Il y a énormément de façons de danser. Il y a énormément de façons de vivre et de ressentir la puissance aux multiples facettes du déferlement d’émotions d’un concert de Psychotic Monks. Au Micro Festival de Liège, le groupe parisien s’expose, viscères au dehors. Il partage cette intimité avec un public transcendé, prêt à recevoir encore davantage. Il est bien vite comblé, bien vite submergé. A un rock qui met des claques, les Moines ajoutent, explorent, et nous suivons, tous parcourus de cette énergie, des virages intenses entre larmes d’euphorie et rires frénétiques. La transe s’installe. Chacun dansant à sa manière, tous au même rythme.
Rencontre désarçonnante avec des personnes cohérentes, pas uniquement dans l’apparence, et inspirantes pour l’artiste, pour l’individu, pour l’âme.
Vos concerts sont des cérémonies où règnent la bienveillance et le respect. En ne vous étant pas encore imprégné de l’ambiance du Micro Festival, à quoi ressemblerait un festival dans lequel vous auriez envie de transmettre votre musique ? Livrez-nous votre première impression du festival.
Paul (basse, chant, claviers, trompette) : Nous avons déjà retrouvé pas mal d’amis et de groupes qu’on connaissait, tout était toujours bienveillant. Les groupes qu’on connaissait, qu’on a croisés, nous ont dit que tout s’était super bien passé. C’est le genre d’ambiance qu’on aime bien retrouver. Souvent, quand on vient en Belgique, ça se passe bien. Les endroits dans lesquels on a des difficultés, c’est dans des grandes capitales, comme à Paris, le soir, quand il y a beaucoup d’alcool. Mais ici, je pense que tout va bien se passer.
En live, vous communiquez une énergie fougueuse qui fait partie intégrante de l’esthétique de votre projet. Comment considérez-vous la place du live dans votre projet ?
Clément (batterie, chant) : Il y a eu longtemps l’idée de s’oublier un peu là dedans, d’y aller à fond. Ca évolue avec le temps. Au début, le but était de rechercher une grosse transe. Nous avons chacun notre définition du concert, mais petit à petit, ça se transforme en une recherche d’être connecté le plus possible avec le public pour ma part, et de toujours garder cette dimension introspective pour que lorsqu’on sort du concert, on soit complètement soulagés. C’est dans tous les cas très liés à la musique. C’est super important. Quand on sort sans avoir ressenti ce truc (prononcé avec insistance), on est un peu frustrés.
Comment savez-vous que vous l’avez justement ressenti, que vous étiez en transe ?
Tous ensemble : On n’est pas tous d’accord !
C’est justement très intéressant. Chacun, vous avez votre définition de cet état.
Clément : C’est très inégal. Certains soirs, on sera deux sur quatre à avoir trouvé ça génial, et les deux autres auront trouvé ça plus compliqué. Ca dépend des places sur scène, du son, … Ce qui me plaît le plus, c’est quand je déconnecte. C’est ce moment quand je sors de scène, et je ne sais plus où je suis, que je ne sais pas trop ce qui s’est passé, mais que je sais que ça m’a fait du bien.
Martin (guitare, chant) : A titre personnel, c’est un vrai exutoire. Ca me fait énormément de bien. Il faut aussi trouver l’équilibre entre le fait de jouer pour nous, mais aussi le fait d’avoir des gens qui sont là, et d’essayer de trouver la connexion avec ces gens. Si on est trop renfermés sur nous-mêmes, ça se sent et la connexion peut ne pas avoir lieu. Par le passé, on a pu dégager des trucs parfois un peu trop intenses, parfois faire peur aux gens ou sembler trop fermés. Ce sont des choses qu’on essaye de débloquer, également par la musique qu’on fait, pour aller chercher d’autres émotions. C’est un équilibre sur le fil, qu’on essaie de chercher.
Paul : Sur le discours, on se rejoint beaucoup tous les quatre. C’est sur les sensations que nous partons sur des choses différentes. Parfois c’est difficile de se capter à 100% car pendant un concert nous ressentons parfois les choses différemment. On a parfois l’impression que l’un est dans tel ou tel état et c’est en sortant du concert qu’on se rend compte que c’était plus difficile pour lui, sans qu’on l’ait perçu ainsi. Nous discutons aussi beaucoup d’art thérapie et de ce genre de notions, et une partie de nos concerts est aussi un terrain d’exploration pour ça. Ca évoque en tout cas des choses différentes pour chacun d’entre nous, et c’est un endroit de liberté qui est en plus communicatif avec le public, une énergie fougueuse à la limite entre le contrôlé et le non contrôlé. On discute beaucoup des limites qu’on doit se mettre ou non, pour être à l’aise et dans le respect de cet équilibre.
Arthur (guitare, chant) : Je rejoins beaucoup ce qui a été dit. A titre personnel, je ne me sens en général pas très bien dans la société dans laquelle on évolue. La scène et cet univers musical me permettent de me sentir bien, de créer, pendant un moment éphémère, un espace où je peux me sentir plus libre et où je peux extérioriser des choses qui ont du mal à sortir en dehors de cet espace. Parfois ça se passe, parfois pas. Si ça ne se passe pas, ce n’est pas grave. C’est aussi l’intérêt du spectacle vivant, que le lendemain, ça pourrait être différent.
