black midi est de retour (déjà ?) après Cavalcade, album qui à lui seul aurait pu assurer la satisfaction d’un jeune groupe pour pour le restant de leurs jours. Les feux de l’enfer font rage. Le vertige de la chaleur omniprésente, de la grandeur presque théâtrale, du rythme immodéré, ferait perdre la tête à quiconque, avertis y compris, s’aventurerait dans le terrible Hellfire. L’Enfer de black midi n’a rien d’une solitude éternelle chargée de lentes lamentations. Bienvenue en Enfer. Un message adressé à ceux qui oseraient poursuivre la route effrénée aux milles péchés, où nous mènent les Londoniens. Continuer la lecture
Musique
Dead Cross et la triste vérité
Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l’avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Nous nous résumerons en une phrase : la civilisation mécanique vient de parvenir à son dernier degré de sauvagerie. Il va falloir choisir, dans un avenir plus ou moins proche, entre le suicide collectif ou l’utilisation intelligente des conquêtes scientifiques.
2 jours après l’explosion de la bombe atomique sur Hiroshima, Albert Camus fustige l’invention infernale (édito tiré du journal Combat, 1945). Il dénonce cette révolution scientifique créée par des hommes prêts à livrer l’arme ultime. L’écrivain pointe déjà le mal incarné, à savoir les côtés toxiques et fatalistes de l’humanité.
L’être humain ne se limite pas à dévorer d’autres êtres vivants pour survivre… en 1945, il balance un fléau sur le Japon. Résultat ? 70.000 morts.
Aujourd’hui, un artiste rejoint la pensée de l’auteur : Mike Patton. De retour après avoir affronté son agoraphobie et ses problèmes d’alcool, le musicien avant-gardiste (écoutez Fantomas ou sa collab’ avec Vannier) bouscule la doxa. Il chante une triste vérité sur « Reign of Error ».
Who is our problem ? We are the problem.
L’homme est le pire ennemi de l’homme. Lorsqu’on questionne le chanteur sur son écriture sur le deuxième album de Dead Cross, il affirme ne rien dévoiler d’inédit. Bien joué Mickey. La brutalité du quatuor nous fait prendre conscience d’une autre brutalité. Politiciens, lobbyistes ou autres magnats font trop souvent preuve d’indifférence face à un monde moins privilégié, comme certains scientifiques sans foi ni loi. En juin dernier, la Cour suprême des États-Unis enterre l’arrêt Roe vs Wade qui, depuis près d’un demi-siècle, garantissait le droit des Américaines à avorter. Quelle en est la conséquence ? Chaque État sera libre d’autoriser l’avortement ou non. Le clip de « Reign of Error » se moque ouvertement des nantis, prenant des décisions à la place des Américaines.
Mike Patton s’éloigne de l’industrie musicale en fondant son label Ipecac. Aujourd’hui, il dénonce un secteur encore plus vaste. Comme si les systèmes établis n’étaient plus une source de bonheur. Comme si les mesures liberticides de ces dernières années reflétaient les vrais intérêts des gouvernants. Ne pas se rapprocher. Etre divisé. Et mieux subir l’insupportable norme.
Dead Cross assume sa veine contestataire depuis ses débuts. A nous de savoir si ses avertissements méritent une ou plusieurs écoutes. Pour ma part, mes oreilles en redemandent.
brunoaleas – Photo ©Becky DiGiglio
L’Orient en Belgique
Notre pays fut bercée par l’immigration. En Belgique, quelques artistes participent au folklore oriental. Leurs compositions caressent nos oreilles, loin des mélodies dominant les radios. Exit la trap parisienne, drill ou autre hérésie. Tamino et Wyatt. E attirent l’attention. Comment ? Pourquoi ? Découvrons leur musique.
Tamino
Tamino est envoûtant. Via sa voix, son regard ou son jeu gracieux à la guitare, le musicien illustre son héritage en musique. Tamino-Amir Moharam, d’origine égyptienne, obtient les faveurs du public à la sortie de Indigo Night. Le succès est immédiat grâce à une performance vocale jouant sur plusieurs octaves. L’apport créatif du bassiste de Radiohead, Colin Greenwood, participe aussi à la magie du tube.
