Musique
Jovanotti – Oh, Vita!
ORIGINAL BASE
Il y a une dimension anthropologique ou sociologique au cœur même du projet.
Telles étaient les paroles du réalisateur américain Martin Scorsese au sujet de son film Mean Streets (1973). Ce dernier, suivant les conseils du cinéaste John Cassavetes (1929-1989), s’était résolu à filmer ce qu’il connaissait de mieux: son quartier, ses rues, son quotidien.
Lorsque je pense au dernier album de Lorenzo Jovanotti, il me vient à l’esprit de faire le parallèle avec cette même démarche que Scorsese met au point, à la suite d’une discussion avec son mentor.
Oh, Vita est décrit par le chanteur italien comme étant une part de sa vie, lui procurant d’ailleurs une envie vivifiante de continuer à faire ce qu’il a toujours fait: composer une musique qui émeut. Continuer la lecture
King Gizzard & The Lizard Wizard with Mild High Club – Sketches of Brunswick East
UN SOLO ASCOLTO PER UN VIAGGIO
Il faut croire que je ne suis qu’attiré par les productions de stakhanovistes.
King Gizzard & The Lizard Wizard est un groupe australien qui a sorti son onzième album du nom de Sketches of Brunswick. Pour l’année 2017, le groupe décide de sortir petit à petit 5 albums inédits et ce dernier est le troisième sur la liste.
Blue breeze de Londres
Tout comme le grunge qui s’est formé autour de Seattle, la Motown basée à Chicago ou encore un blues extrêmement prononcé à Memphis, un courant musical est fortement présent au Sud de Londres. J’ai baptisé ce style blue breeze. Peut-être que l’étiquette perdurera dans le temps.
‘Blue’ pour ce qui est de sa teinte mélancolique et léger, symbolique de nombreux morceaux des artistes qui en portent les couleurs. ‘Breeze’ pour l’effet reverb, nous laissant toujours planer via des compositions jazzy, utilisées à foison dans leurs chansons.
Plusieurs points communs reviennent toujours à l’écoute de ces jeunes londoniens, dont notamment une guitare au son épuré. Elle nous embarque dans une brise qui fait écho à l’infini. Il est intéressant de noter à quel point le déterminisme a toute son importance pour expliquer ce nouveau phénomène anglais.
Notons que l’écrivain français, Emile Zola, avait déjà cerné l’importance de l’influence et l’impact de l’endroit où l’on vit. C’est en désignant sa propre littérature de ‘naturaliste’, mouvement de la première moitié du vingtième siècle, que cet auteur bâtissait de nombreuses thèses pertinentes.
Les naturalistes reprennent l’étude de la nature aux sources mêmes, remplacent l’homme métaphysique par l’homme physiologique, et ne le séparent plus du milieu qui le détermine.
Cet extrait de son œuvre Une campagne (1881) démontre à quel point nous sommes conditionnés par tout ce qui nous entoure. De fait, la panoplie d’artistes dont il est question ont respiré un air londonien qui les a inspiré à faire une musique unique, qui cependant, se trouve sous une même bannière. Il se peut qu’il y ait une part d’inconscient en ce qui concerne leur processus de création. Néanmoins, ils partagent tous des caractéristiques très communes, preuve qu’ils baignent consciemment dans une zone spéciale, où la musique a ses codes.
Citons un autre déterministe qui rejoint en quelque sorte les pensées de Zola :
Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience.
Tiré du philosophe et économiste Karl Marx, ces phrases affirment que l’endroit où l’on naît à une immense importance par rapport à notre avenir. Trêve de citations, stop aux analyses ! Passons en revue les grands acteurs de cette bleue brise.
King Krule
Il est littéralement le plus connu de tous. Hipster pour certains, génie pour d’autres, Archy Marshall se fraye un chemin atypique dans le monde de la musique. Pour l’instant, tous ses projets sont incroyables. Ils méritent une écoute pour avoir une vue d’ensemble sur l’univers riche et intense de ce poète.
Entre son premier et deuxième album se sont écoulés 4 ans. Impatient, je savais que son nouvel opus allait être une réussite. King Krule rafraîchit toujours son style musical via des morceaux aux accords jazz et bossa nova. Il n’est pas trop tard pour écouter The OOZ, son ultime pépite.
Cosmo Pyke
J’essaie de devenir célèbre, de faire connaître mon nom partout, de m’assurer que tout le monde le voie. C’est un peu comme le graffiti : vous voulez obtenir autant de tags que possible dans toute la ville jusqu’à ce que vous deveniez propriétaire de la ville.
