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Arctic Monkeys, la fascinante évolution

Alex Turner a 20 ans, lorsque le premier disque des Singes de l’Arctique est distribué. Nous sommes en 2006. Les jeunes Arctic Monkeys s’affichent tels des fans des Strokes, à l’énergie débordante et au succès immédiat.
Ses membres sont-ils toujours à considérer comme des artistes inspirés ? La réponse est affirmative. Un détail est à ajouter. Chaque album composé par le groupe est différent de l’autre. S’écoute alors une discographie passant d’un jeu plutôt punk à des ballades sans riff brutal, sans percussions sauvages.

L’évidence est certaine. Alex Turner a grandi. D’un vulgaire vendeur de concessionnaires (époque AM) au crooner et digne héritier des Beatles (désormais, via The Car), l’Anglais évolue sans perdre de visions précises dictant la couleur de ses productions. D’abord, en s’alliant avec Miles Kane, aux commandes de The Last Shadow Puppets, bande morriconienne ressuscitant les cendres d’un rock décomplexé. Puis, travaillant depuis le second opus avec James Ford. Cet homme de l’ombre produit à nouveau la richesse sonore des nouveaux titres du quatuor.

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Certes, Alex Turner ne propose rien de neuf. Impossible de le comparer à l’avant-gardiste nommé Mike Patton. Pourtant, il grandit – insistons –. J’évolue pratiquement au même rythme que lui. Aujourd’hui, j’admets vouloir écouter des chansons calmes, bien plus qu’hier. Fut une époque, Slipknot, Children of Bodom ou Machine Head envahissaient mes oreilles, 27 heures sur 24. J’avance avec Turner, depuis ses débuts sur scène. Voir cet artiste proposer de telles ballades, où violons et basses règnent sur les morceaux, me réjouit. Sans compter son audace à imaginer des concepts farfelus : l’hôtel sur la Lune propre au sixième album et la bagnole énigmatique de The Car. Il faut applaudir.

Une question demeure : leur huitième projet survivra-t-il à l’épreuve du temps ?

On ne jouera pas les voyants. Par contre, le successeur de The Car confirmera à jamais leur place de musiciens inspirants.

Je suis à l’aise avec l’idée que les choses n’ont pas à être une chanson pop.A. Turner

brunoaleas – Photo bannière ©Mojo

Hana-bi

Nishi est un flic traumatisé. Il s’endette avec les yakuzas du coin. Néanmoins, il n’est pas à réduire aux malheurs existentiels. Notre protagoniste voue un amour profond pour sa femme. Atteinte de leucémie, il lui reste très peu de temps à vivre. C’est pourquoi, son mari souhaite qu’elle savoure une dernière fois les petits riens de la vie.

A la fois acteur, peintre, scénariste et réalisateur, Takeshi Kitano signe une œuvre complexe nommée Hana-Bi. Si sa première heure intrique diverses lignes de temporalité, la seconde partie est un road trip, où tout aléa se révèle être soit un bain de sang, soit un songe éveillé. Lorsque Nishi défie la pègre, sa violence explose à l’écran. Ses attaques sont crues, brutales, inoubliables. Le cinéaste illustre explicitement les agressions. En jouant avec les ombres ou les bruits, des sous-entendus sont aussi exploités. Nous voici donc devant un film dépeignant une dure réalité, tout comme des fantasmes acerbes.

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Au sein de ce microcosme maléfique, Nishi n’est point un simple jouet éduqué au combat. Takeshi Kitano dévoile un personnage prêt à dépasser chaque obstacle. Rien ne l’arrête. Personne ne freine son objectif. Nishi parle avec parcimonie. Son silence annonce sa détermination. Nul ne compte plus que sa femme. L’amour devient un moteur noble et vertueux, là où la société de l’ancien policier reflète l’exact opposé. Mais pourquoi contempler un thème semblant vu et revu ? Deux réponses sont indéniables : la passion artistique de Kitano et le sujet propre à son métrage.

L’artiste expose son savoir-faire avec maestria. Il désarçonne et invite à la contemplation. Des tableaux, des plages, des routes et bien d’autres paysages sont mis à l’honneur. Les spectateurs voyagent au rythme d’un montage lent et poétique. Le récit dégage une atmosphère bien moins radicale à partir du moment où l’on découvre les habitudes de tout un chacun.

Quant à son sujet principal, Hana-Bi est hautement philosophique. Quel est notre but sur Terre ? Fonder une famille ? Réaliser ses rêves ? Atteindre l’ataraxie ?
Nishi choisit de rester près de sa douce moitié. L’horreur quotidienne n’est qu’un détail sur son chemin. Finalement, nous pouvons apporter respect et allégresse aux personnes nous aimant depuis toujours. Qu’importe l’environnement. Qu’importe les haineux. Nishi est maître de son destin. Il demeure et demeurera l’un des personnages les plus émouvants du grand écran. Il ne demande pas la Lune… seulement quelques instants rayonnants, quelques plaisirs burlesques avec sa bien-aimée.

