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Empty Head Interview

Modernité ne signifie pas apaisement. Nous vivons une époque où quelques personnes souhaitent atteindre perfection et beauté absolues… écouter la musique est alors salvateur. Surtout quand elle donne à réfléchir. Empty Head conte les failles des Hommes modernes. Vous le constaterez, lorsque la bande sortira son mini-album. Interview exclusive avec François Michels, guitariste au sein du groupe fort prometteur.

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Vos nouveaux morceaux étaient déjà joués sur scène, ces deux dernières années. Pour terminer leurs compositions, vous faisiez confiance aussi bien à votre instinct de musicien qu’aux retours du public.

Certains des morceaux de l’EP sont joués en live depuis plus d’un an, d’autres depuis quelques mois, ça dépend de quand ils ont été composés. On joue toujours nos nouveaux morceaux en live avant de les clôturer et de les enregistrer pour pouvoir nous les approprier et les tester en ‘conditions réelles’. Après quelques scènes, c’est beaucoup plus naturel et facile de sentir ce qui marche ou ne marche pas dans une composition et, si besoin, de changer certains arrangements. Certains morceaux passent par un nombre incalculable de versions, d’autres fonctionnent dès la version une ou deux – c’est rarement le cas pour nous, on aime souvent se couper les cheveux en quatre –.
D’ailleurs, pour le moment on joue déjà en live quelques morceaux qui viennent d’être composés et qui n’ont donc pas encore été enregistrés. Pour nous, en tant que musiciens, c’est le plus excitant ! On aime que notre set évolue en même temps que nos compositions et ne pas devoir attendre un an ou plus que les morceaux soient enregistrés et sortis avant de pouvoir les jouer sur scène. Donc pour répondre à ta question, je dirais que c’est un mélange des deux : on a besoin de sentir la réponse du public durant un live pour pouvoir évaluer nos morceaux. Avec le projet Empty Head, on veut avant tout communiquer de l’énergie et faire bouger le public donc c’est super important pour nous de passer par le test live.

J’aimerais débattre des textes de votre futur EP, Tales of a Modern Man. On y décèle une figure récurrente. Elle semble incapable d’être elle-même, souvent trop coincée dans les contraintes et responsabilités imposées par nos sociétés. Aujourd’hui, peut-on encore faire de la musique à la fois engagée et efficace ? Croyez-vous que la musique puisse conscientiser sur le fait que cette société veut tout, tout de suite, sans réfléchir sur chaque choix et décision ?

On pense en effet que la musique peut aider à faire réfléchir. Dans notre cas, on ne cherche pas vraiment à conscientiser un public par rapport à une problématique sociétale particulière, ni à proposer une solution à un problème. Nos textes reflètent la plupart du temps des réflexions personnelles ou des expériences vécues et ont souvent une dualité : ils peuvent paraître noirs, intimes, profonds au premier abord, mais sont aussi souvent critiques et ironiques. On essaie plutôt de mettre des mots sur certaines pensées qui nous habitent et nous préoccupent, de les mettre à nu, pour que les personnes qui se retrouveraient dans ces textes sachent qu’elles ne sont pas seules.

Tales of a Modern Man suit un fil rouge. Vos chansons critiquent la ‘pseudo-toute-puissance humaine’. Qu’est-ce qui vous fascine dans cette thématique ?

Le fait que cette ‘pseudo-puissance’ n’est qu’un mirage. L’Homme moderne avec un grand ‘H’ est un être supérieur, à la pointe de la technologie et au sommet de la chaîne alimentaire. Productif, efficace, aisé, heureux, parfait.
En 2023, plus qu’à n’importe quelle autre époque, tout n’est qu’une course aux apparences. Les textes de Tales of a Modern Man s’attaquent à l’envers du décor.

Interview menée par brunoaleas (2023) – Photo ©Barthelemy Decobecq

Mon voisin Totoro

Quand on adore une œuvre, il arrive d’exagérer ses propos, d’encenser certains auteurs. Sans mesure. Sans nuance. Je fais attention à relativiser, à garder un esprit critique, sans avoir la prétention d’étiqueter chaque coup de cœur comme génialement original. Il existe bel et bien des exceptions d’artistes trop talentueux, aux productions indémodables. Citons Ennio Morricone pour la musique ou Albert Camus en littérature.