Ces paroles livrées au Guardian sont celles de Cosmo Pyke. On ne cesse de comparer à King Krule sur la Youtubosphère. Certes, ils partagent quelques caractéristiques semblables : une voix nonchalante, une capacité folle à rapper, et un jeu vif et direct à la guitare. Néanmoins, ce ne sont en rien des clones parfaits. L’univers de Cosmo Pyke est beaucoup plus coloré au niveau des ses sons, clips et paroles. Il n’y a qu’à comparer le clip de ‘Great Dane’, à l’esthétique propre, chamarrée, professionnelle et ‘Dumb Surfer’ qui lui est flou, crade, un peu plus amateur, donnant un visuel proche de ceux perçus des vieux VHS.
En d’autres mots, nous ne lui ferons pas l’affront de le surnommer Prince Krule.
Alex Burey
Piano, violons, flûte, saxophone et guitares à la sonorité western, rien n’a plus de secret pour ce jeune compositeur ! Un seul mot pourrait synthétiser les sonorités qu’il nous concocte : délicatesse.
Nick Hakim
Take this joint. C’est tout ce qu’il y a à retenir lorsqu’on écoute Nick Hakim.
Jamie Isaac
Jamie Isaac a déjà collaboré sur l’album très avant-gardiste A New Place 2 Drown d’Archy Marshall. Ce genre d’artistes ne se limite pas à une seule façon de faire de la musique. Petite pause sur un gars qui propose un son posé.
Drama
BRNS – Holydays
IT’S A GOOD THING TO TORTURE GOD
Mike Patton (leader vocal de Faith No More, Tomahawk, Dead Cross) annonçait la mort de la musique.
La raison ? A cause de musiciens n’amenant plus de nouvelles idées sur la table.
BRNS (‘brains’) forme un contre-exemple parfait. Les quatre jeunes Bruxellois m’ont littéralement renversé avec un EP rempli de surprises. Ce groupe ne s’en tient pas à la simple composition de refrain, structure linéaire ou autres codes habituels. Incomparable à un Coldplay enfoncé dans un style musical assez gênant, tant il se répète d’années en années.
Les transitions sonores, les voix distordues ou le jeu du batteur et bassiste frôlent l’exceptionnel. Il est bénéfique de s’apercevoir qu’il existe encore de tels artistes !
Une dimension religieuse embaume l’opus via des chants quasi liturgiques, faisant le pont avec l’univers religieux. Citons ‘Mess’, où une clochette nous suspend vers un Ailleurs et conclut l’EP. ‘Mess’ exploite aussi une guitare aux cordes comme désaccordées, me lançant dans un emballement jouissif et une plus grande envie de terminer la chanson pour mieux la découvrir.
Ces 4 morceaux ne laissent pas l’auditeur sur sa faim. Ils emmagasinent un rythme et un jeu pertinents. De quoi les écouter encore et encore pour mieux saisir les détails instrumentaux qui s’y dégagent.
Véritable leçon musicale où la monotonie n’a pas sa place, Holydays s’éloigne des trucs et astuces qui s’utilisent à foison pour séduire le Grand Public.
Drama – Illustration ©BRNS
Still Fresh – Cœur Noir
Etre un bon rappeur est sans aucun doute un atout non négligeable pour espérer se faire un nom dans ce milieu, mais pour percer au-delà, c’est loin d’être suffisant.
Still Fresh en est un très bon exemple et, à l’écoute de son nouvel album Cœur Noir, on peut deviner qu’il a compris cela, peut-être un peu trop bien…
Downtown Boys/Teen Creeps/The Hype au KulturA.
Invité par PopKatari, ma motivation était telle que j’aurais bravé vents et marées pour assister à ces concerts. Au rendez-vous à cette soirée liégeoise : un groupe wallon (The Hype), un groupe flamand (Teen Creeps) et… Une bande d’américains (Dowtown Boys) !!!!
Dès les portes du Kultura franchies, je rencontre Lev. qui me salue après avoir participé au soundcheck. Malheureusement, ce mélomane ne pouvait rester, ce qui faisait que je restais seul. Et pourtant, j’ai très vite stagné à l’entrée du Kultura, en compagnie des gars de The Hype. J’étais vraiment ravi de les revoir et d’apprendre qu’ils remontaient sur scène après un an de « non-concert ». Ces vieux punks s’amusaient à dire « bonsoir » à chaque nouvelle personne qui entrait là où nous étions, gardant toujours un esprit d’humour et de convivialité.
C’est alors qu’ils montent sur scène, non plus au nombre de trois mais bien à quatre, suivi d’un second guitariste du nom de Nubuk.
