En France, le stoner féminin est fièrement porté par Grandma’s Ashes ! Au nom jouant d’emblée avec l’humour absurde, le trio partage un univers décomplexé. Comprenons « Daddy Issues » et découvrons la définition d’un morceau efficace.
Nous vivons une période historique totalement inédite. Sortir un opus en 2021 doit être exceptionnel.
Eva : C’est particulier parce qu’on jouait cet EP depuis 2 ans, en live. Notre public connaissait déjà les chansons. Là, c’est littéralement un accomplissement de les partager via un mini-album. Bien sûr, on est frustrée de ne pas avoir pu tourner par après. Mais la sortie de l’EP amène à une plus grosse focalisation sur un vrai album. On vit plutôt bien sa sortie.
Edith : On est assez étonnée pour ce qui est de la réception du disque. On pensait faire un flop total mais les retours étaient plutôt agréables à digérer. C’était une très belle surprise.
Vos méthodes de distribution sont-elles de la vieille école ?
Edith : On réfléchit beaucoup sur la manière de construire une identité, une fois sur les réseaux. Puis, on a eu des demandes pour nos supports physiques, ce qui permet de garder un contact avec le public. Il y a un regain d’intérêt pour le vinyle. Il reste pertinent à réaliser pour un groupe. Alors que tout ce qui est CD et cassettes sont mis de côté.
Odezenne a une relation assez particulière avec ses fans. La bande s’adresse par e-mails à sa communauté. Vous effectuez les mêmes démarches ?
Eva : A la base, on avait l’habitude de communiquer à nos concerts (rire). Là, c’est bien plus compliqué. On est active sur les réseaux. Sur ces plateformes, des questions découlent de la part du public. On vise à répondre à chacune d’entre elle. Nous nous y impliquons vachement lorsqu’on nous interroge quant à l’avenir du groupe.
Myriam : On personnalise nos messages. On aime envoyer des cartes, de les signer, de partager de vieilles setlists ou de livrer des dessins. Ces actes deviennent uniques.
Vous percevez l’univers musical différemment depuis la sortie de The Fates.
Myriam : Oui. Je me concentrais beaucoup sur le live et sur le fait de composer et d’écrire uniquement pour notre jeu en concert. Je voulais voir comment le public pouvait réagir face à mon travail. A savoir, quel morceau faire durer plus longtemps, quel autre pour lancer les pogos. Depuis qu’on s’attaque à l’album, on bosse sur des musiques appréciables en dehors des live.
Eva : On réfléchit beaucoup plus sur des compositions brutes. On n’a pas à se prendre la tête sur ce qui doit être impérativement efficace sur scène.
Quelle est la meilleure leçon à tirer de votre premier projet ?
Edith : Adopter de meilleures organisations. (rire) On a collaboré avec pas mal de personnes extérieures à notre trio. C’est déstabilisant. Au niveau de la communication, on prévoit de mieux s’exprimer sur nos projets.
Myriam : Au départ, nos méthodes de travail étaient bien plus punk. En studio, on a enregistré tout en 3 jours, sans rien éditer derrière. On se demandait quand tout allait s’enchaîner. Ensuite, on a réalisé qu’on devait avoir affaire à un label et à des distributeurs.
Lors de votre interview au Sensation Rock, vous caractérisez « Daddy Issues » comme un morceau efficace. Comment définir ‘un morceau efficace’ ?
Eva : Un morceau efficace est celui dont la mélodie est chantée inconsciemment dans la douche, après 2 ou 3 écoutes.
Myriam : L’efficacité s’illustre via une mélodie qui reste en tête, mêlée à une énergie qui entraîne tout le monde.
Edith : Ca équivaut aussi à la sensation ressentie après avoir reçu une claque. A chaque fois qu’on joue « Daddy Issues », j’ai l’impression qu’on réussit à plier notre spectacle avec brutalité. Le morceau n’a pas demandé beaucoup de prises en studio, juste beaucoup d’énergie.
Les paroles et le clip de cette chanson me laissent imaginer une Terre vierge de tout, ne subissant pas l’arrivée de l’humanité prête à polluer et détruire.
Voulez-vous traduire l’absurdité de la vie grâce à vos textes ?
Eva : L’esthétique même du groupe est de dépeindre des situations problématiques avec humour. On aborde les injustices, la mort, le fatalisme, les absurdités de la vie. On se fixe ces thèmes comme buts à nos textes. On ne met pas du tout à l’écart l’introspection. « Daddy Issues » parle de la séparation de mes parents advenue lors de mon enfance. Ces termes signifient ‘un traumatisme psychologique’. Il se développe par exemple chez une femme qui se méfie des hommes. Pourtant, ces mots sont parfois insultants pour une femme qui a vécu un trauma à la con par le passé. C’est banaliser un événement de la vie trop facilement.
Myriam : Nos sujets se rapportent aux difficultés à tisser des liens durables entre les personnes. On chante les contrariétés et contraintes qui ne devraient pas avoir lieu dans une relation humaine.
Aujourd’hui, il serait difficile de savourer des sketchs ressemblant à ceux des Monty Python, ou bien à ceux des Inconnus. La censure et la bien-pensance sont deux obstacles artistiques à ne pas ignorer. Est-il plus facile de s’exprimer en musique ?
Eva : Les Inconnus ont un humour beaucoup plus potache que le nôtre. Par contre, on se rapproche bien plus de l’absurdité anglaise des Monty Python. C’est plus fin, plus bête. On est loin de la grandiloquence française qui se veut dénonciatrice de quelque chose.
Myriam : On ne se concentre pas forcément sur la dénonciation.
Edith : Il n’y a pas vraiment de quoi se taper des barres en lisant nos textes. Je préfère endosser un rôle nihiliste. Les personnages que l’on présente sont en pleine crise existentielle. Il y a comme une idée de déconnexion.
Et si vous aviez un message à passer aux artistes français, quels seraient vos mots ?
Eva : De s’accrocher. De ne surtout pas baisser les bras. De continuer à défendre son art et sa culture. C’est très important. Une société sans art est une société mourante. Elle ne vaudrait plus le coup de se battre pour ses causes. Même si c’est difficile de garder sa veine artistique ou d’avoir confiance en son art, continuons à réaliser nos rêves.
Interview menée par Drama – Photo ©Yann Morrisson