Dardust Interview

Dardust est auteur-compositeur. Son travail attire plusieurs artistes italiens. D’ailleurs, Jovanotti ne reste pas indifférent à son univers. Aujourd’hui, Dario Faini défend Urban Impressionism. Interview exclusive avec le pianiste coloriant des paysages brutalistes, à l’aide de son imagination !

Quand j’écoute Urban Impressionism, plusieurs images me viennent en tête. Je pense directement à l’hiver, au noir et blanc, à la beauté de la neige. Mais j’aimerais qu’on se concentre sur les émotions. Voulais-tu provoquer certaines émotions avec cet album ?

Je ne pense jamais sur l’output émotif de celles et ceux qui écoutent ce que je fais. Je raisonne toujours sur l’input émotionnel. Il advient quand j’écris quelque chose, quand je suis à un endroit, quand je définis un périmètre d’imagination, où je vais aller. Dans ce disque, les concepts des périphéries, des couleurs, que je voulais porter dans ce blanc et noir, ils arrivaient pendant que je commençais à sculpter l’imaginaire du disque.
De là, m’est venu le concept de Urban Impressionism. J’imaginais vraiment le piano qui entrait dans ce blanc et noir des périphéries qui ne sont autre que nos périphéries émotionnelles. Moi, je viens d’une périphérie. Je me sentais aussi à une périphérie, au niveau émotif, un peu en marge de la société, rappelant un sentiment d’abandon, d’être un peu aux extrêmes. Et j’ai toujours eu ce sentiment de rédemption pour compenser cette manière d’être en marge. Je l’ai fait avec l’imagination et le piano, quand j’étais petit. Donc, ce disque est un retour à la première étincelle, quand j’ai initié à être musicien, à être créatif dans la musique.

Tu voulais te connecter avec ton passé.

Je voulais être le moi du passé mais avec une nouvelle maturité. Après plusieurs années, je voulais revenir au point initial, mais avec la maturité propre à mes expériences passées. La créativité n’est autre que réallumer la curiosité. Je parle de cette curiosité affichée, quand on découvre les première choses, les premières fois. Donc, via ce disque, je revenais un peu dans ces parages.

C’est beau de parler de créativité. Est-il vraiment possible de se réinventer, en proposant de nouveaux albums ou, au bout du compte, les artistes sont toujours les mêmes, ont toujours les mêmes messages, la même détermination ?

On dit toujours que chaque artiste a une matrice de quatre ou cinq points, dans laquelle, il revient ponctuellement. Ou on dit qu’un chanteur, songwriter, a toujours quatre ou trois chansons, trois ou quatre formules, puis, il tourne toujours autour. En effet, il existe une matrice dans chaque artiste. Néanmoins, l’important est d’y apporter de nouvelles couleurs, de nouveaux schémas et de les faire progresser.
C’est évident que ma matrice de base soit celle d’unir deux fondations de mon palais : le piano et l’electro. Elles sont mes premiers mondes musicaux. Je les ai découvert quand j’étais petit. A chaque fois, je souhaite les mélanger, contaminer et porter vers de nouveaux imaginaires.

Il y a quelques semaines, je visitais pour la première fois Paris. Cette ville est une source d’inspiration pour Urban Impressionism. Tu as sûrement éprouvé un sentiment de grandeur, face à l’architecture de cette capitale. Comment le traduire en musique ?

Je ne suis pas allé dans le centre de Paris, voir son architecture faste et grandiose. Je suis plutôt allé dans les périphéries, dans les lieux où on ne va pas communément. En général, on ne va pas à l’Espace d’Abraxas, contempler ces monuments d’architecture brutaliste.
J’ai créé une carte comptant douze ou treize points positionnés aux périphéries parisiennes. Ces lieux me fascinaient vraiment au niveau de leur architecture brutaliste.
Pourquoi le brutalisme ? Le brutalisme, ce sont des palais nus qui exposent des matériaux rugueux, aux géométries austères. Tout est réduit au minimalisme le plus fonctionnel. Ça me plaisait l’idée d’aller là, colorier cela avec mon imagination. Quand tu es au centre de Paris, c’est tellement beau, grandiose. Tu observes déjà la énième puissance, en termes de beauté. Par contre, quand tu vois certaines vues blanches et noires, juste du ciment sans couleur, c’est là que se déclenche l’envie de compenser. Lorsque tu contemples le visuel de mon disque sur YouTube, les palais bougent d’une manière précise. C’est mon piano qui commence à déstructurer et colorier les blancs et noirs.

Dans les clips, on aperçoit des visages. Choisir ces personnes, c’est témoigner d’une époque ?

Non. Ces personnes ne sont autre que le symbole de mes émotions. Elles symbolisent les histoires, l’humanité et l’émotivité. Elles sont le cœur de l’expérience humaine, dans ces environnements ascétiques. Ces visages sont aussi les histoires de mon piano, ce qu’il raconte.

Nous avons parlé architecture, émotions, maintenant, centrons-nous sur la psychologie. Tu fus diplômé en psychologie, après avoir étudié à Rome. Cette connaissance aide à composer.

Certainement. La psychologie m’aide à enquêter sur moi-même. Il s’agit de savoir comment extérioriser mon imaginaire, mes émotions. La psychologie a fait de moi quelqu’un de plus conscient, quant à l’écoute et la composition. Disons, cette pratique m’a créé un troisième œil, une connaissance majeure sur le processus créatif. Sans oublier, une connaissance au sujet de ce qu’on provoque chez les auditeurs. Voici donc un travail d’artisan, cette deuxième phase est créative. Concernant la première, il y a de la pure émotion. Là, intervient la psychologie pour ce qui est du travail cathartique, des analyses sur soi pour faire naître des choses probablement cachées. C’est un travail d’enquêteur, comme un détective focalisé sur le passé, prêt à débusquer des secrets.

Revenons à l’album. Tu soignes les ambiances de tes morceaux. Des artistes, avant de sortir leur opus, partent en voiture écouter leur son. La technique aide à connaitre les sensations ressenties pour les futurs conducteurs savourant le disque. As-tu écouté tes sons à différents endroits pour ressentir, comme il se doit, tes sons ?

Absolument, oui. Je le fais toujours. Après une journée en studio, j’exporte les démos et je pars me promener avec mes écouteurs. Je marche ou je pars aussi en voiture en y connectant mon iPhone. J’écoute les sons sur des baffles, à la maison. A chaque fois que tu les écoutes à divers lieux, avec du matériel varié, ta perspective d’écoute change et tu découvres toujours de nouvelles choses à améliorer, des points manquants.

Quel est le titre dont tu es le plus fier ?

Peut-être « Le Bolero Brutal » car j’ai l’impression qu’il est le plus perturbant, celui où j’ai le plus innové dans mon langage pianistique. Comme si j’allais vers une nouvelle dimension, en jouant du piano. J’aime les choses qui me surprennent, in primis.

Interview menée par brunoaleas – Photo ©Emilio Tini

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