Depuis plus de sept décennies, les super-héros sont présents dans les salles obscures. Si leur présence s’est faite plus intense depuis le Superman de Richard Donner en 1978, ce n’est qu’au tournant des années 2000 que ceux qui étaient autrefois les idoles de quelques originaux à grosses lunettes sont devenus de véritables icônes culturelles, pour le meilleur et (surtout) pour le pire. Car à bien y regarder, des films de l’acabit du Superman cité précédemment, des adaptations de Batman par Tim Burton puis Christopher Nolan, des X-Men de Bryan Singer ou encore du récent Logan de James Mangold sont plus l’exception qu’ils ne sont la règle. En effet, la popularité grandissante de ces personnages a la matrice d’une grande fresque cinématographique est rapidement devenue une véritable machine uniformisatrice de tout un pan de la production super-héroïque. En plus d’être castratrice pour tout réalisateur qui oserait apporter des idées un tant soit peu originales à son film. Si le dernier véritable auteur à en avoir fait les frais est Shane Black sur Iron Man 3, le point d’orgue de cette dynamique fut le départ d’Edgar Wright de ce qui allait devenir Ant-Man, le Britannique refusant de voir le scénario du projet qu’il a porté durant huit ans charcuté par des liens inutiles aux autres films du studio. Notons également le renvoi de Phil Lord et Christopher Miller de la réalisation du spin-off Star Wars sur Han Solo par Disney, qui est également à l’origine du mode de production de Marvel, il n’y a pas de hasard. Que ce soit dans le cas de Wright ou de Lord et Miller, il y a de quoi grincer des dents.
Ensuite, ce fut au tour de DC de lancer en 2013 son propre univers, et là où quelques productions Marvel peuvent être agréables à regarder, pensons à Iron Man ou au récent deuxième opus des Gardiens de la Galaxie, le DC « Cinematic » Universe est, à l’heure où sont écrites ces lignes un ratage complet. Man of Steel, Batman v Superman, Suicide Squad,… Tout est à jeter. La « Distinguée Concurrence » peut bien faire bonne figure en se donnant une image de boîte qui laisse les auteurs s’exprimer. Néanmoins, quand le représentant de cette politique est Zack Snyder, réalisateur incapable d’avoir des idées de bon goût, quand il n’est pas encadré par un fort matériau original (pensons à son très bon Watchmen, qui n’est finalement qu’un calque, inspiré certes, case par case du comics d’Alan Moore), on en viendrait presque à préférer l’absence totale d’idées venant des faiseurs de Marvel Studios aux commandes des deux derniers Captain America ou de Thor: the Dark World, pour ne citer qu’eux. Dilemme cornélien s’il en est.
S’il y a bien un personnage qui cristallise toutes les mutations du genre, c’est bien Spider-Man: de 2002 à 2017, le tisseur a tout vu: reboots et entrée dans le MCU tout en ayant traversé le bouleversement total qu’était The Dark Knight sur le cinéma Hollywoodien. Il paraît donc intéressant, à l’approche de la sortie de Spider-Man: Homecoming (septième film mettant en scène le tisseur en quinze ans), de voir les conséquences concrètes, et ce qu’elles apportent (ou enlèvent), de ces profonds changements.
Spider-Man (2002)
Après plus de quinze ans de gestation, une adaptation hollywoodienne de l’araignée est enfin concrétisée après l’acquisition des droits par Columbia et l’écriture d’un scénario de James Cameron (Terminator, Terminator 2, Titanic,…) qui était parti pour réaliser le film. C’est alors qu’est est propulsé aux commandes du film: Sam Raimi. Il faut dire que l’homme avait déjà fait ses preuves en frappant très fort avec son premier film, le culte Evil Dead, en 1981, et l’encore plus culte, plus maîtrisé, plus drôle Evil Dead II en 1987. En plus de cela, il s’était déjà frotté au genre avec son excellent Darkman en 1991, le candidat parfait, et qui plus est, fan du personnage de Stan Lee depuis son adolescence. Dès 1981, il fait montre d’un sens très développé de la mise en scène en alliant cadre précis et impressionnants mouvements de caméra, tout en faisant dans son écriture un certain second degré qui, pour autant, ne sacrifie pas ses personnages. Cependant, si son troisième opus d’Evil Dead (Army of Darkness) est plus faible que ses illustres aînés, c’est bien parce qu’il met trop l’accent sur son aspect parodique et, brisant le fragile équilibre des deux premiers opus, provoque un manque d’unité assez dérangeant. La rédemption viendra en 1996, avec The Quick and the Dead, western nerveux piochant ses références avec goût dans les Westerns classique, spaghetti et crépusculaire, tout en offrant une mise en scène du feu de Dieu et un casting absolument incroyable, Sharon Stone en tête. Dix-sept ans avant Django Unchained, Raimi propose une incroyable lecture contemporaine du Western. Sincère, drôle, dramatique, romantique et parfois horrifique, il est de bon ton dans le cadre de cette rétrospective de dire que le cinéma de Raimi est un cinéma dont l’équilibre ne tient qu’à un fil.
