LE LYRICISTE DU HAVRE
A l’occasion de son concert à Liège, le 16 décembre dernier, Tiers Monde a accepté une interview pour jcclm. Nous avons abordé plusieurs thèmes comme ses textes ou encore ses futurs projets.
Dans tes chansons, tu utilises énormément de punchlines et pourtant, on dirait que tu refuses justement cette course à la punchline pour être le meilleur.
Alors au final, quelle signification ont-elles dans tes textes ?
Au départ, « faire des punchlines » m’a toujours donné l’impression que ça me rendait fort. Je respecte énormément les rappeurs qui ont beaucoup de punchlines. Malheureusement, je trouve que plus tu en mets dans le morceau, moins il y a d’esprit dans le morceau. Il y a moins de profondeur, ou même moins d’émotions. Donc, c’est vrai que j’essaye souvent de trouver un juste milieu dans mes sons pour transmettre de l’émotion plutôt que d’être là à faire le spectacle, tu vois ? Pour moi, mettre trop de punchlines, c’est un peu comme les troupes de basket qui font le spectacle (Harlem Globe Trotters). Il faut trouver un juste milieu. Je pourrais comparer ça aussi à un match de boxe. Quand tu arrives au combat, tu ne dois pas mettre que des gros coups, d’abord tu en mets des petits et t’essayes de travailler le truc. Je suis dans cette optique là, c’est-à-dire garder l’esprit dans mes sons.
Tu utilises pas mal de références qui viennent de plusieurs horizons. Tu peux passer du manga à l’histoire, puis repasser par le foot et j’en passe. Comment t’organises-tu pour travailler ?
Je m’organise pas moi. (rire) Non, en fait c’est souvent des choses que je croise dans mon quotidien, je regarde énormément de reportages, de matchs de foot ou de dessins animés. Récemment, j’ai repris la lecture. Ça faisait longtemps que j’avais arrêté et malgré les apparences, je me remets à lire doucement. Des choses du quotidien me donnent des idées. Je me dis que telle chose peut rimer avec telle autre ou que je peux faire une blague avec ça, etc. Ou alors, j’essaye de trouver ce qui se rapproche de mon thème. Mais y a pas vraiment d’organisation de travail, j’essaye juste d’avoir plus de rigueur en terme d’horaire, de bosser musicalement le matin et lyricalement l’après-midi. C’est la seule organisation que j’ai.
Tu utilises beaucoup de métaphores dans tes textes. Rien que le son « Babel » est basé sur une métaphore en réalité, celle de la tour de Babel. Ça apporte quoi à tes textes pour toi ? Quelle est l’importance de toutes ces métaphores ?
C’est un kiffe parce que je suis quelqu’un qui a appris à aimer la langue française. A l’époque, j’écoutais des morceaux de rap comme ceux de Iam ou de MC Solaar. Ils utilisaient beaucoup ce genre de figures de style. Du coup, c’est un truc qui se perd un peu et j’avais justement l’envie, notamment dans le morceau « Babel », de faire un peu ça, de prendre tout un morceau quasiment au deuxième degré par rapport à une référence. Je l’ai fait et ce n’est pas plus mal, je suis content du résultat.
Aussi bien dans No Future que dans 404 Error de Brav’, on a pu voir que vous reformiez Bouchées Doubles. Est-ce que la reformation du groupe pour un futur album est envisageable ou pas ? Pourquoi ?
Le groupe Bouchées Doubles n’est pas mort, c’est simplement pas le moment de refaire un album de par ses projets et mes projets. Faut juste attendre que les planètes s’alignent.
Maintenant on va parler de ton prochain album Mamadou que tu as annoncé d’une manière surprenante à la fin de ton précédent projet. Tu as dit qu’il parlera de toi mais quand on y regarde de plus près, tu as déjà parlé de toi dans tes morceaux. Qu’est-ce qui va fondamentalement changer dans tes futurs textes ?
