Yves Donnay Interview

HABEMUS PSYCHANALYSE PAS CHER

Le dessinateur, sculpteur et peintre Yves Donnay partage son temps de parole pour réaliser une interview dans son atelier, à Tilff. Sa philosophie artistique, ses satiriques Clochards, sa vision de Woody Allen sont alors des sujets inévitables.

Comment est né le projet nommé Les Cloches ?

Ca venait d’une frustration comique. Comme tu peux le voir ici, ce que je fais n’est pas spécialement drôle, ça n’a aucune vocation hilarante. Ce n’est pas non plus engagé politiquement ou socialement. Les Cloches est venu pour pallier à ma mauvaise humeur chronique car il faut savoir que je me lève tous les jours en me disant : Putain quel monde de merde. (rire)
Comment est-ce que je pourrai faire pour non pas le détruire mais en rigoler un petit peu plus ? Je me suis alors mis à faire des petits dessins sans a priori mais ce que je cherchais surtout, c’était un fil conducteur qui a été la rue. Qui se trouvait dans la rue ? Les clochards que l’on surnommait aussi les cloches à Paris. Voilà comment est né
Les Cloches, avec un double sens.

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Pourquoi est-ce que les sans-abris sont les personnages principaux de vos dessins ?

Au départ, ce sont plus des clochards parce qu’ils réfléchissent non pas sur leur condition mais surtout sur ce qu’ils voient dans la rue, sur ce qu’ils lisent dans les journaux qui tombent à leurs pieds ou encore sur ce qu’ils entendent des conversations.
En voyant les dessins, on pourrait croire que ce sont des SDF mais pas vraiment. Ce sont des mecs qui se sont retirés de la société et qui peuvent se permettre d’avoir un regard dessus. Même si on peut y retrouver des SDF, des immigrés, des étudiants ou tous ceux qui traînent un peu en rue. Mais au commencent, avant que ça ne dérive, je dessinais des clochards professionnels.

Qu’est-ce que sont des clochards professionnels ?

Ce sont des anarchistes purs et durs. Ceux qui refusent absolument tout, comme travailler.

Y en a-t-il encore ?

Oui, il y en a toujours eu. Maintenant, ils ne sont pas forcément à la rue. Il y en a qui sont avec un sac au dos, qui se baladent.

Comme des ermites ?

Oui, ça pourrait être des ermites ou des globe-trotters qui ne sont pas multimillionnaires. Des mecs qui ont juste besoin de deux caisses pour vivre mais pas plus, sinon ça devient insupportable.

Est-ce que vous avez déjà pensé à être comme cela ?

Je suis un peu comme ça mentalement mais je n’en ai ni la vocation ni le courage. Dormir dehors, je sais pas si t’as déjà essayé, mais c’est très dur.
Même dormir l’été dehors, sans rien, c’est pénible. J’ai déjà fait un peu de ballade sauvage, du temps où j’avais un chien, et dormis un ou deux jours pas plus, cela suffit pour être dans un état lamentable. (rire) La nuit tu pleures car il fait vraiment froid.

Si l’on admet que les clochards sont une façade qui rappelle au citoyen ce qui l’attend s’il dévie des normes sociales, est-il bon pour les gouvernements de garder des clochards ?

A Liège on pourrait le croire. (rire) On a l’impression qu’on les attire de partout mais c’est une autre catégorie, ce sont plutôt des junkies. Je ne les compterai pas dans les clochards ou les SDF. Je pense que ça fait toujours très peur qu’on puisse tomber de son petit confort et se retrouver sans ou presque rien. C’est très dur comme situation parce qu’on y perd assez vite ses neurones. Quand tu vois les gens qui sont réduits à ça durant des années, ils sont arrangés. Je ne dirai pas qu’ils sont irrécupérables mais en tout cas, ils ont des problèmes psychologiques ou alcooliques donc ils prennent ce qui leur tombe sous la main, comme des cachets par exemple. Et effectivement, ils se laissent aller. C’est très difficile ensuite, de garder une certaine hygiène de vie. C’est plus intéressant pour le gouvernement d’avoir des gens en mauvais états dans la rue que des cloches comme les miennes qui risqueraient de foutre un peu plus la merde. (rire)
Il faut du coup, avoir des pauvres non contestataires dans la rue qui fassent pitié ou qui dégoutent, ainsi certains se diront : Je suis bien content d’avoir mon petit boulot de merde. Les pauvres contestataires, eux, vont en attirer d’autres dehors.

