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Magi – The Labyrinth of Magic

Regarde ton ennemi dans les yeux et comprends ceci : toi et lui êtes semblables. Vous souvenez-vous d’une époque où vous saviez avec clarté ce qui était bien et ce qui était mal ? D’une époque où vos choix étaient clairs et limpides ? Une autre question intéressante dont j’adore débattre : combien d’épisodes, de chapitres ou de tomes donnez-vous à un manga avant de décider si vous allez le poursuivre jusqu’au bout ou non ?

Personnellement, il me semble qu’on peut se faire une bonne idée en trois épisodes ou chapitres. Ce laps de temps permet généralement de cerner l’atmosphère et les thèmes abordés. L’aventure est lancée, et il est tout de même rare qu’une œuvre change radicalement en termes de qualité.

Mais il y a bien sûr des exceptions. Je citerai par exemple Mob Psycho 100, qui devient un manga très différent (et bien meilleur, selon moi) à partir du sixième épisode. Et bien sûr, celui de cette critique : Magi : The Labyrinth of Magic.

Nous sommes dans un monde qui rappelle notre Moyen Âge, avec quelques différences notables. Les noms des nations sont légèrement modifiés (Balbad au lieu de Bagdad, l’Empire de Kô au lieu de la Chine, etc.), la magie existe, et surtout, de gigantesques bâtiments peuvent apparaître un peu partout dans le monde : les labyrinthes.

Il est dit que quiconque pénètre dans un labyrinthe et parvient à le conquérir obtiendra le pouvoir de devenir roi. Dans cet univers, nous suivons l’aventure d’Ali Baba, un jeune prince déchu rêvant de conquérir un labyrinthe. Nos yeux sont aussi rivés sur Aladdin, un petit garçon mystérieux portant une étrange flûte magique autour du cou. Une grande amitié naît entre les deux, alors que le destin les propulse au cœur d’un labyrinthe.

Sur 37 tomes, la série connaît le plus grand crescendo que j’aie jamais vu. Les premiers volumes ne paient vraiment pas de mine. On a une petite aventure shōnen avec une esthétique Mille et Une Nuits. Les héros sont un peu agaçants et les enjeux, pas très palpitants. Mais au fil des chapitres, à mesure que les secrets du monde se dévoilent et que nos héros gagnent en maturité, l’œuvre évolue de manière spectaculaire. Tout s’améliore, sans exception. On passe progressivement d’un simple manga d’aventure sympathique à l’un des meilleurs mangas de sa catégorie. Il faut juste persévérer !

Deux aspects rendent Magi absolument unique.

  • Un world-building exceptionnel

Plus l’histoire avance, plus on découvre des nations et personnages issus de cultures variées. Petit à petit, on se retrouve face à un monde foisonnant de détails et de richesse. Certains tomes entiers sont consacrés à raconter l’histoire du monde depuis ses origines, offrant ainsi une profondeur rarement atteinte dans un manga. Seul One Piece peut espérer surpasser Magi sur ce point.

  • Un traitement magistral des antagonistes

Au départ, l’histoire présente des méchants très caricaturaux : des tyrans impitoyables, des cultistes nihilistes… mais grâce à une écriture brillante, la mangaka parvient à développer des motivations extrêmement complexes et fascinantes pour chaque camp. Il n’est pas rare que les héros eux-mêmes remettent en question l’ensemble de leur système de valeurs après une simple discussion avec un adversaire.
Si vous aimez les conflits philosophiques où la force morale a plus de poids que la force physique, alors Magi est une œuvre incontournable.

L’ensemble est sublimé par le trait délicat de la mangaka. Ce ne sont pas les dessins les plus détaillés qui soient, mais ils dégagent une grâce et une fluidité remarquables. Le design efféminé de nombreux personnages apporte une touche originale, et les costumes bénéficient d’un travail soigné. Je tiens aussi à souligner un point surprenant : Magi contient des scènes d’une violence inattendue. Certains événements tragiques sont représentés avec une brutalité saisissante. L’effet de choc est redoutablement efficace.

