Tous les articles par Drama

LA DURE A CUIRE #129

La Dure à Cuire est un concept né en 2018. Commentons l’actualité rock de la plus douce, à la plus brutale. Puis, écoutons sa playlist !

The Voidz

Auto-Tune de baisé, notes dissonantes trop exploitées, univers chaotique… The Voidz fut un groupe fascinant. Il devient malheureusement lassant.

No Prisoners

Deux musiciens de Raketkanon jouent au sein de No Prisoners. Rock et ironie les définissent probablement. Ce nouveau groupe provoquera assurément des pogos et danses en tout genre.

Alanis Morissette

Les 30 ans d’un album, ça se fête ! Jagged Little Pill est à écouter encore et encore.

brunoaleas

LA DURE A CUIRE #128

La Dure à Cuire est un concept né en 2018. Commentons l’actualité rock de la plus douce, à la plus brutale. Puis, écoutons sa playlist !

La FLEMME

La Femme n’est pas le seul groupe français affichant une sacrée dégaine. Ajoutez la lettre « L ». Dans leur communiqué, La FLEMME se présente comme des Osees en bord de Méditerranée. Affaire à suivre. Leur premier album, La Fête, est disponible !

Sun Gazol

Sun Gazol propose une musique psyché. « Thalassophobia » est accrocheur. Le groupe semble se reconnecter à l’eau, une forme de beauté inoubliable, source d’inspiration pour tout un chacun.

Opinion

Opinion est de retour, toujours aussi inspirant. Cette fois, son chanteur prononce des paroles en français. Quel en est le résultat ?
Un nouvel album nommé TROISIÈME OPINION, aguicheur, mélodieux et démontrant une nouvelle fois les talentueuses compositions, signées par Hugo Carmouze.

brunoaleas

Lucio Corsi, ceinture noire de légèreté

En me plongeant dans la vie et l’œuvre de David Bowie, j’ai tout écouté d’une oreille neuve. J’ai beaucoup lu aussi : ses interviews et de nombreux témoignages sur lui. Et j’ai eu un choc : l’œuvre de Bowie est l’une des plus captivantes, inventives, libres et audacieuses de la fin du siècle dernier, tous arts confondus. Et j’ai compris aussi que ce qui m’avait longtemps gêné chez lui était une forme particulière de folie : l’incapacité de savoir qui l’on est vraiment, la nécessité de se mettre perpétuellement en scène pour échapper à un vertigineux sentiment de vide.

Michka Assayas, journaliste de France Inter, écrit ces mots dans Very Good Bowie Trip (2023). David Bowie ne fut pas comme les autres artistes. Ses nombreuses facettes et son extravagance laissent une trace indémodable.

Aujourd’hui, Lucio Corsi suit l’esprit de liberté de son aîné. On pourrait comparer le musicien italien à tant d’autres personnages, groupes ou phénomènes des années 70… ce n’est pas si intéressant. Dès lors, pourquoi découvrir les sons de ce multi-instrumentiste, inspiré par les Blues Brothers dès l’enfance ? Non pas pour sa musicalité rock, mais pour ses paroles, une sainte légèreté.

La chanson, « Volevo essere un duro », en est le parfait exemple. Quel est son propos ? Lucio Corsi nous éclaire via Fanpage.it.

Ce monde voudrait que nous soyons infaillibles, solides comme les pierres et parfaits comme les fleurs, sans nous dire que les fleurs ne tiennent qu’à un fil.

Il ajoute une autre observation. Souvent, c’est facile de ne pas devenir ce que l’on rêvait d’être. Pour ma part, je me tiens accroché à mon rêve d’enfant, même si je connais des personnes qui trouvent leur voie autrement, une fois adultes.