Ces dernières années, plusieurs personnalités, comme Makoto Shinkai, transforment les dessins animés en bijoux pour les yeux. Mais franchement, qui règne en maître sur le cinéma d’animation ? Un seul nom me vient en tête. Hayao Miyazaki est, de loin, un poète de l’image dont l’art surpasse les surprises d’autres auteurs.
Par le passé, je définissais Xavier Dolan comme étant un poète du grand écran. Par contre, il n’est pas comparable à Miyazaki. Ce dernier surprend et chamboule nos attentes. En plus d’animer des imaginaires extraordinaires, il propose des histoires prenantes, émouvantes et foncièrement pertinentes. Le réalisateur québécois, lui, joue de diverses manières en partageant la plupart du temps un montage très accrocheur. Ses techniques sont fascinantes : jeu avec les flous, déformer la taille des plans, magnifier les lumières chaudes, etc. Cependant, ses récits ne sont pas toujours les plus intéressants. Quant au cinéaste japonais, il fait appel à notre enfance et, surtout, à la beauté d’imaginer des univers extrêmement poétiques.

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Le paradis réside dans les souvenirs de notre enfance. Nous étions protégés par nos parents et étions innocemment inconscients de tant de problèmes qui nous entouraient. -Hayao Miyazaki

Mon voisin Totoro illustre cette philosophie. Il rappelle à quel point les enfants voient un tas de choses, des choses impossibles à deviner pour les adultes. L’histoire se focalise sur deux sœurs, Mei et Satsuki. Elles s’installent avec leur père dans une maison à la campagne, tandis que leur mère doit se soigner ailleurs. Nos jeunes protagonistes découvrent alors un monde magique peuplé d’étranges créatures. Ces entités ne sont pas dangereuses. Elles enveloppent les spectateurs dans un cocon dont il ne peut se défaire.

Comment sommes-nous transportés ? Le film est bercé par une musique provoquant plusieurs émotions, de la joie à l’émerveillement. Joe Hisaishi signe des compositions pour magnifier les moments doux, où petits et grands respectent et remercient la Nature. Comme si les forêts et champs ne faisaient qu’un avec les personnages. Comme si rien n’était perdu tant que les éléments naturels veillent sur eux.

Mon voisin Totoro est une sucrerie visuelle. De nombreuses scènes dévoilent des dialoguent emplis de bienveillance, d’amour sincère. Hayao Miyazaki expose des tableaux, proches de respectueuses toiles impressionnistes, remplissant nos mirettes d’étoiles… mais, répétons-le, ses scénarios permettent de plonger vers une ambiance unique en son genre.

brunoaleas

LA DURE A CUIRE #90

La Dure à Cuire est un concept né en 2018. Commentons l’actualité rock de la moins douce, à la plus brutale. Puis, écoutons sa playlist homonyme !

Last Dinosaurs

Toujours aussi frais, le groupe Last Dinosaurs accroche lorsqu’il balance des singles. Les guitares capturent l’attention, grâce également au chant rempli d’énergie.

Lymass

Gingembre, simple, orties, 3 mots partagés par Lymass pour décrire son projet musical !

Santa Chiara – Imported

‘Santa Chiara’, ce nom est celui de son monastère préféré à Naples, pour donner à sa musique un lien divin. Ces phrases, inscrites dans un dossier de presse, présentent l’univers de Chiara D’Anzieri. En tout cas, la chanteuse se connecte à un dimension sixties plutôt appréciable !

Milk Tv – Neo-Geo

J’aime le chaos proposé par Milk Tv. Les rythmiques saccadées du trio donnent envie de saccager le premier baffle venu… leur nouvel album Neo-Geo sera, à coup sûr, une véritable expérience pour l’ouïe.

Drama

Le Pietre dei Giganti Interview

Les forêts permettent de s’absenter du monde ? Et si on le comprenait en musique… on choisit Le Pietre dei Giganti comme bande son. Ce quatuor italien compose un rock brut et tribal. Le batteur Francesco Nucci présente l’univers de la bande.

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Le second album est toujours le plus difficile dans la carrière d’un artiste, chantait Caparezza. Ce fut le cas pour la bande ?

On avançait avec une certaine terreur. Celle de croire que le second album est le plus difficile à composer. Finalement, ça ne l’était pas. Au contraire, par rapport au premier, c’était plus facile. On avait déjà fait l’expérience du studio donc on bossait sur le disque en sachant déjà ce qu’on voulait, l’objectif et le type de son. Il n’y avait pas non plus l’impact émotif d’être pour la première en studio. C’était vraiment un parcours plus relaxant. Disons que l’enregistrement de Veti e Culti était une fête malgré son ton très sombre.