Magi n’est pas un shōnen comme les autres. Si je l’ai commencé en pensant y trouver un divertissement léger, je l’ai terminé en étant complètement soufflé.

C’est une œuvre qui regorge de passion et d’idées. Elle respecte tant l’intelligence de ses lecteurs qu’il est impossible d’en ressortir inchangé.

Dédicace spéciale à Sindbad, qui est sans doute l’un des personnages les plus charismatiques et badass jamais vus !

Pierre Reynders

LA DURE A CUIRE #123

La Dure à Cuire est un concept né en 2018. Commentons l’actualité rock de la plus douce, à la plus brutale. Puis, écoutons sa playlist !

Killswitch Engage

Le métal ça tourne en rond ? On peut dire pareil quant au stoner, certes… en tout cas, Killswitch Engage ne m’emporte plus comme antan.

Naxatras

Naxatras prend la direction de l’Orient. Un choix judicieux et excellement bien orchestré !

Short Wave

Ecouter Short Wave, c’est être propulsé vers une mélodie simple et dansante. Comme si nous pouvions revivre l’ambiance des années 90.

Coma_Cose

Come un fiore di loto che galleggia nel fuoco. Fuori c’è maremoto, ti scrivo da remoto. Dove siamo finiti se non siamo appassiti ?

brunoaleas

LA DURE A CUIRE #122

La Dure à Cuire est un concept né en 2018. Commentons l’actualité rock de la plus douce, à la plus brutale. Puis, écoutons sa playlist !

Brunori Sas

Brunori Sas continue de suivre les pas de Rino Gaetano pour le plus grand plaisir des oreilles. Heureusement, sur son nouveau disque, L’Albero delle Noci, il s’en détache !

De Parrot

You knew, that is why. You lived a life of unconditional love.

TH da Freak

Negative Freaks, tel est le nom du futur album de TH da Freak. Grâce à Rock&Folk, on apprend que le disque a été écrit en quinze jours et enregistré en quatre, dans l’urgence du live. Le cocktail est plutôt goût molotov, ça s’entend sur le titre « I’m Still ».

Lisa Portelli

L’album de Lisa Portelli, Absens, est qualifié dans le dossier de presse comme une histoire d’une femme charismatique et romantique. Une femme qui vit son art à pleins poumons. Le clip de « L’avancée » le laisse deviner !

brunoaleas

M83 chez KEXP

Dans les premières sociétés humaines, l’instrument de musique est un outil de pouvoir. Il sert à communiquer avec les esprits de la nature, il est le lien entre les hommes et les éléments.

André Manoukian écrit ces mots dans son livre nommé Les Pouvoirs Extraordinaires de la Musique (2024). Le mélomane prend pour exemple un instrument préhistorique, le bull roarer, provoquant des rugissements de bison. D’ailleurs, l’objet est encore utilisé en Nouvelle-Guinée.

Une formation française, elle, communique avec les forces astrales ! M83 se fait notamment connaître grâce au titre « Midnight City ». Aujourd’hui, sa bande fait partie du cercle des groupes français connus à l’international. Anthony Gonzalez et Nicolas Fromageau créent le projet, en 1999. Et comment décrire leurs sonorités ? Spatiales ! Bien sûr, les musiciens explorent l’electro à fond les ballons. Synthés en veux-tu en voilà. Guitares spatialisant le son toujours plus. Bref, M83 suit la droite lignée d’un Jean-Michel Jarre. Ecoutez Zoolook (1984), vous comprendrez la folie.

