Amer Béton

Qui n’a jamais rêvé de se faire la malle ? Qui n’a jamais souhaité abandonner ses terres natales pour réaliser ses rêves ? Amer Béton synthétise cette envie de fuir. Mais Noiro et Blanko, nos protagonistes, ne désirent pas l’exil. Pas directement. Ils restent dans leur ville, en luttant contre tout et tout le monde… en luttant contre eux-mêmes.

Que raconte précisément le manga de Taiyō Matsumoto ? Blanko et Noiro, des orphelins, sèment la terreur dans les rues de Takara. Rackettant bandits, yakuzas et fanatiques, les gamins, surnommés « les chats », sont agiles et prêts à vivre de périlleuses expériences. Ont-il le même caractère ? Noiro apparaît dur et enragé et Blanko, innocent et lunaire.

Le mangaka installe ce duo, au centre de l’intrigue. Pourtant, nos yeux peuvent vite se perdre, au milieu d’une ville surchargée de détails, allant des multiples panneaux publicitaires et maisons collées-serrées, au croissant de Lune, dont le visage s’affiche serein. Sakamoto Days n’est pas la seule BD à soigner ses décors. Taiyō Matsumoto illustre des environnements extrêmement beaux et créatifs. Il sublime le chaos.
Mais l’attention se porte sur Noiro et Blanko. Ils courent, volent, s’incrustent dans une ambiance survitaminée, ressentie à chaque coin de rue. D’ailleurs, la lutte est au rendez-vous, comme le cite Louis-Julien Nicolaou, dans un numéro spécial des Inrocks (mars 2017).

Dans l’œuvre de l’artiste, les jeux et élans d’invention que s’échangent les gamins se heurtent aux codes mortifères du monde adulte. Les lois absurdes des yakuzas dans Amer Béton, celles de la compétition sportive dans Ping Pong, les unes comme les autres déclinant une philosophie martiale du bushido, le code d’honneur des samouraïs. Il brise toute liberté individuelle, au profit d’un idéal de performance suprême. Cette confrontation fait de l’enfance un temps de lutte et de souffrance, où peut naître une vocation à l’insoumission perpétuelle.

Le conflit inspire donc l’auteur-dessinateur. Il va plus loin. Chaque personnage cherche sa vérité. L’homme à la fois yakuza et père de famille. Le grand-père, aimant et sage. Des enfants liés par le même destin.

Une vérité parfois interrogée, critiquée, voire malmenée.

Vers la fin du manga, un enfant fort énigmatique entre en scène pour sauver Noiro, attaqué par ses ennemis. L’étranger ne cesse de répéter les mêmes phrases. Comme si son mantra devait s’imprimer sur la couverture du livre.

C’est dans l’obscurité, et dans l’obscurité seule, qu’existe la vérité.

A-t-il raison ? Et si, finalement, les personnes ayant vécu les pires drames savent ce qu’est la vie, la vraie… ne résumons pas Amer Béton à ce simple principe philosophique.
Néanmoins, Taiyō Matsumoto a le mérite de poser les bases d’une interrogation existentielle. Une fois la lecture terminée, posez-vous sur l’herbe, admirez le ciel et interrogez-vous. Comment trouver sa place dans la société ? En la fuyant ou en la combattant ?

brunoaleas – Illustrations ©Taiyō Matsumoto

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