En termes de cinéma, on pourrait qualifier l’année 2019 d’« année de la claustrophobie ». Ce courant esthétique, né il y a quelques années, ne cesse de se réinventer en proposant bon nombre de prisons différentes. Le seul désir des héros de ces films est de s’en échapper pour retrouver l’air libre. Ces prisons peuvent être physiques (The Lighthouse), sociales (Joker), relationnelles (Marriage Story), ou culturelles (Midsommar). Cependant, elles se ressemblent en plusieurs points: elles sont épouvantables, mais le héros y entre de son plein gré.
Peut-être pourrions-nous en apprendre plus sur ce courant en jetant un œil à un des premiers succès critique de l’année: Dark Waters de Todd Haynes.
Nous sommes en 1997 et l’avocat Robert Bilott est employé dans la défense d’une immense industrie chimique. Mais un éleveur de son village natal va voir toutes ses vaches mourir les unes après les autres. L’avocat réalisera immédiatement que ces mortalités sont dues à un déversement chimique à proximité, commandé par sa propre firme.
Bilott va tenter de prouver la nocivité de ces déchets. Il va s’acharner en dépit de sa propre santé mentale pendant 23 ans, aujourd’hui encore. Il passera toute sa vie à se battre seul contre une firme puissante qui va tout faire pour prouver la non-nocivité des déchets, malgré les preuves accablantes.
Et c’est ici que se trouve le principal point négatif du film. Nous pensions finie l’ère des « vilaines corporations contre le petit peuple », mais cette tradition manichéenne subsiste encore dans certains films, comme Dark Waters. Le scénario en souffre puisque sans croyance morale solide pour l’adversaire, le conflit perd toute nuance, toute ambigüité.
Mais outre cela, le principal intérêt du film ne concerne pas l’histoire, somme toute banale, mais la manière dont elle est racontée. Et pourquoi elle est racontée de cette manière.
Difficile en effet de faire plus claustrophobique que Dark Waters. L’histoire, par la manière dont elle est montée, cadrée, et écrite, est un véritable cauchemar. Le film est une terreur sans conclusion, vu qu’actuellement, Billot combat encore pour la même cause.
Lorsqu’on visionne Dark Waters, on vit un véritable enfer. On veut s’échapper pendant toute sa durée. Puis, on en sort, mais l’enfer n’est pas terminé, étant donné que le film n’a pas de conclusion. On se rend compte alors que c’est le monde réel, comme prolongement du film, qui est un enfer. Telle est une interprétation du métrage.
Si on le prend à l’image d’un miroir du monde réel, comme il est perçu, on est en droit de se demander si ce n’est pas aussi le cas pour tous les films claustrophobiques sortis ces derniers temps.
Ce courant esthétique peut être compris comme un reflet de notre réalité. Rempli de personnes cherchant une issue, une fin, une solution aux problèmes de plus en plus complexes qui parcourent notre humanité.
Si des films comme Joker ou Parasite, deux des plus grands succès de 2019, traitent de ces thèmes, Dark Waters l’aborde sous un angle plus direct. Il retraduit à merveille l’ambiance de son époque, ses préoccupations et ses angoisses.
Raturix
Illustration bannière ©CHEM Trust