Je me souviens d’un rêve que j’ai fait, quand j’avais cinq ans. Ce devait être mon tout premier cauchemar. Un vieil homme venait m’enlever alors que je jouais dans ma rue, et un adulte surgissait pour me secourir, armé d’une batte de baseball. J’en ai frémi pendant des jours. Ce qui est étrange, c’est que le souvenir de ce cauchemar est bien plus vif que n’importe quel autre souvenir de ma petite enfance. Dites… c’était bien un cauchemar, n’est-ce pas ?
Un vieux monsieur passe un agréable séjour dans un bel hôtel de la Côte d’Azur, quand soudain, le reflet d’un diamant porté par sa charmante voisine de chambre le replonge dans ses souvenirs de jeunesse : sa vie d’espion international. Mais ces visions sont-elles de véritables souvenirs, des affabulations, ou bien encore autre chose ?
Reflet dans un diamant mort n’est pas un film fait pour le grand public. La plupart des gens va au cinéma pour se divertir. Ici, on a affaire à une véritable œuvre d’art — comme il en existe tant, certes, mais qui, comme peu d’autres, laissent une empreinte durable. Un des livres qui m’a le plus marqué est La Jalousie de Robbe-Grillet : un chef-d’œuvre, sans aucun doute. Un bon moment ? Pas si sûr.
De la même manière, si Reflet dans un diamant mort commence sur une note étrange, voire rebutante, il suffit, cependant, de lâcher prise, de s’immerger dans son univers et d’accepter ses enjeux, pour qu’il révèle peu à peu sa richesse. On réalise alors qu’il s’agit d’une œuvre qui fait naître des sentiments inédits, ouvrant l’esprit à une autre vision du monde.

Non, je ne peux pas qualifier ce film de divertissant.
En revanche, je le qualifie volontiers de fascinant.
Film de genre, créé par des artistes passionnés par leur médium, Reflet dans un diamant mort prend la forme d’un film d’espionnage pulp et ringard — c’est volontaire. Plutôt que de se contenter de faire référence aux dizaines de films d’espionnage de série B, auxquels il pourrait ressembler, il se présente comme ce à quoi ressemblerait l’adaptation d’une vieille bande dessinée pulp d’espionnage, empreinte de Satoshi Kon (Millennium Actress). Diabolik, une BD italienne, est d’ailleurs, clairement référencée. Et comme dans un film de Satoshi Kon, la structure non linéaire perdra absolument chaque spectateur durant les premières minutes, mimant ce qui semble être la structure d’un esprit sénile.
Réalité, fantasme, émotion et imagination s’entrecroisent sans cesse. La fragmentation du récit, à travers plusieurs lignes de temps et de réalité, exige une attention constante. Ce film est presque éprouvant : il vous saisit et ne vous lâche plus. Il offre peu de répit. Soit, vous lâchez prise et vous vous laissez porter par le tumulte émotionnel imposé, soit, vous vous accrochez et tentez de donner du sens à ce chaos.
Et bon Dieu, que c’est satisfaisant de reconnecter, rétrospectivement, deux scènes semblant totalement incohérentes, à première vue.
Tout dans ce film est une épreuve : suivre l’intrigue est déjà difficile, et saisir toutes les subtilités du récit est impossible en un seul visionnage. La violence de certains passages est aussi très crue, parfois insoutenable : les corps sont mutilés, et la souffrance, sublimée. Enfin, la bande sonore est parfois assourdissante. On ressort de ce film essoufflé, étourdi, confus.
Ce qui, paradoxalement, en fait une expérience cinématographique puissante — une de celles qui vous habitent encore longtemps après la projection.
Pierre Reynders