Quant aux clips, ce serait un péché de les nier. Lucio pousse le curseur de l’humour à fond ! Les images de « Tu sei il matino » et « Volevo essere un duro » mettent le sourire aux lèvres.
L’Italie regorge encore de musiciens talentueux. La plume du Toscan sera retenue pour sa touche humoristique et onirique.

brunoaleas

Fcukers chez Boiler Room

Bon, on laisse Botenga détruire Madame Von der Leyen. Pour l’instant, parler politique n’est plus ma préoccupation première. Pourquoi ? Le flot de haine serait incommensurable. Autant ne pas gaspiller d’énergie pour écrire au sujet de nos dirigeants… capitalistes, individualistes et souvent, insultants.

Alors, où se réfugier ? Dans le club de Fcuckers. Oui, j’aurais aimé participé au Boiler Room du groupe, à San Francisco. Pourquoi ? Pour suer avec des amis d’un soir. Danser au sein d’une foule difforme. Ne plus réfléchir ni au passé, ni au futur. Vivre l’instant présent. Bercée par la voix de Shannon Wise, tout en étant possédé par le Malin. L’énergie house et festive suffit amplement à faire de ce concert, une merveille.

En somme, nous observons une sorte de rave-party, à petite échelle. Afin de comprendre l’ampleur de la situation, définissons la chose. Loïc Lafargue de Grangeneuve décrit le phénomène dans son livre, L’État face aux rave-parties. Les enjeux politiques du mouvement techno (2010).

Trip hop. Rock. Minimalisme efficace. La fréquence des Fcukers est foutrement accessible à tout un chacun. Un son qui rappelle les compositions de Bat for Lashes ou Portishead, artistes fort inspirants, encore aujourd’hui. Que la fête bat son plein !

brunoaleas

Yon

Je respire. Je n’entends que le bruit du vent. Comme si j’étais un coquillage et que l’air me traversait entièrement. Quand je peux m’allonger à même le sol et que je peux fermer les yeux, baisser ma garde, c’est là que je me sens vraiment libre. Dans la vacuité, mon âme trouve le repos.

Dans un immense internat pour jeunes filles, la vie suit son cours paisiblement. Entre la cantine, les activités sportives et les cours, le quotidien monotone de Margot n’est troublé que par quelques escapades dans une aile abandonnée de l’établissement, qui l’attire irrésistiblement. C’est justement alors qu’elle s’y aventure qu’un événement inattendu se produit : le Phénomène. Une alarme retentit, et l’internat entier est évacué dans la panique. Margot, isolée, n’a pas le temps de fuir. Coincée à l’intérieur avec d’autres élèves restées sur place, elle devra apprendre à survivre face aux dangers mystérieux que recèle ce phénomène.

Yon est une œuvre construite sur une prémisse, certes déjà vue, mais que j’adore : des enfants plongés dans une situation extraordinaire, coupés de leurs repères, forcés de s’adapter pour survivre. Ce thème a déjà été brillamment exploré dans des œuvres comme SeulsL’École emportéeDragon Head ou encore The Promised Neverland — toutes héritières, de près ou de loin, de Sa Majesté des Mouches.

Les récits d’exode sont toujours fascinants. Ils permettent d’introduire mystère et tension à travers des problématiques de survie et d’organisation collective. Ce qui les rend particulièrement puissants, c’est le choix de jeunes protagonistes.
Là où des adultes pourraient structurer la survie selon leurs compétences, leur métier ou leur statut, les enfants, eux, doivent faire émerger un ordre nouveau. Et cette dynamique est naturellement riche en conflits, en drames… donc en récits captivants.

Ici, cependant, le ton est tout autre. Du moins, dans ce premier tome. Le danger est bien présent, palpable, mais jamais écrasant ni terrifiant. Il y a moins de tension que dans d’autres récits du même genre, et bien plus d’atmosphère. Une ambiance étrange, presque onirique, où le suspense s’installe doucement.

Le contexte semble d’abord très banal, presque rassurant, mais le monde se révèle peu à peu plus étrange qu’il n’y paraît. Subtilement, détail après détail, une inquiétante étrangeté s’installe.
On remarque, par exemple, une rouille omniprésente, des salles de classe aux dimensions inhabituelles… une ambiance trouble et brumeuse se dégage de cette école, comme si elle appartenait à un autre monde. 

