Admiratif devant un Népal, Erase(Her.) signe lui-aussi des textes assez métaphysiques. Le rappeur belge s’exprime via un premier EP. Sa plume ne banalise pas le quotidien mais en fait son terrain de jeu. Prenons le temps d’interroger la mise en scène de ses observations !
T’es-tu surpassé lors de la création de ton premier album ?
Franchement, ouais. Si je devais passer une nuit blanche à taffer sur une instru, je le faisais. A des moments, il suffisait que je sois inspiré pour rester éveillé jusque 3 ou 4h du matin. (rire) Même 2 jours avant la sortie de l’album, je réalisais de nouvelles prises encore et encore… c’était du non-stop.
Le confinement a dû te motiver à terminer convenablement ce projet.
Dès que t’es enfermé, seul avec toi-même et tes idées, tu épouses ta passion. Je n’ai pas vu ça comme une malédiction. J’ai perçu le côté bénéfique et positif de la chose.
J’ai vraiment un tas de question par rapport au fond de tes morceaux. Commençons ! Comment fait-on passer un message intelligent à travers un morceau de rap ?
As-tu une recette à partager ?
C’est une très bonne question. Honnêtement, je ne pense pas avoir de recette. Quand j’écris, j’imagine l’exercice comme une conversation avec moi-même. A partir d’un de mes constats, je vais commencer à disserter. En allant de réponses en réponses, je développe un sujet. A la fin, j’obtiens une sorte de fil conducteur respectant une réflexion de base.
Il peut tout à fait évoluer au fur et à mesure du morceau. Il n’y pas de limite. Je m’inspire à 100% du réel. Je n’ai pas envie de traiter d’expériences que je ne vis pas ou que je ne connais pas.
Ne te sentirais-tu pas légitime pour écrire au sujet d’un thème inconnu à tes yeux ? Il y a des rappeurs qui jouent divers personnages et qui foncent dans leurs délires.
Je respecte entièrement cela. Je ne sais pas si c’est une question de légitimité. C’est une question d’authenticité. Je sais que si on parle d’évènements vécus, on sera fatalement bien plus en train de vivre un sujet. On sera par ailleurs plus à l’aise pour en parler. Alors que si on rappe sur un sujet qu’on ne connait pas, on n’est pas à l’abri d’une erreur ou l’autre. Ca casserait l’effet d’immersion que j’aimerais transmettre autour de moi.
Dans « Yeux ouverts », tu déclares : Le Paradis réside en nos entrailles. Perds pas ton temps à le chercher. Ces mots sont-ils optimistes ? Veux-tu dire par là qu’il ne tient qu’à nous de modeler notre bonheur ?
Exactement. Plusieurs personnes croient que le bonheur équivaut à posséder telle ou telle chose. Que ce soit une maison, une voiture, une copine, un chien, peu importe. Au fond, le bonheur n’a rien de matérialiste. C’est vraiment une façon de penser. Le ciel sera moins nuageux si tu sais rester positif, pendant que tu affrontes de nombreux problèmes dans ta vie. Cette attitude n’a rien de religieux chez moi. Elle est en accord avec mes valeurs.
Certains désirent définir le bonheur alors qu’ils ne savent point prononcer Je t’aime. Comme si c’était tabou.
Je pense que c’est tabou. C’est vu comme une phrase qui peut être mal interprétée. Il faut éviter des embrouilles ou l’incompréhension alors qu’on ne le dit pas assez. Même si parfois, je l’exprime pleinement à des potes qui se comportent comme des frères.
Quand tu es prêt à l’avouer, il y a souvent un truc qui freine l’initiative. Et c’est trop tard pour revenir là-dessus. Le pire, c’est vraiment de vivre avec des regrets. S’il y a une chose à dire, il faut la dire. Il ne faut pas perdre son temps à avoir peur d’être soi-même.
Tes morceaux se centrent sur l’introspection. Tu t’inscris dans une démarche remarquée chez Swing. Comptes-tu rester sur des thèmes très personnels pour tes prochains projets ?
J’aime écrire de cette façon. C’est vraiment une source d’inspiration intarissable. J’aimerais bien essayer par après de me diversifier vers des sujets plus politiques. Les inégalités est une thématique qui ne m’est pas invisible. Puis, j’aimerais me focaliser tant sur les relations humaines que sur nos visions du monde. Je crois que ça peut être intéressant.
J’ai souvent observé des fans de rap qui analysent de fond en comble des thèmes musicaux. Je suppose que tu passes également des heures sur des textes d’autres artistes.
C’est quelque chose que je fais régulièrement. Ca arrive par exemple pour les albums de Dinos ou ceux de Népal. Je les écoute en boucle. Je m’interroge toujours sur l’essence d’un texte de rap. Au final, c’est juste une personne en face de sa feuille qui rédige pendant des heures sur un sujet. Ensuite, on peut en tirer de grandes leçons de sagesse. C’est aussi la beauté de raconter un vécu ou une histoire particulière.
J’aimerais te parler d’une problématique plus universelle et globale. Un jour, tu m’as déclaré que le plus gros souci de l’humanité est de ne pas savoir penser au bien commun.
Y fais-tu référence dans ton EP ?
Cela s’écoute notamment dans « Poltergeist » : Certains cachent leurs crochets vénéneux dans le silence, cachent les phrases trash qu’ils ne disent pas mais pensent, crachent dans le dos puis plaident leur innocence, disparaissent en flash au premier coup de vent.
Je cite ces gens qui ne pensent qu’à leurs intérêts personnels au lieu de comprendre que leurs actes auront des répercussions sur les autres. La vie est comme un jeu d’échec : chacune de nos actions à sa conséquence. Tu ne peux pas l’omettre. Chaque pièce jouée aura son importance. La volonté de dénoncer des problèmes sociaux repose dans les racines du rap.
Eloignons-nous des problèmes. Au final, qu’est-ce que le rap t’a apporté de meilleur ?
Son aspect propre à l’écriture. Cela m’est très thérapeutique. Le fait de coucher mes hantises sur le papier, ça me fait du bien. Une fois écrites, elles sont matérialisées et tu t’en fais une idée plus concrète. Le rap m’apporte une sérénité d’esprit.
DRAMA – Illustration ©Kevin Popescu / Interview réalisée le 23/01/2021