Revenons à nos moutons. M83 s’adresse aux forces supérieures, chez KEXP. Le concert le prouve assez bien. Pourquoi ? Diantre, a-t-on encore l’occasion de voyager autant ?! La navette est prête dès les premières notes de « Water Deep », parfaite intro avant le décollage. « Ocean Niagara » nous propulse vers le Cosmos ! Guitares et synthés s’allient pour un moment épique. « Noise » secoue inévitablement… le périple était si délirant qu’on croirait n’être plus de ce monde. Le discours de Manoukian est donc toujours actuel.

brunoaleas – Photo ©Jake Hanson

Flavie Mazier Interview

Flavier Mazier s’occupe de groupes de musique. Elle ne cache pas à quel point Internet bouleverse nos habitudes et codes sociaux. Une question n’est donc pas à écarter. Que signifie être attachée de presse, aujourd’hui ? Réponses sincères d’une passionnée !

Comment choisis-tu les groupes avec qui tu aimerais bosser ? 

J’ai lancé officiellement mon auto-entreprise de chargée de relations médias, en mars 2022. Au fil des mois, j’ai vite compris que le principal, pour moi, c’est l’humain. J’ai besoin que les choses se fassent avec respect, bienveillance, confiance. Il faut aussi bien sûr que l’esthétique me parle et me plaise, j’ai un spectre assez large qui peut aller de la chanson au punk, en passant par la pop, la folk et le rock mais toujours avec une couleur indé, voire lofi.
Avec le temps, j’ai aussi choisi de ne travailler qu’avec des projets en développement qui en sont à leur premier album, premier EP, voire premier single. J’aime être là au tout début, faire partie des premiers soutiens et ensuite, voir les projets grossir et voler vers d’autres horizons plus confirmés.

Nous vivons l’ère numérique. Internet bouffe notre attention. Est-ce difficile, aujourd’hui plus qu’hier, de rendre visible le travail des musiciens dont tu t’occupes ?

Même avec seulement quelques années d’expérience, je vois la différence, oui. Les médias papiers sont de moins en moins nombreux, ceux qui sortaient toutes les semaines ne sortent plus que tous les mois, par exemple. Les gens écoutent de moins en moins la radio en direct. Les blogs sont moins consultés, mais de plus en plus sollicités, donc beaucoup arrêtent tout simplement, et peu se créé. Il n’y a presque plus de place pour la musique à la télé, en dehors du mainstream et de la variété.
De nouvelles pratiques se développent mais, en tant qu’attaché.es de presse, on n’a pas vraiment la main dessus. On ne peut pas contacter les programmateur.rices des playlits Spotify, Deezer, etc. Parfois les labels, les managers ou artistes nous demandent si on connait des influenceur.ses, des youtoubeur.ses etc. Mais il y en a peu qui parlent de musique indé et la plupart aiment diger par leurs propres moyens. De plus en plus de “médias” ne sont que sur Instagram par exemple Pour les médias présents, ils demandent à faire payer un relais en story ou un post. Sans parler de Groover (ndr : site web où les médias et professionnels écoutent les morceaux des artistes).
Les choses évoluent et très vite. A titre perso, ce n’est pas comme ça que j’imagine mon activité. La charge de travail est de plus en plus conséquente, mais les relais, les chroniques, les interviews sont de plus en plus difficiles à obtenir – pour les raisons évoquées et pour pleins d’autres, comme les équipes qui sont réduites au sein des médias, les médias bénévoles qui ne sont pas assez reconnus et soutenus, le nombre incalculable de nouveaux projets, et j’en passe –. Il faut soit s’adapter, soit s’accrocher ou, c’est mon cas, songer à une autre activité. Car en plus des retombées qui diminuent, en étant indépendante, il est difficile de se dégager un salaire correct car les budgets de tout le monde se réduisent.

Quel conseil donner aux personnes souhaitant réaliser ton travail ?

