Autrement appelé Harry Potter à l’école des furries sodomites, The Wize Wize Beasts of the Wizarding Wizdoms est un manga paru en 2020 aux éditions Komikku (2015 au Japon) et réalisé par le jeune et talentueux Nagabe (Le patron est une copine ou encore L’Enfant et le Maudit). À côté des sortilèges et des potions, c’est surtout l’alchimie amoureuse entre créatures anthropomorphes que l’auteur met en scène à travers une série d’histoires courtes, touchantes et au style graphique inimitable.
Il y a bien longtemps, un puissant sorcier appelé Wizdoms décida de doter certains animaux de la capacité de devenir des thérianthropes, des animaux à forme humaine, doués de connaissance et avides de propager leur savoir. C’est ainsi que n’acquirent des écoles, dont la plus célèbre n’est autre que Poud… Wizdoms. Ici, pas question de sauver le monde d’un puissant mage maléfique, mais des apprentis sorciers confrontés à un autre type d’adversaire : leurs sentiments amoureux.
Nagabe choisit huit histoires pour nous exposer des situations drôles, touchantes et intelligentes sur l’amour sous toutes ses formes : l’amour à sens unique, celui inavoué, celui qui se découvre ou qui ne sait pas encore. On appréciera le descriptif zoologique de chaque espèce mise en scène dans l’histoire racontée (même pour le dragon, oui oui).
Pour ceux qui ne connaissent pas le yaoi, ou boy’s love, il s’agit d’un genre qui met en scène des relations amoureuses entre hommes… et qui pose problème par ses agressions sexuelles normalisées et son absence de réalisme dans son traitement de l’homosexualité dans la société. Avec ses relations stéréotypées entre un uke (« pénétré ») et un seme (« pénétrant »), ce genre présente souvent des rapports très conventionnels et des récits figés. Celui qui endosse le « rôle » de la fille adopte aussi son comportement soumis et fragile, tandis que celui qui « joue » l’homme domine et impose. Cela vaut aussi dans l’intimité où le consentement est accessoire et les agressions sont romantisées. Ajoutons à cette problématique le fait que l’homophobie n’est que trop peu abordée. Et c’est dommage, parce que le yaoi pourrait être militant et participer aux luttes LGBT+ s’il représentait autre chose que des histoires d’amour pour adolescentes. C’est pourquoi, j’ai été très agréablement surprise par les choix narratifs de Nagabe : des personnages variés, attachants, des comportements non toxiques et des mises en scène réalistes. Que demande le peuple ? Quant à la réception de l’homosexualité au sein de l’univers, le récit d’un protagoniste nous laisse voir que même chez les thérianthropes, la bêtise et la peur de l’inconnu mènent au rejet et à la haine.
Il faut dire que le style de Nagabe permet un réalisme étonnant grâce à des traits soignés et efficaces. La délicatesse des récits est soutenue par celle d’un dessin raffiné. Négligeant parfois les décors, le mangaka investit surtout les éléments qui donneront à ses dessins de l’intensité et du dynamise dans la narration.
Quand je parle d’« histoires intelligentes », ce n’est pas pour rien : par quelques phylactères, l’auteur évoque un univers qu’il a construit et réfléchi. Il y a les thérianthropes et la « race faible », ceux qui n’ont pas eu la chance de changer de statut et qui sont condamnés désormais à servir de biens de consommation aux autres. « Tous les animaux sont égaux, mais certains le sont plus que d’autres », n’est-ce pas Orwell ? En réalité, cette inégalité entre animaux est claire et parfaitement établie dans le monde de Wizdoms. Alors que les personnages de Beastars sont confrontés à de douleurs dilemmes moraux, ceux de TWWBOTWW (#PayeTonAbréviation) ont très bien intégré le fait que ce sacrifice est nécessaire à l’équilibre de leur société. On regrette juste que Nagabe se soit astreint à de courtes histoires d’amour quand tout un univers de problèmes éthiques et de combats moraux pouvaient être évoqués entre deux baisers dans les couloirs et une déclaration d’amour.
Si vous aimez les univers magiques et les histoires d’amour entre animaux, foncez !
Giulia Calamia