouvant. À certains moments, certains d’entre nous portent davantage sur certains aspects, mais ça finit par s’équilibrer à chaque fois. On se retrouve toujours autour de la musique. Il n’y a donc pas qu’un seul compositeur et la façon dont on crée la musique s’est transformée comme ça : on ne part de rien, on se met à quatre dans un studio de répète et on jam ensemble.
Paul : La seule chose que j’aurais à ajouter, c’est que la démocratie, c’est de la merde (rires). Au départ, on se revendiquait groupe démocratique… Tu as employé le mot fluide, je m’y suis reconnu. Quand on est quatre et que la majorité souhaite faire telle chose, la démocratie voudrait que cette majorité l’emporte. Comment fait-on alors pour être le plus horizontal possible, sachant qu’on est des personnes différentes avec des caractères différents ? Alors on s’équilibre. Mais certains ont tendance à prendre davantage le lead sur telle ou telle chose. Notre force, c’est cette différence. C’est toujours un travail en cours de rechercher cet équilibre. En tout cas sur scène, ça fait plaisir car récemment, on ressent que chacun a sa place qui ne déborde pas sur celle des autres. C’est encourageant d’entendre ça (que cette fluidité des rôles se ressent).
Vous défendez des valeurs de localité, de circuit court, que ce soit sur vos réseaux sociaux et également de par les endroits dans lesquels vous préférez jouer.
Vous avez notamment travaillé avec Clara Marguerat pour vos photos de groupe. Est-ce important pour vous de mettre en valeur la proximité ?
Clément : Tant dans les gens avec qui on travaille que dans les dates de concert, on privilégie les dates associatives. Lorsque des amis à nous font de la photo, on essaie de commencer quelque chose, de regarder si ça marche… C’est aussi se laisser le droit à l’erreur. On a toujours essayé de bosser avec les gens autour de nous. Mais on n’a pas toujours été super bien organisés, parce que le groupe nous prenait beaucoup de temps et ça nous a demandé de remettre pas mal de choses en place. Pour le prochain disque, on vient de s’ouvrir à des gens qu’on ne connait pas du tout. Le circuit court, c’est important. J’apprécie cette démarche. Elle influence les choix de nos dates. Les dates associatives nous ont énormément aidées. Les associations qui sont montées sont vraiment super.
Ce soir, vous allez jouer de nouveaux morceaux. Par rapport à votre dernier album, assez narratif, divisé en chapitres, très sombre et introspectif, comment vous orientez-vous pour ces nouveautés ?
Paul : On va faire un tour pour ça ! Pour ma part, ce qui me vient, c’est envie d’être plus invitant à danser d’une manière ou d’une autre, quelle que soit l’esthétique. Une danse qui serait le plus possible dans l’inclusivité. Évidemment, il y a plein de manières de danser, mais dans ces nouveaux morceaux, il y l’idée de ce lâcher prise, d’être à la fois très introspectif mais aussi de partager avec la personne qui est à coté de soi, en bougeant au même rythme et en dansant ensemble. On se rapproche aussi de certains codes de musique électronique…. On en a beaucoup discuté entre nous, on était sûrs de ne jamais faire ça (rires). C’est toujours comme ça, il y des choses qu’on pensait ne jamais faire. Puis, on en vient à se demande comment on en est arrivé là. Du moment qu’on est tous les quatre alignés sur ce qu’on a envie de faire au moment où on monte sur scène, je pense qu’on essaie le plus possible de se laisser libre de ce qu’on peut faire.
Arthur : Nous, on a envie de faire de la pop, et c’est vraiment ce qu’on essaie de faire. C’est juste qu’on n’y arrive pas vraiment (rires). C’est ce vers quoi, en tout cas, on essaie de tendre. La pop vers laquelle on essaie de se diriger, c’est quelque chose qui aurait une forme d’accessibilité. Un style qui permettrait aux personnes qui nous écoutent d’êtres invitées dans des endroits où ils n’iraient pas forcément. Il y a toujours cette notion, ce fantasme de permettre aux personnes de pouvoir découvrir des choses, des émotions en elles. Faire en sorte que sans ces portes-là, ces gens n’auraient pas eu forcément accès. Ce vers quoi on se dirige. On se dit que c’est de la pop, mais on est les seuls à le penser (rires).