Margot, notre héroïne, est profondément antisociale. Décrite comme morose par ses professeurs et « pas nette » par ses camarades, elle cherche constamment l’isolement. Ce n’est pas qu’elle est rejetée ; au contraire, Margot exprime clairement son besoin de solitude. De nombreuses planches la montrent seule : elle mange seule, reste à l’écart sur le terrain de sport, et erre dans l’aile abandonnée.

Ces moments de silence et de calme sont magnifiquement rendus. Ils contrastent fortement avec les scènes de groupe, où les élèves parlent toutes en même temps, dans une cacophonie presque étouffante. L’œuvre m’a mis dans un état presque méditatif, où je ressentais chaque onomatopée, et où chaque silence semblait peser.

C’est une œuvre vraiment réussie, à la fois relaxante et haletante. On a autant envie d’en apprendre davantage sur ce monde étrange et les créatures qui y rôdent que sur les personnages eux-mêmes. C’est fluide, accessible, et porté par une ambiance unique. 

La série comptera quatre tomes, et le deuxième est prévu pour septembre. Une petite pépite francophone à ne pas manquer.

En trois minutes, le monde s’est retourné comme un gant.

Citation du manga

Pierre Reynders – Illustrations ©Camille Broutin

Lorenzo Hengeller à la Casa del Jazz

Comment dépeindre le charme de l’Italie ? En écoutant La Zanzara, infâme émission radio ? En lisant un livre diabolique écrit par Roberto Vannacci ? Ces questions rhétoriques obligent à s’ouvrir. Elles amènent à s’éloigner des personnalités beaucoup trop médiatisées. La réponse se situe donc ailleurs. Soufflons. La musique sublime nos vies. La Botte est assez bien illustrée via les chansons de Lorenzo Hengeller.

Un soir d’avril, je me dirige vers la Casa del Jazz. Cet endroit est plutôt particulier. On y trouve un parc, un studio d’enregistrement et une salle de concert. Quel plaisir ! La découverte du lieu enflamme mon envie de visiter Rome, le plus possible.
Lorenzo Hengeller emmène son quartet pour un concert aucunement ennuyeux. De premières notes de piano présentent l’univers du jazzman. Ses chaussettes rouges balaient mon regard. Sa danse assise transmet son bonheur. L’artiste joue un morceau dynamique, annonçant la couleur. S’évader se fait avec le sourire !

« Frasi Fatte » revient sur le côté (trop) terre à terre des Romains. « O’ scuntroso » illustre un personnage toujours à contre-courant. N’oublions pas l’instant où le musicien chante son envie de se suicider, un humour noir prononcé sur une mélodie douce et dansante ! Quant à la musique de « La strada verso casa », elle enveloppe dans un cocon doré. Mention honorable à Bernardo Guerra, batteur exceptionnel, mesurant les coups portés et offrant un solo de batterie mémorable.

Lorenzo Hengeller livre sa joie napolitaine. Il conte ses aventures à Rome, face à un public applaudissant chacune des performances. Le concert se différencie évidemment des spectacles où les musiciens sont plus muets qu’une porte de prison. Dès lors, ce souvenir de printemps demeure un beau moment passé entre mélomanes d’un soir. L’Italie, c’est ça aussi.

brunoaleas – Photo ©Giovanni Russo

LA DURE A CUIRE #127

La Dure à Cuire est un concept né en 2018. Commentons l’actualité rock de la plus douce, à la plus brutale. Puis, écoutons sa playlist !

Pogo Car Crash Control

Pogo Car Crash Control s’éloigne par moment du métal brut et sévère. « Comme toi » se définit via une mélodie entêtante et reposante.

Fabiola

Le nouvel album de Fabiola se nomme The Mushroom Type. Une info du dossier de presse du groupe rend la formation fascinante. Fabien Detry, tête pensante du quatuor, réunit un beau monde. Sur scène, Léa Kadian (Kunde), Tim Clijsters (ex-leader de BRNS) et Aurélien Auchain (Mountain Bike) rejoignent l’aventure ! A suivre.

