J’ai une fantaisie qui me revient de temps en temps. Elle surgissait bien plus souvent autrefois, quand mon espace intérieur était encore empreint de regrets. Peut-être l’avez-vous déjà eue ? C’est assez simple : je rêve de retourner dans le passé, à l’époque où j’étais enfant, tout en conservant mes souvenirs d’adulte. Fort de mes expériences, je réaliserais tous mes rêves : réussir tout ce que j’entreprends, faire preuve d’une assurance ravageuse. J’ose, je fais, je me montre. À moi la vie de génie admiré ! Quel bel endroit que ce rêve.
Mais parfois, une pensée me vient et le brise en mille morceaux. Mon cœur se serre, les larmes me montent aux yeux.
Dans ce monde rêvé, en faisant le choix de revenir… n’ai-je pas tué ce petit garçon ? Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est que je l’ai volé à sa mère.

C’est l’été. Yoshiki et Hikaru sont assis sur un banc. La chaleur étouffante de la campagne japonaise est délicieusement atténuée par ces petits bâtonnets de glace bleue, si froids et sucrés. Les deux adolescents savourent le calme serein des vacances alors que le crépuscule approche. Mais au fond de lui, l’un des deux garçons ressent un profond trouble. Un doute qui le ronge.
Tu n’es pas Hikaru, n’est-ce pas ?
The Summer Hikaru Died est un anime qui traite avec une immense tendresse et beaucoup de patience du deuil. Mais aussi de l’acceptation : de soi, de l’autre, du temps qui passe et du changement. Hikaru nous montre avec élégance et maîtrise la différence, si fine et pourtant fondamentale, entre l’acceptation et la résignation.
Mais au-delà de ces réflexions sur les émotions humaines, cela reste avant tout le récit poignant d’un adolescent dont l’amour est mort. « Hikaru« , en japonais, signifie « lumière ». Pour Yoshiki, c’est l’été où la lumière s’est éteinte. Le désespoir de ce jeune garçon, qui se raccroche à la moindre trace de son amour disparu, vrille les entrailles du lecteur. Une tragédie si douce.
Pour garder près de lui ce substitut fragile, il se lance dans une enquête profonde sur l’histoire funeste de son village, risque sa vie face à divers spectres et se reconnecte avec son père.
Même si le drame et l’intrigue sont au cœur du récit, The Summer Hikaru Died comporte aussi quelques scènes d’horreur. Pas de gore, pas de grotesque : seulement de l’effroi. L’effroi qui naît de l’incompréhensible.
Grâce à une direction artistique très efficace, j’ai véritablement frissonné devant certaines scènes. Je n’aurais pas cru qu’une histoire de fantômes animée pourrait me produire un tel effet. Mais quand nos héros sont seuls, dans le noir, dans une forêt réputée dangereuse, et que des formes inhumaines bougent avec ces saccades qui nous signalent instinctivement qu’il ne s’agit pas d’êtres vivants, l’angoisse devient difficile à éviter. Bravo.
Et tout repose sur l’atmosphère. Quand un caveau s’ouvre, quand le mystère plane sur cette petite ville, où tout le monde se connaît mais où les secrets sont bien gardés. Le village qui sert de cadre à cette intrigue nous semble à la fois étrange et familier. Comme l’image d’une ville qu’on connait mais qui a changé, sans qu’on sache mettre le doigt sur ce qui ne nous est plus familier. Un malaise diffus.
Mais au-delà des effets, le véritable effroi réside dans le thème central. Celui qui nous trouble, qui nous fait vaciller : Hikaru et Yoshiki sont semblables en ceci qu’ils ont des pulsions, et doivent lutter pour y résister. La perte de contrôle, non pas due à une manipulation ou au destin, mais à notre propre nature. Cet instant où l’on doit trahir ce qui est au fond de nous ou ce qui est à la surface. Deux facettes de ce que nous sommes qui s’entre-déchirent violemment.
Le simple fait de ne pas blesser ceux qu’on aime demande une force immense, et une grande souffrance. N’est-ce pas terrifiant ?
Pierre Reynders