Immédiatement après l’annulation du regretté Spider-Man 4 de Sam Raimi en 2010, Sony Pictures décide de relancer une saga, voire carrément un univers partagé, évoluant autour de l’homme-araignée. Notons également que relancer l’exploitation du personnage a permis à Sony de prolonger son exclusivité sur le personnage, l’empêchant de rentrer chez Marvel studios, le concurrent direct. Cependant, cette nouvelle saga arrive après un film qui a tout changé sur les super-héros au cinéma mais aussi sur le cinéma Hollywoodien en général: le chef d’œuvre The Dark Knight de Christopher Nolan, sorti en 2008. Sans aucun doute le plus grand film sur l’Amérique post-11 septembre. Il est également un véritable bouleversement esthétique: il n’est pas question pour Nolan de faire entrer quelque élément surnaturel, tout est rationalisé à l’extrême, plus réaliste, et surtout plus sombre. Ces différents bouleversements provoquent la disparition totale du canon introduit par Richard Donner en 1978 avec Superman, et dont le dernier soubresaut fut le cruellement mésestimé Superman Returns de Bryan Singer en 2006 et Spider-Man 3, dans une moindre mesure.
Ainsi, le studio choisit Marc Webb, réalisateur de (500) days of Summer (500 jours ensemble dans la langue de Molière) pour lancer cette nouvelle ère. Comédie romantique indépendante éminemment sympathique, portée par un Joseph Gordon-Levitt des grands jours, tout en évitant la niaiserie inhérente à la majorité de la production de comédies romantiques contemporaines. Sont ensuite annoncés Andrew Garfield (très bon dans The Social Network de David Fincher et plus récemment dans Silence de Martin Scorsese) en Peter Parker, et Emma Stone (faut-il encore la présenter?) dans le rôle de Gwen Stacy, premier amour de Peter Parker dans le comics de Stan Lee. Il reste donc à voir comment Webb se débrouillera pour filmer l’action, à partir du moment où son (500) Days of Summer permet d’être assez confiant quand aux moments de vie de Peter Parker. Malgré tout, Webb passe après Sam Raimi, encore faut-il avoir les épaules pour rivaliser.
The Amazing Spider-Man (2012)
Peut-être fallait-il s’y attendre, mais la machine hollywoodienne aura eu raison de l’esquisse attachante qu’était la filmographie de Marc Webb après (500) Days of Summer. Car The Amazing Spider-Man souffre non seulement de son statut d’adaptation post-Raimi, mais ne se tient même pas en tant que bon blockbuster ou bon film tout court. Ce premier épisode d’une saga en devenir est, tel le Symbiote qui a corrompu jadis Spider-Man 3 et Peter Parker, une mélasse informe rampant sur la franchise Spider-Man alors endormie et qui, sans que l’on s’en rende vraiment compte, la transforme en un produit méprisable et monstrueux.
Il serait facile de pointer les nombreuses incohérences de ce (not so) Amazing Spider-Man, mais deux raisons font que leur recensement serait ici inutile. Premièrement, elles sont tellement nombreuses que ça allongerait inutilement cet article, et deuxièmement, elles sont symptomatiques d’une écriture globale catastrophique et incroyablement fainéante. On ne croit pas en ce Peter Parker pour qui tout semble aller si bien. Sans doute à cause de son identité secrète n’ayant presque aucune influence sur sa vie de lycéen, trahissant ainsi la maxime fondatrice du personnage:
Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités.
Le pire étant que le film se donne un ton solennel, pompeux et insupportable, compte tenu de la faiblesse absolue des enjeux et de l’écriture des personnages. Il faut cependant admettre que l’antagoniste se présente sous les meilleurs auspices: le Dr. Connors (Rhys Ifans), scientifique ayant un lien avec les parents de Peter Parker, piste intéressante à explorer. Amputé du bras droit, il ne cherche qu’un moyen pour remédier à son infirmité. Hélas, une fois qu’il devient l’homme-lézard, transformation qui aurait pu être prétexte à une lutte intestine entre l’homme et l’animal, il représente un méchant lambda, cherchant à développer le potentiel de l’espèce humaine en transformant ses représentants en créatures à écailles… Même sa « rédemption », dans un élan fort Raimiesque, est balayée d’un revers de la main. On croit rêver. Et, horreur suprême, le film cristallise le grand défaut des sagas actuelles: trop de questions sont laissées sans réponses, ouvrant la voie à des suites et, qui sait, à un univers partagé. Que se passe-t-il avec Osborn? Quel est le rôle des parents de Peter, sujets centraux de l’introduction du film? Tout cela donne un sale goût d’inachevé au film.