Motta

Motta compose son morceau le plus Radiohead possible. « Suona » transporte les âmes vers un chemin onirique, où la guitare guide les pas des mélomanes.

My New Band Believe

A blind man told me once I’m wasting my life.
I have a friend who’s mind could cure death but he watches the real.

brunoaleas

Le cinéma français est si beau ?

Lorsque nous évoquons le cinéma français, nous pensons bien trop souvent aux clichés. Un cinéma de comédie, où les acteurs jouent aussi bien que votre oncle, après 3 verres de vins. Mais rappelons le vrai cinéma français. Celui qui incorpore tragédie et émotion, celui qui fait la bataille entre amour et haine, celui qui donne sa chance aux jeunes talents, celui qui ne vieillit pas. Le cinéma français est talentueux, est inspirant, est marquant. Il laisse sa trace en bien ou en mal, c’est à vous d’en juger après vision. Une caractéristique que l’on peut difficilement enlever au cinéma français, c’est sa complexité, son intelligence. Du génie dans l’humour comme Dîner de cons à la stupeur de l’imaginaire français dans Le Règne animal, le cinéma français fait des prouesses. Il touche, illustre la vie de milliers d’individus sur le grand écran. La Haine, film marquant qui montre la brutalité et les rêves échoués des jeunes de banlieue. La Boum montre l’insouciance et la jeunesse. Plus récemment, L’Amour Ouf  et le génie de Gilles Lelouche suivant le parcours tragique de deux jeunes qui tombent amoureux et puis, les drames de la vie les séparent. 

Le cinéma français est riche, il est doté d’une certaine beauté qui s’explique très peu car elle est individuelle et intime. Oui, selon moi, cette intimité existe entre le spectateur et l’œuvre. C’est une intimité qui en un instant transforme notre lien en amour. Amour avec les personnages aussi complexes qu’ils soient, en amour avec les décors qui nous font voyager tout en restant dans un certain confort, en amour avec la musique qui réussit à instaurer un climat où les rires côtoient les larmes. C’est ça qui fait l’essence du cinéma français. C’est un refuge, un lieu de rencontre et de mystère.
Mais encore une fois, je perçois le mystère et la beauté de cet art de cette exacte manière. Effectivement, le cinéma français est l’art où l’individu et ses pensées sont maîtres ! 

Binta – Photo ©Cédric Bertrand – Texte écrit à un atelier Scan-R

Jim Bishop Interview

Jim Bishop fait partie des meilleurs auteurs-dessinateurs ! Cette année, il termine sa trilogie de l’enfant. Sa nouvelle BD se nomme L’Enfantôme. L’histoire affiche deux ados subissant le système scolaire. Grandir, est-ce s’empoisonner ? Découvrez un artiste rêveur, mais aussi nietzschéen.

Les réactions des persos de L’Enfantôme sont souvent over the top. J’aime beaucoup cet aspect. Je repense à mon enfance. J’avais tendance à exagérer mes propos. Ça faisait rire mes camarades. Dans ta BD, ça va tellement loin. Rapidement, on découvre diverses scènes horrifiques. Comme si une petite phrase pouvait perturber le parcours d’une vie. Parfois, l’école et les parents éteignent un enfant, juste avec un mot, une phrase. Tu voulais transmettre cette idée.

