Marion Fritsch Interview

L’amour alimente le moteur caché en nous. Depuis 2020, Marion Fritsch partage ses poèmes sur le thème, via Instagram. L’année dernière, elle publie son premier livre, Les Fragments du Cœur. Rencontre à Paris avec l’artiste lucide et fière de ses écrits !

Les Fragments du Cœur présente 4 chapitres, une histoire d’amour divisée en 4 saisons. On commence par l’automne. En lisant tes poèmes, on entre dans ton intimité, la description de ton quotidien. A quel moment t’es-tu sentie prête à exposer ce style de poésie ?

Ma force, c’est que je ne me suis jamais posée de questions sur ce sujet. Je ne me disais jamais que c’était intime. Pour moi, c’est avant tout de l’écriture.
Finalement, pour moi, l’écriture, c’est comme une excuse. On s’autorise à pouvoir parler de choses extrêmement intimes parce que c’est avant tout de l’art et de la poésie. Et donc, c’est plus grand que moi et ma propre petite vie. Je suis juste le témoin de quelque chose qui me traverse, en l’occurrence, une émotion et un sentiment amoureux qu’on a tous connu, connaîtra, ou qu’on connaît. En fait, j’en suis une simple témoin. Je ne me demandais pas du tout comment en parler, sans que ça m’expose trop. Parce que ce n’est pas moi.

Tu préfères les œuvres où les auteurs illustrent leur intimité, facilement.

J’ai une appétence pour l’autofiction. J’aime beaucoup l’écriture au plus proche du réel, au plus proche de ce qui se passe, autant dans les faits que dans le ressenti intérieur. J’aime lire la façon dont le banal de cette vie nous traverse et ce qu’il en reste, ce que ça fait naître. Oui, j’aime beaucoup cette écriture de l’ordinaire.

Passons à la suite, l’hiver. A la page 89, tu écris : « Je me moque bien de l’avenir. C’est ennuyeux l’avenir. Moi ce que je veux c’est vibrer, voler ». Je me suis très vite arrêté sur ces phrases. Se moquer de l’avenir, c’est aussi ne pas vouloir contrôler. Crois-tu que les jeunes couples confondent aimer et contrôler ? A-t-on affaire à des personnes qui ne savent plus se surprendre ?

Cette phrase, elle m’est venue, en rencontrant une personne très légère, très volage, très relax, qui ne voulait rien calculer, qui voulait juste vivre, ici et maintenant. Elle ne communiquait pas, ne verbalisait pas et était très fuyante.
C’est tout l’inverse de moi. Je vais toujours vouloir contrôler. Ça me mettait vachement en souffrance. A un moment dans la relation, il faut, quand même, un petit peu de solide. En tout cas, à l’âge qu’on avait mutuellement, moi, ça me paraissait assez normal. Je pense que dans cette phrase là, ce que j’aborde, c’est aussi quelque chose de très générationnel. C’est-à-dire qu’aujourd’hui, pour les nouvelles générations, c’est un peu tabou de parler de choses sérieuses. Il faut que les discussions restent très légères, même si c’est sérieux, en réalité. Il ne faut pas qu’il y ait trop de mots posés sur la relation. Effectivement, je pense que non, aimer, ce n’est pas contrôler. Mais on a des croyances dans cette société. Tout comme des normes sur ce qu’est le couple. Elles nous invitent à penser que l’amour, c’est être dans le contrôle et que l’amour équivaut à un cadre, celui du respect. Les nouvelles générations se confrontent entre ces croyances et ce couple très normé, la monogamie, face à cette nouvelle façon d’aborder l’amour qui est sans statut, sans propos, très ouvert, très léger.
Et qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce donc l’amour, actuellement ? Qu’est-ce qui est sain ? Qui a raison ? Qui a tort ? Il n’y a pas forcément de réponse. Ça se heurte. Ça fait des histoires comme Les Fragments du Cœur (rire).