Bien se renseigner, avoir bien conscience de la conjoncture actuelle du secteur musical. Tous les parcours sont différents, certain.es se lancent en sortant de l’école mais je conseille de bien connaître l’entièreté du secteur musical, et de, si possible, varier les activités et passer par le bénévolat. C’est mon cas, je me suis formée sur le tas, à travers mes diverses expériences bénévoles, en organisation de concerts, en festival avec des expériences allant de bénévole au bar à la co-orga, j’ai fait une formation de chargée de production en musique actuelle, j’ai fait du booking, du management.

Interview organisée par brunoaleas – Photo ©Romain Berger

Mangas à lire une fois dans sa vie Part 3

Les mangas ? Pourquoi faire ? Ca se mange ? Posons la bonne question. Souhaites-tu lire d’incroyables bédés japonaises ? Même si tu n’y connais rien, même si tu ne sais pas où commencer, découvre nos livres, ou plutôt, des œuvres cultes.

Mauvaise Herbe – Keigo Shinzô

L’An dernier, j’affirme clair et net un fait : j’adore les œuvres dont la portée est sociale. Mauvaise Herbe de Keigo Shinzo ne me laisse donc pas indifférent. Au cours d’une descente de police dans une maison close, le lieutenant Yamada rencontre Shiori, une lycéenne fugueuse. Elle lui rappelle sa propre fille décédée et désire la protéger. Pourquoi ? À peine raccompagnée chez elle par la police, Shiori disparaît de nouveau.

Ce manga devrait être lu par les personnes fantasmant le Japon. La culture japonaise est certes fascinante, mais certaines pratiques demeurent incompréhensibles. Selon la police de Tokyo, en 2023, environ 43% des femmes arrêtées dans la rue pour prostitution ont commencé à vendre leur corps pour payer ce qu’elles devaient aux bars à hôtesses et aux proxénètes.
Le plus déprimant est de savoir ce qui se passe au centre de Tokyo. Dans le quartier de Kabukicho, le proxénétisme implique parfois des mineures dans des relations sexuelles non protégées !

Mauvaise Herbe n’est pas un livre aux propos moralisateurs, ni un reportage pénible à digérer. La lecture est intense mais il s’agit, avant tout, d’une rencontre inédite. Découvrez deux âmes en peine, ayant besoin d’une aide mutuelle pour guérir et aller de l’avant.

Quartier Lointain – Jirô Taniguchi

L’absence, la fuite ou la mort d’un parent, les regrets, l’incompréhension face au monde des adultes. Dans les pages d’un hors-série des Inrocks, Vincent Brunner énumère ces thèmes qui jalonnent l’univers de Jirô Taniguchi.

Pour mieux le comprendre, évoquons Quartier Lointain. Il s’agit là d’un classique de la littérature. Ce récit universel questionne le cocon familial et amical de tout un chacun. Un homme redécouvre son adolescence, à travers un regard d’adulte. De fait, nous suivons les pas de Hiroshi. L’homme d’âge mûr fait un détour involontaire par sa ville natale, où il perd connaissance. À son réveil, il retrouve son corps d’ado. Comment rester calme ? Comment éviter la déprime ? Comment profiter de la situation ? Jirô Taniguchi y répond sans problème.

Dragon Ball – Akira Toryama

Faut-il citer l’œuvre culte d’Akira Toriyama ? Bien sûr ! Porte d’entrée parfaite pour s’aventurer vers un monde divertissant, Dragon Ball berce et anime une flopée d’enfants. Comment l’expliquer ? Le manga présente un héros authentique nommé San Goku. Parfois, ses ennemis deviennent ses amis. Souvent, il fait confiance aux forces et qualités de ses proches.

Il y a tant à dire sur Dragon Ball ! Résumons un autre point fort. Le ton burlesque de l’auteur rythme ses histoires. Les bains de sang ne sont pas au centre de ses préoccupations. L’humour grivois et absurde des divers personnages est mémorable. Même lors du dernier arc, quand les protagonistes affrontent le terrifiant Super Buu, la bédé ne perd rien de sa légèreté !

brunoaleas – texte & photo

Flow

Quel est le point commun entre le chat du film Flow et Wonder Woman dessinée par Daniel Warren Johnson ? Deux être fascinants capables d’être déçus ou en colère, face à la violence. Le premier, plongé dans un monde où la montée des eaux est une menace, fait alliance avec d’autres animaux pour le meilleur et le pire. L’autre tente de comprendre la cause de l’apocalypse, proche des humains ayant besoin de son aide.

