Tous les articles par Drama

Le portail Ōtakafé

Vous rêvez d’aller au Japon ? Mais comme moi, vous n’avez pas un rond ? On a LA solution ! La Cité Ardente regorge d’endroits où, le temps d’un instant, vous serez téléportés dans vos mangas ou animés favoris. Bienvenue dans notre tour, au Pays du Soleil Levant made in Liège.

Nos rêves se réalisent parfois grâce à des personnes ayant l’audace de réaliser les leurs.

Il y a cinq ans, je me baladais sur les réseaux sociaux lorsque, soudain, mon œil fut attiré par une nouvelle folle… un manga café venait d’ouvrir ses portes. Je n’en revenais pas.
Un de mes rêves s’était réalisé : un endroit où ma passion prenait vie, venait de naître.

En 2020, Mehdi et Abdelmajid ouvrent un manga café : L’Ōtakafé. Une capsule japonaise voit ainsi le jour, pour notre plus grand bonheur, au 34 rue de la Régence.

Aujourd’hui, leur institution fait toujours battre ardemment le cœur des Liégeois.

Notre motivation est de donner la sensation de voyager sans quitter Liège ! Lorsqu’on rappelle à quelqu’un son voyage au Japon, c’est magnifique !

Mehdi 

Pari plus que réussi.

La première pièce vous accueille dans une ambiance boisée, feutrée, presque méditative, faisant écho au côté traditionnel du Japon.
La dernière salle, quant à elle, plonge directement dans un manga. 900 planches ont été assemblées pour former un tout percutant et émouvant, rappelant les meilleures séquences de vos shōjo, shōnen et seinen préférés ! Le choix des planches ne s’est pas fait uniquement entre les deux propriétaires : ils ont demandé des avis pour être certains de représenter au mieux la diversité des goûts présents, au sein de leur future clientèle.

En plus d’être immergé dans cet univers, vous aurez l’occasion de vivre mille émotions… culinaires ! J’ai eu la chance de goûter leurs melonpans, onigarazus, mochis et délicieux thés. Une fringale vous prend ? N’hésitez plus, vous savez où aller !

D’ailleurs, si Mehdi avait une machine inter-univers, où les personnages de nos animés préférés pouvaient lui rendre visite, il souhaiterait voir Luffy débarquer, pour son côté bon vivant et drôle.
Mais il aimerait aussi que Mugen, de Samurai Champloo, passionné de dango, vienne goûter ceux qu’ils préparent pour qu’ensuite, il donne son avis. – Je ne doute pas qu’il en serait fier ! –.

Mais le Japon, ce n’est pas que les mangas et les animés… qu’est-ce qui touche le plus Mehdi dans cette culture ?

La mentalité Bushido qui signifie « la voie du guerrier ». C’est un code d’honneur, un code martial samouraï : justice, courage, bienveillance… c’est comme la mentalité shōnen. C’est mon leitmotiv !

Et je peux vous confirmer que Mehdi et Abdelmajid incarnent cette mentalité avec force et justesse ! Leur initiative coche toutes les cases : un endroit merveilleux, des mets succulents, et surtout, un accueil généreux, rempli de sourires.

Vous savez ce qu’il vous reste à faire : foncez à L’Ōtakafé, dès que vous en avez l’occasion.
Et… on me souffle dans l’oreillette qu’ils vont déménager dans un lieu encore plus fabuleux. Suivez leur aventure de près, ça promet !

Mouche – Photos ©Ōtakafe

Francesco Faraci Interview

Francesco Faraci personnifie Palerme. En 2013, après des études d’anthropologie, il découvre la photographie comme moyen d’expression. Dernièrement, il publie Palermo Madre. Il s’agit bien plus qu’une lecture. L’artiste souhaite créer des liens sociaux, un désir impérissable !

Avant de parler du livre, je voulais simplement savoir ce qui te fascine le plus à Palerme.

En réalité, ce qui me fascine le plus à Palerme, c’est la vraie Palerme, disons, celle qui est féroce, extrêmement humaine. Celle que tu touches, où tu ressens cette part de vérité toujours plus circonscrite aux zones, en somme, marginales, périphériques, un peu en dehors du tissu central de la ville. Malheureusement, Palerme est en train de se transformer en une sorte de Disneyland, pleine de touristes par milliers. Ce qui, pour certains, peut être une bonne chose et, pour ceux qui y vivent, c’est moins bon, voilà, disons-le ainsi, parce que tout augmente, tout est en désordre. Non pas que Palerme n’ait pas déjà été en désordre d’elle-même, essentiellement, c’est un désordre qui s’alimente de manière incroyable et donc, je ne veux pas dire de vilaines choses. Mais c’est comme si elle portait un beau costume, alors qu’elle s’habille mal aux coins des rues, dans les ruelles, dans les quartiers, justement, un peu en dehors de la ville, un peu plus isolés. Là-bas se cache la Palerme, la vraie, la véridique, la forte, celle qui est aussi sale, si tu veux. C’est celle qui m’a toujours fasciné, depuis toujours. 