Ça va être un peu plus précis. Je vais parler de petites choses qui me gênent, de mes défauts ou en tout cas, ce que je considère être comme des défauts. Des défauts qu’on a tendance à cacher, il va être là le travail. Dé-filtrer certaines apparences que j’aie parce que je sais que de par mon label et mon style de rap, les gens se disent: « Il est exemplaire. ». Mais ce n’est pas si facile que ça, on va vraiment se concentrer sur ça et aussi parler un peu plus des problèmes familiaux parce que quoi qu’il en soit une famille c’est uni mais c’est aussi un synonyme de petits problèmes. C’est aussi de ça que je veux parler sans trop m’étendre. Il ne va pas il y avoir des morceaux fleuves où je parle que de mes relations, que de mes parents ou autre, ça va vraiment être disséminé dans plusieurs morceaux parce que je crains que ça ne lasse trop les gens de faire 10 morceaux où je ne parle que de moi. Les mêmes raisons qui m’ont poussé à ne pas parler de moi aujourd’hui sont encore valables aujourd’hui et font que je me dis qu’il y a plus important que moi. Je me dis que ça dépasse ma personne. Par exemple, ce qu’il se passe aujourd’hui en Syrie, ou d’autres cas comme ça, sont plus importants que les petits malheurs de Mamadou qui habite au Havre, tu vois ce que je veux dire ? Donc y a toujours ces raisons-là qui me mettent une petite réserve et qui me disent qu’il y a des choses plus importantes à citer que le fait que mon plat ne soit pas assez salé.
Ça va être comme une remise en question du coup ?
Ça va être un changement de méthode de travail mais ce sera pas grand chose parce que c’est aussi un truc que j’ai envie de faire. Je pense que ça va être cool, y a pas de raisons que ce soit plus galère que ça. Voilà, pour pas te mentir, j’ai déjà quasiment 6 maquettes. J’ai déjà commencé à faire un peu le travail et je ne sens pas la difficulté.
Qu’est-ce qui t’a poussé à vouloir faire un album si personnel tout à coup ? Est-ce que c’est dû à un événement ou autre chose ?
Non. C’est tout simplement qu’à chaque album, j’essaye de faire quelque chose de différent. En finissant l’album No Future, je savais déjà qu’il fallait que j’écrive différemment mes textes, donc je l’ai annoncé tout simplement et musicalement on est en train de décider ce que ça va être. Le défi va être d’emmener le rap un peu plus loin musicalement.
Est-ce qu’on aura droit à quelques featuring sur ce nouvel album ?
On n’a pas encore décidé de tout ça. Moi, j’aime bien utiliser les featurings nécessaires. Je ne suis pas un gars qui va dire: « Il me faut lui, lui, lui. ». Je réfléchis plus à « lui, il va apporter ça dans ce morceau-là » . Vu que le projet est encore en construction, je ne saurais pas encore dire quelque chose comme: « Il manque quelque chose dans ce morceau et lui pourrait amener ce que je souhaite. ». C’est vraiment pas un calcul du type : « Lui, il a fait le buzz faut que je le ramène absolument. ». C’est surtout des questions de nécessité en ce qui concerne le morceau.
Une date de prévue peut-être ? Ou une période ?
Une période… Ce sera en 2017 pour sûr, mais je ne sais pas encore. Ça dépend de plein de trucs et surtout de mon rendement pendant le mois de décembre et janvier. Là, on est déjà mi-décembre donc on verra.
Il y a un membre de jcclm (Drama) qui m’a tanné pour que je te demande ce que veut dire « Molo Bolo ».
Dis-lui… (rires) Dis-lui que je suis sous-scellé. Il y a mon huissier juste là, je ne peux rien révéler. Je pense qu’à la fin de ma carrière, avant de partir, je vais recruter un nouveau Tiers Monde et je vais lui dire: « Tiens, ça veut dire ça. Maintenant débrouille toi. ». Ça peut être un bon délire ça, non ? Un héritier.
Laurent Grauls / Interview faite le 16/12/16