Centrons-nous sur Flow – et allez lire la bande dessinée de l’illustrateur américain –. Notre chat trouve refuge sur un bateau, aux côtés d’animaux divers et variés. S’entendre avec eux s’avère un défi. Mais le félin accepte l’entraide et devient empathique, voire, solidaire.

Pourquoi ? Le récit nous rappelle un fait souvent indubitable : dans la pire des situations, nous sommes tous pareils. Nul besoin de s’appeler Einstein pour le capter. La vie réserve des surprises d’année en année. Les catastrophes écologiques font partie des mauvaises surprises.
Ne citons pas les climatosceptiques, ils ont le droit de douter. Pensons plutôt aux milliardaires. Extinction Rebellion ne dissimule rien : l’aviation privée est une affaire de (ultra-)riches, un privilège de quelques-un·es (une heure de vol peut se chiffrer à 25 000 €), une activité encouragée par les États (construction/extension d’aéroports), détaxée (le kérosène est taxé à 40% de moins que l’essence), qui pollue jusqu’à 14 fois plus qu’une ligne commerciale.

Mais que deviennent nos biens, quand la mer, les pluies, les torrents engloutissent tout de près ou de loin ? Pas grand chose. Plus qu’une expérience sensorielle, où la parole n’a pas lieu d’être, Flow nous embarque dans un futur alternatif. De quoi se projeter vers une et une seule pensée : nous ressemblerons bien plus aux animaux du film qu’à des humains omnipotents.

brunoaleas

LA DURE A CUIRE #121

La Dure à Cuire est un concept né en 2018. Commentons l’actualité rock de la plus douce, à la plus brutale. Puis, écoutons sa playlist !

Bérode

Qui est possédé, à la fois, par le belge Jeronimo et les saints Beatles ? Bérode. L’artiste partage son heure de gloire.

Fragile

Fragile repose ses cordes vocales et offre un titre posé. « Overview » semble être la chanson à chanter en concert, après quelques pogos déchaînés.

Gouge Away

You might not get what you want. But you’ll get what you need.

brunoaleas

Dardust Interview

Dardust est auteur-compositeur. Son travail attire plusieurs artistes italiens. D’ailleurs, Jovanotti ne reste pas indifférent à son univers. Aujourd’hui, Dario Faini défend Urban Impressionism. Interview exclusive avec le pianiste coloriant des paysages brutalistes, à l’aide de son imagination !

Quand j’écoute Urban Impressionism, plusieurs images me viennent en tête. Je pense directement à l’hiver, au noir et blanc, à la beauté de la neige. Mais j’aimerais qu’on se concentre sur les émotions. Voulais-tu provoquer certaines émotions avec cet album ?

Je ne pense jamais sur l’output émotif de celles et ceux qui écoutent ce que je fais. Je raisonne toujours sur l’input émotionnel. Il advient quand j’écris quelque chose, quand je suis à un endroit, quand je définis un périmètre d’imagination, où je vais aller. Dans ce disque, les concepts des périphéries, des couleurs, que je voulais porter dans ce blanc et noir, ils arrivaient pendant que je commençais à sculpter l’imaginaire du disque.
De là, m’est venu le concept de Urban Impressionism. J’imaginais vraiment le piano qui entrait dans ce blanc et noir des périphéries qui ne sont autre que nos périphéries émotionnelles. Moi, je viens d’une périphérie. Je me sentais aussi à une périphérie, au niveau émotif, un peu en marge de la société, rappelant un sentiment d’abandon, d’être un peu aux extrêmes. Et j’ai toujours eu ce sentiment de rédemption pour compenser cette manière d’être en marge. Je l’ai fait avec l’imagination et le piano, quand j’étais petit. Donc, ce disque est un retour à la première étincelle, quand j’ai initié à être musicien, à être créatif dans la musique.

