« C’est facile de mourir, mais j’ai préféré vivre », cette réplique entendue dans L’autre côté de l’espoir peut résumer à elle seule le cinéma du finlandais Aki Kaurismäki. Pouvant être considéré comme l’un des héritiers du réalisme poétique, ce réalisateur trop méconnu a passé sa carrière à filmer les laissés pour compte, les marginaux, les prolétaires avec une profonde mélancolie. Ce à quoi s’ajoute également une tendresse absolue et un humour pince-sans-rire subtil mais souvent efficace qui ne sont pas sans rappeler Jean Renoir, Marcel Carné, ou encore Charlie Chaplin dans un tout autre registre. C’est ainsi qu’il revient dans sa Finlande natale, six ans après le somptueux Le Havre, et onze ans après son dernier film finlandais, Les Lumières du Faubourg. Ce film, duquel Kaurismäki a dit que ce serait son dernier, pourrait bien être un de ses plus radicaux. Mais pas que.
Comme d’habitude chez Kaurismäki, le film s’ouvre sur un paysage portuaire, où un gros porteur décharge du charbon dans un port finlandais. De ce tas de charbon émerge un jeune réfugié syrien, Khaled, incarné par le brillant Sherwan Haji. Parallèlement à ça, le quadragénaire Wilström, joué par le tout aussi génial Sakari Kuosmanen, quitte son alcoolique de femme et décide de récupérer un petit restaurant. Ce postulat de départ n’est pas sans rappeler Le Havre, dans lequel un cireur de chaussures (à l’époque où tout le monde porte des baskets) sans le sou, prenait sous son aile un préadolescent gabonais, désireux de rejoindre le Royaume-Uni. Pourtant, bien que cet Autre côté de l’espoir pourrait être le deuxième épisode d’un « diptyque de la migration », Kaurismäki assume une proposition bien différente. En effet, la problématique des migrants et autres réfugiés est bien plus importante en 2017 qu’en 2011. C’est donc une des rares fois où un film de Kaurismäki a une prise directe sur le réel dans la mesure où sont montrées et clairement évoquées les situations d’Alep, de la Syrie, de l’Irak et de la frontière turque. De la sorte, le finlandais réalise ici ce qui pourrait être son film le plus politique.
Mais là où beaucoup auraient fait un plaidoyer larmoyant et dégoulinant de pathos en faveur de la solidarité envers les réfugiés, Kaurismäki applique le même traitement qu’il fait de tous ces personnages, ces « gueules » abandonnées par une société occidentale froide et inhumaine. Le jeune réfugié et le quadragénaire célibataire sont donc montrés de la même façon que Jean-Pierre Léaud dans J’ai engagé un tueur, Matti Pellonpää dans La vie de bohème, ou encore André Wilms et Blondin Miguel dans Le Havre. C’est à dire, avec une formidable dignité qui peut dérouter au premier abord tant ces personnages, typiquement « kaurismäkiens », font preuve de retenue. Mais paradoxalement, c’est peut-être le meilleur moyen de montrer la détresse dans lesquelles ils se trouvent. Quand le personnage de Khaled raconte froidement et calmement son calvaire, puis son voyage depuis Alep, à une commissaire de l’intégration finlandaise, le fait qu’il aille droit au but, qu’il offre la vérité brute est bien plus efficace qu’un récit passionné et larmoyant. Et c’est peut-être là toute la réussite de L’autre côté de l’espoir, c’est de parler d’une actualité encore explosive avec tout le recul et la pudeur nécessaire pour montrer le « vrai » dans toute sa froideur, sans vouloir émouvoir le spectateur.
Par contre, là où L’autre côté de l’espoir se démarque d’une bonne partie de la filmographie de Kaurismäki, c’est le moment de la rencontre. Effectivement, les films de Kaurismäki se basent sur des rencontres: celles entre les trois bohémiens de La vie de bohème, entre M et la famille sans domicile fixe de L’homme sans passé ou encore celle entre Jean-Pierre Léaud et Margi Clarke dans J’ai engagé un tueur. Dans ce dernier film, la rencontre entre les personnages de Haji et Kuosmanen arrive assez tard, mais assure la caution « comique » en donnant lieu à des situations que Chaplin n’aurait pas reniées. Malgré son arrivée tardive, cette rencontre n’est pas moins belle que celles précédemment citées, tant le désintéressement dont font preuve le personnage de Kuosmanen, puis le personnel du restaurant envers Khaled, est beau à voir. Mais, en bon continuateur du réalisme poétique, c’est sur une fin amère que Kaurismäki conclut son film.
Cependant, le film n’est sans doute jamais aussi beau que quand le personnage de Khaled laisse exprimer sa joie ou sa reconnaissance. Cette expression ne passe jamais plus que par une étreinte, et pourtant, c’est par une simple et courte étreinte que Kaurismaki arrive à montrer tout ce que Khaled ressent: la joie, le soulagement, l’amour, tout simplement. Et c’est à ce moment que Kaurismäki fait mouche: ce potentiel dernier film doit être l’un des plus beaux de son auteur, rien que par ces moments fugaces de beauté et d’émotion pure.
Si ce film est bel et bien le dernier Aki Kaurismäki, c’est un véritable chant du cygne que le Finlandais nous offre. Plus qu’au message politique, c’est aux courts instants de joie, d’optimisme et de solidarité que sert la radicalité de cet Autre côté de l’espoir. Bien sûr, l’on pourrait évoquer la douce photographie de Timo Salminen, associé de longue date de Kaurismäki, les gueules du casting ou l’utilisation magistrale de la musique, mais toutes ces qualités sont constantes dans la filmographie du réalisateur.
Pas de doute, L’autre côté de l’espoir est bel et bien un film d’Aki Kaurismäki, mais sa radicalité et sa prise sur une actualité ciblée dénote de ses précédents films, et malgré cela, on arrive à se plonger une nouvelle (et peut-être ultime) fois dans l’univers à la poésie folle de Kaurismäki.
Une véritable réussite qui, hélas ne permettra pas à son auteur d’acquérir une plus large notoriété, pourtant bien méritée.
Clément Manguette