Les campagnes et forêts prennent énormément de place dans les thèmes de Veti e Culti.

Le premier album nommé Abissi faisait référence au monde maritime. A un certain point, lorsqu’on écoutait les démos, on s’interrogeait sur le futur sujet du projet. Après avoir affronté les thèmes des océans et profondeurs marines, le mot terre nous venait à l’esprit. Nos chansons faisaient aussi écho à l’univers tribal. On pensait vraiment à une symbologie, une sonorité, un archétype. Le thème des forêts est une histoire racontée en quatre morceaux, c’est un concept. Mais la base générale du disque est l’homme, la terre, le tribal. Moi, j’aime bien le définir comme un album sur l’absence. Nous n’avions pas de fil conducteur. Mais, une fois les chansons assemblées, la thématique de l’absence apparaissait claire et nette. Comme penser à un fantôme ou, en tout cas, à quelque chose qui s’en va. Les forêts équivalent à prendre une absence du monde. C’est-à-dire qu’une fois dans les forêts, nous sortons du monde pour entrer dans quelque chose d’inconnu et fantastique. Puis, on retrouve le thème d’un village qui se vide, d’une personne qui nous quitte, l’absence physique, voire même des paroles apocalyptiques qui mènent l’humain à l’essence de l’absence.

J’aime l’importance donnée à la nature, aux éléments essentiels. Je me souviens des textes de Mogol, interprétés par Lucio Battisti, où l’on ressent une nature sacrée. En tant qu’artiste, est-ce nécessaire de se détacher du virtuel, parfois trop inintéressant ?

Ecoute, je suis très réaliste. Je ne dis pas : Nous devons retourner à la campagne. Je dis plutôt : Nous faisons partie de ce monde et ce monde est aussi fait de réseaux sociaux. Ils permettent aussi de faire cette interview à distance, de faire connaître notre disque, et de nous faire connaître. Qu’Internet soit toujours félicité. Comme chaque chose, le net prédit de bonnes choses et des pièges. Pour un groupe, c’est simple de forcer la perception pour sembler être toujours en tournée, travailleurs, pour après se dégonfler. C’est le risque encouru par les bandes. Il suffit de bien travailler sur ses réseaux et montrer la réalité telle qu’elle est. Désormais, on peut produire à n’importe quel niveau avec des coûts abordables. Puis, quand le disque sonne d’une manière, il faut voir s’il sonne pareil sur scène. Souvent, on nous fait un compliment. Des personnes avouent que nos chansons sont plus belles, une fois jouées en concert. Nous avons réussi à porter nos titres sur scène, de façon optimale. Tout le mérite revient aussi à notre producteur. Il certifie qu’on doit composer des morceaux qui nous ressemblent, qu’on pourra jouer en concert. On ne doit pas se prendre pour je ne sais quel groupe puis se dégonfler. C’est aussi important pour le public qui vient t’écouter.

Pour le prochain album, changerez-vous de style musical ?

Nous sommes en phase d’écoute de certaines idées musicales. L’idée n’est pas de changer de genre mais nous irons vers un horizon, des panoramas, que nous n’avons pas encore sondés. Sans dénaturer le son des Pietre dei Giganti, mais plutôt, en essayant de mélanger les cartes. Nous écoutons divers styles de musique. Nous cherchons des rythmes lointains, africains, caribéens. Ensuite, on voit ce que ça donne une fois qu’on y ajoute des guitares, des voix… c’est ce qui se faisait dans la musique prog. Le rock progressif s’inspire de rythmes d’autres pays pour après les décomposer sur des instruments variés. Nous sommes sur ce terrain de recherche. Il ne s’agit pas de copier Veti e Culti. Nous allons élargir notre langage sous d’autres points de vue.

Interview organisée par brunoaleas (2023) – Photo ©Luciano Moneti

Oppenheimer

Christopher Nolan, el famoso fétichiste de la pellicule, revient en force ! Le cinéaste propose un film de trois heures centré sur un personnage historique. Pas n’importe lequel. Cet homme bouleverse et influence encore nos réalités. Robert Oppenheimer est certes fascinant, mais aussi détestable. Intelligent. Vif. Curieux. Le physicien réunit divers scientifiques au désert de Los Alamos afin de créer les trois premières bombes atomiques de l’Histoire…

Le réalisateur semble à nouveau écrire une lettre d’amour à la Science. Interstellar projette les spectateurs vers un espace fantasmé, tandis que son dernier long métrage se focalise sur des faits réels. Plusieurs figures apparaissent, de Werner Heisenberg à Albert Einstein. Pour la plupart, ils soulèvent une question très intéressante : à quel prix partager nos connaissances ?

