Musique

Odezenne au-delà du malheur

Je souhaitais disparaître des radars. Notre société et les réseaux sociaux sont source d’angoisse, de colère. Trop de discours, peu d’idées. Soudain, un évènement permet de relativiser. Un miracle bouleverse mon train-train quotidien. Odezenne est de retour via un cinquième album, 1200 mètres en tout. Les Bordelais régalent en partageant 16 morceaux !

Une question pend à mes lèvres : vont-ils encore nous emporter au-delà des cieux ?

Leur ambiance nous propulse bel et bien dans les nuages. « Mr. Fétis » ouvre le bal, de quoi assumer une couleur électro, du début à la fin. Dès les premiers sons, on sniffe du kérosène, on voltige près des hirondelles.
Les propos de l’opus attirent bien plus mon attention. Ils sont à la fois solaires et sinistres. Ils décrivent une palette d’émotions, mais aussi les hommes, les femmes et leurs complexités. L’amour incommensurable envers une personne incomparable (« Caprice »). Le mépris face à d’inutiles gamineries (« Bitch »). Notre éternel optimisme (« Vu d’Ici »). C’est à se demander si ces chansons ne furent pas trop difficiles à rédiger. Quoi qu’il en soit, saluons ce travail d’auteur.
Mattia enrichit cet accomplissement grâce à ses instrus planantes. Elles servent à merveille la langue de Molière. Les jeux de mots, les métaphores imprévisibles et nos vieilles expressions déformées font la part belle de ce disque !

Que retenir à la fin de l’écoute ? O2ZEN souhaite peut-être se cacher dans le silence. Une manière de grandir pour un mieux, à des kilomètres d’un champ de flammes. Loin de la montée des extrêmes en politique. Loin d’une pandémie définissant l’avenir des peuples.
Toutefois, du silence jaillit une tonne de mots salvateurs. Leurs paroles affables inspirent à écrire, sans aucune peur de partager quelconque malheur. L’exercice de l’écriture a d’ailleurs des vertus thérapeutiques. Marichela Vargas, Docteur en psychologie, clarifie cette observation.

L’écriture, comme la parole orale, participe à un processus de symbolisation, c’est-à-dire, à un processus de représentation. Ce qui est pure souffrance devient mise en mots. Mettre de mots sur sa peine procure le fait de nommer les choses, les structurer et les ordonner, leur donner un sens. Les psys appellent ceci élaboration. Il s’agit d’une sorte de digestion de la souffrance, de métabolisation. L’écriture amène à ce que la souffrance soit déposée sur le papier, extériorisée.
Nommer sa souffrance implique déjà de s’en séparer, de la mettre en perspective.

Le groupe signe son projet le plus profond. Certes, au niveau des textes, plusieurs passages résultent très abstraits. Néanmoins, leur poésie touche à des thèmes universels : combattre la maladie, l’insomnie, la haine. Qui veut absolument synthétiser nos pensées noires, suite à ces dernières années merdiques ? L’enjeu est tout autre. Gardons espoir. Dansons avec nos proches. Distribuons des confettis tel un Jaco sur « Géranium ».

Nos vies ne sont que des montagnes russes émotionnelles. Rien n’interdit de le chanter.

DRAMA – Photo ©Edouard Nardon

Down to Dust au Wood Studio

Les lumières sanguinaires du Wood Studio (Chênée) n’inspirent pas l’hostilité. Au contraire, elles accueillent des mélomanes afin d’aider Pilori. Suite à une de leur date annulée, des Belges sont venus à leur secours ! (bien sûr) Quoi de mieux qu’un spectacle à deux centimètres des musiciens, sur quelques mètres carré ?! Vu que plus on est de fous, mieux on rit, Down to Dust s’occupe de la première partie, le soir même.

Après leur venue à La Zone, la force de frappe est toujours présente,
La guitare s’embrouille dans une disto aussi féroce que la voix d’Olivier Jacqmin. Ce chanteur partage une rage très communicative. Durant les morceaux, il n’hésite pas à crier loin du micro. Ce crachat de poumons n’est pas le seul point attirant mon regard. Il se pose également sur le jeu de batterie d’Hadrien Panelli. L’artiste délivre une performance tribale et brutale, au service du post-metal !

Groupe Metal 1 Chenée-5
« Savour Your Days » demeure leur morceau le plus accessible, de par sa durée et sa structure efficace. Le titre est une belle synthèse de leur premier EP,
Demonstration. « The light above us » apparaît comme une respiration, où basse et batterie captent l’attention. Quant à « Upstair till the unknown », il est très intelligent de le jouer en dernier. Cette tuerie est bel et bien faite pour la scène ! Son riff final est si lourd qu’il me file la patate, m’excite, m’oblige à pactiser avec le Diable. Bref, il laisse un bon souvenir. Par les temps qui courent, c’est assez énorme.