Martin : Comment on sait ? Pour ma part, ça arrive souvent qu’en sortant de scène, je me rappelle que le concert se soit passé, d’avoir ressenti des choses, sans justement trop savoir… Le retour du public est alors très intéressant pour voir si cette connexion est bien passée. Ca transforme complètement la perception qu’on peut avoir eue de la soirée et du concert. S’il y a un moment où les gens ont senti qu’il se passait quelque chose (qu’ils n’ont pas compris, rires), alors ça change tout. Mais en général, quand ça se passe mal, on s’en rend compte tout de suite, les gens s’en vont (rires).
Tant dans vos concerts que dans votre manière de répondre aux questions, tout le monde semble sur le même pied d’égalité. En live par exemple, les rôles de chacun sont définis mais en même temps fluides. Les places sur scène ou le chant varient.
Retrouvez-vous cette versatilité dans le travail de composition ?
Clément : Une des bases du groupe a été justement de ne pas avoir de leader, de se partager le chant au maximum, de tout faire pour que tout le monde s’y retrouve et qu’on puisse partager un maximum. Pour la composition, on passe beaucoup par la méthode jam. C’est beaucoup de discussions, de relevés, et en live, on passe par les quatre personnes. A partir de nos quatre personnages, on amène différentes idées. On sort de cette représentation du chanteur lead du groupe de rock.
Paul : Le terme de fluidité que tu as employé résonne beaucoup. Ce n’est pas une vraie égalité totale au sens strict, plutôt une fluidité dans le sens d’essayer de briser les structures hiérarchiques et les frontières. C’est ça qui nous intéresse musicalement, socialement, psychologiquement. C’est un terme bien utilisé.
Martin : L’idée est de créer un espace où on se sent tous les quatre libres le plus possible. Libres de mettre ce qu’on veut dans le groupe. Donc, c’est assez mouvant. À certains moments, certains d’entre nous portent davantage sur certains aspects, mais ça finit par s’équilibrer à chaque fois. On se retrouve toujours autour de la musique. Il n’y a donc pas qu’un seul compositeur et la façon dont on crée la musique s’est transformée comme ça : on ne part de rien, on se met à quatre dans un studio de répète et on jam ensemble.
Paul : La seule chose que j’aurais à ajouter, c’est que la démocratie, c’est de la merde (rires). Au départ, on se revendiquait groupe démocratique… Tu as employé le mot fluide, je m’y suis reconnu. Quand on est quatre et que la majorité souhaite faire telle chose, la démocratie voudrait que cette majorité l’emporte. Comment fait-on alors pour être le plus horizontal possible, sachant qu’on est des personnes différentes avec des caractères différents ? Alors on s’équilibre. Mais certains ont tendance à prendre davantage le lead sur telle ou telle chose. Notre force, c’est cette différence. C’est toujours un travail en cours de rechercher cet équilibre. En tout cas sur scène, ça fait plaisir car récemment, on ressent que chacun a sa place qui ne déborde pas sur celle des autres. C’est encourageant d’entendre ça (que cette fluidité des rôles se ressent).
Vous défendez des valeurs de localité, de circuit court, que ce soit sur vos réseaux sociaux et également de par les endroits dans lesquels vous préférez jouer.
Vous avez notamment travaillé avec Clara Marguerat pour vos photos de groupe. Est-ce important pour vous de mettre en valeur la proximité ?
Clément : Tant dans les gens avec qui on travaille que dans les dates de concert, on privilégie les dates associatives. Lorsque des amis à nous font de la photo, on essaie de commencer quelque chose, de regarder si ça marche… C’est aussi se laisser le droit à l’erreur. On a toujours essayé de bosser avec les gens autour de nous. Mais on n’a pas toujours été super bien organisés, parce que le groupe nous prenait beaucoup de temps et ça nous a demandé de remettre pas mal de choses en place. Pour le prochain disque, on vient de s’ouvrir à des gens qu’on ne connait pas du tout. Le circuit court, c’est important. J’apprécie cette démarche. Elle influence les choix de nos dates. Les dates associatives nous ont énormément aidées. Les associations qui sont montées sont vraiment super.
Ce soir, vous allez jouer de nouveaux morceaux. Par rapport à votre dernier album, assez narratif, divisé en chapitres, très sombre et introspectif, comment vous orientez-vous pour ces nouveautés ?
Paul : On va faire un tour pour ça ! Pour ma part, ce qui me vient, c’est envie d’être plus invitant à danser d’une manière ou d’une autre, quelle que soit l’esthétique. Une danse qui serait le plus possible dans l’inclusivité. Évidemment, il y a plein de manières de danser, mais dans ces nouveaux morceaux, il y l’idée de ce lâcher prise, d’être à la fois très introspectif mais aussi de partager avec la personne qui est à coté de soi, en bougeant au même rythme et en dansant ensemble. On se rapproche aussi de certains codes de musique électronique…. On en a beaucoup discuté entre nous, on était sûrs de ne jamais faire ça (rires). C’est toujours comme ça, il y des choses qu’on pensait ne jamais faire. Puis, on en vient à se demande comment on en est arrivé là. Du moment qu’on est tous les quatre alignés sur ce qu’on a envie de faire au moment où on monte sur scène, je pense qu’on essaie le plus possible de se laisser libre de ce qu’on peut faire.