Martin : Nous avons traversé une période avec l’album précédent, quelque chose d’un petit peu dur, de très sombre, qui allait chercher ce genre d’émotions. Je pense qu’on a eu vraiment besoin de s’en détacher. Peut-être que ouvert est le bon terme. Je dirais que je recherche la sensation dans le corps, sur le moment. Je rejoins Paul sur le fait de faire lancer les gens, même si c’est à notre manière, d’aller chercher davantage dans ces codes-là, même dans la manière dont on s’exprime sur scène, d’être plus lumineux. En tout cas c’est comme ça que je l’imagine. Plus de sourires aussi. La question est aussi un peu difficile car c‘est une éternelle recherche. Pour compléter, ce qui me plaît, c’est de me surprendre des directions qu’on finit par prendre et d’à quel point il ne faut jamais dire jamais. S’il y a quatre ans, on m’avait dit qu’on explorerait certaines esthétiques qu’on explore actuellement, je n’y aurais pas cru, alors que finalement on s’y plaît beaucoup.
Clément : On avait tendance à un peu romaniser la musique, à faire des références à des films, faire des chapitres. Maintenant, au lieu d’être dans l’introspection, on se tourne un peu plus dans une sorte de partage d’intimité. On désire apprendre des autres, libérer une parole. Je le vois comme essayer d’arriver à une sorte de simplicité, pour que le contact se fasse plus directement avec les gens, même si on a toujours un travail de personnage sur scène car on y est tous différents. On aimerait essayer d’arriver à la simplicité la plus pure. D’être juste là. D’être avec les gens.
Martin : Quand on a commencé à faire des concerts, ça a été une période de vie où je découvrais beaucoup sur mon environnement et sur moi-même. La musique et les concerts ont vraiment été un endroit où j’exprimais beaucoup de colère ressentie au quotidien, autour de moi. L’illustration de plusieurs incompréhensions. Je trouvais ça apaisant, car je ne ressentais plus de colère ailleurs. Je la déplaçais uniquement dans la musique et les concerts. Je pouvais m’assurer que ça ne jaillissait pas ailleurs, sur les autres ou sur moi. Durant la période covid, les concerts étaient annulés. Comment faire quand on est habitué, pendant un an et demi, à mettre toutes ses émotions quelque part ? Devais-je les mettre ailleurs ? On a continué à se voir, à faire de la musique, et certaines choses ont changé aussi. C’est parfois fort légitime d’être en colère. J’aimerais pouvoir exprimer d’autres émotions sur scène maintenant. En écoutant d’autres artistes, je me suis rendu compte qu’il y avait de la place pour tout ce qu’on peut ressentir. Ce qui est compliqué aussi, c’est que quand certaines personnes apprécient ce qu’on fait, le changement peut faire peur. Mais autour de nous, nous sommes toujours inspirés par des gens qui prennent le risque d’évoluer, car il y a toujours cette possibilité de déplaire. A notre échelle, ça va. C’est difficile pour quelqu’un d’être toujours identifié à faire quelque chose de particulier, puis de proposer quelque chose de nouveau. Au niveau identitaire, ça peut être un peu bizarre. On essaie de demeurer libres d’évoluer.
Paul : Il y a toute une imagerie autour de la musique qu’on a pu faire et qu’on fait, on a même voulu en faire partie. Désormais, on essaie un peu de le déconstruire. Ca peut être un but en soi, si à la fin d’un concert, on peut arrêter de nous dire : ça fait du bien de voir du gros rock qui met des claques. Je n’ai personnellement plus trop envie d’entendre ça. Mais chacun y voit évidemment ce qu’il veut. On a encore des phases, qui parfois, font référence à ces codes-là. On essaye de s’en éloigner et de chercher d’autres sonorités.