Oui. C’est clairement ça. Et dans la bande dessinée, j’ai mis beaucoup de choses de mon réel. Il suffit d’une phrase qui t’appartient pour aller vers une direction. Peut-être, c’était la bonne direction. Par exemple, toute la phase où le gamin, le boutonneux, il exprime le fait qu’il veut être gérant de magasin de jeux vidéo – c’est un peu un « running gag » dans la bédé –c’est parce que c’est ce dont je rêvais quand j’étais gamin. Je rêvais d’avoir un magasin de jeux vidéo. Ces magasins, dans les années 90, il y en avait vraiment beaucoup. Les jeux d’occasion était aussi beaucoup plus accessiblesIl n’y avait pas autant de gens qui achetaient de jeux vidéo sur Internet. Tu pouvais trouver de grandes pépites, des jeux pas chers. Les jeux d’occasion, avant, c’était quelque chose de beaucoup plus intéressant et satisfaisant. Maintenant, ça n’existe quasiment plus.
J’habitais dans un endroit où il y en avait plusieurs. Je rêvais donc de gérer un magasin. Par le passé, j’ai émis ce souhait à une conseillère d’orientation. Elle m’avait dit que ce désir était impossible à réaliser. Comme quoi je ne réaliserai jamais ce rêve d’enfant. Du coup, moi, ça m’a freiné dans cette optique d’avenir. Je pense que les adultes ont sur les enfants une aura, un ascendant. On fait confiance. On pense qu’ils comprennent mieux la vie vu qu’ils sont plus grands, plus expérimentés. Mais en réalité, ils ne le sont pas plus sur certains sujets. Même mes parents, quand j’étais gamin, quand je leur disais que je voulais faire de la bande dessinée, ils disaient : « Ouais, mais ça paye pas bien, blablabla ». Ils en parlaient comme s’ils avaient une expérience. En fait, ils n’en avaient aucune. Ils se basaient juste sur des ressentis, des idées, des préjugés. En grandissant, tu te rends compte qu’on fonctionne énormément d’après des préjugés. « Moi, je n’ai pas réussi à y aller. Alors ça veut dire que lui, il ne va pas pouvoir y arriver ». Pensez à ce genre de phrase. C’est vraiment comme si on projetait nos propres idées sur l’autre. Et oui, je pense qu’effectivement, on peut avoir ce truc de diriger l’enfant, en tant qu’adulte, dans une mauvaise direction. Elle devient vite la direction à suivre. Cette méthode est un peu néfaste pour un développement.

J’aimerais revenir un instant sur ta trilogie. Lettres Perdues présente un univers digne d’un film imaginé par Hayao Miyazaki. Dans Mon ami Pierrot, l’histoire est tournée vers le médiéval-fantasy. Quant à L’Enfantôme, nous observons notre époque. Le fantastique nous suit aussi, au long des pages. Développer notre époque contemporaine, est-ce plus difficile ? Faut-il être encore plus créatif pour rendre le réel captivant ?

Je me suis posé cette question justement. Savoir si ce que je racontais était assez intéressant parce qu’il faut enrichir un univers, il faut qu’il se passe des choses.
En réalité, ce qui pouvait rendre un récit contemporain captivant, c’est vraiment l’attrait qu’on peut avoir pour les personnages. Pour moi, c’est ça qui va rendre le récit captivant, au-delà du fantastique. Si le fantastique est la seule raison qui permet de rendre le récit intéressant, le récit serait probablement bancal. Il faut vraiment qu’on arrive à s’attacher aux persos. Qu’on se reconnaisse ou pas, mais qu’on ait quelque chose qui nous relie à un personnage précis.
Ensuite, on peut se permettre d’apporter une touche fantastique, d’amener de la fantaisie et de surprendre. C’est ça que j’aime bien avec le récit contemporain. C’est notre monde. On ne va pas forcément s’imaginer l’idée que le fantastique puisse apparaître. Et quand il apparaît, que l’on a bien préparé le terrain pour que ça apparaisse, je trouve que ça crée une émotion qui te sort tout de suite du quotidien. Lors de l’écriture, je pensais à des films des années 90. A un moment donné, je pensais à L’Histoire sans Fin. C’est un film que j’ai beaucoup vu quand j’étais gamin. Il paraît que ça se passe dans un monde contemporain. Mais il y a ce moment où, quand ça part dans l’imaginaire, ça surprend. Pourtant, ça reste très distant. Pareil avec Les Goonies. C’est une inspiration où il n’y a jamais vraiment de fantastique, mais tu le frôles un peu. Il y a un personnage qui a un handicap physique, il te surprend. Il y a des pirates, une légende. Il y a cet onirisme ancré dans le réel qui me faisait rêver. J’aime bien me dire que, par exemple, dans L’Enfantôme, ce n’est pas forcément du fantastique, c’est réel. Comme tu le citais, j’ai juste extrapolé une émotion pour l’ancrer dans une autre réalité. Moi, j’y crois, d’une certaine manière. J’y crois vraiment.