Certains miracles ont lieu, lors de nos journées dignes de La Quatrième Dimension.
Surveillons l’évolution de ce groupe…
et profitons des concerts qu’ils soient secrets ou illégaux modafucka !

brunoaleas – Photos ©Kyra Thonnard – Wood Studio, novembre 2021

7 clips inoubliables de nos foutues années

Nous publierons notre playlist des meilleurs clips de l’année, dans quelques mois.
En attendant, voici une sélection de 7 coups de poing visuels (2020-2021). Il est temps de saisir la situation ! La poésie d’Alix Caillet (O2ZEN) qui balaye des gobelets, métaphores des métastases. Chiello et son ambiance sanguinaire. Le gigantisme propre à l’univers de Woodkid ! Et tant d’autres trouvailles mémorables à l’image. Bon visionnage.

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OrelSan a tout dit

Quoi ? Qu’est-ce qu’on vient d’entendre ?! Pardon, Aurélien ? OrelSan est de retour ! Ce n’est pas l’instrumentation de ‘L’odeur de l’essence’ qui me ravit. Je n’accroche toujours pas aux délires de Skread. Il livre des sonorités datés, sans grand renouvellement…
qui s’apparentent à du Kanye West de Wish.
Via ce nouveau clip, l’attention est directement portée sur les paroles du rappeur !

Titre politique. Punchlines politiques. Attitude ? Politique, bien sûr ! OrelSan passe le cap de la maturité. Fini le temps où sa pensée se limitait à Les mecs du FN ont la même tête que les méchants dans les films. Son morceau, tiré de Civilisation, dépeint des constats bien plus poignants. L’hypocrisie humaine : critiquer les riches quand on aime posséder de l’argent. L’incompréhension face au système scolaire : on ne forme pas des citoyens, on le devient. L’échec des dirigeants étatiques : le ras-bol se ressent et se ressentira dans les rues. Et surtout (merci Orel d’en parler) : une paranoïa toujours plus grandissante, où tout semble trop sensible.

Une phrase particulière marque l’esprit. Elle symbolise une idée éternelle.

L’histoire appartient à ceux qui l’ont écrite.

Je vous laisse interpréter ce passage. Pour ma part, je crois qu’il souffle un vent d’optimisme, malgré la noirceur de ‘L’odeur de l’essence’. Il n’est jamais trop tard pour faire valoir son dégoût de la société. OrelSan le fait à travers son art. Il passe au scanner nos actualités, nos peurs et nos problématiques.
Certes, son instru ne casse pas trois pattes à un canard. Néanmoins, ‘L’odeur de l’essence’ donne une sacrée envie de découvrir
le quatrième album de l’artiste !

brunoaleas – Photo ©OrelSan

Les tristes confessions de Janet Devlin

Cela fait des mois que j’essaye d’écrire un article sur cette artiste.
Des mois que je ne parviens pas à mettre des mots sur ce que sa voix et ses textes me font ressentir, sans savoir comment lui rendre justice. Comment de simples mots tapés sur mon ordinateur pourront décrire cette personne ?

Sa voix brise le cœur, fait monter les larmes, et d’une certaine manière, nous fait sourire… comme face à la promesse d’un monde meilleur.

Découverte il y a maintenant 10 ans dans l’émission X Factor, Janet Devlin est une chanteuse et songwriter d’origine irlandaise. C’est ainsi qu’il y a 10 ans, le monde a pu découvrir une adolescente à l’apparence fragile, à la voix d’ange, aux émotions à fleur de peau, sur une reprise d’Elton John, « Your Song ». Continuer la lecture

Damon Albarn et l’importance du voyage

L’exil est parfois une étape obligatoire pour les êtres vivants. Quoi de mieux pour se confronter au réel ? Se déplacer d’un territoire à une autre demande de l’investissement moral. L’écoute, le dialogue et la curiosité sont souvent à favoriser.
Si un homme apprend énormément au sujet des bienfaits du voyage, c’est bien Michel de Montaigne (1533-1592).

Faire des voyages me semble un exercice profitable. L’esprit y a une activité continuelle pour remarquer les choses inconnues et nouvelles, et je ne connais pas de meilleure école pour former la vie que de mettre sans cesse devant nos yeux la diversité de tant d’autres vies, opinions et usages. -Extrait de Les Essais

Le philosophe, une fois atteint de maladie, entame des pérégrinations en Europe. Il tient même un journal, ayant un intérêt plus médical que littéraire. Aujourd’hui, un autre artiste sort de ses terres natales, en quête de nouvelles créations : Damon Albarn. 