Moi, j’ai grandi dans un quartier un peu en dehors du centre, donc, d’une certaine manière, c’était un retour à ces origines, à cette vie vraiment dans la rue, à ces jeunes, à ces quartiers un peu abandonnés, mais qui cachent une humanité incroyable que peu de gens voient. C’est-à-dire que ce sont des lieux, où de toute façon, tu dois aller parce que tu as une raison d’y aller, sinon tu ne peux pas y aller, mais ce serait un peu comme visiter un zoo. Bref, c’est une des choses que je n’aime pas.
Quoi qu’il arrive, Palerme est une ville qui réussit à me surprendre, pour le meilleur et le pire. Pendant de nombreuses années, je l’ai détestée. Elle m’étouffait. Je voulais fuir, je voulais partir loin, le plus loin possible. J’avais vraiment une très mauvaise relation avec elle.
Ensuite, en comprenant qu’à travers un appareil photo je pouvais raconter ce que je voyais, mais aussi me raconter, parce que la photographie est aussi une autobiographie au fond, je me suis mis à photographier. Photographier ce que j’ai vécu quand j’étais jeune, c’est ce que je porte encore en moi, comme une cicatrice, comme de beaux souvenirs, comme des douleurs et comme de la beauté. Cette nostalgie est aussi romantique. Voilà ce qui me fascine à Palerme. C’est cette propension à changer, mais à changer lentement, comme semblant figée dans un temps qui n’existe plus, et qui pourtant, la rend extrêmement fascinante. Certaines façons de vivre, certaines situations, certains lieux semblent figés dans un temps qui, justement, n’existe plus. Cette chose me fascine énormément parce qu’à l’intérieur, on arrive encore à ressentir un peu de vérité.

Mais alors, que manque-t-il vraiment à Palerme pour n’être plus un zoo ? 

Il manque un peu de perspective. Un peu de mémoire aussi, probablement, parce que malheureusement, c’est aussi un problème de l’Italie d’avoir la mémoire courte, d’oublier vite les choses qui ne vont pas et de les réitérer la plupart du temps. Donc, je crois qu’il manque un peu d’espoir pour l’avenir, parce que l’espoir ne peut pas être seulement le tourisme. Je me souviens, quand il n’y avait pas encore ce boom incroyable de touristes et qu’on affirmait : « Ah, Palerme et la Sicile pourraient vivre seulement du tourisme ». Ce qui pouvait être vrai. Pensons à Palerme, Florence, Rome, Milan ou Bologne. Si vivre du tourisme doit rendre les villes pratiquement invivables, alors peut-être qu’il nous faut un peu plus de perspective. Penser l’avenir d’une manière différente, plus lente, plus essentielle, plus vraie, d’une certaine manière. C’est peut-être ce qui manque à Palerme pour s’émanciper complètement, ce qui n’est finalement rien d’autre que de la culture.
Malheureusement, cela fait un peu défaut. Les gens lisent de moins en moins. On regarde de moins en moins autour de soi et on regarde de moins en moins les courants actuels. Il faudrait un peu plus de perspective, un peu plus le désir d’un avenir différent.

Désormais, parlons de ton nouveau livre. Quel est l’objectif de Palermo Madre ? Y a-t-il un message à transmettre ?

Le discours propre au message est assez glissant. Parfois, on a l’impression que l’on doit se transformer en une sorte de gourou, non ? Ou porteur de je ne sais quelles requêtes particulières. Mon livre, et plus généralement les photographies qui finissent dans le livre, sont avant tout un acte d’amour envers cette partie de la ville dont je parlais plus tôt, la plus vraie, la plus réelle, celle qui stimule. Puis, il y a aussi la volonté, bien sûr, de mettre en lumière certains quartiers, certaines zones, certains contextes qui sont malheureusement victimes de préjugés, de lieux communs qui, pour la plupart, sont aussi vrais, telles que la criminalité ou, plus précisément, la mafia. 
Cependant, je souhaitais que le livre et mes photos transmettent un message précis. Tout n’est pas criminalité, tout n’est pas mafia. On contemple des environnements profondément humains et potentiellement très ouverts à la rencontre avec les autres. Bien sûr, il y a toujours une sorte de méfiance. Il y a toujours, au début, la nécessité de créer une relation, un lien, d’acquérir leur confiance et d’avoir confiance en eux.
Il faut revenir à regarder sans trop de superstructures, sans trop de préjugés. Revenir à rencontrer les gens et ne pas essayer de les étiqueter. Ces personnes sont souvent étiquetées comme les derniers de la société, voire marginalisées. Néanmoins, on ne parvient pas à aller un peu au-delà, et donc, à considérer ces personnes pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire, ni plus ni moins que des êtres humains comme tout le monde.
Que quelqu’un ait ses propres casseroles, que quelqu’un ait un passé compliqué, il y en a des centaines qui ont un passé compliqué… mais il y a aussi l’envie de se racheter, il y a aussi l’envie d’un avenir, il y a aussi l’envie de s’ouvrir, d’une certaine manière. C’est un espoir que je ne dirais pas vain, mais qui a certainement un effet très lent. Bref, j’espère que, d’une manière ou d’une autre, ce type de message pourra atteindre quelqu’un.

Ton livre capture un certain moment de l’histoire. Il capture cette atmosphère de la Sicile, c’est une belle réussite, un beau succès. 