Désormais, parlons dessin. Lorsque je tombe sur certaines planches délirantes, je kiffe. Tu te libères des codes, tu te lâches. On voyage. T’exposes les émotions d’une certaine façon.
Plus tard, peut-on t’imaginer travailler sur une bédé très expérimentale, où il n’y a pas de dialogues, où l’on vit une expérience à part ?

J’ai des inspirations qui vont dans ce sens. Citons Mœbius. Mœbius a fait énormément de bédés psychés. A la base, moi, c’est ce que j’aime vraiment, les approches narratives un peu psychés ou même intangibles et incompréhensibles. Mes premières bédés dégageaient cette aura-là. Je me détachais beaucoup du réel, ça devenait trop incompréhensible. Et en tant que jeune auteur, j’avais déjà besoin de savoir écrire une histoire, qu’on la comprenne, avant de faire des trucs bizarres. Mais oui ! J’aimerais bien expérimenter, me lâcher, ne pas savoir où je vais. Pour Lettres Perdues, la première partie a un côté absurde et psyché. Je la ramène au réel. On me communiquait qu’au début de la lecture, l’effet était bizarroïde, qu’on avait du mal à y entrer. Faut savoir qu’il y a des poissons qui parlent, d’autres qui enquêtent, etc. Au départ, t’as l’impression d’être dans un monde farfelu, alors qu’il est expliqué. Bref, si tu n’as pas d’explication, tu restes enfermé dans un étrange univers. Mais ouais, pourquoi pas un jour aller plus loin là-dedans… je n’ai pas d’envie particulière, mais ce n’est pas interdit.

Tu nommes plusieurs inspirations. David Lynch, réalisateur fort inspirant, est décédé récemment. Le sens de ses œuvres ne l’intéressait pas. Il se préoccupait des sensations. C’est-à-dire, les sensations que vont vivre les spectateurs et spectatrices, devant ses films. Te reconnais-tu dans ses paroles ? Ou alors, avant même de dessiner, tu réfléchis au sens de tes œuvres ?

C’est drôle que t’en fasses référence. La partie des fantôme inscrites dans L’Enfantôme, quand je la relisais, je me disais qu’il y avait quelques points incompréhensibles. Et je me rattachais à David Lynch. J’annonçais autour de moi : « Ouais mais mais David Lynch, il fait des films qu’on ne comprend pas, et pourtant, on aime les émotions ». Moi, ça me rassurais de me dire ça. Je ne comprends pas tout ce qui se passe dans ses récits. Par contre, les émotions, si elles passent, c’est quand même plus important que de comprendre tout à la lettre.

Garder un mystère autour de ses œuvres, ça peut les rendre vivantes. Je me reconnais beaucoup dans le souhait artistique de David Lynch. Quand j’ai commencé les bédés, elles étaient complètement incompréhensibles. Ça me laisse une trace. Aujourd’hui, j’ai envie qu’on me comprenne. Je me suis donc forcé apprendre à faire des bédés très, très, lisibles. Mais peut-être, maintenant, je veux bien relâcher. Se lâcher, c’est aussi avoir une maturité artistique.

L’artiste se doit aussi de faire confiance aux lecteurs et lectrices. Des gens n’embarquent plus dans des histoires perchées. Mais il y a aussi un public qui adore ça, qui va adhérer. Finalement, ne faudrait-il pas trouver le bon équilibre ?

Il faut bosser là-dessus. La force de Lynch, c’est le lâcher-prise. Lâcher-prise sur ses émotions, sur ses envies. Il expérimentait ses histoires comme il les ressentait, au lieu de vouloir contrôler une narration. Ça, c’est sa grande force. La plupart des auteurs ont peut-être du mal à le faire, et moi, j’en fais partie.