Tu voulais te connecter avec ton passé.

Je voulais être le moi du passé mais avec une nouvelle maturité. Après plusieurs années, je voulais revenir au point initial, mais avec la maturité propre à mes expériences passées. La créativité n’est autre que réallumer la curiosité. Je parle de cette curiosité affichée, quand on découvre les première choses, les premières fois. Donc, via ce disque, je revenais un peu dans ces parages.

C’est beau de parler de créativité. Est-il vraiment possible de se réinventer, en proposant de nouveaux albums ou, au bout du compte, les artistes sont toujours les mêmes, ont toujours les mêmes messages, la même détermination ?

On dit toujours que chaque artiste a une matrice de quatre ou cinq points, dans laquelle, il revient ponctuellement. Ou on dit qu’un chanteur, songwriter, a toujours quatre ou trois chansons, trois ou quatre formules, puis, il tourne toujours autour. En effet, il existe une matrice dans chaque artiste. Néanmoins, l’important est d’y apporter de nouvelles couleurs, de nouveaux schémas et de les faire progresser.
C’est évident que ma matrice de base soit celle d’unir deux fondations de mon palais : le piano et l’electro. Elles sont mes premiers mondes musicaux. Je les ai découvert quand j’étais petit. A chaque fois, je souhaite les mélanger, contaminer et porter vers de nouveaux imaginaires.

Il y a quelques semaines, je visitais pour la première fois Paris. Cette ville est une source d’inspiration pour Urban Impressionism. Tu as sûrement éprouvé un sentiment de grandeur, face à l’architecture de cette capitale. Comment le traduire en musique ?

Je ne suis pas allé dans le centre de Paris, voir son architecture faste et grandiose. Je suis plutôt allé dans les périphéries, dans les lieux où on ne va pas communément. En général, on ne va pas à l’Espace d’Abraxas, contempler ces monuments d’architecture brutaliste.
J’ai créé une carte comptant douze ou treize points positionnés aux périphéries parisiennes. Ces lieux me fascinaient vraiment au niveau de leur architecture brutaliste.
Pourquoi le brutalisme ? Le brutalisme, ce sont des palais nus qui exposent des matériaux rugueux, aux géométries austères. Tout est réduit au minimalisme le plus fonctionnel. Ça me plaisait l’idée d’aller là, colorier cela avec mon imagination. Quand tu es au centre de Paris, c’est tellement beau, grandiose. Tu observes déjà la énième puissance, en termes de beauté. Par contre, quand tu vois certaines vues blanches et noires, juste du ciment sans couleur, c’est là que se déclenche l’envie de compenser. Lorsque tu contemples le visuel de mon disque sur YouTube, les palais bougent d’une manière précise. C’est mon piano qui commence à déstructurer et colorier les blancs et noirs.

Dans les clips, on aperçoit des visages. Choisir ces personnes, c’est témoigner d’une époque ?

Non. Ces personnes ne sont autre que le symbole de mes émotions. Elles symbolisent les histoires, l’humanité et l’émotivité. Elles sont le cœur de l’expérience humaine, dans ces environnements ascétiques. Ces visages sont aussi les histoires de mon piano, ce qu’il raconte.

Nous avons parlé architecture, émotions, maintenant, centrons-nous sur la psychologie. Tu fus diplômé en psychologie, après avoir étudié à Rome. Cette connaissance aide à composer.