Le regard des autres. Ce thème n’est pas tant exploité dans le livre.

Je ne me suis jamais souciée du regard des autres. Lors de l’écriture, je n’avais rien à prouver. Si on n’a rien à prouver, on peut se détacher de la pression sociale. J’ai des valeurs et idéaux découlant d’un schéma familial. Inconsciemment, j’ai vu ensuite l’amour et désamour, selon mon idée du couple monogame et banal. Je ne suis pas enfant de parents divorcés. Je ne sais pas comment vivent ces enfants. Ils ont peut-être un rapport à l’amour et aux relations beaucoup plus ouvert, voire, désengagé. On ne sait pas à quel point une rupture peut nous impacter. En tout cas, quand on aborde l’amour, on l’explique bien plus d’après notre enfance. Et bien moins selon la question sociale. 

C’est l’heure du printemps. Page 128 : « Je rêve chaque jour d’être consolée, par la même personne qui m’a brisée ». Et page 15 : « En premier lieu, tu tombes toujours amoureux d’une faille qui s’imbrique parfaitement, secrètement, intimement avec la tienne ». Il semble que la boucle soit bouclée. Comme si le physique d’une personne passait en second plan, derrière les faiblesses. 

Quand j’écrivais cette histoire, elle s’inspirait d’une rencontre assez inexpliquée et inattendue, que ce soit physique ou psychique. C’était quelqu’un qui ne correspondait pas à mes attentes. Avec du recul, notre relation reposait vraiment sur nos failles communes. Évidemment, il y a l’admiration de l’autre. Mais il y a aussi, les blessures. Ce sont des blessures qu’on trouve belles. Je crois que c’est ça, l’amour. C’est vraiment quand tu réussis à trouver l’autre beau, même dans ses faiblesses. Ça, c’est pour la première phrase lue. 
Quant à la deuxième, ma meilleure amie dit souvent : « On ne pas être le poison et l’antidote ». Quand je rêve chaque jour d’être consolée par la personne qui m’a brisée, ça se réfère à l’instant où t’es au fond, dans un chagrin amoureux très profond. Néanmoins, tu rêves d’une chose, voir arriver cette personne, qui te fout en vrac, pour te consoler. C’est schizophrénique. Moi, je me revois, et je pense que je ne suis pas la seule, à me faire des films, à presque souhaiter qu’il m’arrive une tuile pour que cette personne puisse débarquer dans ma vie et qu’il y ait prétexte à ce qu’elle y revienne. On l’a tous plus ou moins vécu. Ça nous a tous, plus ou moins, traversé. C’est le propre du chagrin amoureux. Cette personne nous faisant tant sourire et sourire, au début, devient l’objet de tous nos maux.

Terminons avec l’été. Cette saison me rappelle les plages italiennes et Rome. J’ai découvert ton univers via une vidéo publiée sur Insta, quand tu présentais Un amour pour rien. Aimerais-tu écrire comme l’auteur de ce un roman, à la façon de Jean d’Ormesson ?

Je suis dans la poésie. Pourquoi pas se lancer dans un roman. Bref, je n’ai pas fini d’explorer ma poésie pour le moment. Ça ne fait que commencer. L’amour sera toujours quelque chose qui traversera mes textes. Je suis née pour parler d’amour. Pas seulement l’amour amoureux. L’amour, ça, oui. C’était le tout premier sujet qui me qui me venait dans mon début de carrière. C’est un peu le sujet qui nous bouscule tous. Maintenant, j’ai l’impression d’avoir envie de parler d’autres choses. Et je sens que c’est quelque chose qui m’appelle. Il y aura toujours à un moment, une histoire que je vivrai, à raconter amoureusement. Mais je n’ai spécialement pas le désir de reparler de ça. C’est comme si j’avais fait le tour. J’ai l’impression d’avoir complètement essoré le sujet, autant dans le livre que sur les réseaux.

Interview organisée par brunoaleas (2025)

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