Pour son retour, Tamino ne mise pas sur un single des plus radiophonique. Au contraire, The First Disciple et ses six minutes nous transporte vers un territoire mystique. Dès les premières notes, le voyage est intense. Comme s’il était impossible à l’artiste de se détacher de ses racines. On ne sait vers où il se dirige dans son clip si enivrant. Mais une pensée du navigateur français Titouan Lamazou résume cette posture : c’est l’errance qui nous oriente. Après deux années où le contact social fut prohibé, Tamino se joint aux autres, en pleine communion. Puis, on comprend que sa chanson remet en question une figure idolâtrée.
They would pay any price to kiss your skin. Don’t tell me that is loving.
You know that don’t mean nothing.
Sahar, futur second opus, aura-t-il pour thème principal la fascination ? Une initiative qui serait fascinante, à une époque où la starification devient de plus en plus malsaine. A suivre.
Wyatt E.
Wyatt E. réussit l’exploit d’invoquer les Dieux mésopotamiens. A leur écoute, quelle est la première divinité qui vient à l’esprit ? Ishtar, déesse étroitement associée à l’amour et la guerre. Comme si le trio incarnait douceur et brutalité sonores. Le disque āl bēlūti dārû invite bel et bien à planer.
L’album est sans équivoque un voyage. Il s’agit là d’une suite solide de Exile to Beyn Neharot. Marche militaire. Saz. Saxophone. A travers la recherche instrumentale du groupe, les références propres au monde oriental sont toujours aussi puissantes.
D’ailleurs, il s’y se cache un désir intime. A savoir, une volonté plutôt assumée de réaliser une introspection.
On a longtemps cherché l’identité du groupe. Avant de devenir Wyatt E., nous avons tourné en rond quelques années. Notre musique était clairement drone. Le changement s’est opéré à l’époque où nous avons rencontré notre premier batteur. C’est avec lui, en esquissant les bases musicales de ce qu’est devenu Wyatt E., que j’ai pensé que le groupe pouvait ne faire qu’un avec un projet personnel qui me trottait dans la tête depuis longtemps déjà.
J’ai des ancêtres juifs ashkénazes d’Europe de l’Est dont l’origine est assez claire, mais également des juifs mizrahis de Syrie, et là l’origine est plus laborieuse à trouver.
Cette poursuite d’identité a été fondatrice dans l’élaboration de l’univers où le groupe allait évoluer. Stéphane Rondia m’accompagne dans cette quête. -Sébastien von Landau, guitariste et claviériste de Wyatt E.
Le fond de l’histoire est le déracinement, ajoute le musicien. Lorsque Nabuchodonosor II, roi de l’Empire néo-babylonien capture les élites juives de Jérusalem, il les envoie ensuite à Babylone. Wyatt E. s’approprie ce fait historique. Le déracinement tient alors une place centrale dans l’imaginaire de āl bēlūti dārû.
Découvrir Babylone à travers les yeux des ancêtres ouvrait un champs des possibles incroyable.
DRAMA – Photo ©Antonino Caruana
LA DURE A CUIRE #67
L’équilibre de Jack White
Jack White sort des sentiers battus depuis quelques années. Il assume une posture de géant du blues contemporain. Ses deux premiers albums demeurent très accessibles. Puis, advient un jet très expérimental, voire trop foireux. Boarding House Reach mêle un foutoir impossible à retenir. L’opus est au carrefour entre hip hop, rock, sonorités de science-fiction…
Heureusement, Jacques commence à contrôler ses désirs de surprendre. La ballade If I Die Tomorrow illustre le point d’équilibre de l’artiste. On s’éloigne des lubies artistiques. On s’approche d’un morceau folk, au mixage policé. Continuer la lecture
LA DURE A CUIRE #66
Kwoon
Sandy Lavallard, nomade et aventurier, voyage seul. Jusqu’aux premières notes du moins, car c’est alors qu’il nous invite parmi les rochers inquiétants du phare hanté de Tévennec. Le voyage ne s’arrête pas là : cette valse battant au rythme des vagues versatiles se matérialise en une vidéo narrative et virevoltante. Sa fluidité entre air et eau fait presque oublier que la plasticine utilisée colle trop aux doigts que pour accompagner une musique si aérienne.