A peine le concert commencé, le batteur (Brian Alleur) se met torse poil, le chanteur/guitariste (Benoît Culot) les présente de façon succincte et ces lurons jouent de plus belle. Comme à son habitude, Brian se fait entendre (telle une machine de guerre) et en impose de par son jeu agressif à souhait. Ben, lui, envoie le pâté avec sa voix rauque, à se demander s’il n’a pas fumé plus que Gainsbarre pour en arriver à ce résultat. Quant à Rémi, son énergie m’a épaté et m’a entrainé à bouger mon cul sur chaque morceau. Les fioritures qu’amenaient Nubuk étaient ultra plaisantes à écouter et donnaient encore plus de richesse sonore aux chansons. J’attendais avec ferveur « Ocean » et ma joie est toujours la même lorsque je redécouvre les divers effets aux guitares qui la composent.
Après avoir enflammé le public, je me demandais comment allait faire les deux autres groupes pour délivrer une meilleure prestation.
Ramses Van Den Eede, batteur de Teen Creeps
Le deuxième groupe, Teen Creeps, est typiquement le groupe qui sonne beaucoup mieux en live qu’en mp3. Constitué d’un batteur déchaîné (Ramses Van Den Eede), ce groupe traduisait une fougue rock qui m’amenait à penser que ce soir-là, le Kultura avait une ambiance assez proche des concerts grunge du Seattle des années 90. Oui j’en viens à de tels propos ! Le répertoire des Teen Creeps était vraiment parfait pour les oreilles d’un jeune adolescent sale, remuant et endiablé.
Le dernier show était incroyable. Il se détachait complètement des précédents et était aux commandes d’un groupe signé sur Sub Pop : Downtown Boys !
Le peps de la chanteuse (Victoria Ruiz) s’est tout de suite senti et l’aura des Downtown s’est transmise en un battement de cil. Chaque membre était un spectacle à lui tout seul, en passant par le saxophoniste/claviériste (Joe La Neve DeFrancesco) habillé dans une espèce de combinaison propre à un pilote d’avion de chasse, jusqu’à Victoria qui dansait, criait ou livrait un discours politique entre chaque morceau. Les pistes chantées en espagnol déchiraient et se faisaient porte parole des populations niées venant des USA. Car il faut savoir que Downtown Boys reflète de manière extrême une certaine déception américaine, face à la victoire de Donald Trump aux dernières élections. Chaque auditeur a bien évidemment le droit de ne pas partager leurs convictions. Il n’empêche qu’il est agréable de voir que des groupes engagés existent encore, surtout aux States, où les idéologies propagées ressemblent le plus souvent à des télé-réalités foireuses sans queue ni tête.
La variété qu’ont réussi à proposer ces trois groupes m’a donné encore plus envie de m’intéresser de plus près à leurs projets.
A coup de bonnes distorsions, de saxo frénétique ou de chants puissants, cette soirée était à inscrire dans le Panthéon des meilleurs concerts rock’n’roll de Liège !
Victoria Ruiz, Mary Regalado et Joe La Neve DeFrancesco des Downtown Boys
DRAMA
Damso – Ipséité
Comment Damso est-il devenu un personnage incontournable du rap FR ? Le parcours de Damso est fulgurant depuis à peu près deux ans. Sorti de l’inconnu (ou presque) par Booba, le bruxellois n’en finit pas de plaire et est devenu un véritable phénomène de mode. Qui aujourd’hui n’a jamais entendu parler de Damso ? Voici l’analyse d’un parolier passé du quartier d’Yser à la salle de Forest National.
King Krule – The OOZ
Après 4 ans d’absence en tant que King Krule, Archy Marshall est revenu aux bases de tout ses multiples projets : Edgar The Beatmaker, Zoo Kid, DJ JD. Les sonorités dub, rock, jazz et son expérience de rappeur donnent une ambiance incroyable à ce deuxième album.
Enregistré sur sa terre natale, en Angleterre, ce second opus se voile d’un mystère particulier. Que ce soit les significations liées à la pochette, aux paroles ou au fil rouge de l’œuvre, des questions se trament par millier dans la tête de l’auditeur. Ce qui rend d’autant plus l’écoute de The OOZ, intéressante, pertinente et intrigante.
Si l’on se centre sur les histoires contées dans ses chansons, le jeune roux londonien les décrivait ainsi au New York Times : Gritty stories about the streets with a sensitive and romantic side. Take social realism and make it surrealism.
Un résumé efficace qui permet de très bien comprendre où nous mènent les paroles abstraites de ce poète des rues : au sein de la mentalité d’un jeune adepte au spleen anglais. La poésie d’Archy nous emporte vers un univers où les illusions, l’imaginaire et l’extraordinaire s’emparent d’évènements banals.
Nul besoin de décrire toutes les lignes écrites par ce parolier car nombreuses sont les interprétations que l’on peut attribuer aux textes de ce chanteur à la voix nonchalante.