Oui. Au final, c’est beau de pouvoir voir un peu de poésie dans certains lieux. C’est beau de pouvoir trouver la beauté, là où il semble n’y avoir absolument rien. C’est pourquoi, mon invitation est de regarder avec ses propres yeux. La beauté existe réellement. Il y a aussi de la poésie et férocité. On peut imaginer cela pour n’importe quel quartier, en somme, pour n’importe quelle ville du monde. Je propose une invitation à ralentir, à mieux regarder.

Le livre s’ouvre et se ferme sur un enfant. C’était important d’avoir cette logique, ce fil rouge.

Je te le dis sincèrement, je n’y avais pas pensé. Effectivement, il s’ouvre et se ferme sur un enfant. Mais oui, dans ma vie, les enfants, les jeunes, jouent un rôle fondamental. J’aime être au milieu des plus jeunes. J’aime aussi m’occuper d’eux et ça m’arrive souvent. J’ai une sorte de vocation à la paternité. Et donc, pour moi, chaque enfant que je rencontre et avec qui je noue une relation, c’est comme s’il était mon fils. Je le traite et j’essaie de le faire un peu grandir. Ensuite, je me rends compte que je grandis bien plus. Probablement pour une bonne raison. J’enseigne et au final, ce sont les enfants qui t’enseignent quelque chose. 
Oui, j’aime côtoyer les enfants vu que le monde des adultes n’est pas toujours beau. Alors que celui des enfants et des ados, à certains égards, ne l’est pas toujours, mais à certains égards, demeure innocent. On y décèle encore un regard pur. Un regard qui peut être canalisé vers quelque chose de constructif, de vrai. C’est peut-être pour cela qu’il y a toujours beaucoup d’enfants dans mes photographies.
On ne parle pas de photos à réaliser car elles fonctionnent auprès du public. J’ai toujours été en dehors des modes.

Ce discours est cohérent avec ta volonté de garder espoir. La jeunesse est l’espoir.

Absolument. Tu sais, aujourd’hui, quand on parle d’espoir, on dirait qu’on cite une utopie. Comme si notre monde n’était certainement pas le meilleur monde où vivre, comme s’il y avait toujours plus de résignation et colère. En réalité, ce n’est pas le cas. Il suffit de faire mieux. Il suffit de faire un pas de plus vers les autres. Il suffit de s’ouvrir un peu plus aux autres, et éventuellement, l’espoir te vient, en te disant : « Putain, alors un avenir est possible ». Pourquoi attendre nécessairement l’extinction ? Pendant que nous attendons l’extinction, nous pouvons faire quelque chose de beau, non ? On peut se lâcher et s’adonner à la poésie. Nous ne devons pas céder à la tristesse, à la mélancolie. Nous ne devons pas penser que tout est moche. Je refuse absolument de le penser. Je sais que ce n’est pas le cas, parce qu’il suffit de sortir. Il suffit de s’arrêter un instant, quelque part, pour comprendre que tout n’est pas moche. 
Parfois, nous méritons l’extinction. En attendant, ce serait beau d’échanger un câlin, ce serait beau d’échanger de belles paroles, de sourire à quelqu’un. Pour moi, c’est ça la poésie, ni plus ni moins. C’est le sourire d’un enfant. Je n’ai pas besoin de chercher bien plus, quand un sourire, un câlin et une caresse sont des gestes très puissants.

Puis, dans notre société, si nous comprenons que diviser ne mène à rien, à ce moment-là, nous avons déjà fait un énorme pas en avant.

Je suis d’accord.

Quand je vois tes photos, je vois des personnages qui semblent vraiment naturels. Elles dégagent une ambiance mystique. 

Je suis souvent le premier à être étonné des choses auxquelles j’assiste, mais tout cela a une origine bien précise. J’arrive à assister à ce genre de scènes parce que je vis pratiquement dans ces lieux. J’y passe beaucoup de temps, je passe beaucoup de temps avec les habitants. Je tisse de nombreuses relations. D’ailleurs, certaines sont très profondes. Elles perdurent dans le temps. Je ne suis pas le photographe, je suis Francesco qui est avec eux. Je suis Francesco qui arrive l’après-midi, joue avec les enfants et les emmène au parc, mange une glace et s’assied pour discuter avec les mères. C’est bien aussi de sortir un moment de son rôle de photographe et de se mettre aussi à la disposition des autres. Je suis une personne très, très ouverte, toujours très disposée. Cette proximité avec les personnes me permet de les vivre en profondeur, de ne pas rester en surface, mais de descendre un peu plus bas, de recueillir leurs histoires, confidences et craintes. Je finis par me confier à eux. Ce lien profond me pousse à faire ce genre de photographies. Sans ce type d’approche, je ne pourrais pas faire ces photos. Si je ne vivais pas comme eux, si je n’étais pas comme eux dans cet espace-temps, je ne pourrais pas en faire.
Une magie se crée alors, mais je ne la crée pas, c’est la relation qui existe entre moi et les sujets que je photographie, ou en tout cas, avec tout ce qui les entoure, parce que les gens savent exactement qui je suis, savent exactement ce que je fais, donc ils n’ont pas peur. Au contraire, ils se sentent très libres de s’exprimer naturellement et cette spontanéité, je la retranscris ensuite, clairement, dans mes photographies. 
Des fois, je m’étonne : « Je suis vraiment en train de regarder ça ? ». C’est un privilège de pouvoir assister à la vie réelle des personnes. C’est un grand privilège qui n’est pas acquis parce que ces photos sont disponibles uniquement grâce aux gens.