Marble
Marble ne sont pas aussi sphériques et compacts que le suggère leur nom. Leur premier single Myth, en référence au mythe de Sisyphe; cherche sa personnalité parmi des influences s’annulant parfois les unes les autres dont la résultante est une indie pop/rock catchy, simple et efficace. A la complexité du discours sur l’œuvre se heurte une simplicité solaire musicale, visuelle et lyrique. Elle n’a finalement rien à envier aux prises de tête intellectuelles annoncées par le groupe. Less is more.
Clipperton
Même au beau milieu d’un décor excentrique, la sobriété lumineuse de Clipperton attire instantanément le regard et l’oreille. Pour leur live session intimiste, le trio est accompagné d’une claviériste chanteuse dont les harmonies confirment l’élégante limpidité des compositions.
Clipperton interprète humblement et justement (à tous les sens du terme) 4 titres pop mais mélancoliques, dont Abyss sorti il y a quelques mois.
Elena Lacroix
Notre playlist Spotify
Quel est l’album de cet été ?
Quel album symbolise cet été ? La question semble ridicule. Il n’est pas question de réduire une œuvre à une saison. En tant que mélomane, je veux tomber sur les berceuses de mes jours ensoleillés. Sur les routes italiennes, une évidence me vint à l’esprit. Un mec sort du lot et défonce mes oreilles en sueur. Pourtant, la concurrence fut rude. Cet été, plusieurs artistes peuvent aisément envahir l’inconscient collectif. Miles Kane pour son côté Lennon énervé sur Change the Show. Ou Mr. Oizo et son dernier opus italo-funky-rap. Un garçon plus jeune encore remporte ma palme estivale : Steve Lacy. Continuer la lecture
L’été en France
A quoi ressemble un été en France ? Les politicards profiteront des vacances pour légiférer les pires lois. La canicule asséchera les citadins, tout comme les rats des villes.
Heureusement, la musique, cure des Dieux, rappelle à quel point la France regorge de talents. S’impose alors une obligation : partager une playlist éclectique pour danser, chanter et planer. Optons pour des artistes contemporains attirant notre curiosité. Le retour rock poétique de Mademoiselle K. La richesse instrumentale de Groundation. La fougue composée par Dégage. Ou l’electro d’opéra propre à Superpoze. Bonne écoute. Bonnes vacances ! Continuer la lecture
LA DURE A CUIRE #65
Aucklane au cœur de la nuit
Sombre. Puissant. Cru. Rebelle. Jouissif. Nightfall, premier EP d’Aucklane, se définit ainsi, et bien plus encore. En tant que fan de Kaleo (mais si, le groupe islandais en première partie des Rolling Stones cet été à Bruxelles !), je ne peux que m’extasier devant ces cinq titres.
Une atmosphère pesante, mais pas lourde, des guitares ultra présentes, mais sublimant la voix de la chanteuse, voici le combo parfait.
Musicalement, on retrouve un côté très américain, une sorte de country bien sombre, rythmée par le bruit des chaînes. Un rock assez brut, la bande son idéale pour marcher dans la rue comme si le monde nous appartenait. Avez-vous déjà entendu parler de ces personnes qui entrent dans leur villain era ? C’est un concept sorti d’internet, assez populaire sur TikTok (enfin, d’après mon algorithme). Essentiellement repris par les personnes de genre féminin, mais pas seulement, c’est un moment charnière dans une vie : un wake up call, une révélation. L’ère du méchant, c’est le moment où l’on s’arrête, on redresse nos épaules, et on voit le monde sous un jour nouveau. C’est un refus de se laisser marcher dessus. C’est reprendre sa vie en main sans se soucier de l’avis d’autres personnes. Très féminin à nouveau, car sans vouloir me lancer dans un discours féministe (ce n’est ni le lieu, ni le moment, quoique), cela représente aussi la reprise de contrôle sur son corps, sur sa vie, sans prêter attention aux diktats de la société patriarcale.
