Le Président

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A de nombreuses reprises le cinéma s’est intéressé à la vie politique, aux arcanes d’un pouvoir qui nous est souvent (trop?) opaque. Entre Frank Capra, Bertrand Tavernier, Otto Preminger, et Roman Polanski, nombreux sont les cinéastes ayant tenté de montrer ceux qui nous dirigent de façon satyrique, plus humaine, ou à l’inverse plus cynique, voire machiavélique. L’excellente série House of Cards, produite par David Fincher, en est un des exemples les plus contemporains. Sans pour autant embrasser ce parti pris radical, Henri Verneuil, l’un des plus grands cinéaste de genre français, auteur de
Un Singe en Hiver, Week-end à Zuydcoote, Le Clan des Siciliens, livre un récit teinté d’amertume sur la politique française telle qu’elle se pratiquait sous la IIIe République. Mais pas que.

Malgré ce cadre historique précis, l’actualité récente montre que Le Président, sorti en 1961 et adapté du roman éponyme de Georges Simenon, est plus que jamais pertinent. Et c’est peut-être à cela que l’on reconnaît les grands films politiques, à leur capacité à résister aux dommages du temps et à éclaircir notre monde contemporain. Ainsi, Verneuil offre un équivalent désenchanté à l’optimisme du Mr. Smith goes To Washington de Capra. Si les deux œuvres dénoncent la corruption par les lobbies et les différents conflits d’intérêt de la caste censée représenter le peuple, Verneuil se montre plus amer. Là où l’acharnement désintéressé du personnage de Jefferson Smith porte ses fruits à la fin de Mr. Smith, Le Président montre l’impossibilité d’un seul homme, avec toute la bonne volonté du monde, de changer un système pourri de l’intérieur.

Se déroulant sur deux lignes temporelles, Verneuil parvient à montrer tout son talent pour la mise en scène et la gestion du rythme. L’écrasant ennui et la douloureuse amertume du président Beaufort, campé par un Jean Gabin impérial, laisse régulièrement place à la réalité brute de son ancienne vie parlementaire, marquée par la rivalité avec son chef de cabinet Chalamont, incarné par un génial Bernard Blier. Car c’est bien lors d’une formidable tirade signée de la plume du légendaire Michel Audiard et déclamée par le grand Gabin, dans la chambre des députés, que Verneuil crache ses tripes. Plus percutante et rythmée que n’importe quelle scène d’action de la majorité des blockbusters récents et plus corrosive que le discours de la plupart des politiques s’auto-assignant le statut ô combien à la mode d' »anti-système ».

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Mais outre ses qualités stylistiques et formelles, Le Président fait partie de ces films populaires français sachant solliciter l’intelligence du spectateur, et qui montre que la jeune Nouvelle Vague de l’époque n’avait pas le monopole du cinéma politique. Ainsi, et bien que la rivalité entre Beaufort et Chalamont soit le cœur du film, sont abordées les questions encore bien actuelles des lobbies, du fédéralisme européen, et du carriérisme de certains hommes politiques, préférant renier leurs convictions profondes pour se garantir un siège bien confortable dans les plus hautes institutions de l’Etat.

Fable amère sur la politique française, il peut être désespérant de voir qu’en 55 ans, peu de choses ont changé politiquement et que l’évolution du cinéma populaire empêcherait une telle production de voir le jour aujourd’hui. Pourtant, l’œuvre d’Henri Verneuil se regarde encore sans peine actuellement, tant ce cinéaste fut, à sa façon, un des plus modernes de son temps.

Clément Manguette

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