Je suis un grand passionné de journalisme. Tes paroles me rappellent qu’il faut parfois créer un lien entre les personnes impliquées dans un reportage. Quant aux photos, elles ont une importance car tu n’as pas le droit de fausser la réalité, en tant que journaliste. T’es-tu déjà demandé : « Je ne publie pas cette photo. Elle va fausser la réalité » ?

Il m’est déjà arrivé de ne pas publier des images qui étaient vraiment trop fortes et qui auraient sûrement provoqué des malentendus. Par exemple, je ne sais pas si en feuilletant le livre, tu es tombé sur la photo de cette fille qui tient dans ses mains le cercueil son fils. En fait, cette photographie en cache beaucoup d’autres, beaucoup plus crues. Il y aurait sûrement eu un désordre, en la publiant. Et ce n’est pas que je veuille l’éviter, c’est qu’il y a une éthique, non ? Montrer la photo d’un enfant de 45 jours, mort, juste pour le plaisir de vendre le livre, le rendre plus sexy, c’est non. C’est quelque chose que je ne veux pas faire, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune raison de faire une chose pareille. Par conséquent, oui, il m’arrive d’éviter de publier des photos, mais seulement quand ce n’est pas juste. 

Dans ton livre, je lis cette phrase : « Le Sud n’est pas un lieu exotique, c’est de la chair vive, une terre qui brûle, une mère accueillante et repoussante ». Mais aussi : « C’est un péché mortel de réduire cette mère complexe à un simple objet de regards superficiels ou désintéressés ». Tes photos servent aussi à rappeler que le Sud de l’Italie ne doit pas être abandonné par les Italiens.

Oui, absolument. C’est une chose qui me tient à cœur car j’aime la Méditerranée. Le Sud peut apporter beaucoup au reste de l’Italie. Or, le Sud est perçu comme une terre exotique, comme une destination exclusivement touristique, comme un endroit à piller et non à conserver ou à cultiver.
J’espère qu’à travers les photographies, on se rende compte que le Sud est justement de la chair vive. En d’autres mots, ce n’est pas une chose inerte, une langue morte, un lieu abandonné. Ce n’est pas un lieu, où l’on arrive pour regarder la mer, bien manger, profiter du soleil. Non, ça ne peut pas être seulement ça. Le regard exotique porté sur le Sud n’a pas de sens. Le Sud fait partie de l’Italie, d’ailleurs. Il n’y a aucune ligne de démarcation. 
Il y a une culture millénaire et des influences de toutes sortes. C’est la Méditerranée pure. Ça vaut la peine de s’y plonger un peu plus.

Il est temps de faire fonctionner ton imagination. Durant la nuit du 10 février, la justice et les carabiniers ont lancé une opération anti-mafia en Sicile. 1200 carabiniers ont été mobilisés et 18 personnes ont été arrêtées. Sachant cela et en tant qu’artiste, peux-tu compléter la fin de ma phrase ? « La Sicile changera et deviendra… ».

Magnifique. On l’espère. (grand sourire) On l’espère magnifique. J’aime espérer que nous pourrons vraiment devenir magnifiques, mais d’une beauté qui n’a rien de matériel. D’une beauté profonde et spirituelle. D’une beauté qui aille de pair avec la poésie. Je suis un grand passionné de poésie. Je la cherche, parfois, je l’écris. Je la cherche énormément parce que je crois que nous avons tous un besoin d’avoir cette magie en plus, n’est-ce pas ? Rechercher ce côté de la vie plutôt magique, surréaliste, difficile. Tout ne doit pas être forcément beau, au sens esthétique. Il peut y avoir de la beauté dans chaque coin, dans chaque personne, même dans la plus laide des personnes. Ça vaut la peine de chercher cette étincelle de poésie. Je suis sûr, et je le sais avec certitude, qu’elle existe et qu’elle se manifeste parfois sous des formes étranges.

Nous pouvons atteindre ce degré de beauté. Cela dépend clairement de chacun de nous. C’est à chacun de nous de ne pas s’enfermer, de faire sa part, de vivre le plus d’expériences possibles. Les expériences te forment, changent, modifient. Elles te font changer de point de vue sur les choses, qu’elles soient confortables ou douloureuses. Tentons de se laisser traverser, sans trop penser aux préjugés, aux lieux communs. Tentons d’accueillir les nouvelles expériences. Qui sait ? Peut-être que nous deviendrons plus beaux que nous ne le sommes. Moi, je vis d’espoir, comme tu l’auras compris. 

Interview organisée par brunoaleas (2025) – Photos ©Francesco Faraci

LA DURE A CUIRE #135

La Dure à Cuire est un concept né en 2018. Commentons l’actu rock de la plus douce, à la plus brutale. Puis, écoutons sa playlist ! Ce numéro est dédié à l’Italie.

Umberto Maria Giardini

Umberto Maria Giardini. Ce guitariste prouve, rien qu’en écoutant sa discographie, qu’il est doté d’une belle créativité. « DIO COME ALIBI » est sorti, il y a presque un an. Petit rattrapage pour un titre à savourer dans les bois.