Arthur : Nous, on a envie de faire de la pop, et c’est vraiment ce qu’on essaie de faire. C’est juste qu’on n’y arrive pas vraiment (rires). C’est ce vers quoi, en tout cas, on essaie de tendre. La pop vers laquelle on essaie de se diriger, c’est quelque chose qui aurait une forme d’accessibilité. Un style qui permettrait aux personnes qui nous écoutent d’êtres invitées dans des endroits où ils n’iraient pas forcément. Il y a toujours cette notion, ce fantasme de permettre aux personnes de pouvoir découvrir des choses, des émotions en elles. Faire en sorte que sans ces portes-là, ces gens n’auraient pas eu forcément accès. Ce vers quoi on se dirige. On se dit que c’est de la pop, mais on est les seuls à le penser (rires).
Martin : Nous avons traversé une période avec l’album précédent, quelque chose d’un petit peu dur, de très sombre, qui allait chercher ce genre d’émotions. Je pense qu’on a eu vraiment besoin de s’en détacher. Peut-être que ouvert est le bon terme. Je dirais que je recherche la sensation dans le corps, sur le moment. Je rejoins Paul sur le fait de faire lancer les gens, même si c’est à notre manière, d’aller chercher davantage dans ces codes-là, même dans la manière dont on s’exprime sur scène, d’être plus lumineux. En tout cas c’est comme ça que je l’imagine. Plus de sourires aussi. La question est aussi un peu difficile car c‘est une éternelle recherche. Pour compléter, ce qui me plaît, c’est de me surprendre des directions qu’on finit par prendre et d’à quel point il ne faut jamais dire jamais. S’il y a quatre ans, on m’avait dit qu’on explorerait certaines esthétiques qu’on explore actuellement, je n’y aurais pas cru, alors que finalement on s’y plaît beaucoup.
Clément : On avait tendance à un peu romaniser la musique, à faire des références à des films, faire des chapitres. Maintenant, au lieu d’être dans l’introspection, on se tourne un peu plus dans une sorte de partage d’intimité. On désire apprendre des autres, libérer une parole. Je le vois comme essayer d’arriver à une sorte de simplicité, pour que le contact se fasse plus directement avec les gens, même si on a toujours un travail de personnage sur scène car on y est tous différents. On aimerait essayer d’arriver à la simplicité la plus pure. D’être juste là. D’être avec les gens.
Martin : Quand on a commencé à faire des concerts, ça a été une période de vie où je découvrais beaucoup sur mon environnement et sur moi-même. La musique et les concerts ont vraiment été un endroit où j’exprimais beaucoup de colère ressentie au quotidien, autour de moi. L’illustration de plusieurs incompréhensions. Je trouvais ça apaisant, car je ne ressentais plus de colère ailleurs. Je la déplaçais uniquement dans la musique et les concerts. Je pouvais m’assurer que ça ne jaillissait pas ailleurs, sur les autres ou sur moi. Durant la période covid, les concerts étaient annulés. Comment faire quand on est habitué, pendant un an et demi, à mettre toutes ses émotions quelque part ? Devais-je les mettre ailleurs ? On a continué à se voir, à faire de la musique, et certaines choses ont changé aussi. C’est parfois fort légitime d’être en colère. J’aimerais pouvoir exprimer d’autres émotions sur scène maintenant. En écoutant d’autres artistes, je me suis rendu compte qu’il y avait de la place pour tout ce qu’on peut ressentir. Ce qui est compliqué aussi, c’est que quand certaines personnes apprécient ce qu’on fait, le changement peut faire peur. Mais autour de nous, nous sommes toujours inspirés par des gens qui prennent le risque d’évoluer, car il y a toujours cette possibilité de déplaire. A notre échelle, ça va. C’est difficile pour quelqu’un d’être toujours identifié à faire quelque chose de particulier, puis de proposer quelque chose de nouveau. Au niveau identitaire, ça peut être un peu bizarre. On essaie de demeurer libres d’évoluer.
Paul : Il y a toute une imagerie autour de la musique qu’on a pu faire et qu’on fait, on a même voulu en faire partie. Désormais, on essaie un peu de le déconstruire. Ca peut être un but en soi, si à la fin d’un concert, on peut arrêter de nous dire : ça fait du bien de voir du gros rock qui met des claques. Je n’ai personnellement plus trop envie d’entendre ça. Mais chacun y voit évidemment ce qu’il veut. On a encore des phases, qui parfois, font référence à ces codes-là. On essaye de s’en éloigner et de chercher d’autres sonorités.
Interview menée par Elena Lacroix – Photos ©Quentin Perot & ©Clara Marguerat