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En pleine guerre, Oppenheimer choisit de travailler avec les services militaires, d’autres savants refusent ce type de collaboration. Serait-ce là une démesure déjà trop prononcée pour notre Prométhée en herbe ? Qui sait ? Je n’ai jamais ressenti autant de dégoût pour des intellectuels si déconnectés, si naïfs, si dangereux… parfois, il faut se détacher de ses émotions pour contextualiser un évènement historique.
Retenons une citation d’Einstein, des mots que j’aurais aimé adresser aux participants du Projet Manhattan : La peur bloque la compréhension intelligente de la vie.

Malgré mon aversion pour Oppie, le film est plutôt magistral. Images frénétiques. Chaos. Propulsions. Explosions. Lumières. Puis, la mise en scène, qu’elle soit explosive ou verbeuse, est sublimée par son travail sonore. Bruits et ambiances offrent un rythme accrocheur. Pensons à la scène où le protagoniste fait un discours sous moult applaudissements étouffants, voire anxiogènes. Merci à Ludwig Goransson. Cette sorte de messie compose quelques morceaux reposant le cerveau… car si l’œuvre est réussie, dévoilant un Nolan plus cru qu’auparavant (une scène de sexe est vraiment détonante), comment nier qu’elle fut une rude épreuve visuelle ?!
Trop d’informations sont à ingurgiter ! C’est pourquoi, je ne contemplerai pas ce film une deuxième fois. Je préfère voir le réalisateur aux commandes de fictions extraordinaires, comme Le Prestige.

Christopher Nolan filme le temps, une matière inépuisable et inspirante. Le temps bouffe Prométhée. Le temps est souvent notre ennemi. Laissons-le aux mains de la communauté scientifique, qu’elle puisse juger la folie des Hommes.

brunoaleas

L’importance de l’art

A quel point l’art a un rôle important dans nos vies ? Deux jeunes personnes s’expriment sur le sujet. Elise résume la beauté de l’écriture. Bruno, lui, joue carte sur table.

Ecrire, un moyen de voyager, s’instruire, s’évader – Elise

L’écriture est étroitement liée à la lecture. Elles se complètent mais je me pencherai principalement sur la première. Les mots ont un pouvoir, souvent inconscients sur nous. Ils nous interpellent, touchent, renversent. Ils nous transmettent des sensations, des émotions, des passions.

La pointe du stylo à bille glisse sur la feuille comme un surfeur sur sa planche. Les sons se mélangent et comme un orchestre, s’arrangent. La vibe s’installe, l’ambiance prend place sans que l’on s’en lasse. Pour les adeptes de la technologie, les touches du clavier sont frappées comme un forgeron avec son enclume. Peu à peu, l’esprit sort de la brume, s’éclaircit, s’en voit allégé. Vraiment, l’écriture nous permet de voyager.

Questionner sa motivation – brunoaleas

Qu’est-ce qui me motive à me lever le matin ? A vrai dire, je crois que l’art joue un rôle important et nécessaire dans ma vie. J’ai perdu la personne que j’aimais le plus au monde, il y a quelques années. Peut-être qu’inconsciemment, je cherche de pures évasions, là où je peux éternellement stimuler mon imagination.

Alors, chaque jour, mes yeux s’entrechoquent à d’autres imaginaires. Qui sait ? Ils m’inspirent et m’inspireront pour toujours. Tant que l’art reste un terrain de jeu pour tout le monde, je me lèverai chaque matin.

Photo ©elve_photographie / Textes écrits lors d’ateliers Scan-R

Beau is afraid : comédie cauchemardesque

Beau is afraid est le troisième long métrage d’Ari Aster (Midsommar, Hérédité). Tantôt drôle, tantôt perturbant, le film nous conte les peurs de Beau.

Le film débute avec un écran noir inquiétant. Le spectateur comprend rapidement qu’il est en train d’assister à la naissance du personnage principal. Tout de suite après, nous nous retrouvons une quarantaine d’années plus tard avec Beau (Joaquin Phoenix) face à son psychiatre.