Grâce à sa poésie, une image me reste en mémoire, celle d’une aventure sans fin, dans ce qu’il y a de plus urbain, personnelle et nocturne. Ne serait-ce que les sons de gouttes de pluies insérées dans quelques chansons, m’immergent totalement dans un climat froid et humide, où l’obscurité l’emporte sur les lumières de la ville.
La couleur que porte ce jeune musicien est le bleu et l’adjectif qui lui sied à ravir est lunatique plus que mélancolique.
C’est à travers certains morceaux beaucoup plus posés, lents, jazzy et tristes qu’il dévoile le plus souvent son talent de composition, une espèce d’avant-gardisme. Alors que le punk au ralenti de ‘The Locomotive’ et le rock perturbant de ‘Dumb Surfer’ rappellent la fougue de l’artiste, ‘Czech One’, ‘Logos’ ou même ‘Sublunary’ se détachent du ton général, pour s’envoler vers un style plus proche de visionnaires tels que James Blakes ou Mount Kimbie.
Il ne serait pas étonnant d’apercevoir King Krule influencer pas mal d’artistes, tant sa polyvalence dans le monde musical est admirable. Il arrive à prouver que la musique est toujours renouvelable et qu’il est possible de composer en s’inspirant de ses influences intimes et en les façonnant à sa manière.
Il est le genre d’artiste à refuser une collaboration avec Kanye West pour se donner corps et âme à son projet. Ainsi, son authenticité artistique ne prend aucun coup et ce même refus expose un King Krule décidé et convaincu d’accomplir ses idées déjà tracées, sans freiner un seul instant.
L’argument ridicule voulant faire de lui un musicien pour hipster, démontre bel et bien qu’il divise via sa capacité à proposer une large palette de morceaux les plus différents les uns des autres. Il est pathétique de lui faire un pareil reproche, autant écouter des disques déjà entendus. On ressuscite l’ancien pour en faire du nouveau, tout comme l’ont très bien réussi Only Real ou Cosmo Pyke.
Autre découverte : cet Anglais se rattache au Sud. ‘Half Man Half Shark’ dégage une aura tribale pour enfin se terminer avec une transition beaucoup plus calme, enivrée de boucles répétées d’accords de guitares, mêlées à des notes planantes de piano. La voix rauque d’Archy se déploie avec effervescence et des chœurs s’y ajoutent à un moment donné, faisant des paroles, un hymne chanté par des personnes en transe ou possédées par une force surnaturelle. Un magma bouillonne avec ce titre.
La chaleur de The OOZ est entre autres hispanique. Archy avait une muse barcelonaise. Elle présente en espagnol, au passage de ‘Bermonsday Bosom (Left)’, un antagonisme qui va nous suivre tout au long de l’album, et qui sera encore cité dans ‘Bermonsday Bosom (Right)’, mais cette fois-ci, à travers la voix britannique de son père :
Parasite, paradise, parasite, paradise
Cette opposition permanente n’est pas entendue à chaque morceau, mais est ancrée de manière efficiente pour qu’elle résonne de plus belle dans le crâne. Ces 2 mots expriment tellement de choses. Ils renvoient à la Vie et au Réel, à l’inverse d’une philosophie manichéenne, où certains préfèrent penser que le monde se sépare entre le Bien et le Mal. Il n’y a pas de blanc ou de noir, il n’y a que du gris.
The OOZ comporte 19 morceaux, ça file le sourire aux personnes qui attendaient ce retour avec impatience. Prenez-en de la graine Arcade Fire ! 19 pépites qui nous entraînent dans des alentours paradisiaques, où les parasites se cachent partout.
brunoaleas
Thurston Moore – Rock N Roll Consciousness
J’espère que vos cheveux longs sont toujours aussi gras, que vos chemises à carreaux et vos Converses vous vont toujours car Thurston Moore (ancien membre des Sonic Youth) est de retour avec un cinquième album : Rock N Roll Consciousness !
Les albums décevants de 2017
Niro : De Miraculé à M8RE
Devenir un artiste reconnu est loin d’être une partie de plaisir. Evidemment le terme, « reconnu », est un peu flou, cependant, on peut même considérer qu’un artiste comme Niro est depuis ces deux dernières années bien ancré dans le paysage du rap français. Mais si l’obtention de cette reconnaissance est sûrement une bonne grosse embûche en moins dans une carrière, il reste encore à l’artiste à affronter le jugement du comment il en est arrivé là. Nombreuses sont les clefs de cette réussite. Le talent paraît comme la plus évidente (évidente pour les plus naïfs). Or, il ne faudrait pas omettre des éléments comme la chance, car évidemment il en faut, tout comme pour la persévérance, le culot, etc…