J’ai beaucoup de sentiment à propos de Alita: Battle Angel.
Gunnm, manga dont ce film est tiré, est le tout premier Seinen (manga pour adulte) que j’ai lu. Il représente toute une transition pour moi. Les vieilles pages jaunies du manga trouvées dans un coin d’une bibliothèque m’ouvraient sur un monde froid et cruel. Sale et sans pitié. Et pourtant, tellement inspirant ! L’héroïne survit et évolue avec fougue dans cet espace dénué de morale. Puisque le futur n’est plus que sombre et miséreux, seul le plaisir immédiat à une valeur et seule la force a de l’autorité. Malgré cela, elle se bat… Elle se bat pour protéger ce qu’elle aime, pour protéger ce en quoi elle croit… Mais aussi pour donner un sens à sa vie, à sa survie.
Quand les premiers trailers sont arrivés, je n’avais absolument aucun espoir d’avoir ne serait-ce qu’un vingtième d’une retranscription fidèle de cette œuvre chérie. Une atmosphère qu’on devine déjà trop lumineuse. Une héroïne aux yeux horriblement déformés. Tout cela faisait déjà bouillir mon sang. Dès sa sortie, je décide de voir le film afin d’avoir une raison construite de le détester.
Je suis sorti de la salle chamboulé.
©Le blog du cinéma / Ido trouvant Gally dans un décharge (version manga).
En regardant le film, on comprend vite que le choix du design étrange d’Alita était une solution a beaucoup de problèmes. En effet, absolument tous les cyborgs et androïdes du film ont subit les mêmes modifications, un visage humain assez réaliste mais modifié à l’ordinateur. Cela leur donne un effet inhumain, presque plastique. On les différencie facilement de ceux qui sont complètement fais de chair. Cette déshumanisation permet aussi de rendre les combats beaucoup plus violents, tout en esquivant la censure ! Avez-vous remarqué que toutes les scènes de violences sur un être-humain, ou même sur des animaux, se déroulent hors-champ, alors que l’on voit plusieurs androïdes se faire écraser, découper ? Cela a permis de rendre les scènes de combats bien plus épatantes et de respecter un minimum le gore original.
Le scénario est une belle réussite. Ce n’était évidemment pas réaliste d’attendre une retranscription parfaite de l’œuvre originale. Cependant, bien que l’ordre des scènes change ou que d’autres fusionnent, j’ai eu plusieurs fois la douce impression de les revoir sous un autre jour, avec de beaux effets spéciaux et une chorégraphie quasi identique. Question déroulement, ils ont fait un boulot excellent. Mes réserves proviennent de deux aspects : l’atmosphère et le développement des personnages.
Je ne peux trop insister : le monde de Gunnm est un enfer. La Terre est dévastée par la guerre contre Mars et la décharge de Zalem est un pitoyable bidonville où la force est reine. Tout est salle, les gens mangent des rats, presque tout le monde porte des prothèses parce que c’est moins cher de s’en installer que de se soigner quand on est blessé. Le film n’a pas du tout fait ressentir cette misère. Yoko vit dans une belle villa ensoleillée, il y a des belles routes marchandes et un système lié à la police. On lui achète même du chocolat ! En soi, dans l’univers du film ça ne marche pas si mal mais c’est quand même dommage de ne pas avoir complètement puiser dans ce concept de techno-bidon-ville qui aurait sûrement très bien rendu sur grand écran.
©Courtesy Twentieth Century Fox / Alita versus un ennemi sous des décombres.
En dépit d’un casting de rêve, on remplace également les motivations d’un Ido, incarné par Christopher Waltz, par des clichés hollywoodiens. Alita, l’héroïne (malheureusement, ils ont gardé le nom anglais et non “Gally”, son prénom en français et dans la version originale) semble être une enfant. Même si elle est nonchalante et spontanée dans le manga, elle n’a vraiment pas cette maladresse adolescente qu’on lui rajoute. Hugo, par contre, est vraiment parfait. Son personnage et son arc scénaristique sont admirablement reconstruits (à l’image de Yugo).
Les plus lésés dans cette affaire sont les antagonistes ! Grewishka (Makaku dans le manga) qui était un bel exemple de folie pure procurée par la puissance, avec une back story tragique, est devenu un simple homme de main, musclé et sans personnalité. Quant à Zapan, qui possède un très long arc et de nombreuses évolutions dans la version papier, il représente une petite frappe presque anecdotique pour l’héroïne. Il ne reste plus que Nova anticipé comme antagoniste principal du prochain film. En espérant qu’il soit beaucoup plus exubérant. Pour l’instant, il ressemble un peu trop à un archétype de mastermind classique, un méchant dissimulé tirant les ficelles depuis les coulisses.
Le film m’a finalement séduit. Si l’esprit d’Alita n’y est pas, son cœur y est. Les combats sont aussi gracieux que violents. Je souhaite que le concept d’art martiale robotique soit poussé plus loin dans cet aspect du cinéma d’action. Rien que les matchs de motorball étaient trépidants.
Message pour Hollywood : continuez sur votre lancée et servez-nous une suite avec un Nova qui ne tire pas au flan.
Pierre Reynders