Les choses s’emballent lorsque Beau doit rentrer chez lui. Sur le chemin du retour, il assiste à des scènes loufoques : la ville est dans un état post-apocalyptique, un étrange personnage tatoué de la tête aux pieds l’attend devant l’entrée de son immeuble pour l’agresser physiquement. Dès cet instant, le spectateur se questionne pour savoir si tout ceci est la réalité ou le fruit de l’imagination de l’étrange Beau ?

Tout partout, et en même temps

Ari Aster construit son film en trois grosses parties. Chaque partie peut être considérée comme un voyage dans les tréfonds des traumas de son protagoniste. Chaque élément garde une certaine cohérence et on peut apercevoir un fil conducteur jusqu’à l’issue de la première partie. Dès l’entamé de la deuxième partie, le spectateur est littéralement noyé par les informations. Le réalisateur utilise cette partie (la plus longue des trois autres) pour remonter aux origines des traumas de Beau. L’exercice qui, initialement, ne semble pas périlleux, se transforme en une séance de psychanalyse incompréhensible. En effet, nous embarquons dans des scènes qui sont à la fois drôles, étonnantes, sans queue ni tête et malaisantes. Pensons au moment où le film se transforme en un tableau de peinture vivant.

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Un peu trop long ?

Depuis ces dernières années, il y a une surenchère sur celui ou celle qui réalisera le film le plus long. Beau is afraid n’échappe pas à ce phénomène. Cette longueur est paradoxale car on ressent une impression d’inachevé à la fin de la projection. Ce sentiment s’amplifie par le fait qu’on reçoit énormément d’informations durant tout le film, sans pour autant comprendre où tout cela conduit.

Freud is everywhere

Aster n’hésite pas à faire appel aux théories du plus connu des psychanalystes, Sigmund Freud. Tout au long du voyage de Beau, celui-ci se confronte au complexe d’Œdipe. Effectivement, Beau semble vivre une relation très glauque avec sa mère. Cette dernière a une emprise très malsaine sur lui.

La sexualité est également un sujet récurrent dans l’intrigue. Malheureusement, le cinéaste n’exploite pas en profondeur les symboles freudiens. Il se contente de simples évocations qui parfois tournent à la caricature. La scène dans laquelle Beau découvre l’identité de son géniteur l’illustre parfaitement. Freud a théorisé le concept du ‘ça’ qui renvoie notamment aux pulsions sexuelles. Le réalisateur le caricature un peu lors de la conclusion de cette thématique dans son œuvre, car il dépeint le père de Beau sous forme d’un phallus géant. Il assume certainement ce choix pour rajouter un élément d’absurde lié au côté comique du film. Cependant, cela demeure frustrant de ne pas avoir une explication plus complexe des angoisses sexuelles de son personnage principal.

Heureusement, Joaquin Phoenix, coutumier du rôle du gars pas bien dans sa tête, livre une performance hors norme. Il réussit, magistralement, à transmettre aux spectateurs la confusion qui règne dans sa tête. Finalement, Beau ne serait-il pas un Joker qui tente de comprendre sa folie ?

Fortuné Beya Kabala

Batawp Interview

Paranoiæ n’est pas un livre comme les autres. Giulio Rincione, aka Batawp, illustre les pensées d’Alan. Ce personnage torturé entraîne notre cerveau vers l’emprisonnement et la fuite. L’œuvre ambitionne d’être un miroir des lecteurs. L’enjeu est de taille. L’auteur présente ses techniques, sa philosophie et sa fascinante bande dessinée.

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Comment définir Paranoiæ ? Comment le considérer parmi tes autres publications ?

C’est une œuvre nécessaire. Paranoiæ fut ma première bande dessinée auto-conclusive, longue, écrite par moi-même. Il y avait la volonté de dessiner des choses déterminées. D’une part, j’avais vraiment écrit une liste d’éléments à dessiner, plusieurs types de sensations, ambiances, villes, atmosphères. D’autre part, il y avait vraiment une exigence personnelle et narrative de raconter une histoire non-définie.
Vers 2014 ou 2015, je commençais à penser à ce livre. Je ne vivais pas une période heureuse de ma vie. Je ne me sentais pas bien dans ma peau. C’était une période où je n’arrivais pas à me reconnaître. Comme si je trahissais mon essence. Par conséquent, j’étais isolé des autres et je ne savais pas quoi faire. Alors, l’idée était de mettre tout sur le papier, à travers les dessins et paroles. Non pas pour parler de moi. Mais parce que j’étais fortement convaincu qu’à ce moment de solitude, je n’étais pas seul. Je n’étais pas l’unique personne à éprouver ces sensations. J’étais convaincu que je ressentais des sentiments hautement partageables. Paranoiæ, je le définis comme un livre-miroir. C’est une sorte de vitre présente lors des interrogatoires de police. Je suis à nu devant les lecteurs. Comme si je te parlais car toi, tu dois te voir toi-même.