Etta

La terra non è tonda, fra’, è una piattaforma streaming. Ricette lente e finte bombe sui bambini. Video di gattini. Se non ti piace basta che skippi, easy.

Salmo

Salmo est probablement le meilleur rappeur italien. RANCH, son nouvel opus, est la preuve d’un artiste qui aime l’amour de la musique. Ça signifie quoi ? Salmo est prêt à te faire danser et réfléchir. Il est déterminé à te larguer sur la planète hiphopraprock.

brunoaleas

Fragile, parlons émotions

Quand on devient sensible, à l’instant où on aimerait s’exprimer sur soi et son cerveau… mettre des mots sur ses émotions est salvateur. Ensuite, la vie serait plus simple à vivre ? Réponses exclusives d’un groupe d’Angers.

FRAGILE dévoilera son premier album le 7 novembre 2025 chez Le Cèpe Records. Le groupe capte l’attention grâce à ses sonorités à la fois punk et shoegaze. Bref, on plane, tout en brisant du parpaing ! La bande dévoile un premier mini-album, …About Going Home, en 2023. Sont alors abordés les thèmes propre à la fragilité de la santé mentale. Etait-ce une épreuve d’en parler ? FRAGILE développe sa réponse.

Avec le recul, je ne sais pas vraiment si c’était difficile. Peut-être que mon esprit a omis des choses, mais sur le moment, ça paraissait surtout crucial et nécessaire. On a composé cet EP dans une période assez sombre d’un point de vue personnel, mais également, d’un point de vue global. C’était la période covid, du confinement, etc. Comme beaucoup de monde, on était un peu perdus à ce moment-là. On s’est donc raccroché à ce qu’on avait de plus concret, qui faisait encore sens, peu importe tout ce qui se passait autour : notre amitié. C’est de là que découlent ces 8 titres, c’est la base de tout, de la musique comme des textes. 
Quand on se sent en sécurité, se livrer n’est plus un problème. On se rend compte que nos peurs profondes, nos doutes font écho à ceux des autres, plus ou moins, bien sûr. Mais il y a quelque chose d’universel. Alors pourquoi les porter chacun de notre côté ?

Notre société ne cesse d’évoluer. Les hommes savent et peuvent pleurer. Le fameux cliché des bonhommes froids, forts et distants est bien loin derrière nous. Une dernière question est à poser. Au final, s’exprimer au sujet de ses émotions, ça s’apprend ou pas ?

Je pense surtout que ça se débloque. Pour ma part ça a déjà été un long cheminement personnel, accompagné par des rencontres, livres, chansons… cela n’a pu se concrétiser que grâce à ce lien qu’on à instauré entre nous. C’est une question d’équilibre entre soi et les autres.

brunoaleas – Photos ©Rémi Sourice

Qui fait le bruit ! Part 1

Notre époque est chaotique. Pour s’évader, il faut rechercher le bruit. Pas n’importe quel bruit. Des groupes offrent qualité et brutalité, en quelques notes !

Simone Panetti

La scène artistique italienne est si riche. Ça ne date pas d’hier. Renato Zero en est la preuve, à lui seul. Le chanteur est extravagant et envoutant. Aujourd’hui, d’autres sacrés personnages explosent l’écran, pensons à Salmo ou Caparezza. Simone Panetti s’inscrit dans cette liste d’artiste plutôt unique. Le Romain souhaitait jouer comme IDLES, sur ses terres. Le résultat est plutôt réussi. Son nouvel album, Tombino, est vraiment un grand cru de rage, ironie et malaise.

The Flying Bones

Vacarme. Fuzz. Sombrero. Bienvenue dans l’univers de Flying Bones. Le duo partage une bonne ambiance, en n’oubliant pas de faire hurler leur instrument.

BEASTS

Comment qualifier la musique de BEASTS ? Punk, noise, rap et de doom ? Oui, mais ! Le premier projet solo d’Antoine Romeo entre dans la peau, grâce à une basse et un chant ultra créatifs. Sa philosophie est claire. Sa musique est non jetable ! Pour écouter son disque, The Shearing, la seule plateforme d’écoute ➡️ la voici. Alors, on peut y poser toutes les étiquettes qu’on veut, finalement, « coup de canif jouissif », tel est le meilleur qualificatif concernant BEASTS !

brunoaleas – Illustration ©Gipi

Réinventer Vald

PANDEMONIUM. Dernier album en date d’un fameux farceur. Je salue Vald. Je salue l’écriture de l’artiste. Par contre, je n’accroche pas aux instrus de son nouveau disque. Les angles abordés, comme les médocs, l’autodestruction, les saintes phrases d’une mère, sont puissants mais difficilement mis en valeur. Quel gâchis. Croyez-vous aux épiphanies ? Juste après la sortie de son cinquième album, Vald partage une surprise. Sa démarche n’est pas piquée des hannetons. Vladimir Cauchemar et Todiefor charbonnent ensemble pour livrer des inédits et une version remixée du dernier opus du V, PANDEMONIUM RELOADED !

Alors là, c’est oui ! Oui, oui, oui big up à Lepers . Pourquoi transmettre un tel enthousiasme ? L’initiative ne date pas d’hier. Jovanotti, The Cure, Foals sont aussi des adeptes de l’exercice, mais là, il fallait absolument écouter le résultat. On parle d’un rappeur prêt à séduire un autre public. L’electro est un style de musique passionnant.