Malgré ces défauts, on pourrait envisager que Marc Webb ait réussi à sublimer la vie de Peter et sa romance avec la belle Gwen Stacy. Même pas. La faute à une absence pure et simple de sens de la mise en scène, de champs/contre-champs interminables et de l’absence de la moindre ambition photographique, mais également aux deux interprètes principaux. La prestation du si prometteur Andrew Garfield, au lieu de rendre Peter attachant, donne soudainement envie d’être dans la peau du non moins catastrophique antagoniste et d’être en mesure de lui envoyer moult parpaings au visage. Même la d’habitude géniale/pétillante/magnifique/brillante Emma Stone n’arrive pas ici à insuffler ne serait-ce qu’une once de charme ou d’intelligence en Gwen Stacy. Quant aux moments consacrés à Spider-Man, ils sont au mieux quelconques, quand ils ne sont pas amochés par des choix plus que douteux et d’une bien piètre utilisation des effets spéciaux, si bien que l’homme-lézard a, en 2017, davantage vieilli que le Bouffon Vert du Spider-Man de 2002.
The Amazing Spider-Man, exemple typique du produit Marvel de son époque, c’est-à-dire une œuvre purement mercantile, ouvrant la voie à une saga déjà bien planifiée par les exécutifs du studio, malgré ses rares moments corrects, est totalement désincarné, dénué de passion et d’envie de bien de faire. Fabrication commerciale d’un studio désirant conserver les droits sur son personnage-fétiche, The Amazing Spider-Man est un ratage complet qui encombrera la carrière du « auparavant sympathique » Marc Webb. Une suite est annoncée juste après la sortie de ce premier volet, l’homme-araignée aura-t-il droit à sa rédemption?
The Amazing Spider-Man 2 (2014)
Nombre de réalisateurs profitent de la possibilité d’une suite pour libérer le potentiel du premier film: James Cameron l’a fait avec Terminator 2, George Miller avec Mad Max 2, etc. Autant le dire tout de suite, ce n’est pas le cas ici, que du contraire. Si The Amazing Spider-Man n’était absolument pas brillant, il contenait de rares moments vaguement sympathiques, ce qui n’est pas le cas de sa suite, en tous points bien plus méprisable. Dans un ultime effort de résistance face au rouleau compresseur Marvel Studios, Sony achève le tisseur et, sans le vouloir, le sert sur un plateau d’argent au studio de Kevin Feige.
Avec The Amazing Spider-Man 2, on tient le pire film de super-héros depuis Batman & Robin. Encore que ce dernier a pour lui un ton parodique (raté, certes) et une certaine fantaisie, là où ce deuxième opus des aventures du Spider-Man de Marc Webb n’a rien. Ni fantaisie, ni volonté de bien faire, ni passion, ni mise en scène, bref, du non-cinéma absolu. Ce n’est pas la musique de l’insupportable Hans Zimmer qui viendra arranger le tout. Le bougre faisant preuve d’un mauvais goût jamais atteint dans sa carrière, qui semble sur le déclin depuis sa participation à la trilogie The Dark Knight.
L’écriture est encore plus catastrophique que celle de son prédécesseur, non seulement Garfield et Stone sont toujours insupportables, mais l’écriture en roue libre des antagonistes, à savoir Electro (incarné par le pauvre Jamie Foxx) et le Bouffon vert (Dane Dehaan), rend ces menaces plus risibles qu’autre chose. Et ce n’est pas le dénouement du film qui fera ressentir quoi que ce soit, copie conforme d’un événement charnière des comics. Ce qui devrait être un moment déchirant et une profonde remise en question du héros est évacué au bout de huit minutes pour laisser place à une scène finale absolument ridicule tentant vainement de reprendre l’une des belles trouvailles de Spider-Man 2, à savoir l’inspiration qu’est le héros pour le peuple new-yorkais.
Il ne sert à rien d’épiloguer des heures sur cet étron absolu qu’est The Amazing Spider-Man 2; exemple type du blockbuster de super-héros des années 2010: le teasing des suites et autres spin-offs semble plus important que de proposer un film de cinéma. Là où Batman & Robin est involontairement drôle, The Amazing Spider-Man 2 ne suscite rien d’autre que le dégoût.
C’est après cette débâcle critique et commerciale que Columbia décidera de s’allier avec les studios Marvel pour ce qui est de l’avenir du personnage au cinéma. Ainsi, Marvel pourra enfin exaucer le souhait de nombreux fans et intégrer Peter Parker dans leur univers partagé, pendant que Sony pourra toujours exploiter le personnage de son côté, et annonce dans le même temps un film animé Spider-Man prévu pour -au moins- 2018 et réalisé par Chris Lord et Phil Miller. Lors du tournage de Captain America: Civil War, la tractation et l’apparition immédiate du personnage dans ce Civil War sont annoncées, dévoilant la volonté de Marvel de ne pas revisiter une troisième fois les origines du héros et de rentrer directement dans le vif du sujet. Pour autant, nombreux sont ceux qui se sont montrés sceptiques par une intégration aussi abrupte qui ne prend pas le temps de faire de Spider-Man le centre d’un film, à voir donc.
Clément Manguette