Aujourd’hui, te sens-tu plus Alan, Tête de Patate ou Docteur Bau ?

Actuellement, heureusement, je ne me sens moins comme eux. 8 années se sont écoulées depuis la parution de la BD, et heureusement, l’œuvre a fait son travail. Elle m’a aidé à sortir de certaines situations.
Mais pour revenir aux 3 personnages, je choisirais quand même Tête de Patate. (sourire) Malheureusement, il a un caractère humain. Il fait toujours la même chose, croyant qu’il est différent des autres.

Il y a divers messages, interprétations pour cette BD. J’ai l’impression que tu souhaitais raconter comment se vit un mal-être pour les femmes et hommes piégés éternellement dans une sorte de cage. Mais j’imagine aussi que tu voulais transmettre une atmosphère bien particulière, plus qu’un message précis sur la vie.

Paranoiæ est un voyage brute à faire. Quand tu commences la lecture, il n’y a pas de moment où tu crois pouvoir fuir. A tel point que l’histoire est cyclique. La fin et le début coïncident, ce sont la même chose. Donc, parfois tu peux avoir la sensation que tout va bien -les passages à la plage, les scènes où surplombe un ciel bleu- mais ce n’est qu’une petite parenthèse, car tu es toujours oppressé lors de la lecture. Ce qui nous ramène à notre condition humaine et prisonnière. Nous ne pouvons pas nous échapper de notre corps et cerveau.

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Parmi tous tes titres, mon préféré demeure Vies Dessinées. Et j’admets avoir un attrait pour les thèmes de Paranoiæ. J’avais tout de même du mal à terminer cette BD. Il y a quelques années, je perdais la personne que j’aimais le plus au monde. Certaines planches me renvoient à ce souvenir. J’espère ne pas être confus… ton processus d’écriture était un calvaire à certains moments ?

Pour l’écriture, j’ai fait quelque chose qu’habituellement, on n’a pas besoin de faire, selon le canon didactique de la bande dessinée. Je dessinais et coloriais toutes les planches, sans textes. Quand j’avais vraiment terminé, j’écrivais les textes en une nuit. C’est une méthode extrêmement dangereuse. Mais oui, Paranoiæ fut écrit d’un jet.
Aujourd’hui, quand je le relis, je ne reconnais pas ce que j’ai écrit, vu qu’à l’époque, je rédigeais quasi en trans. Je pourrais revenir à cette méthode si je vivais encore quelque chose de fort dans ma vie. En somme, il est préférable de préparer un scénario à l’avance, pour fermer des cercles narratifs de façon cohérente pour les lecteurs.

Durant ton interview avec Dario Moccia, tu annonçais une idée de boucle. Les lecteurs peuvent s’arrêter à n’importe quelle page. Quand tu relis Paranoiæ, il y a toujours un instant différent sur lequel tu t’arrêtes ?

En 5 ou 6 ans, j’ai lu 2 fois Paranoiæ. Pour l’une, j’avais choisi une page et pour l’autre, c’était une page opposée. Dans ma vie, beaucoup de choses changeaient. J’avais changé d’entourage et moi-même je n’étais plus comme auparavant. Par conséquent, je n’étais plus dans la même phase de la boucle.

Si tu devais choisir un groupe italien pour symboliser la colonne sonore de ton livre, à quel nom penser ?

Cette question est très difficile à répondre parce que Paranoiæ fut écrit et pensé en écoutant The Wall de Pink Floyd. Il y a carrément des phrases de l’album traduites en italien, puis insérées dans les planches. Donc, imaginer une bande italienne à la place de Pink Floyd est difficile. Non pas car il n’y a aucun musicien italien aussi talentueux, c’est juste que j’ai pensé ma BD via The Wall. Oui, je ne sais vraiment pas quoi te répondre. (grand sourire)

Pour la dernière question, analysons ton style graphique. Cette année, lors d’une conférence dans une librairie italienne, tu affirmais ta fascination pour les dessins des enfants. Ce ton enfantin se découvre en lisant tes livres. Il y a une sincérité et vérité dans les dessins des enfants, inatteignables une fois adultes ?