C’est la sublimation du féminin sacré.
Nightfall rentre parfaitement dans ce contexte de reprise de pouvoir. Puis, essayez de rester triste et de baisser les yeux avec « Ghost In The Hall » dans les oreilles. Aucklane utilise sa voix et son talent pour nous gonfler de confiance. On ne peut que l’en remercier.
Au niveau de ses textes, la chanteuse liégeoise utilise la nuit comme fil rouge. Irais-je jusqu’à pousser le vice pour faire des liens entre la nuit, la Lune, et la représentation du féminin ? Je m’arrête là. J’ai compris. Il n’empêche, cette fascination pour les heures les plus sombres transparaît dans chaque chanson du projet. Cela lui confère une aura mystérieuse et envoûtante. Aucklane chante un monde caché, où elle retrouve sa puissance parmi les ombres.
La dernière chanson de l’EP, « Over Here », abandonne ce caractère mystique : une guitare acoustique, un rythme plus lent, une voix plus fragile. La chanson nous rappelle que ce n’est pas grave d’être effrayé durant la nuit. Ca arrive aux meilleurs d’entre nous.
Peu importe au final que la nuit nous renforce ou nous engloutisse. Peu importe que nous restions courageux face à la noirceur ou que nous nous cachions sous les couvertures. Ce qui compte, c’est ce qu’on fera du jour, une fois le Soleil levé : resterons-nous cachés par des couches et des couches pour nous protéger du monde ou prendrons-nous exemple sur la Lune, en brillant pour ceux qui ne trouvent pas la lumière ?
ephios – Photos ©Pierre Vachaudez & ©Yves Maquinay
Sonic Tides et l’insomnie
L’insomnie. Un thème analysé pour la troisième fois. D’abord, lors d’une interview avec Good Morning TV. Qu’apprenait-on ? Les insomniaques demeurent très créatifs, même lorsque leurs yeux défient le sommeil. Ensuite, nous nous penchions sur le manga Insomniaques, ou comment la solitude nocturne est bannie à deux. Dernièrement, Sonic Tides signe son retour en illustrant les affres de la nuit. « Insomnia » ne s’éloigne pas de leurs précédentes productions. Les guitares sont à l’honneur. L’ambiance est garage grunge. Les Liégeois offrent une généreuse expérience dépassant les six minutes.
Certes, les jeunots sont insomniaques, mais il ne perdent rien de leur énergie. Ils en profitent pour donner carte blanche à Simon Medard. Gilles Vermeyen, chanteur/guitariste du groupe, décrit en profondeur la participation du réalisateur.
Simon Medard a réalisé tout le clip avec ses assistants. Il avait une grande liberté quant aux choix des visuels. Nous avions eu quelques réunions en sa compagnie. On lui a raconté nos rêves, nos phases d’insomnies On lui a aussi livré les paroles et notre vision de la chanson.
Ces partages, Simon les appelait ‘nourriture mentale’. Puis, il est revenu vers nous, en montrant ses dessins au fusain, ses scans de livres, ses idées de rotoscopie.
Les images du clip amènent à diverses interprétations. D’après le musicien, aucun message caché n’est à percevoir. Les séquences sont au service de la mélodie brutale et calme à la fois. Elles illustrent un chemin cyclique, où un protagoniste subit de faux réveils, en pleine transe. Comme si un chaos environnant était insécable au mental des non-dormeurs.
Notre personnage suit une trajectoire sans fin, sans but. Il n’y a pas de Valhalla à atteindre. Il se promène de décors en décors, de rêves en rêves, tout en revenant à la réalité, une fois dans son lit. Il n’y a pas de destination finale.
Saluons l’inventivité de la bande ! Qui ne se reconnaît pas dans cette aventure multidimensionnelle ? Que désirer pour la suite ? Les musiciens de Sonic Tides en étant toujours prêts à délivrer d’autres clips aussi travaillés.
brunoaleas – texte et photos