Nicolas Michaux Interview

Ex-membre d’Eté 67, Nicolas Michaux livre quelques mots au sujet de son album solo nommé A la vie, à la mort. Le surpeuplement, le surréalisme ou le patrimoine belge sont notamment des thèmes qui enrichissent cet entretien.

Est-ce qu’il y a moins de pression à faire un album en solitaire qu’avec un groupe ?

Il y a plus de pression quand t’es en solo. On a vraiment l’impression, quand on travaille sur un album solo, qu’on a plus de choses à assumer pleinement, comme par exemple, le nom sur la pochette. Tandis que quand on est dans un groupe, on peut toujours se dédouaner, se dire que c’est un travail collectif et que j’en suis qu’une partie. La nécessite d’assumer un projet, une fois en groupe, est moins grande. En ce qui concerne cet album, c’est mon premier en solo et dans la mesure où ce n’est pas un nom de scène ou un concept, c’est plutôt l’album d’un artiste qui s’appelle Nicolas Michaux dans la vraie vie, tant sur scène que sur disque. Je voulais que ça me ressemble et que se soit honnête sur ce que je suis et sur ce que je crois être. Je voulais que ce soit assez fort, dès le premier album.

J’ai pensé à cette question car assez souvent, diverses mentalités se rencontrent dans un groupe et peuvent être source de désaccords.

C’est-à-dire qu’il y a plus de liberté dans ce qui est de concevoir, d’écrire et d’enregistrer l’album puisque j’ai pu choisir les musiciens avec lesquels j’ai décidé de travailler, en fonction des morceaux. Ça peut sembler figeant. Dans un groupe, on sait très bien qu’on continuera avec qui on a commencé. Il y a plus de liberté dans un projet en solo mais quand il s’agit de sortir le disque et de se rendre compte qu’il devra être dévoilé à la face du monde, il y a alors plus de pression que quand on est six à l’assumer.

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Avant de sortir ton opus, tu étais au Danemark. Qu’est-ce qui t’as inspiré pour tes chansons, lors de ton séjour là-bas ?

C’est toujours difficile de pointer un certain nombre de choses et d’identifier précisément ce qui m’a influencé le plus. Partir au Danemark m’a donné beaucoup de temps et pas mal de solitude. J’étais là pour retrouver ma copine et à part elle, je ne connaissais personne en arrivant. Du coup, j’avais beaucoup de temps pour lire, regarder des films, me balader dans la forêt ou aller la mer. Ce qui a réellement participé à mon inspiration, c’est une espèce de porte ouverte sur une période de ma vie, sur un autre rapport au temps. Je pense que le temps et la solitude que j’ai eu là-bas, m’ont aidé à creuser un peu plus profondément les thèmes qui me travaillent en général, dans mon écriture et ma composition.

Es-tu d’accord sur le fait qu’il faille savoir s’ennuyer ?

C’est peut-être un peu prétentieux de dire ça mais plus je vieillis, moins je m’ennuie. Je me souviens quand j’étais ado, j’étais à l’Athénée d’Esneux et parfois, il y avait des après-midi où on ne savait pas trop quoi foutre. Le temps paraissait très long alors qu’il était juste deux heure de l’aprem. On attendait « je sais pas quoi » à la fin de la journée. Je me suis parfois ennuyé à cette époque mais ça fait longtemps que je ne m’ennuie plus. J’ai toujours une curiosité pour quelque chose. Si j’ai un peu de temps, je vais ouvrir un livre, lire un article sur Internet, écouter un disque ou que sais-je encore. Je trouve toujours quelque chose pour m’occuper. En fait, j’ai l’impression que quand on vieillit, on se dit plus qu’on aura jamais le temps de faire ce qu’on a envie de faire ou découvrir ce qu’on a envie de découvrir, plutôt que d’avoir l’occasion de s’ennuyer.

Qu’est-ce que tu entends par « Les îles désertes n’existent plus », chanté dans ta chanson « Les îles désertes »?