Plus qu’une vérité, il y a 2 choses que j’aime énormément dans leur façon de faire.
Premièrement, le plaisir de dessiner propre aux enfants. Malheureusement, quand on sort de la zone ludique et que le travail devient long, pénible, il se peut que j’en souffre. Réaliser de force une chose qui te plaît, ou plaisait, est assez douloureux. Ce que j’aime chez les enfants, c’est qu’ils dessinent parce qu’ils veulent dessiner. Déjà là, cette observation les porte à un plan supérieur.
Deuxièmement, quand un enfant fait un dessin, il n’en dira jamais qu’il est laid. Les plus jeunes ne critiquent pas leurs dessins en solo. Donc, ils ne vivent pas le sens de la frustration, faute. Alors que nous, dessinateurs, aimons nous l’offrir chaque jour. Quand je conçois mes planches, je pense directement à ce qui ne me plaît pas, à ce qu’il faut améliorer. D’une certaine manière, ces idées éteignent le plaisir. C’est clair qu’elles sont nécessaires pour évoluer. Mais nous parlons de dessins, une activité qui devrait être liée au plaisir.
Les enfants sont d’une extrême sincérité. Ils ont une absence de faute et sentent une joie de dessiner, donc ce sont mes idoles. Un jour, j’espère dessiner, non comme les enfants au niveau technique, mais j’espère réussir à dessiner avec leur état d’esprit.

Interview menée par brunoaleas (2023) – Photo ©Martina Deathsy

Blue Period

Pourquoi est-ce si dur d’exprimer ses sentiments ? Pourquoi est-ce que l’avis des autres m’importe tant ? La peur de voir ses fiertés détruites par le regard de ses pairs nous rend si malheureux, mais en même temps, elle donne un intérêt à la pratique de l’art. Artistes de tout genre, jeunes, vieux, débutants et vétérans, rassemblez-vous tous autour de l’œuvre nommée Blue Period.

Nous suivons l’histoire de Yatora Yaguchi, un lycéen de dernière année. Beau, intelligent et populaire malgré son style de mauvais garçon. Il vit sa vie en se laissant porter au gré du vent. Yatora prend ses études et ses relations sociales très au sérieux et voit tout sous le prisme de la question Que dois-je faire ?. Il n’a aucune passion, aucune vraie envie. Il n’est pas malheureux ou déprimé, mais sa vie manque de relief.

Un jour, par hasard, il tombe néanmoins sur le tableau d’une élève en club d’art. Cette vision le subjugue littéralement et à partir de là, en essayant lui-même la peinture, il découvre un tout nouvel univers et un moyen de remplir le vide qui l’habite.

Il entre en contact pour la première fois avec sa propre sensibilité et son monde intérieur et découvre l’ivresse de la véritable expression. En réfléchissant à sa propre vision des choses et en trouvant une occasion de la transmettre sans mots, il a pour la première fois l’impression de vraiment communiquer avec les autres.

J’aime vraiment ce manga. Tout d’abord, je l’ai repéré de la meilleure manière possible : la couverture m’a complètement accroché.

La plupart des couvertures de manga sont très belles, mais ne parlent finalement qu’à ceux qui connaissent. Rares sont les concepts de couverture vraiment accrocheurs. Ici, presque toutes les couvertures nous montrent un personnage différent du manga. Et à chaque fois, on nous le présente sous la perspective… du tableau qui est en train d’être peint. Cela donne une merveilleuse occasion de voir les personnages dans leur transe créative, mis dans de magnifiques couleurs et débordant de personnalité.

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Pour ce qui est du dessin, c’est sympathique sans non plus dépasser des sommets. L’auteure est douée pour les expressions, ce qui aide bien son récit, mais il n’y a pas de fulgurance particulière à déclarer. Les nombreuses œuvres d’art sont empruntées, avec leurs accords, à des étudiants en arts japonais. On y ressent une bonne impression d’authenticité. Mais deux petits problèmes : l’absence de couleurs est clairement en défaveur de ces œuvres et, puisque souvent plusieurs artistes différents prêtent leurs œuvres au même personnage, le fait que celui-ci peigne des œuvres avec des styles complètement différents, qui n’ont vraiment rien à voir l’une avec l’autre au niveau du style, est tout de même un peu troublant.

Mais bien sûr, toute l’âme de l’œuvre se trouve dans son scénario !

Le récit, qui aurait pu être très court et même se résumer au premier tome, ne cesse malgré tout d’approfondir son sujet et d’explorer toujours plus profondément les tourments qui peuvent animer l’âme de chaque artiste.

