Etre un bon rappeur est sans aucun doute un atout non négligeable pour espérer se faire un nom dans ce milieu, mais pour percer au-delà, c’est loin d’être suffisant.
Still Fresh en est un très bon exemple et, à l’écoute de son nouvel album Cœur Noir, on peut deviner qu’il a compris cela, peut-être un peu trop bien…
Mais avant de s’attaquer à ce qui, visiblement, me laisse perplexe avec ce nouvel opus, revenons sur ce qu’a réalisé Still Fesh auparavant et sur ce qui l’a amené à faire ce qu’il fait aujourd’hui.
Né en 1993, avant même d’avoir atteint la majorité, il se fait remarquer et commence à être reconnu par ses ainés, louant sa technique irréprochable. Il enchaîne donc les collaborations et les petits projets jusqu’à un vrai premier album en 2013, intitulé Marche ou rêve. Sauf que c’est à ce moment-là qu’on se rend compte qu’un rappeur qui était très bon pour son âge n’est pas forcément un bon rappeur tout court.
Non pas que cet album fut une catastrophe. Encore une fois, techniquement, rien à redire mais si jeune, il est difficile d’avoir une vrai maturité artistique permettant de sortir du lot. On pourrait même lui reprocher à l’époque, d’avoir été naïf en ne proposant pas ou trop peu de titres dit « commerciaux » lui permettant de booster un peu plus les ventes. Résultat des courses, un premier album très oubliable qui n’est ni une réussite sur un plan comptable, ni même un succès d’estime pour celui considéré en ce temps-là (par certains) comme la relève du rap français.
On peut alors se lancer dans un peu de psychologie de comptoir et affirmer sans trop faire de charlatanisme que Still Fesh a été très déçu des retours sur Marche ou rêve. Une révélation divine qui m’est venue dès les premiers instants d’écoute de ce nouvel album sorti quatre ans après le premier. Un changement radical de style s’est opéré. Fini les phases et les rimes complexes, ce qui marche en 2017 c’est de pousser la chansonnette !
Rien de grave à cela. Changer de style, s’adapter aux tendances est somme toute logique. Mais ce qui va nous intéresser désormais c’est le pourquoi et le comment de ce changement. J’ai répondu en partie au pourquoi en évoquant la très probable déception ressentie pas Still Fresh après le peu de succès rencontré par son premier album. On peut très bien imaginer aussi que ce passage d’un rap technique à ce qu’on va qualifier de « variété urbaine » est un pur choix artistique. Adopter ce style est surement depuis ses débuts dans un coin de sa tête et que, coup de chance, au moment où il veut relancer sa carrière, cinq ans après un échec, ce qu’il a toujours voulu faire inonde les ondes et fait des millions de vues sur YouTube, à l’image de ce que font des rappeurs comme Keblack ou Naza. On pourrait également comparer ce changement de cap de avec ce qu’est en train faire un artiste comme Némir. Lui aussi est revenu il y a peu, après une longue absence, avec un clip, « Des heures ». Lui aussi était auparavant reconnu par ses pairs comme un rappeur très technique et lui aussi a complètement changé de style en se mettant à la chansonnette. Mais le jeu des similitudes s’arrête ici. Car si l’on continue la comparaison, ma belle théorie du pur choix artistique Still Fresh s’effondrerait assez tristement. Car avec un seul titre, Némir donne une leçon à son jeune confrère en terme de musicalité, nous démontrant que ce genre qu’est la «variété urbaine» peut très bien rimer avec ambition, originalité et recherche. Un seul titre qui vaut largement plus que la proposition que nous fait Still Fresh avec Cœur Noir. Vous l’aurez compris, la réponse au « comment cet album a été conçu », est très simple : sans aucune considération pour le jeune rappeur qu’il était, et qui lui avait permis, il y a quelques années, d’être considéré comme le futur du rap français.
Ne me croyez pas fleur bleue au point de penser qu’un artiste doit obligatoirement faire des choix de carrière en fonction de ses inspirations artistiques. Bien sûr que je comprends et que j’accepte (jusqu’à un certain point) la démarche de vouloir gagner sa vie avec sa musique quitte à faire quelques compromis éthiques. Mais je pense aussi qu’il faut à un moment, avoir eu le mérite de quelque chose. Le mérite de bien écrire, le mérite de savoir faire des refrains très accrocheurs, le mérite d’avoir été au bon endroit au bon moment, même Jul doit bien avoir le mérite d’avoir fait quelque chose pour vendre autant de disques…
Still Fresh s’est renié et a cédé à la facilité pour espérer enfin percer auprès du grand public. Un « effort » pas suffisant à mon goût et apparemment pas seulement au mien puisque l’opération séduction à grande échelle est en train de virer à l’échec au vu des chiffres de ventes décevantes de Cœur Noir près d’un mois après sa sortie.
Justin Instant