Balayons des questionnements concernant PANDEMONIUM RELOADED.

  • Avons-nous affaire à des instrus de gros drogués, une musique composée pour les personnes prêtes à s’immoler au Festival de Dour ? Oui et non. Certains passages sont plus brutaux que d’autres. Cependant, ne résumons pas le projet à une expérience éprouvante.

  • Les remix sont donc soutenables pour de petites oreilles ? Oui. D’ailleurs, Vald doit sûrement envoyer du pâté, en testant les mélodies, une fois sur scène.

  • La durée d’écoute est trop longue ? Pas du tout. Ça part sur plusieurs variantes de l’electro. Par conséquent, les mélomanes auront envie d’en écouter toujours plus.

Faut-il comparer Vald au fou du roi ? Allons plus loin. Il est également spinoziste. Citons le philosophe, encore une fois. D’après Baruch Spinoza, le vrai bien repose sur l’extension de la puissance de connaître. En d’autres mots, vivre en suivant la raison est ce qu’il y a de plus utile.
Certes, Valentin considère l’intelligence artificielle comme un artiste à part entière… je le pardonne. Pourquoi ? Le gaillard réinvente son univers musical. Et son écriture est enfin honorée. Il critique la surpopulation, le rap, la médecine, mais aussi, ses vices. Il vaut mieux savoir ce qu’on défend et préserve, avant de clasher le premier venu. Merci Vald !

brunoaleas – Photo ©Fifou

LA DURE A CUIRE #134

La Dure à Cuire est un concept né en 2018. Commentons l’actualité rock de la plus douce, à la plus brutale. Puis, écoutons sa playlist !

Messa

Should I feed my heart with thorns again ? Time is cruel sometimes and you are no wrong. I can’t read my lines, I’m giving up, I’m dry. Crucify myself, but will I recall ?

Odezenne

Odezenne revient sur scène ! DOULA est un album imparfait… mais c’est toujours aussi jouissif d’écouter la poésie d’un groupe inspiré par les petits rien de la vie.

Seu Jorge & -M-

Mathieu Chedid est comparable à Damon Albarn. Le guitariste ne cesse de chanter avec d’autres artistes de tout horizon. Un petit miracle pour les oreilles.

Ellah A. Thaun

Une discographie pourvue d’une trentaine d’albums. Une veine grunge. La musique d’Ellah A. Thaun n’est pas à prendre à la légère. Maintenant, écoutons et mangeons de bonnes guitares dans la gueule.

brunoaleas

Le meilleur anime de baston est…

Actuellement, l’animation atteint des niveaux impressionnants. Demon Slayer, L’Attaque des Titans, Jujutsu Kaisen marquent la rétine. Même si on déteste ces univers, on ne peut le nier. Pensez à leurs scènes de tension. Naruto demeure le meilleur anime de baston.

Ordre vs chaos

Quatrième Grande Guerre. Ninjas désemparés, enragés ou de nouveau à la vie. Voici le dernier arc de l’œuvre. Bien sûr, il ne sera pas retenu comme le plus incroyable (final raté + personnages souvent bâclés). Néanmoins, les combats de cette partie ne passent pas inaperçus. Vient alors un duel assez attendu : Kakashi se frittant à Obito. Ordre et chaos. Mesure contre démesure. L’histoire d’une amitié brisée. Elodie Verheyden, animatrice chez Camera-etc, décrit la beauté de la scène.

Nous sommes à un point de la série, bien après le combat entre Naruto et Pain. Les animateurs se sont retenus, cette fois. Il n’y a plus l’animation de l’extrême, composée de ralentis ou d’accélérés. Les artistes se sont nourris des critiques qu’on leur adressait. Là, tout est clair et lisible. Ils ont mis l’argent. Il y a très peu d’arrêt et le combat est super bien chorégraphié.
J’aurais tout de même aimé voir plus de déformation. On ne sent pas la force des coups. Les animateurs auraient pu réaliser des séquences plus violentes.

Altruisme vs égoïsme

Une bagarre marque une génération, les enfants des années 2000. Naruto versus Sasuke. L’altruisme pur contre l’égoïsme dur. Un nouveau chapitre s’affiche devant nos yeux. Dès lors, on admire deux gamins, influencés par leur solitude. L’un souhaite devenir chef du village, même après les moqueries subies. L’autre s’éloigne du village, afin d’assouvir sa soif de vengeance. Les voici prêts à s’arracher la face. L’animation, si dynamique de ce passage, n’a pas pris une ride. Elodie l’affirme, sans hésitation.

Les animations en 2D, dessinées à la main, vieillissent très lentement. Contrairement à la 3D, une technique vieillissant très mal. Ici, les enfants bougent bien. Quand on regarde cet affrontement aujourd’hui, on contemple une animation toujours aussi bien rythmée. Lorsque cette séquence apparait au Japon, on voit arriver une nouvelle génération d’animateurs. Ils posent des codes quant aux mouvements, au rythme, sans avoir peur de tester. Ils vont inspirer les futurs animateurs de la série. Plus tard, ces personnes, inspirées par leurs pairs, s’occuperont de la lutte entre Pain et Naruto.

