Detachment

Une personne que j’apprécie beaucoup m’avait conseillé de visionner Detachment (2011). Dès que j’ai appris que Tony Kaye était à la réalisation, la pensée de m’émerveiller devant cette œuvre n’était pas impossible. De fait, le cinéaste m’avait déjà énormément bluffé grâce à American History X (1998) : véritable leçon de vie, au scénario digne d’un pamphlet contre le racisme.

A la différence de American History X, ce deuxième long-métrage est beaucoup plus métaphysique en ce qui concerne ses propos. Il raconte certes les diverses vies estudiantines, les galères liées aux professeurs et la dure réalité qui se cache derrière les lumières de la ville, néanmoins, ses thèmes sont bien plus universels et complexes qu’il n’y paraît.

Henry Barthes, interprété par Adrien Brody, est professeur intérimaire et employé pour enseigner la littérature anglophone dans un lycée au bord du gouffre, étant sur le point de fermer ses portes. Il rencontre Erica, une (trop) jeune prostituée qui lui fait des avances. Dès qu’ils tombent nez à nez une deuxième fois en pleine rue, Henry décide de l’inviter chez lui et d’ensuite la loger. De là va naître une complicité particulière entre ces deux protagonistes.

La force de Detachment est de plonger le spectateur dans l’univers de l’enseignement de façon directe et efficace. L’immersion est totale lorsqu’une animation laisse place à une craie traçant sur un tableau les noms de ceux qui ont participé à l’élaboration de ce film. D’autres astuces techniques mettent en avant une inventivité folle : les commentaires et réflexions du rôle tenu par Brody, diffusés en parallèle à des scènes principales, au sujet de la pédagogie et de l’existence dans sa globalité, son passé filmé via des couleurs chaudes et brutes ou encore un jeu de lumières très spécial, nous faisant perdre ce même Henry au sein du dédale d’une mégapole.

Une simple critique ne suffirait pas pour résumer tous les sens dissimulés qui découlent du bijou de Kaye. Mais aucune chose ne m’empêche de détailler certains points phares.

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Avant même que ne débute le récit, les premières images dévoilent les paroles d’Albert Camus, philosophe français dont le noyau de ses travaux se basait sur les notions de l’absurde (auteur que j’adore, décrit également sur mon papier en rapport avec Juste la Fin du Monde) :

Et je ne me suis jamais senti si profondément
à la fois si détaché de moi-même et si présent dans le monde.

Il est vain d’énoncer l’interprétation que j’ai de cette citation : elle me dépasse tout simplement.
Pourtant, je pense tout bas que ce qui nous guide à ce qu’elle veut exprimer, c’est le moment où l’on exerce notre esprit critique à dures épreuves.

Soulignons également à quel point le film décrit avec brio le vide qui peut se créer entre adolescents et adultes. L’adolescence symbolise souvent le point de basculement exacerbé de tout mortel. Notre corps et nos idées évoluent. Et ces mêmes changements ne sont parfois pas suivis de doux accords ou de gentilles résolutions. Lorsqu’un adolescent développe sa propre capacité à réfléchir, il le fait via des luttes tant intérieures qu’extérieures. Personnellement, j’ai bien vécu cette période de ma vie. Detachment m’a néanmoins rappelé l’ampleur d’un fait : à ces âges, se sentir exclu est monnaie courante. Le personnage de Meredith (ado passionnée à la fois par l’Art et par le cours d’Henry) représente l’image typique d’une personne qui ne pense pas avoir trouvé sa place autour d’une jungle de jeunes ignorant tout de sa personnalité, de ses goûts et de ses choix. Après visionnage, tout spectateur saisit avec exactitude les dégâts que peuvent amener l’incompréhension juvénile face à un monde où tout semble perdu, où plus rien n’est croyable.

Quant à la fin, encore une fois, il m’est difficile d’y trouver une quelconque signification. Je préfère laisser planer un mystère. Cependant, si je devais vraiment choisir une explication (tirée par les cheveux), elle se synthétiserait en un message optimiste venant d’un film reflétant un pessimisme bénéfique : nous ne sommes que néant, essayons de survivre dans le chaos qui nous entoure.

DRAMA

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