Cet équilibre, on le retrouve dans ce premier Spider-Man: l’humour du personnage de Spider-Man n’est pas trop appuyé (coucou Marc Webb), et se repose davantage sur la cocasserie de certaines situations dans lesquelles Peter se retrouve dans sa vie « civile », pensons aux entretiens avec Jonah Jameson (incarné par un jouissif J.K. Simmons), rédacteur en chef du Daily Bugle. Mais cet humour si justement dosé n’empiète absolument pas sur l’aspect dramatique, presque tragique de la vie du héros. L’on pense aux moments de deuil suite à la mort de l’oncle Ben, très simple dans son écriture, illustrée par de courtes répliques sublimées par les très émouvants Tobey Maguire (Peter Parker) et Rosemary Harris (May Parker). Personnages dont la fragilité n’existe que pour faire surgir une véritable force de caractère, soit face aux responsabilités qu’impliquent le fait d’être Spider-Man, soit face aux difficultés de la vie de jeune adulte.
Visuellement, quand il s’agit des scènes d’action et de voltige, Sam Raimi n’a rien perdu de sa superbe et propose un découpage de l’action toujours clair et précis et des mouvements de caméra vertigineux. et sait faire respirer le film et poser sa caméra quand il faut montrer la vie de Peter, et ses moments d’intimité avec sa tante, Harry Osborn (James Franco) et la belle Mary Jane Watson (Kirsten Dunst). N’oublions pas non plus la génial partition de Danny Elfman qui livre ici un thème resté dans les mémoires.
Aux côtés du X-Men de Bryan Singer sorti deux ans plus tôt, Sam Raimi donne une nouvelle jeunesse au genre tout en référençant explicitement le Superman de Richard Donner et sa propre saga Evil Dead. Cette nouvelle façon de mettre en scène les super-héros n’aura hélas que peu de succès: quand on voit les Daredevil en 2003 et autres Quatre Fantastiques en 2005 et 2007, il est évident que Raimi et Singer ont été les seuls à faire de véritables propositions de cinéma sans tomber dans le mauvais goût ultime. Cette première adaptation de Spider-Man est une réussite, même si l’on sent que Raimi se retient un peu, reste assez sage comparé à The Quick and the Dead et surtout Evil Dead. On effleure un potentiel qui pourra être pleinement exprimé dans une éventuelle suite.
Deux ans après l’opus originel, Spider-Man 2 est à Spider-Man ce qu’Evil Dead II fut à Evil Dead: une suite avec plus de moyens, plus maîtrisée, plus folle, plus belle, bref, un film un tout point supérieur à son aîné. Raimi prend ici son temps pour nous présenter la nouvelle vie de Peter Parker, et l’antagoniste principal du film, le Docteur Octopus, campé par un génial Alfred Molina, n’arrive qu’au bout de 45 minutes de film. Et pourtant, même si la première partie comporte ses moments d’action, la maîtrise du rythme de Raimi fait qu’il est agréable de suivre la vie compliquée de Parker et son incapacité à gérer sa double vie qui entraînera une profonde remise en question.
Une fois passé ce cap, Raimi montre encore plus son talent pour la mise en scène en livrant des scènes d’actions vertigineuses, tirant plein parti de la verticalité qu’offre le paysage New-Yorkais. Le tout est ici adouci par la photographie colorée de Bill Pope (directeur de la photographie notamment de la trilogie Matrix et des films d’Edgar Wright) qui sublime les rues de la grosse pomme et donne davantage de cachet aux moments de la vie de Parker. Mais l’apothéose de ce Spider-Man 2 est véritablement la scène de combat sur le métro aérien où Raimi se lâche: découpage millimétré, mouvements de caméra incroyables, impeccable gestion de la tension et enjeux simples mais efficaces. Le tout conclu par une scène avec une symbolique fugace, bien loin des symboles lourds et patauds employés par Zack Snyder pour faire de son Superman une figure christique. Maîtrisée de bout en bout, il me semble qu’on ne retrouvera ce niveau de mené de main de maître dans l’action hollywoodienne que neuf ans plus tard, dans le génial Mad Max: Fury Road de George Miller.
Revoir Spider-Man 2 est toujours un plaisir car il est la démonstration, aux côtés des films de Nolan, Singer et Burton, qu’un auteur avec des idées livrera toujours un meilleur film que les mercenaires engagés aujourd’hui par Marvel et DC. Mais également car en plus d’être l’exemple-type d’un blockbuster intelligent et de qualité, c’est également un grand et beau film qui vient sans peine se ranger, aux côtés de The Quick and the Dead et Evil Dead II, comme l’un des meilleurs travaux de son auteur, si pas le meilleur. Film majeur du genre, on aimerait aujourd’hui voir plus de blockbusters de la trempe de Spider-Man 2, véritable joyau d’une époque qui semble désormais révolue à Hollywood.