On peut le lire à plusieurs degrés mais le premier degré est celui de constater qu’en 2014, l’année où le morceau a été écrit, le monde était surpeuplé de beaucoup trop d’êtres humains, d’objets, d’immeubles, de voitures, d’usines. Bref, notre planète est envahie par l’humain et par tout ce qu’il a pu créer. On a donc parfois ce sentiment que trouver un endroit calme, telle une île déserte, relève du parcours du combattant. C’est difficile de trouver un endroit où l’on va vraiment se sentir seul et apaisé. Pendant des siècles et des siècles, l’être humain a quand même vécu avec énormément d’espace. La terre était vaste et les groupements d’humains étaient relativement réduits. Il y a très longtemps, une ville pouvait comptabiliser 7000 à 8000 habitants. Aujourd’hui, on est à l’ère des mégalopoles. On peut imaginer qu’un jour, les villes vont tellement s’agrandir qu’elles vont toutes se toucher et qu’elles finiront par être une et une même ville énorme. Bon, ça semble apocalyptique comme type de lecture mais la chanson est plutôt un jeu de questions/réponses entre une personne qui en questionne une autre et qui a comme réponse : « Arrête, laisse moi tranquille avec tes questions. De toutes façons ça n’a pas de sens, les îles désertes n’existent plus. ». Je pense qu’il y a un peu d’ironie dans cette chanson. On peut la voir au premier degré, comme une conversation absurde sur des questions qui n’ont pas beaucoup de sens.

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J’ai remarqué un goût pour l’absurde dans le clip de « Croire en ma chance ». Y a-t-il des œuvres surréalistes que tu aimes beaucoup ?

J’ai vu Le Chien Andalou, d’autres films de Luis Buñuel et j’aime aussi Salvador Dalí mais je ne suis pas un grand connaisseur du surréalisme datant du 20e siècle… Ma copine s’y connait plus que moi. L’histoire du clip est importante dans son choix de collaborations. L’idée de faire ça avec Simon Vanrie et Marine Dricot a amené à avoir un vraie connexion avec le surréalisme. On peut y noter une création d’esthétique et d’univers très particuliers. Le fait de faire rencontrer des époques différentes et des références culturelles variées crée quelque chose de nouveau ou en tout cas d’inédit. C’est vrai qu’il qu’il y a en général dans mes clips, surtout dans « A la Vie à la Mort » et « Croire en Ma Chance », une volonté de prendre le travail au sérieux, sans pour autant se prendre soi-même au sérieux.

C’est assez belge ça.

Voilà c’est ça. On puise dans le surréalisme belge et on fait de l’auto-dérision. A vrai dire, je ne suis pas un grand amateur de clip vidéo. Je n’écoute pas la musique sur Youtube, j’écoute la musique sur disque comme les gens de ma génération. J’ai grandi à l’époque du CD et maintenant, j’ai une petite collection de vinyles. C’est ainsi que j’aime vraiment écouter la musique ou alors via mon casque branché à mon Ipod. Selon moi, la musique n’a pas vraiment besoin d’images pour exister et donc, mon rapport vis-à-vis du clip est plutôt ludique. Je trouve ça assez marrant de faire une vidéo rigolote pour une chanson sérieuse.

C’était drôle de voir des sous-titres en italien dans « A La Vie à la Mort ». Ça jouait sur un cliché ?

Il y avait plusieurs raisons à l’idée de ces sous-titres. Chaque année, je pars en Italie, minimum 1 mois par an. Je vais souvent en Ligurie, dans un village qui s’appelle Perinaldo, sur les hauteurs de Vintimille. Du coup, je me suis fait quelques amis dans ce village et ça me plaisait de voir que les gens de là-bas puissent comprendre les paroles du morceau. D’habitude, les chansons sont souvent sous-titrées en anglais et le faire en italien, une langue latine proche du français, donnait l’affirmation de quelque chose. Vu que ma mère est d’origine italienne et ma grand-mère est italienne, ça me touchait aussi de voir quelque chose que j’avais imaginé en français, en version italienne.