Certainement. La psychologie m’aide à enquêter sur moi-même. Il s’agit de savoir comment extérioriser mon imaginaire, mes émotions. La psychologie a fait de moi quelqu’un de plus conscient, quant à l’écoute et la composition. Disons, cette pratique m’a créé un troisième œil, une connaissance majeure sur le processus créatif. Sans oublier, une connaissance au sujet de ce qu’on provoque chez les auditeurs. Voici donc un travail d’artisan, cette deuxième phase est créative. Concernant la première, il y a de la pure émotion. Là, intervient la psychologie pour ce qui est du travail cathartique, des analyses sur soi pour faire naître des choses probablement cachées. C’est un travail d’enquêteur, comme un détective focalisé sur le passé, prêt à débusquer des secrets.

Revenons à l’album. Tu soignes les ambiances de tes morceaux. Des artistes, avant de sortir leur opus, partent en voiture écouter leur son. La technique aide à connaitre les sensations ressenties pour les futurs conducteurs savourant le disque. As-tu écouté tes sons à différents endroits pour ressentir, comme il se doit, tes sons ?

Absolument, oui. Je le fais toujours. Après une journée en studio, j’exporte les démos et je pars me promener avec mes écouteurs. Je marche ou je pars aussi en voiture en y connectant mon iPhone. J’écoute les sons sur des baffles, à la maison. A chaque fois que tu les écoutes à divers lieux, avec du matériel varié, ta perspective d’écoute change et tu découvres toujours de nouvelles choses à améliorer, des points manquants.

Quel est le titre dont tu es le plus fier ?

Peut-être « Le Bolero Brutal » car j’ai l’impression qu’il est le plus perturbant, celui où j’ai le plus innové dans mon langage pianistique. Comme si j’allais vers une nouvelle dimension, en jouant du piano. J’aime les choses qui me surprennent, in primis.

Interview menée par brunoaleas – Photo ©Emilio Tini

Vampire Weekend à l’Adidas Arena

Dans quelques années, je souffle sur 30 bougies. Les cheveux blancs sont déjà sur la tête mais le choc sera à vivre. Après avoir vu Vampire Weekend à l’Adidas Arena, à Paris, une idée persiste… je tourne la page d’un chapitre de ma vie.

Les New-Yorkais symbolisent la fougue et joie de mélanger diverses cultures musicales. On le comprend, en savourant les chansons du premier disque éponyme. Quant au dernier album en date, il prouve encore une fois que les mélomanes n’abandonnent pas leur démesure. Les nombreux instruments de Only God Was Above Us se retrouvent sur scène. Ils illustrent un tableau surnaturel, où on ne compte plus les brillants musiciens.

Au départ, 3 membres jouent sur scène. Ensuite, un grand rideau tombe et voici une armée de personnes, prêtes à enflammer la soirée. Que retenir ? Le minimalisme des vampires l’emporte sur la grandiosité présente sous nos yeux.
La couleur rouge envahit et se pose sur tout le monde, une fois lancé le titre à l’ambiance tribale, « New Dorp. New York ». On aperçoit aussi un néon blanc, brandi par Ezra Koenig, lorsqu’il chante « Mary Boone », près de ses musiciens. « Capricorn » rayonne grâce des lumières dorées. Bref, la mise en scène ne laisse pas indifférent.

Qu’ajouter de plus ? Je me fais vieux. Mais je préfère vieillir en écoutant mes groupes préférés, qu’isolé comme un rat écrasé sur l’E25. Vampire Weekend épate énormément. A leur concert, je trouve la formation inspirante car inspirée par la culture africaine, rock et baroque. A leur show, je signe la fin d’une époque, celle où l’excitation était comparable à l’énergie de « Cousins » ou d’un « A-Punk ». Contempler la bande, au moment où je visite pour la première fois la Ville Lumière, demeure un souvenir délicieux. Puis, sur « Capricorn », les paroles d’Ezra résument finalement mon état d’esprit.

Too old for dyin’ young
Too young to live alone
Sifting through centuries
For moments of your own

brunoaleas – texte & photo – Adidas Arena, 13/12/2024