Rien n’est gratuit. Surtout pas le sang et les larmes. Au-delà d’être un illustrateur talentueux, Masashi Kishimoto est un excellent scénariste. Vraiment ? Ne retenons pas la fin d’un manga qui se termine en queue de boudin. Naruto livre réflexions et émotions !

brunoaleas – Illustration ©Masashi Kishimoto

Bernard Beets Interview

De ses premiers émois cinéphiles devant les dessins animés, de son enfance à son rôle de monteur attitré des réalisateurs Hélène Cattet et Bruno Forzani, Bernard Beets retrace un parcours singulier. Loin de l’image de la star, il a trouvé dans le montage une place à part, celle d’un artisan de l’ombre qui façonne la forme finale du film. C’est une histoire de rencontres, de projets fauchés mais inventifs, et d’une fidélité artistique construite sur plus d’une décennie.
Pour Reflet dans un diamant mort, il décortique une méthode de travail unique, où l’idée d’un James Bond devient le prétexte à une relecture des codes du genre, où la matière brute prime sur le scénario.

Pierre : J’ai lu que vous aviez monté ce film de manière entièrement muette. Est-ce une pratique courante ou une méthode spécifique à votre équipe ?

Pour des raisons d’économie, ils ont toujours travaillé comme ça. Leur premier court-métrage était fait de diapos, donc, tout le son a été recréé. L’expérience leur a plu. Les premiers films de Hélène Cattet et Bruno Forzani ne contenaient pas de dialogues. Sur les projets suivants, des dialogues sont apparus, mais même lorsque le son direct est enregistré, il est souvent refait en post-synchronisation. Bruno et Hélène sont extrêmement précis sur les intonations. Ils préfèrent passer une ou deux heures à refaire une voix pour obtenir exactement ce qu’ils veulent.
Cette méthode s’inspire beaucoup du cinéma italien, qui était entièrement postsynchronisé, notamment pour gérer des castings internationaux où chaque acteur jouait dans sa propre langue. Parfois, chez Fellini, un acteur comptait : « Un, deux, trois » et sa voix était doublée par un autre comédien. Bruno est très influencé par ce cinéma, donc, pour lui, cette approche n’est pas aberrante. De plus, le duo n’aime pas les dialogues explicatifs ; il préfère que le son apporte des nuances ou contrebalance l’image.
Travailler ainsi est devenu naturel pour moi. Je me concentre entièrement sur l’image et sur le rythme, qui est un élément capital dans leur travail. Et, même si cela peut paraître prétentieux, avec le temps, on finit par « entendre » le son. Tout ce qui, visuellement, implique un son, je finis par le percevoir. Je sais où une porte doit claquer, où un crissement de pneu doit intervenir. Je ne dis pas que c’est le son exact qui sera utilisé, mais il est intégré dans ma perception du rythme. Je le visualise ou, je ne sais pas comment dire, je « l’audioise ».

Pierre : Vous placez donc aussi la musique ? Ce n’est pas le monteur son qui s’en charge ?

Oui, je place la musique, car elle est fondamentale pour le rythme et le timing d’une séquence. On évite les effets trop faciles où les coupes coïncident parfaitement avec les beats musicaux, car cela perd vite de son impact. Sur ce film, le plus gros défi était la scène de bagarre dans le bar. Les réalisateurs avaient déjà une maquette avec une musique et cinq ou six points de synchronisation précis, où un mouvement devait correspondre à un moment musical. C’est un vrai casse-tête : il faut enlever ou ajouter des images une par une pour que tout s’aligne parfaitement entre deux points de synchro. C’est un travail de détail.

Pierre : Le montage est, au final, un travail de détail.

Avec eux, complètement. C’est notre façon de travailler dans des économies relativement réduites. J’ai souvent l’impression de faire du bricolage, de prendre des ciseaux et du ruban adhésif pour assembler des bouts de papier. Au début, ils étaient très control-freaks, mais avec le temps, ils ont appris à lâcher prise, même si tout se joue encore à l’image près. On a des séquences avec des plans de deux ou trois images. Pour une scène stroboscopique, par exemple, on doit expérimenter. Est-ce qu’on alterne deux plans ? Trois ? Avec quel rythme ? Tout est possible.
C’est fascinant de jouer à ce niveau de précision. Par exemple, pour rendre un dialogue plus dynamique, on peut enlever quelques images entre deux répliques. Parfois, une simple coupe, qui paraîtrait brutale, passe miraculeusement bien dans le flux. En enlevant une image au cœur d’un mouvement, on peut l’accélérer et lui donner plus d’impact, un peu comme les gestes de Bruce Lee qui sont à peine visibles.

Pierre : Communiquez-vous avec le monteur son ?

Constamment. Avec eux, le travail ne s’arrête pas au dernier jour de montage. Le monteur son est aussi un ami, et nous sommes en dialogue permanent. Parfois, un son qu’il crée modifie légèrement le rythme que j’avais imaginé, et nous devons réajuster en enlevant quelques images. Ce sont des allers-retours constants pour maintenir une synchronisation parfaite. Sur ce film, je n’avais pas tous les plans d’effets spéciaux, au début. Je les intégrais au fur et à mesure pendant que le monteur son travaillait, parfois depuis sa cuisine, pour lui fournir une version à jour en temps réel.

Pierre : Que préférez-vous dans le métier de monteur ?

