Je respire. Je n’entends que le bruit du vent. Comme si j’étais un coquillage et que l’air me traversait entièrement. Quand je peux m’allonger à même le sol et que je peux fermer les yeux, baisser ma garde, c’est là que je me sens vraiment libre. Dans la vacuité, mon âme trouve le repos.

Dans un immense internat pour jeunes filles, la vie suit son cours paisiblement. Entre la cantine, les activités sportives et les cours, le quotidien monotone de Margot n’est troublé que par quelques escapades dans une aile abandonnée de l’établissement, qui l’attire irrésistiblement. C’est justement alors qu’elle s’y aventure qu’un événement inattendu se produit : le Phénomène. Une alarme retentit, et l’internat entier est évacué dans la panique. Margot, isolée, n’a pas le temps de fuir. Coincée à l’intérieur avec d’autres élèves restées sur place, elle devra apprendre à survivre face aux dangers mystérieux que recèle ce phénomène.
Yon est une œuvre construite sur une prémisse, certes déjà vue, mais que j’adore : des enfants plongés dans une situation extraordinaire, coupés de leurs repères, forcés de s’adapter pour survivre. Ce thème a déjà été brillamment exploré dans des œuvres comme Seuls, L’École emportée, Dragon Head ou encore The Promised Neverland — toutes héritières, de près ou de loin, de Sa Majesté des Mouches.

Les récits d’exode sont toujours fascinants. Ils permettent d’introduire mystère et tension à travers des problématiques de survie et d’organisation collective. Ce qui les rend particulièrement puissants, c’est le choix de jeunes protagonistes.
Là où des adultes pourraient structurer la survie selon leurs compétences, leur métier ou leur statut, les enfants, eux, doivent faire émerger un ordre nouveau. Et cette dynamique est naturellement riche en conflits, en drames… donc en récits captivants.
Ici, cependant, le ton est tout autre. Du moins, dans ce premier tome. Le danger est bien présent, palpable, mais jamais écrasant ni terrifiant. Il y a moins de tension que dans d’autres récits du même genre, et bien plus d’atmosphère. Une ambiance étrange, presque onirique, où le suspense s’installe doucement.
Le contexte semble d’abord très banal, presque rassurant, mais le monde se révèle peu à peu plus étrange qu’il n’y paraît. Subtilement, détail après détail, une inquiétante étrangeté s’installe.
On remarque, par exemple, une rouille omniprésente, des salles de classe aux dimensions inhabituelles… une ambiance trouble et brumeuse se dégage de cette école, comme si elle appartenait à un autre monde.
Margot, notre héroïne, est profondément antisociale. Décrite comme morose par ses professeurs et « pas nette » par ses camarades, elle cherche constamment l’isolement. Ce n’est pas qu’elle est rejetée ; au contraire, Margot exprime clairement son besoin de solitude. De nombreuses planches la montrent seule : elle mange seule, reste à l’écart sur le terrain de sport, et erre dans l’aile abandonnée.
Ces moments de silence et de calme sont magnifiquement rendus. Ils contrastent fortement avec les scènes de groupe, où les élèves parlent toutes en même temps, dans une cacophonie presque étouffante. L’œuvre m’a mis dans un état presque méditatif, où je ressentais chaque onomatopée, et où chaque silence semblait peser.
C’est une œuvre vraiment réussie, à la fois relaxante et haletante. On a autant envie d’en apprendre davantage sur ce monde étrange et les créatures qui y rôdent que sur les personnages eux-mêmes. C’est fluide, accessible, et porté par une ambiance unique.
La série comptera quatre tomes, et le deuxième est prévu pour septembre. Une petite pépite francophone à ne pas manquer.
En trois minutes, le monde s’est retourné comme un gant.
Citation du manga

Pierre Reynders – Illustrations ©Camille Broutin