L’insomnie est souvent source d’inspiration artistique. Suite à un EP éponyme, Good Morning TV sort un premier album dont le travail provient de joies nocturnes. Ces Français, généreux en termes d’effets instrumentaux, apportent quelques visions précises de ce qu’est leur musique, et dévoilent leur fonctionnement de purs mélomanes.
Y a-t-il une personne insomniaque dans la bande ? Si c’est le cas, cela doit sûrement nourrir votre créativité.
Barth : Je le suis et effectivement. C’est inspirant. J’ai passé des années à faire de la musique, toutes les nuits, chez moi comme un gros geek. D’ailleurs, j’ai réalisé mes meilleures productions par manque de sommeil !
Thibault : Durant les heures nocturnes, c’est le temps où t’as rien à faire et donc, ça inspire pas mal nos créations. Les heures creuses t’amènent à de l’introspection.
Bérénice : J’ai écris le morceau « Insomniac ». En dehors de l’insomnie, la chanson relate de toutes les questions qu’on se pose quand on n’arrive pas à dormir. Ce sont les prises de tête qui n’aident jamais à t’apaiser ou à dormir correctement.
Les miroirs de votre clip « Insomniac » semblent illustrer une part du problème.
Thibault : On essaye toujours de réfléchir selon un principe. Le but est de trouver un principe qui se décline. Le miroir nous paraissait cool pour dupliquer le point de vue. On obtient une variété de plans et une richesse visuelle. C’est aussi une manière de créer de la désorientation dans la musique. On part d’une structure simple pour après te perdre dans des mélodies plus foisonnantes. C’est un peu ce qu’on voulait reproduire à l’image avec les miroirs.
Bérénice : On désirait jouer sur la perte de repères. Tu ne sais jamais ce qui est la vraie image.
C’est ce que ressent Barth. Barth : J’ai passé des heures et des heures à transformer plusieurs morceaux. Comme si j’étais hors du temps. Je n’ai pas l’impression de perdre du temps ou d’avoir une limite. Ca m’a toujours poussé à tester des trucs.
Fais-tu partie de ces gens qui souhaitent des journées de 28 heures ?
Barth : Ouais, à fond ouais.
Parlons d’un autre titre. « Storm Rider » est mon morceau préféré. Symbolise-t-il le plus la couleur sonore du groupe ? C’est-à-dire, l’apport de transitions douces et féroces ou même d’un solo de guitare dissonant. Bérénice : Ce morceau du premier EP n’est pas vraiment l’emblème du groupe. On ne travaillait pas encore à 4. Au début, c’était juste Barth et moi. Je ne pense pas que ce soit le meilleur récapitulatif de ce qu’on aime faire ensemble.
Thibault : Il y a quand même des éléments dans ce morceau qui ont été développés par le groupe. Ca colle un peu à nos morceaux fleuves, aux ruptures harmoniques. On a approfondi sur l’album ce qu’on pouvait déjà écouter sur notre EP.
Barth : En tout cas, ta remarque est très juste. Lorsque j’ai écouté pour le première fois les morceaux de Bérénice conçus dans sa chambre, j’ai tout de suite accroché aux transitions sonores. Par la suite, c’est vraiment un truc que j’ai essayé de pousser à fond sur l’EP.
Durant votre live à Les Capsules, j’ai noté que vous utilisez de nombreux effets sonores, notamment sur les instruments à corde.
Comment trouver le juste équilibre sans que ce soit trop brouillon ? Barth : On ne se pose pas la question (rire).
Thibault : C’est une question de balance. Chaque partie nécessite des textures différentes pour obtenir un morceau contrasté. On tente d’apporter divers timbres d’instrument. On aime écouter une diversité de sons intéressants à l’oreille. Le plus important avec les effets, c’est de servir la mélodie. Il ne faut pas que ce soit des artifices.
Et aujourd’hui, après ce live et malgré les temps troubles, qu’est-ce qui vous motive à faire de la musique ? Barth : Je pense qu’on a la musique dans le sang. On continuera à jouer quel que soit le contexte. Je parle pour mon compte mais je suis convaincu que tout le monde suit cette philosophie dans le groupe. C’est plus qu’une passion à nos yeux.
La musique, c’est notre vie et on en fera toujours.