Voir les choses prendre forme. Vous avez des éléments séparés, et une fois assemblés, quelque chose naît. Le moment le plus grisant, c’est quand on trouve la bonne musique pour une scène. Parfois, la musique prévue ne fonctionne pas. On cherche, on essaie plusieurs options, et soudain, on en place une et la séquence décolle de dix crans. On a les poils qui se hérissent. C’est formidable. J’aime aussi le calme, le fait de travailler seul dans mon coin. Un plateau de tournage, avec tous ces gens, c’est insupportable pour moi. Je ne sais pas où me mettre, j’ai l’impression de déranger.

Pierre : Un film comme celui-ci, avec un montage si dynamique, demande combien de temps de travail ?

Théoriquement, nous avions trois mois. En général, je passe le premier mois seul pour assembler une première version. Ensuite, les réalisateurs arrivent, et nous utilisons cette base pour peaufiner chaque élément, comme de la pâte à modeler. 

Pierre : Avez-vous un film préféré ?

Il y en a trop, des centaines, et ça change tout le temps. Mon goût s’est élargi avec les années. À la base, j’étais porté par le cinéma américain, comme celui français, classique. Grâce à Bruno, j’ai découvert le cinéma de genre italien. Un autre ami m’a initié au cinéma expérimental. Ce sont des portes qui s’ouvrent. J’ai encore des blocages, comme avec le péplum. Mais dans chaque genre, on peut trouver des œuvres magnifiques.

Pierre : Revenons au montage. Vous avez sûrement l’impression qu’il s’accélère de nos jours pour répondre à une baisse de l’attention du public.

C’est évident. Le langage cinématographique évolue. Ce qui nécessitait une longue exposition hier, est communiquée en quelques plans aujourd’hui, car nous avons plus d’un siècle de cinéma derrière nous. Le rythme s’est accéléré, c’est certain. Il est influencé par la diminution de notre capacité de concentration. Mais cela peut aussi empêcher d’apprécier des œuvres plus lentes. Actuellement, nous sommes formatés par une certaine « narration Netflix« , où les scènes s’enchaînent sans ambiguïté. Tout est sur-expliqué et chaque scène doit contenir la même dose d’humour, d’action, etc. Souvent, je trouve ça très programmatique.

Bruno : J’ai commencé à m’intéresser au cinéma à l’âge de 18 ans. Aujourd’hui, après avoir bouffé des films français, italiens, japonais, coréens, canadiens, anglais ou américains, je me pose une question bien précise. Est-ce que le montage peut sauver un mauvais film ?

Sauver un film ? Non, je ne pense pas. Si un film est mal conçu et mal tourné, vous aurez beau choisir les meilleures prises au montage, le résultat ne sera pas bon. On peut tenter de restructurer, de laisser tomber des parties, mais ce sera un gros sparadrap. Un sparadrap de bonne qualité, peut-être, mais un sparadrap quand même. Le montage est une étape cruciale, mais on ne peut pas isoler un élément. Le travail des acteurs, la réalisation, le son… tout est interdépendant. On peut, par le montage, influencer la perception d’un acteur. Si on alterne des prises où il est joyeux et d’autres où il est fâché, sans logique, le spectateur ne pensera pas au monteur. Il dira que l’acteur est mauvais. Notre travail est une collaboration constante avec le réalisateur pour trouver la bonne prise, celle qui, même si elle est moins « bonne » isolément, fonctionne parfaitement dans l’enchaînement et sert la vision globale du film. C’est un canevas fermé, mais avec une grande liberté à l’intérieur.

Interview menée par Pierre Reynders & brunoaleas (2025)

La justesse de Florent Marchet

En 2023, je cite Arthur Teboul. Plus précisément, je souligne à quel point sa plume est remarquable. Sans oublier son envie de rendre la poésie accessible à tout le monde. Cette ambition mérite quelques applaudissements.

Comme vous pouvez le lire, le chanteur épate. Il performe également chez Feu! Chatterton, groupe brillant. Mais un autre artiste prend, haut la main, la place de meilleur auteur-compositeur francophone. Florent Marchet est un poète d’exception. Pourquoi ? Depuis 2004, le Berruyer ne cesse d’étudier la société au scalpel. Là où UssaR, Tim Dup ou Arthur Teboul, soignent une écriture plutôt onirique, Florent Marchet, lui, se colle souvent au réel.

Il critique alors l’idolâtrie (« L’idole »), dissèque les violences conjugales (« Comme il est beau »), imagine l’égoïsme (« Je n’ai pensé qu’à moi »), décrit le fléau du temps (« Notre jeunesse », « Benjamin »). Il dépeint avec précision nos quotidiens, qu’ils soient tragiques ou banals.

Son écriture rappelle l’univers de Hirokazu Kore-eda. Le cinéaste, connu pour avoir réalisé Nobody Knows (2004) et Une Affaire de Famille (2018), filme ses acteurs et paysages, tel un sociologue prêt à illustrer la vie des Japonais. L’artiste est d’autant plus talentueux vu qu’il n’inflige pas une once de manichéisme. Florent Marchet rejoint cette voie, en délivrant un vocabulaire spontané et populaire.

Sociomusicus. Attribuons cet adjectif au musicien ! Pour ce travail si sensible, si pointu, merci.

brunoaleas – Photo ©Marie Rouge