Devenir un artiste reconnu est loin d’être une partie de plaisir. Evidemment le terme, « reconnu », est un peu flou, cependant, on peut même considérer qu’un artiste comme Niro est depuis ces deux dernières années bien ancré dans le paysage du rap français. Mais si l’obtention de cette reconnaissance est sûrement une bonne grosse embûche en moins dans une carrière, il reste encore à l’artiste à affronter le jugement du comment il en est arrivé là. Nombreuses sont les clefs de cette réussite. Le talent paraît comme la plus évidente (évidente pour les plus naïfs). Or, il ne faudrait pas omettre des éléments comme la chance, car évidemment il en faut, tout comme pour la persévérance, le culot, etc…
Et ce qui est encore plus cruel, c’est que, plus on est reconnu, plus on doit se justifier de cela. Beaucoup n’hésitant absolument pas à catégoriser d’emblée ceux qui ont réussi au rang des arrivistes ou encore de « salauds d’artistes commerciaux avec leur musique abrutissante ». A noter tout de même pour les naïfs cités précédemment, que le raisonnement inverse est tout aussi stupide, la notoriété n’est pas égale au… Talent.
Et Niro dans tout ça ? Disons qu’il est passé par toutes les étapes, les plus nobles, comme celles qui le sont un peu moins. Tout avait pourtant si bien commencé. Ces étapes avaient été franchies les unes après les autres, dans les règles de l’art. Apparition dans des albums collectifs, sortie de street album, d’une mixtape, sans oublier des collaborations avec d’autres rappeurs, notamment celle avec La Fouine sur le titre « Paname Boss » qui a bien aidé. S’en est suivie, la sortie en 2014 enfin !, d’un projet plus ambitieux qu’à l’accoutumée, Miraculé, qui reste pour moi une référence dans le genre rap hardcore en France. Tout ce qu’il fait de mieux se retrouve dans cet album. Au premier abord du gangsta-rap presque cliché, mais au premier abord seulement. Certes, le langage y est fleuri, mais les punchlines sont plus qu’efficaces, et le fond qui se dégage des différents textes va bien au-delà des clichés du genre abordé. Voire à l’opposé, une fois que l’on a compris que les grossièretés ne servent qu’à rythmer les morceaux et ne sont en aucun cas le signe d’une écriture simpliste.
Un an plus tard, Niro revient avec encore plus d’ambition et surtout une envie de prouver qu’il a plus d’une corde à son arc via la sortie de son second album : Si je me souviens. Les thèmes abordés sont plus variés tout comme les sonorités. On retrouve le « tact » dans le langage employé, mais l’on perçoit sans difficultés les efforts consentis pour proposer un renouveau. Une vraie prise de risque de la part de Niro, mais malheureusement la dernière.
Après cet album inattendu, un retour aux sources s’opère alors pour Niro avec la sortie surprise d’un projet du nom de Or Gamme. Un revirement artistique compréhensible venant compenser la prise de risque du projet précèdent, qui n’a été au final qu’un succès d’estime. La reconquête du public est alors en marche. Or gamme marque le point de départ d’une stratégie de com très réussie par la succession d’annonces et de sorties de projets «surprises» se succédant à un rythme effréné. Au point d’en arriver à la situation absurde de sortir deux albums à deux semaines d’intervalle avec OX7 et M8RE en juillet 2017. Absurde, car cette situation reflète parfaitement le point de non-retour auquel est arrivé Niro avec sa fameuse stratégie. Nous nous retrouvons donc avec deux redites de plus que ce que Niro avait déjà fait avec Miraculé. Mais l’important n’est pas là. Ce qui compte seulement désormais, c’est «l’exploit» qu’il a réalisé en sortant deux albums en deux semaines seulement. Un exploit si retentissant qu’il nous montre à quel point sa créativité est sans limite !!! Vous m’avouerez certainement qu’il suffit d’écouter les albums pour se rendre compte de la supercherie. Encore faut-il qu’ils n’aient été pas juste entendus par un public les consommant aussi vite qu’ils les oublieront, attendant non pas, de nouveaux morceaux, mais bien l’annonce d’une nouvelle façon originale de les dévoiler. A quand un album par jour pendant un mois ? Si ce défi n’est pas relevé on ne pourra qu’être déçu ! A moins que cela soit la limite à ne pas franchir, afin que son public ne se rende pas compte que Niro se contente depuis un an et quatre albums plus tard (de 2016 à 2017) de ne faire que du bourrage de crâne et montrer à quel point il est présent dans le paysage du rap Français.
Le problème n’est même pas la qualité du produit en soi car je pourrais moi-même considérer que ce que Niro nous propose à chaque fois est du « bon Niro ». Un album ou un projet en général qui est bon pour les même raisons que le précèdent, c’est peut être paradoxal mais cela est un défaut notable (cf le deuxième album de Big Flo et Oli). Donc, imaginez ce que cela se produise trois ou quatre fois consécutives… Cela nous renvoie à la réflexion de début : quand un artiste commence à faire son trou, il est normal de se demander comment il y est parvenu et dans quel but. Faire «l’erreur» encore une fois, de réutiliser exactement la même recette d’un succès passé pour le projet suivant, est largement pardonnable, voire assez logique. La reproduire quatre fois d’affilée commence à paraître plus que suspect pour ne pas dire que cela devient du foutage de gueule. Ironiquement, la confirmation de ces suspicions, on peut l’entendre depuis longtemps de la propre bouche de l’artiste. Des années qu’il nous parle d’une valeur très chère à son cœur, sûrement celle, le plus souvent évoquée dans ses titres : la rentabilité. A l’écouter, elle est celle qui le motive le plus à faire ce qu’il fait. Cette dernière a cette fois largement pris le pas sur une autre, l’intégrité artistique qu’on pouvait pourtant lui accoler, il y a encore de cela quelque temps.
Justin Instant