En lisant ta trilogie, je perçois un message. Comme s’il y avait un point commun entre tes livres. Tu illustres une sorte de vérité. Grandir, ce n’est ne plus se faire d’illusions.

Oui, ça revient dans mes trois livres. Pour moi, grandir, c’est continuer de rêver, parce que tous mes personnages fictifs ne s’arrêtent pas de rêver, mais sans se faire d’illusions. C’est-à-dire, ils rêvent de choses réelles. Rêver d’illusions équivaut à se perdre. Comme si tu n’étais pas vivant. C’est une autre forme de mort, quand on n’assume pas la réalité.
Cependant, quand tu rêves de choses réelles, tangibles, simples, palpables, ça fait du bien. Après, j’aime aussi rêver de choses irréelles ! Un jeu vidéo peut me transporter. Émotionnellement, je vis quelques chose, ça existe. En d’autres mots, grandir, c’est garder sa part d’enfant, en assumant d’être dans un monde adulte, sans illusion. T’arrêtes de croire que tout est beau et naïf. De fait, ce n’est pas le cas. Néanmoins, tu peux vivre ton quotidien naïvement, si tu veux. Ce n’est pas un piège. Ce n’est plus un piège.

Interview organisée par brunoaleas – Photo ©Francesca Mantovani

Lost Highway

Fred Madison (Bill Pullman), un saxophoniste, vit avec sa femme, Renée (Patricia Arquette), dans une relation froide et distante. Un jour, ils commencent à recevoir d’étranges cassettes vidéo filmant leur maison, puis leur chambre à coucher pendant leur sommeil. Lors d’une fête, Fred rencontre un mystérieux homme pâle qui semble le connaître d’une façon inquiétante. Peu après, Renée est brutalement assassinée, et Fred est arrêté bien qu’il ne se souvienne de rien.

En prison, un événement surnaturel se produit : Fred disparaît. Il est alors remplacé par Pete Dayton (Balthazar Getty), un jeune mécanicien qui ne se souvient pas comment il est arrivé là. Libéré, Pete entame une liaison avec Alice Wakefield (Patricia Arquette), la maîtresse d’un gangster violent, qui ressemble étrangement à Renée.

Lost

Lost Highway s’éloigne des productions qui consistent à prendre le spectateur par la main pour lui narrer une histoire. Ici, le réalisateur, David Lynch, impose une posture : il faut être attentif à chaque détail.

Le scénario est fragmenté, le réel et le songe se mélangent, le présent et le futur se confondent. À l’instar de lecteurs d’un polar, les spectateurs de Lost Highway tentent de rassembler toutes les pièces dans l’ultime but de ne pas s’égarer.

La difficulté principale que le spectateur affrontera dans son visionnage est la vitesse. En effet, le mot « highway », « autoroute » en français, n’est pas un hasard. David Lynch impose une cadence dans la trame narrative, semblable à la vitesse des voitures sur l’autoroute.

Conseil d’ami : accrochez-vous bien pour ne rien rater.

Lucid Dreams

Les rêves lucides correspondent à l’instant où, dans notre sommeil, nous prenons conscience que nous sommes en plein rêve.

Lorsque Fred est remplacé par Pete, par un évènement surnaturel dans sa cellule, la suite de l’intrigue semble être un rêve lucide pour le spectateur.
Cette deuxième partie du film requiert une attention et une concentration plus particulière, car elle permet de comprendre la première partie du film.

La bande-son

La bande-son de Lost Highway est une pièce maîtresse de son atmosphère. Elle mélange rock industriel, dark ambient et jazz pour créer une ambiance à la fois hypnotique, angoissante et électrique. Supervisée par David Lynch et Trent Reznor (Nine Inch Nails), elle reflète les différentes facettes de l’œuvre : l’étrangeté, la violence, la sensualité et la perte de repères.

En somme, David Lynch propose une course effrénée aux frontières de la réalité, à travers une narration fragmentée et une bande-son envoutante.

Fortuné Beya Kabala