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On peut savoir ce que tu fais sur la pochette de l’album ? Est-ce que cela symbolise quelque chose ?

En fait, ce n’est pas moi qui suis sur la pochette.

(rire)

J’ai travaillé avec une photographe liégeoise qui s’appelle Lara Gasparotto. C’est une grande voyageuse qui fait des photos partout dans le monde. La pochette est un autoportrait qu’elle a réalisé dans les montagnes d’Amérique du Sud. Je suivais son travail depuis pas mal de temps et j’ai vu ses photos sur son Tumblr. Après un bon bout de temps, j’ai revu ce qu’elle faisait et cette photo me parlait en particulier. Quand j’écoutais l’album, en regardant cette image, j’ai pensé qu’elle fonctionnait avec ma musique, sans savoir pourquoi. Ce que fait la personne sur la photo n’est pas très clair. On a l’impression qu’elle se livre à une espèce de rituel chamanique, en se jetant de la poudre ou peut-être du maquillage, qui sait ? J’aimais bien ce côté mystérieux, et pour en revenir justement aux « îles désertes », j’aimais voir ce même inconnu au milieu d’une vaste et pure Nature. Observer quelqu’un de petit par rapport à la grandeur de la Nature.

Ce que se jette cette personne me faisait penser à des cendres d’une urne. Comme la fameuse scène dans The Big Lebowski, où John Goodman balance les cendres de son pote à contre-vent.

Oui oui. Ça pourrait être ça. Je ne sais pas moi-même ce que c’est exactement.

N’as-tu pas envie de percer le mystère ?

Non, ça me plaît comme ça. J’aime bien l’idée d’interpréter cette image comme le moment où quelqu’un procède à un rituel, qui se maquille à la façon des indiens traditionnels.

Toi qui as beaucoup voyagé, qu’est-ce que tu reproches et adores le plus en Belgique, comparé aux autres pays ?

Ah, c’est une bonne question. Hum…

(petite pause, moment de réflexion)

C’est compliqué de dire ça, parce que même en voyageant, on a pas tellement de recul par rapport à son pays et à sa région d’origine. J’ai parfois l’impression que la Belgique est vraiment un pays qui n’a pas de sens. C’est à la fois ce que je déteste et ce que j’aime le plus. Quand on vit à Bruxelles, alors qu’on vient de Liège, on doit se réinscrire dans plein d’organismes parce que l’administration est différente. On a plus la même mutuelle, etc… Fin, je considère cela comme une aberration administrative. Pour réparer un trou sur l’autoroute, il faut parfois deux ans ou plus. A Liège, les travaux de la place St Lambert ont pris 35 ans. La Belgique a également détruit son patrimoine. Bruxelles était une des plus belles villes d’Europe, aux alentours de 1910 et 1920, mais dans les années 50, ce que la guerre avait épargné a été détruite à coups de bulldozers par des élus bruxellois, pour construire des autoroutes intra-urbaines. Il y a vraiment une espèce de non-respect du patrimoine, ce qui est fou. On ne retrouvera pas du tout cela en Italie ou en France, où l’on défend avec ferveur tout ce qui est Église ou monument intéressants. Dans ces pays, ils ne penseront jamais à détruire ce qui touche à leur patrimoine, en tout cas l’envie sera moindre. Je trouve dommage qu’en Belgique, on se soit évertuer à détruire les villes et ce qui faisait leur beauté. C’est quelque chose qu’on vit toujours aujourd’hui. Si quelqu’un d’autre ne dit pas qu’une chose est bien, on aura du mal à dire de soi-même que c’est bien. J’ai signé sur un label français et on est venu me trouver en me disant : « Ah ouais, t’as signé avec un label parisien, alors ça veut dire que c’est vraiment bien ce que tu fais ! ». J’avais envie de répondre que je faisais cela depuis toujours. J’ai pas besoin d’un label français pour que ce soit bien. C’est un côté qui m’énerve et en même temps, c’est peut-être parce qu’on a pas un côté nationaliste. Ce qui est bon, c’est qu’on ne chante pas la Brabançonne à chaque fois qu’il y a un évènement dans notre vie ou qu’on doit inaugurer un rond-point. On n’est pas là à toujours crier : « Vive la Belgique ! ». Le fait qu’on soit un pays peu patriotique est le revers positif de la médaille.