Une des excellentes surprises de la version longue de Spider-Man 2: Spider-Man 2.1
Spider-Man 3 (2007)
Dix ans après la sortie de ce troisième opus, ce dernier est toujours sujet à controverses, certes moins vives qu’à l’époque, mais toujours présentes. Et pour cause, cet ultime film de la saga de Sam Raimi est le signe annonciateur du mode de production actuel. En effet, autant le traitement de la vie de Peter Parker est toujours aussi impeccable et les traitements respectifs de Sandman (Thomas Haden Church) et du nouveau bouffon vert, prolongement du personnage de Harry Osborn (James Franco) d’une justesse incroyable. Cependant, on se demande ce que le symbiote, entité extraterrestre faisant perdre les pédales à Parker, et Venom viennent faire dans cette si prometteuse affaire. Tout semble gratuit: de son apparition plus que grossière à son écriture d’une maladresse indigne de Sam Raimi. La raison du ratage de cet aspect est toute simple: le studio a cette fois voulu imposer une contrainte à Raimi en l’obligeant à intégrer Venom à son métrage, expliquant ce traitement exécuté par dessus la jambe et ce magnifique doigt d’honneur de Raimi tendu vers le ciel au studio qu’est cette vingtaine de minutes mettant un scène un Peter Parker devenu emo, affublé d’une mèche ridicule et dansant au milieu des rues new-yorkaises. Séquence devenue culte tant elle a été décriée puis détournée par les fans.
Pourtant, ce Spider-Man 3 ne souffre pas d’un éventuel revisionnage, que du contraire. Il serait en effet malhonnête de réduire le film à ce moment d’insolence d’un cinéaste refusant qu’on lui marche sur les pieds. Car ledit cinéaste fait preuve de toujours autant de maîtrise que ce soit dans l’action, pensons à ce moment de bravoure final qui n’a pas grand chose à envier à la scène du métro de Spider-Man 2 et à ce parti pris paraissant aujourd’hui incroyable qu’est le fait de ne pas anéantir totalement l’antagoniste principal du film, celui qui intéresse Raimi, à savoir Sandman. Chose impensable aujourd’hui, à l’heure où les climax des films de super-héros consistent à, chez DC, une bouillie numérique imbuvable et indigeste ou, chez Marvel, à des cosplayeurs se battant sur un parking filmés par des gens n’ayant guère plus de talent que de vulgaires réalisateurs de fanfilms (cf. Civil War). Non. Le film se conclut avec le pardon: l’homme-araignée sort de la spirale du ressentiment, de la vengeance, l’homme-araignée redevient juste humain. Ce parti pris offre ainsi un final extrêmement émouvant et mélancolique à cette trilogie que l’on aurait voulu plus longue. Bref, Spider-Man 3, même indépendamment du marasme de la production actuelle, est un film à révaluer d’urgence tant il n’est absolument pas réductible à ses quelques moments d’égarement.
Suite à ça, un Spider-Man 4 est immédiatement mis en chantier. Hélas, quelque peu dégoûté par son expérience sur Spider-Man 3 et Sony voulant intégrer le Lézard, Sam Raimi quittera le projet sans grosse dispute avec le studio. Et quel projet: les quelques storyboards ayant émergé sur la toile montrent non seulement l’intention de Raimi de donner le rôle du personnage de Black Cat à Anne Hathaway (la Catwoman de Christopher Nolan), le Vautour incarné par Ben Kingsley, et surtout, Mysterio, incarné par Bruce Campbell, camarade de toujours de Sam Raimi, ayant interprété le héros de la saga qui a révélé le réalisateur: Evil Dead. Notons, à titre de consolation, que Bruce Campbell s’était vu attribuer de courtes mais exquises apparitions dans chacun des films Spider-Man: le commentateur de catch dans le premier, l’ouvreur du théâtre dans le second, et l’hilarant maître d’hôtel français dans le troisième. Bref, c’est avec un pincement au cœur que l’on se dit qu’on ne verra jamais de quatrième Spider-Man mené par la joyeuse bande Raimi/Maguire/Dunst/Campbell. C’est d’autant plus douloureux à la lecture des mails ayant fuité suite au hack de Sony en 2014, montrant à quel point les exécutifs de la boîte regrettaient l’abandon du projet, et avaient même l’intention de rappeler Raimi à la suite de la débâcle The Amazing Spider-Man 2. Mais en dire plus serait embrayer sur la suite de cette modeste rétrospective.
Œuvre passionnée et passionnante, la proposition de cinéma de Sam Raimi est toujours, dix ans après sa fin, toujours ahurissante de beauté, de drôlerie, d’émotion et de maestria. C’est avec un profond respect pour l’œuvre de Stan Lee et pour le cinéma que Sam Raimi a livré, avec la trilogie The Dark Knight de Christopher Nolan, la meilleure saga super-héroïque du cinéma.
Clément Manguette