Yatora débute complètement dans le dessin. Il aura de très nombreuses leçons à apprendre de la vie d’artiste. Vivre de sa sensibilité nous rend vulnérable et les périodes de doutes et de remises en question seront légion. Tant de thèmes sont explorés que je ne pourrai les mentionner, comme l’expression de soi, le regard des autres ou le fameux débat qui fait rage depuis la nuit des temps : mieux vaut-il avoir du talent ou faire beaucoup d’effort ?

Mais au-delà du scénario, j’aime la manière dont le manga introduit son lecteur à son sujet avec beaucoup de patience et de compréhension. Le monde de l’art n’est pas accessible à tous. Les concepts et les techniques de base sont bien expliqués et on ne se sent jamais dépassé par le propos, peu importe à quel point on l’approfondit.

Blue Period n’est pas seulement une œuvre qui parle d’art, mais avant tout une analyse minutieuse des artistes. À sa lecture, il se pourrait que vous en appreniez plus, non seulement sur l’art, mais sur l’artiste qui sommeille en vous également, et ça, ça vaut bien le détour.

Pierre Reynders

LA DURE A CUIRE #89

Dye Crap

Dye Crap exprime un besoin viscéral de retrouver ce bonheur et cette insouciance qui caractérisent les souvenirs les plus chers. Voici ce qu’on lit dans le dossier de presse du quatuor. Si tel était le défi, il est pleinement réussi ! Pourquoi ? Grâce au clip de ‘Good Days Again’, un morceau plein d’énergie !

Blur – The Ballad of Darren

Le retour de Blur ne casse pas trois pattes à un canard. L’alchimie est belle. Mais The Ballad of Darren sonne comme un nouvel album de Damon Albarn, calme, aux teintes tristounettes. Le titre ‘St. Charles Square’ ne sauvera pas l’affaire…

Siz

Combien d’artistes ont questionné la Lune ? Il ne manquait plus que Siz. Cette fois, une touche encore plus shoegaze envahit ses compositions.

Drama – Votre playlist Spotify

King Krule / Late

King Krule – Space Heavy

Une apparition remarquable au Primavera. Des vinyles distribués à l’arrache à ses concerts, dévoilant des morceaux inédits. King Krule sait attirer l’attention. Malheureusement, son quatrième album, Space Heavy, s’illustre comme une sombre nuit pluvieuse, où l’alcool détruit nos sens, où nous demeurons abandonner à la rue. L’Anglais semblait retrouver une part de luminosité via Man Alive!. Ses dernières productions embrassent le côté obscur de la Force.

La recette est bien moins accrocheuse par rapport aux précédents albums. Des morceaux longs (parfois trop longs). Des accords répétés en boucle, sans envolées instrumentales. Un chant s’éloignant souvent de la rage vocale, une rage si forte de l’artiste qui manque énormément au projet.

King Krule écrit et compose à partir d’une ressource essentielle à son art : la mélancolie. Lorsqu’on écoute sa musique, ses paroles, on ne peut penser à l’analyse de l’humoriste Fary (Les Inrocks n°21, juin 2023), au sujet de la poésie.

La poésie. Un regard en décalage sur quelque chose qui paraît banal. Tout peut être poétique, ça dépend du regard qu’on va poser dessus.

Même si le musicien compose des albums plutôt différents les uns des autres, cette fois, son nouveau disque fait l’effet d’un pétard mouillé. Quelques titres à sauver : ‘Space Heavy’, ‘Tortoise of Independency’, ‘When Vanishing’, ‘Pink Shell’, ‘Empty Stomach Space Cadet’.

Late – Empires

Muse, Queens of the Stone Age, Foo Fighters… cette année marque le retour d’un bon nombre de légendes du rock. Néanmoins, avouons-le, certains groupes, soit demeurent dans leur zone de confort, soit n’apportent plus leur force musicale d’antan, sur le devant de la scène.

Puis, arrivent les petits groupes qui varient leur rythme, au chant envoutant, signant des morceaux courts et efficaces. Late fait partie de ces bandes. Aucun clip de leur EP Empires n’est trouvable sur Youtube. Heureusement, un concert, situant les membres prêts d’avions en tout genre, est disponible ! Si leur son vous rappelle les ambiances de Grandma’s Ashes, c’est normal. Myriam El Moumni, guitariste du trio, s’occupe de Late au niveau du mixage. Le résultat est tout bonnement propre, clair et lisse pour l’ouïe.

brunoaleas