Comment se porterait votre inspiration sans les malheurs et stupidités du monde ?

Aaaah. Je ne ferai probablement pas de dessins, si tout allait bien. Si on est tous heureux et si notre environnement était comme à l’origine du monde, c’est-à-dire comme au Paradis, je pense qu’il n’y aurait aucune raison de faire du dessin tout court. Si t’es bien, tu fais rien, tu te contentes d’être bien, comme si c’était des vacances parfaites.

J’ai l’impression que dans vos sculptures certains de vos personnages n’ont pas de visages. Est-ce le plus difficile à faire ?

Non. Faire des traits précis, ça l’est, même si ça n’est pas le but. Elles ont une expression, elles n’ont pas vraiment un visage. Je n’essaye pas d’avoir des traits mais plutôt une figure qui correspond à l’attitude ou à ce que j’ai envie d »exprimer dans la sculpture, c’est-à-dire la souffrance, l’impassibilité.
Le plus dur c’est quand tu passes à l’étape du plâtre : il fait dégueulasse partout. Je dis toujours que c’est du dégueulasse propre… Parce que c’est blanc. (rire) C’est une technique avec du plâtre liquide donc il y en a absolument partout et j’en deviens tout blanc.

Est-ce que vous considérer vos œuvres comme le reflet de ce que vous êtes ?

Pas totalement. Par contre, c’est le reflet de ce que je ressens. Il y a une partie du travail de l’artiste qui est une espèce de catharsis, une psychanalyse pas cher que tu fais payer aux autres, dans le meilleur des cas, en tout cas.

J’aime bien ces termes : psychanalyse pas cher.

C’est d’ailleurs la preuve que le cinéma n’est pas un Art puisque Woody Allen dit qu’il a tué 3 psychanalystes. S’il a encore besoin d’aller les voir alors qu’il fait du cinéma, et bien c’est que le cinéma n’est pas un Art. Si ton Art est un bienfait pour toi, tu n’as pas besoin d’aller chez un psychanalyste.

Oui mais ça c’est une définition, c’est votre définition…

(énorme rire d’Yves Donnay) C’est pas ma définition, c’est un peu une blague. L’Art ne doit pas être sérieux contrairement à ce que la plupart des gens pensent.

C’est vrai que quand j’écris ça m’aide beaucoup. C’est pour cela que j’aime assez le psychanalyse pas cher.

Ben oui. Tu sais, pour la plupart des artistes signifiants, ils expriment vraiment quelque chose que tu ressens profondément et ne se contentent pas de faire que des choses esthétiques ou selon une pensée mysticointellectuodébile sans signifiance. Quand tu fais un truc de signifiant, ça te soulage de tes problèmes, ça t’aide à le sortir et à le partager. Alors que les autres soient d’accord avec toi ou pas, ça n’a pas vraiment d’importance, vu que toi, t’as réussi à le sortir. C’est déjà un bon point.

C’est drôle que vous ayez parlé de Woody Allen parce que je vais en discuter maintenant. Dans son dernier film appelé Cafe Society, un des personnages dit : La vie est une comédie écrite par un auteur sadique. Que pensez-vous de cette citation ?

Ce n’est pas la première fois que Woody Allen lâche ce genre de phrases. Ça dépend pour qui. Quand tu as la possibilité d’avoir un peu de recul, tu peux trouver qu’en effet, la vie un scénario écrit par un fou. Un fou qui en plus peut être assez méchant par moment. Maintenant, de là à dire que c’est une comédie, je ne sais pas vraiment. Quand tu as de quoi vivre ça peut virer à la comédie mais quand tu n’as rien, c’est franchement un drame. Je ne suis pas sûr que les gens venus de Syrie, pensent que la vie est une comédie, même écrite par un sadique. Je crois plutôt que c’est un drame écrit par un malade mental qui était d’ailleurs, leur président. (rire)

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DRAMA – Interview faite le 01/07/16
Photos ©Alexis Docquier (prises dans l’Atelier d’Y. Donnay, à Tilff, le 01/07/16)

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