Hana-Bi perturbe par son manque de dialogue, ses séquences brutes et sa musique si envoûtante. Cependant, l’expérience est à vivre. Son final ouvert questionne encore : que sommes-nous prêts à sacrifier pour notre liberté d’aimer ? L’œuvre est à voir plusieurs fois, afin de savoir si ses interprétations sont toujours aussi intenses. Puis, je découvrirai les classiques de Takeshi Kitano.
Je gagnerais sûrement en sagesse.

Drama

Thoineau Palis Interview

Le chanteur de TH da Freak a plusieurs casquettes. Thoineau Palis rassemble la crème de la crème du rock français. Notre musicien aux cheveux bleus est à la tête de Flippin’ Freaks, un label situé à Bordeaux. Il s’exprime sur sa seconde famille, son nouvel album et surtout, sur l’aspect fédérateur de la musique.

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Une question se pose sur la légitimité des labels. Les artistes savent fonctionner tout seul dorénavant, sans l’aide des médias ou autres managers. Daft Punk l’a très bien prouvé, avant sa séparation. Le duo était aux commandes de ses campagnes promotionnelles.
Aujourd’hui, à quoi bon s’inscrire dans un label ?

J’ai toujours vu les labels comme des familles d’artistes. Une fois inscrit dans une écurie, tu découvres peu à peu les artistes qui y gravitent. D’expérience personnelle, lorsque j’ai rejoint Howlin Banana, j’ai pu faire de très belles rencontres lors de leurs soirées. Par exemple, on se serrait les coudes, en se faisant de nouveaux potes. On s’aidait pour trouver des dates de concerts. S’inscrire dans un label, c’est important pour trouver sa place sur la scène. C’est aussi une manière de découvrir le monde musical.

Gérer Flippin’ Freaks t’a rendu meilleur. 

Sortir les disques des petits groupes est gratifiant. Parfois, ils n’ont pas forcément de gros public qui les suit. Ils ne savent pas comment s’y prendre pour les attirer. Ou alors, ils sont très jeunes et ont vécu peu d’expérience. Arriver au bon endroit, au bon moment, et pouvoir les aider à créer une promo efficace engendre deux situations : inviter d’autres artistes dans ton monde et motiver les plus jeunes à travailler à fond sur leurs activités.

C’est quoi la recette pour durer ?

Ca aide de se la jouer -collectif-. Ce n’est jamais une bonne idée de s’isoler dans un label, sans soutien moral. Vu qu’on est plusieurs à être des amis de longue date, s’il y a un de nous qui veut abandonner, les autres l’encourageront à continuer. Flippin’ Freaks, ça dure car on est nombreux et passionnés.

Parlons du nouvel album nommé Coyote.
Tes chansons semblent se tourner vers une ambiance mystique. Il n’y a qu’à voir les images poisseuses et enfantines des deux premiers clips. 

T’as visé juste. Le nom de l’album s’inspire de la mythologie des Amérindiens. Le coyote est aussi considéré comme leur -trickster-. Tout comme le renard en France, ou le Dieu Loki dans les croyances nordiques. Il équivaut au personnage rusé. Le coyote des Amérindiens a apporté le feu, la connaissance et la folie aux Hommes. L’album évoque ces éléments. Je voulais retranscrire cette ambiance propre aux contes mythologiques, via des images, des clips et jusqu’à la pochette. Elle s’inscrit dans ce délire.
Je me suis inspiré des paroles des morceaux. Les thèmes illustraient le feu intérieur qui brûle en chacun de nous. Puis, j’ai fais le lien avec la légende du coyote. A la base, l’album devait s’appeler
Burn. J’ai opté pour un nom plus mystérieux, plus lointain. Que chacun puisse s’imaginer ce qu’il veut, à travers cette image.

Vivons-nous dans une société qui a réellement besoin qu’on lui lise plus de contes ?

Nan. Je pense qu’on est dans une société où il faut se dire ses quatre vérités, crûment. Il y a trop de sujets qu’on évite. Je fais références aux générations nées avant nous. Elles ferment les yeux sur un tas de problématiques. En ce moment, il faut mettre le doigt dessus et en parler. Mais ça ne veut pas signifier que la musique doit nous empêcher de rêver. La musique n’a pas nécessairement besoin d’être politisée ou de transmettre un message moralisateur.

Je me demande toujours si on a affaire à l’album le plus sage du groupe.

Je ne sais pas. C’est à toi de décider (rire). Oui, il y a des morceaux assez calmes. Mais parfois, l’accalmie peut être provocatrice. Si un artiste réalise du gros garage punk durant toute sa carrière, et qu’à un instant il joue du folk, je trouverais ça violent comme concept.
A toi de juger si
Coyote est sage ou pas.

Interview menée par Drama Photos ©Pierre Martial

Bo Burnham : la génération de la fin du monde (3/4)

Juin 2016. Barack Obama coule ses derniers mois de présidence, et nous sommes dans les derniers mois d’une période historique. Cinq mois plus tard, les Américains éliront celui qui ridiculisera son pays des années durant. Pendant l’ère Obama, l’époque était caractérisée par un espoir en la gauche, en le progrès. Même l’élection écarte le socialiste Bernie Sanders… les Américains croient encore en un avenir égalitaire et inclusif.

