En général quand je vois ce genre de nom apparaître sur Youtube, je clique… Et souvent je fais bien… En effet, le saxophoniste londonien Shabaka Hutchings et son groupe sud-africain sont ma découverte du mois !
A la première écoute, j’ai été plongé dans un monde où le jazz d’avant-garde british, sonnant comme un clavier Rhodes dans une rue de Camden Town, se mélange avec d’étranges forêts africaines aux allures vaudous enivrantes. Un parfum de Nouveau et d’Ancien se dégage. Certains sons rappellent étrangement l’album Bitches Brew de Miles Davis, quand le mystérieux chanteur Siyabonga Mthembu nous fait penser au grand Fela Kuti. Heureusement, les références sont subtiles, on ne fait que les imaginer car l’album est nouveau, frais et éclatant !
Le morceau « Joyous » en est un excellent exemple où le trio percussion-batterie-basse vient créer une nappe rythmique écorcée mais douce et herbeuse, parfaite pour les envolées de Shabaka et de son saxe ténor. Un morceau qui prend de l’ampleur au fil des minutes avant de doucement redescendre et atterrir confortablement.
C’est d’ailleurs le mot d’ordre de beaucoup de morceaux sur cet album : monter prendre de la force, s’assagir au fil des minutes (certains morceaux font entre 9 et 13 minutes), grandir et s’affirmer au final. D’où la Sagesse des Anciens ( Wisdom of Elders )…
Et encore une fois dans « The Sea », il ne suffit que de deux notes de basses pour partir sur la mer houleuse d’Afrique du Sud, dont les vagues prennent écho dans le son des cuivres. Il y a de ça, quand on lit que Shabaka est parti de Londres très jeune pour grandir dans les Caraïbes. Il traîne un gros bagage culturel derrière lui, et en veut visiblement plus avec cet album enregistré à Johannesburg.
Si je suis aussi imagé, c’est parce que j’écoute l’album au moment où j’écris à son sujet. Je l’ai écouté à beaucoup de sauce, que ce soit en jouant à Battlefield, ce qui améliorait mes performances (véridique) ou en apprenant à conduire, ce qui n’était pas vraiment une bonne idée… Pour en revenir à « The Sea », à 8:54 minutes, le batteur tape sur la cloche de sa cymbale, le saxophone sonne magnifiquement bien, le faux calme est envoutant et le percussionniste commence à son tour. Qui a dit que les Africains n’étaient pas dans le coup ? Voici de la qualité en tout point, tant en ce qui concerne l’enregistrement que les musiciens.
« Natty » et « Obs » sont aussi de très bons morceaux, très organiques.
Mais le morceau qui m’aura le plus marqué sur cet album avec « Joyous » est l’énormissime « Give Thanks » de 8 minutes qui est d’une force et d’une intensité rare ! Le batteur est épatant: il commence le morceau en jouant sur tout ce qu’il peut avec une organisation qui rappelle Antoine Pierre. Ce morceau est un déferlement violent de frappe et de saxophone qui grandit et vrombit comme un arbre fort et grand, poussant en dégageant tout les autres, lentement mais surement, incontrôlable… Un belle démonstration de ce qu’est la force de la nature. C’est peut-être un morceau et un opus que beaucoup de gens devraient attentivement et analytiquement écouter, en ce monde où tous ses aspects naturels et sauvages de la vie sont en train d’être détruits. Où l’on refuse également de tirer l’enseignement de l’Ancien, pour recommencer encore et encore les mêmes erreurs…
Pour ce qui est de Wisdom of Elders, tout est dit. Non pas que je rejette le Nouveau et que je vénère l’Ancien mais je prône la combinaison des deux au profit de l’avenir, tout comme cet album en somme, ainsi que ses 8 magnifiques musiciens. On dit que la prochaine grande puissance mondiale sera l’Afrique… J’espère que c’est vrai.
Lev.