En Islande, il se concentre sur un ensemble de morceaux formant The Nearer the Fountain, More Pure the stream flows. L’œuvre sera la démonstration de l’importance des voyages. Entouré des centaines de volcans et de gigantesques glaciers, l’Anglais honore un pays à la nature grandiose. Pour ce faire, il apparaît aux côtés de moult musiciens performants, aussi bien des violonistes qu’un saxophoniste. Initialement, ce nouveau disque est pensé pour être une pièce orchestrale dépeignant les paysages islandais. La crise covid et l’enfermement déclenchent l’écriture de cet projet, de quoi chanter de légères paroles.
Le leader de Blur est également en deuil, son ami Tony Allen nous ayant quitté l’an passé. Sa renaissance s’exprime en musique. L’ouverture de Royal Morning Blue illustre en partie ce constat : Rain turning into snow.

Son couplet final fait penser à une lutte, l’humain contre un vide permanent. Comme si nous étions toujours en recherche de contact social. Damon Albarn livre une autre raison de voyager : vivre des expériences parmi plusieurs personnes ! Partager ses savoirs n’a rien d’insensé. L’enfer n’est pas les autres.

Alors voyagez ! Comment comprendre les notions de liberté et d’égalité, si l’on voit uniquement le monde à travers nos traditions et croyances ? Fuguer amène bel et bien à se connecter vers d’autres réalités. Du haut de sa tour, Damon Albarn ne se plaint pas bêtement de la disparition d’un ancien monde (Once, there was cinema, and we had parties. And the light at the top of the tower could reach Argentina). Il joue un air latino, content de troquer sa souffrance contre la poésie.

brunoaleas  Photo ©Matt Cronin & Nathan Prince

BadBadNotGood en place publique

Encore un article engagé ?! Soyons francs. Nous vivons un moment historique qui sera conté dans les manuels scolaires… même si l’envie d’oublier est tentante. Les mesures sanitaires dictent l’avenir de nos sociétés. Il est presque impossible d’éviter le sujet aux diners de famille, en terrasse ou face à son médecin.
Il y a quelques semaines, BadBadNotGood dévoile ‘Signal from the Noise’. Je n’ai effectué aucune recherche quant au message des séquences filmées. De cet article résulte mon humble interprétation. La vidéo de leur morceau semble refléter les changements de notre quotidien.

Duncan Loudon filme un homme qui s’attache un casque à la tête. Serait-ce la figure de l’artiste drogué par sa propre musique ? Qui sait ? En tout cas, il trace à la craie son espace de jeu, situé sur une place publique. L’individu est quasiment incompris par la société. Ensuite, un policier intervient pour l’interrompre et l’éloigner. Notre protagoniste continue pourtant d’exercer son art.

Ce clip est sûrement la meilleure métaphore des derniers évènements européens. Des Gilets Jaunes violentés par les forces de l’ordre. Des mesures sanitaires empêchant tout un chacun de vivre. Des politiciens qui ne donnent jamais la parole aux citoyens, vu que le referendum est un concept inimaginable en Belgique. En d’autres mots, le clip expose un manque de contact, une invisible communication. Comme si le cinéaste mettait en image un grand malaise. Celui ressenti par moult artistes, séparés de leur public. Ces séquences amènent également à une autre problématique.

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L’épidémie a été l’accélérateur d’une organisation policière du monde qui était déjà en germe. Le fait que tout se passe à distance, le télétravail, le télé-enseignement : tout cela est homogène avec la vision du monde des puissances dominantes. Je ne crois pas que cela constitue un contrôle absolu de nos vies par l’informatique. C’est plutôt un monde où les rapports sociaux n’impliquent plus le partage d’un même espace. Or, la politique nécessite des rencontres entre des gens qui vivent dans des espaces et visibilités séparés. L’utopie dominante n’est pas tant le contrôle que le fait que chacun soit bien à sa place : l’enseignant, l’élève, et ainsi de suite. -Le philosophe Jacques Rancière (Les Inrocks, n° 1316)

Que ce soit à travers des spectacles, ou bien même sur les bancs d’écoles, des professions rendent les interactions indispensables. Le journalisme pratiqué sur Teams est une vaste blague. Des leçons données par e-mail ne riment à rien. L’être humain a besoin de partager son humanité.
En outre, si on ne critique plus notre système en place publique, autant laisser nos dirigeants foncer dans le mur. Il n’est jamais trop tard pour réfléchir sur ces questions… les images de ‘Signal from the Noise’ parlent d’elles-mêmes.

Non à une société où l’on a besoin d’un ticket pour assister à un concert. Non à une réalité dans laquelle le droit de manifester est bafoué. Ne plus exister dans un lieu commun relève de la dystopie. Même si nos causes sont vides de sens, nos expressions artistiques illustrent souvent nos convictions et couleurs politiques… parfois, cela vaut tout l’or du monde.

Mon conseil ? Il n’y a pas de bonne façon de faire quoi que ce soit.Duncan Loudon

brunoales – Photos ©Duncan Loudon