C’est sans changement radical dans son style que Bo Burnham écrit Make Happy. Trois ans après What, l’artiste a encore pris en notoriété et les maladresses sont bien moins présentes. Comparer les deux spectacles pourrait montrer une évolution. Pourtant, ils sont très proches. D’un format semblable, ils sortent tous deux à des époques très similaires. Pendant le mandat d’Obama, Burnham et le public sont bien loin de savoir que le monde du spectacle allait profondément changer. Continuer la lecture

Aussi tribal que The Smile

Moult médias affichent leur condescendance vis-à-vis de The Smile. Le nouveau projet de Thom Yorke et Johny Greenwood est trop souvent comparé à Radiohead. Les Anglais ont toujours une empreinte reconnaissable dans chacun de leur projet. L’amour electro de Yorke chez Atoms for Peace. Ou le soin apporté aux instruments à cordes, lorsque Greenwood compose des bandes originales.

Il est temps d’assumer les faits. Le trio The Smile est unique en son genre ! Pourquoi ? Pour une et seule raison. Tom Skinner, batteur de Sons of Kemet, apporte une sonorité très prononcée. Les Anglais délivrent des performances tribales. Que ce soit les percussions, les guitares, la basse, plusieurs morceaux dégagent des ambiances africaines. Comment ne pas penser à Tony Allen à l’écoute de ‘The Smoke’ ?

L’afrobeat s’entend aussi sur ‘The Opposite’. Ce style de musique, à la rythmique répétitive, se construit sur peu d’accords joués en boucle par des guitares. Quant au percussion, elles invitent souvent à s’agiter, à entamer une danse de la pluie. Bien sûr, Thom Yorke y apporte sa science : échos, cris aigus, déformations vocales. Les musiciens l’accompagnant partagent un univers chaleureux, froid et moqueur (‘You Will Never Work in Television Again’, étant une satyre du show-business). Enfin, et pour dernière preuve, le clip propre à ‘Free in the Knowledge’ dévoile des scènes shamaniques, comme intrinsèque à l’univers de la bande.
Laissons à ce torchon de 
Libé l’envie d’assimiler passé et présent. Yorke et Greenwood demeurent créatifs, même aux côtés d’un batteur jazz.

De nos jours, il est fréquent que les individus considèrent que leur véritable personnalité s’exprime dans les activités auxquelles ils consacrent leur temps libre. Conformément à cette perception, un bon travail est un travail qui vous permet de maximiser les moyens de poursuivre ces autres activités à travers lesquelles la vie a enfin un sens. -Extrait d’Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail écrit par Matthew B. Crawford

brunoaleas – Photo ©Alex Lake – Two Short Days

L’imprévisible Whorses

Si Whorses était un mammifère, ce serait un malinois. Belge. Energique. Vif. Décrivons un univers captivant. La bande sort un double album mémorable, en avril dernier. Une première partie hostile et une seconde chaleureuse.

L’exercice est réussi. Mais que vaut le groupe en live ?

Ses musiciens délivrent des mélodies déstructurées. Une impression notée pour la première partie de l’opus éponyme. Leur technique casserait les attentes des radios ! J’assiste à leur spectacle au Reflektor de Liège, après avoir paumé ma carte d’identité. Le concert commence et un tsunami noise me fend le visage. Ma déprime s’estompe quelques instants. Ma cure est surprenante. Je chope encore plus de cheveux blancs. Je danse devant ces fous du larsen. Whorses est imprévisible. Quand son chanteur monte sur le bar. Quand ses membres se confondent sur scène. L’expérience est intense, même entouré de trois pelés et deux tondus.
Dès lors, une question se pose afin de comprendre cet effet : comment composent les Flamands ? Le guitariste Timotheus De Beir éclaire notre lanterne.

Il n’y a pas de ligne directrice rationnelle. Les mélodies dérivent de manière intuitive. Nous jouons juste ce qui nous semble juste à la composition.

Une réponse simple, efficace. D’autres éléments participent à leur rage indescriptible : la courte durée des morceaux, les voix de sale gosse, les riffs lourds et incisifs. Pour découvrir cette joie épileptique, fonçons à l’Ancienne Belgique. Fin septembre, Whorses joue en première partie d’It It Anita. La fusion colle parfaitement. La capitale risque de trembler.

brunoaleas – Texte & photo

Bienvenue dans l’Enfer selon black midi

black midi est de retour (déjà ?) après Cavalcade, album qui à lui seul aurait pu assurer la satisfaction d’un jeune groupe pour pour le restant de leurs jours. Les feux de l’enfer font rage. Le vertige de la chaleur omniprésente, de la grandeur presque théâtrale, du rythme immodéré, ferait perdre la tête à quiconque, avertis y compris, s’aventurerait dans le terrible Hellfire. L’Enfer de black midi n’a rien d’une solitude éternelle chargée de lentes lamentations. Bienvenue en Enfer. Un message adressé à ceux qui oseraient poursuivre la route effrénée aux milles péchés, où nous mènent les Londoniens. Continuer la lecture