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Je comprends ce que tu veux dire mais j’ai pourtant remarqué que quand il y a un match de foot, il y a tout un évènement incroyable qui se passe en ville. Alors que parfois, quand les syndicalistes essayent de mobiliser les gens pour des manifestations, il n’y a pas grand monde pour protester avec eux.

Tu as raison. L’engouement pour l’équipe de foot est quelque chose d’assez récent. Maintenant, les joueurs jouent mieux alors qu’avant ils jouaient comme des gros nuls. Ça change évidemment la donne. On est pas extrêmement patriotique mais on est par contre extrêmement individualiste en Belgique. A part pour l’équipe de foot, je ne vois pas en quoi les Bruxellois et Wallons sont vraiment fiers. Tandis qu’en France se dégage une intensive fierté d’être français. Au Danemark, les gens ont un drapeau danois sur un mât, dans leur jardin. Les Britanniques ont aussi une vraie fierté de la Nation. Nous on l’a moins parce que notre Nation est beaucoup plus petite et éclatée. Ce qui me révolte également en Belgique, c’est la difficulté à lancer des mouvements sociaux pour améliorer des choses.

Quand j’étais petit, j’étais stupéfait de voir qu’en Italie, chaque village avait son propre dialecte. Tandis qu’ici, on a tué la langue wallonne pour des raisons économiques vu que ça coûte trop cher d’enseigner une nouvelle langue. Je trouve ça dommage parce qu’apprendre une langue, liée avec ses propres racines, fait aussi partie de notre patrimoine culturel.

Oui bien sûr. Il y a comme une espèce de détestation de notre culture. Je pense que la porte est sans cesse ouverte aux cultures anglo-saxonnes et françaises. Ceci n’est ni bien ni mal. On adore se nourrir de tout ça mais parfois, on a des poètes incroyables comme Jacques Izoard qui sont complètement morts, méconnus et dans la clandestinité. Il y a des dizaines d’artistes extrêmement talentueux mais très peu reconnus par la Wallonie parce qu’ils ne fonctionnaient pas en France. Alors qu’en Flandre, on peut se rendre compte qu’il n’y a pas besoin d’être connu à Amsterdam pour faire son chemin en Flandre. Les Flamands seront heureux de voir quelqu’un de chez-eux faire des choses pour eux. Ils sont contents car ils en comprennent les subtilités. On retrouve cela aussi au Québec. Les Québécois sont hyper enjoués d’avoir des chanteurs québécois qui chantent en québécois et qui parlent aux québécois. Ils n’ont pas besoin que ça plaise à New-York ou Paris pour se dire que c’est bien. Ici, je sens souvent la nécessité, venant des media de masses, de nous montrer ceux qui arrivent à fonctionner dans des pays étrangers. Je trouve ça dommage. C’est peut-être le même phénomène, le même espèce de virus qui explique qu’on est capable de détruire nos villes comme on a pu le faire dans les années 50 et 60.

Quand tu dis que la Belgique n’arrive pas à mettre en valeur son patrimoine, ça me fait penser au cas de la Cathédrale de Liège.  Je la trouve magnifique sauf que…

Elle est toute noire à cause de la pollution…

Ce n’est même pas ça. C’est juste que des urinoirs sont postés juste à côte…

Oui oui, on peut pisser dessus quoi. C’est un beau symbole. Le patrimoine en Belgique, on pisse dessus.

(grand rire commun)

C’est une bonne et mauvaise chose.

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brunoaleas – Photos ©Alexis Docquier (Reflektor, le 01/12/16) / Interview faite le 01/12/16

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